Jacques Rancière
Y a-t-il des crises politiques ?
Conférence du 16 Mars 2010 - Université de Lille
Voici la transcription, presque fidèle (à quelques passages près), de la conférence donnée par Jacques Rancière le 16 Mars dernier, à l’université de Lille 1, dans le cadre d’une série sur " La crise ".
Travail fastidieux mais pas inutile.
Introduction :
La crise dans la tradition médicale hippocratique n’est pas du tout le moment de l’apparition des symptômes, c’est le moment décisif, de l’issue positive ou négative. C’est le moment ou tout diagnostique est inutile.
Aujourd’hui, la crise désigne non pas l’épisode dramatique qui fait dénouement, mais quelque chose comme un sentiment diffus de mal être. Dans le langage médiatique, le concept de crise de la démocratie est souvent traduit en " malaise dans la démocratie ".
Sur les réponses données pour expliquer la crise :
(par les experts en diagnostics sur la santé et maladie des corps sociaux)
Ce qui ne va pas c’est la désaffection des citoyens à l’égard de la politique, à l’égard du lien démocratique ; en gros c’est qu’on n’y croit pas. L’illustration classique, c’est toujours l’abstention aux élections. Il y a tout un discours qui nous dit qu’il y a une espèce de crise croissante qui se montre par le fait qu’il de plus en plus d’absentions (c’est pas vraiment vrai, il n’y a pas de courbe régulières de croissance d’absentions) mais on a un discours régulier sur la question (à titre d’exemple vers 1880 un journal anarchiste suite à des élections avec fort taux d’abstention concluait qu’on était à la fin du système électoral, que personne n’allait plus voter . Ceci pour relativiser le phénomène qui sert à l’illustrer). L’important ici c’est qu’on a déjà la cause.
Solution proposée (par ces même experts) :
réinvestissement de l’idéal démocratique par l’ensemble de la société. Tautologie : ce qui ne va pas c’est qu’on n’y croit pas, et le remède c’est que tous y croient (le mal est sensé venir d’un défaut de croyance).
Diagnostic moderne et tradition de l’art politique :
Ce type de diagnostic s’oppose à veille tradition de l’art politique qui va en gros de Aristote à aux grands classiques du 18e (de Montesquieu à Madison). Cette tradition était attachée à une vision organique du corps politique, et pourtant, la question de la santé et de la maladie du corps politique ils ne la traitaient pas en termes médicaux, mais en termes de mécanique. Pour eux c’était d’abord la question des institutions ; du rapport entre les parties constituantes de la cité ou de l’état. Dans tout l’âge classique le problème est posé très simplement : fondamentalement il y a deux parties : le peuple et le petit nombre des aristocrates, oligarques, propriétaires, etc. A partir de là, la question de l’équilibre était pensée comme les rapports entre les parties ; quelle part chaque partie doit avoir au pouvoir, de choisir et de décider. Aristote pose la question ainsi : c’est le rapport entre ce dont une partie de la société est capable et ce qui doit la satisfaire (un général pour conduire une armée, un architecte pour construire un bâtiment, etc.). Mais, dit Aristote, il y a un danger à exclure le peuple d’un certain nombre de choses, mais ce danger est conjuré parce que le peuple est capable de dire qui doit commander ou qui est le bon architecte. Il y a un optimum du rapport entre ce que chaque classe souhaite et ce qu’elle peut effectivement. Cet art défini les mécanismes de fonctionnement des institutions et une forme d’éducation, visant à former le type d’homme faisant fonctionner ces institutions. La question de la santé et de la maladie dans cette tradition de l’art politique, c’est une question de l’équilibre de forces conflictuelles ; d’où le mal aura deux grandes formes : la sédition (dérèglement du mécanisme, le déséquilibre lorsque une partie prend trop de poids) et la décadence (corruption du principe même ; de l’idée même de la communauté comme équilibre entre deux partis conflictuels).
Explications actuelles des causes de la crise :
Ce qui semble significatif c’est que dans les discours actuels de la crise de la politique, il n’y a aucun intérêt pour ce genre de question. Le mal est définit comme perte d’adhésion, perte de foi, incroyance, perte d’adhésion, d’investissement de l’individu citoyen sur le collectif. Sur cette base, il n’est pas difficile à ceux qui se définissent comme docteurs en science de la santé sociale, de dire que c’est à cause de l’individualisme ; on a perdu le sens du collectif, conséquence d’une pathologie globale de la société, voire de la civilisation : à savoir le développement de l’individualisme : c’est dit-on la logique du marché, la société de consommation qui entraîne les individus à la recherche narcissique de la jouissance individuelle avec deux conséquence : un désintérêt pour le collectif (conséquence directe) ; des formes de mouvement et de révolte centrée sur la lutte contre l’autorité (conséquence indirecte). (Voir les cascades des discours de réinterprétation de mai 68 qui expliquent que la lutte antiautoritaire a conduit à la destruction des liens collectifs assurant le lien social, de la destruction des croyances collectives : famille école, religion, etc. L’effet à long terme en aurait été le triomphe du marché et donc de la ruine de la politique). Ainsi on ne donne pas à la crise de la politique une cause politique, mais une sorte de cause civilisationnelle (monde désenchanté, vidée de transcendance).
Ces explications posent un problème : la cause (crise de civilisation) est trop large pour l’effet. Ceux qui posent ce diagnostic identifient en général ce qu’ils appellent crise de la politique avec la perte d’enthousiasme pour les institutions représentatives. Le problème est le suivant : si on identifie l’exercice politique simplement avec le fait de choisir de temps en temps des gens à qui on délègue le soin de s’occuper pour vous de la politique, premièrement on aura du mal à prouver que cet exercice requiert une adhésion forte à des valeurs collectives transcendantes. Deuxièmement on aura du mal à prononcer qu’il est compromis par les habitudes crées par les habitudes de l’activité consommatrice. Troisièmement, on rencontra la contradiction : à savoir que les mauvais citoyens qui refusent de s’enthousiasmer pour les choix des membres des diverses assemblées sont capables par ailleurs des plus grandes dépenses d’énergie, soit pour aller soigner des malades au bout du monde, soit pour empêcher qu’on expulse une lycéenne, etc. On sait que les analystes de la crise on leur réponse : ces gens sont atteints du péché individualiste puisqu’ils choisissent leur militantisme, d’agir par eux même en fonction de leur conviction, au lieu de faire leur devoir de citoyen, qui est un devoir de délégation. Pour ironiser, on dirait que pour ces analystes la crise de la démocratie consisterait en ce que des gens, à qui on dit que la politique est l’exercice de leur libre choix, prennent au sérieux ce qu’on leur dit alors qu’ils devraient comprendre que leur liberté est d’abord la liberté d’adhérer.
Logique de représentation et d’élection :
La logique de la représentation et celle de l’élection, dans leurs principes n’ont rien de démocratique. La représentation dans son origine est un principe oligarchique, aristocratique : participent au contrôle du pouvoir ceux qui ont un statut qui les qualifient pour cela. Quant à l’élection, originellement c’est un acte d’approbation de la légitimité d’un pouvoir. Donc il faut bien voir que originairement l’idée représentation et de l’élection signifiaient le contraire de ce qu’on leur fait dire à l’époque moderne : non pas l’exercice du pouvoir du peuple, mais au contraire le rôle du peuple est fondamentalement d’approuver l’exercice du pouvoir par ceux qui étaient qualifiés pour l’exercer.
Transcendance collective perdue ? :
Au lendemain de la révolution française, les contre révolutionnaires (Joseph de Maistre, Bonald) disent : autrefois la société était un organisme (la tête et les membres étaient à leur place). Les individus se trouvaient naturellement à leur place dans des corps collectifs où ils étaient encadrés, disciplinés protégés et trouvaient leur place dans la féodalité, monarchie, corporation, etc., sous la loi de la transcendance divine. Ce tableau ce répand et tout le 19e va le reprendre. Malheureusement arrive le principe destructeur, qui est le principe du choix individuel. C’est arrivé d’abord, disaient-ils, avec le protestantisme, où chacun interprète la parole de dieu, c’est devenu après le principe des Lumières, où chacun fait usage de sa raison. C’est devenu ensuite le principe dévastateur du citoyen abstrait, et en conséquence de quoi la société s’est trouvée atomisée. Les individus se sont trouvés désaffiliés. C’est cette espèce de ruine de l’organisation du corps social qui est responsable de la catastrophe révolutionnaire.
S’est imposé à ce moment, et qu’on a vu ressurgir abondamment ces derniers temps, une dramaturgie de la communauté, du corps collectif dissout par l’irruption individualiste. Elle a refoulé celle de l’ancien art des mécanismes équilibrant les rapports entre les parties de l’état. Au lieu de cela elle a mis en place cette espèce de scène pathologique de la transcendance collective perdue. Le problème c’est qu’elle s’est imposée comme une description adéquate du monde moderne. Au fond la critique de la consommation, du marché, du spectacle, ont été transformés en critique de l’individualisme démocratique. Autrement dit, ce qui était pensé comme la marque d’un système spécifique de domination est devenu, et a été transformé en symptôme de l’individualisme démocratique considéré comme catastrophe civilisationnelle. Le résultat c’est qu’il y a une surdétermination étrange du thème contemporain de la crise de la politique ou de la crise de la démocratie : d’un coté on dénonce l’égoïsme qui est sensé pervertir les mécanismes de la représentation, mais de l’autre, on le fait sur le fond d’une théorie pour laquelle l’égoïsme est la vérité même de la représentation. L’argumentaire de la crise est un emmêlement d’argumentations contradictoires qu’on peut ramener à un dénominateur commun assez plat : l’opposition du particulier à l’universel et de l’individuel au communautaire. Ces diagnostics amènent à une conclusion à double fond (hypocrite), à savoir on déplore en cœur le manque d’adhésion, de foi et de passion des individus démocratiques, mais cette déploration en réalité est un verdict, de leur incapacité à être des sujets politiques. Autrement dit ce qu’on déplore on s’en réjouit comme preuve de leur incapacité.
Les arrangements chez Aristote & la démocratie chez Platon :
Pour revenir chez Aristote : les arrangements étaient le moyen de régler le rapport entre apparence et réalité de la distribution des pouvoirs. Double exigence : il est nécessaire que les démocrates voient la constitution comme réalisation de la démocratie. En revanche, dit Aristote, ils est plutôt souhaitable qu’ils n’exercent pas eux même ce pouvoir qu’ils se voient reconnaître. D’où cette célèbre distinction entre les types de démocratie : La meilleure démocratie c’est la démocratie paysanne, parce que les paysans habitent loin, ils travaillent la terre, ils n’ont pas le temps de venir exercer leur pouvoir à l’assemblée et s’en remettent aux gens qualifiés. On peut dire que c’est du cynisme, mais ce cynisme est aussi la reconnaissance de la politique comme tension des incompatibles, alors que notre actuel discours clinique sur la crise, efface précisément la question de la division au profit de la seule opposition entre l’universel et le particulier. Or il semble plus utile de procéder à la démarche inverse : de partir de cette espèce de dramaturgie de l’équilibre des parties de la cité, pour approfondir la question de la division politique. On peut penser la politique comme le conflit entre des logiques opposées de ce qui constitue la communauté elle-même. Tout le monde connaît la description ironique que fait Platon de la démocratie (La république, livre VIII) : en gros, nous dit-il, la démocratie est le monde à l’envers. Dans la cité démocratique les gouvernés sont indistincts des gouvernants, les maîtres sont à égalité avec leurs élèves, les jeunes sont sur le même plan que les vieux, les esclaves sont aussi comme des hommes libres, les hommes et les femmes jouissent des même prérogatives, et même les animaux participent à cette liberté en encombrant les rues de la cité, refusant de céder le passage à leurs maîtres. Ainsi la démocratie est quelque chose comme anti-nature, le régime où toutes les relations naturelles de dépendances sont abolies. Le coté sérieux de la plaisanterie Platon le donne dans un texte beaucoup plus sobre (Lois, livre III), puisqu’il se présente comme une énumérations neutre et objective des formes existantes d’autorité. Il y a sept titres à gouverner les cités. Six d’entre eux sont fondés sur un rapport de dépendance déjà existants : l’autorité des parents sur les enfants, des vieux sur les jeunes, des nobles sur les vilains, des maîtres sur les esclaves, des plus forts sur les plus faibles, et des savants sur les ignorants. Autrement dit, dans cette logique il y a un fonctionnement circulaire : l’exercice du pouvoir se fonde sur une supériorité manifeste qui l’anticipe, mais inversement l’exercice même du pouvoir prouve en retour ce droit qui le légitime. Le septième titre est le tirage au sort (ce que Platon désigne là, même s’il ne la nomme pas c’est la démocratie). Platon donne là une espèce de principe formel : la démocratie c’est ce qui se passe lorsque les supériorités de naissance, savoir, etc., sont remplacé par le coup de dé. Le problème c’est la rupture de ce cercle de légitimation du pouvoir. Celui qui exerce le pouvoir n’a aucune légitimité, aucun titre pour l’exercer (c’est le pouvoir de n’importe qui).
Renversement du principe Platonicien :
On peut prendre les choses à l’envers : dire que ce pouvoir aberrant est le seul pouvoir politique, parce la communauté politique, si elle n’est pas simplement l’élargissement de la famille de la tribu, etc., elle doit avoir son propre titre à gouverner. Un titre qu’elle ne partage avec aucune autre forme de rassemblement humain. Le seul titre de ce genre, une fois épuisé tous formes d’autorité déjà existante, est le pouvoir de ceux qui n’ont pas de titre à exercer le pouvoir. Le citoyen, dit Aristote (Politique, livre 3) est celui qui a part au fait de gouverner et d’être gouverné. Celui qui a part à l’un et à l’autre, c’est précisément celui qui n’a pas de raison d’être l’un plutôt que l’autre (inverse du schéma Platonicien). La démocratie n’est pas un régime politique particulier, au sens d’une forme constitutionnelle particulière, mais le principe même de tout gouvernement politique. Pour qu’un gouvernement exerce sur une communauté humaine un gouvernement politique, il est nécessaire qu’il se fonde sur ce principe aberrant, et pourtant nécessaire, d’un gouvernement spécifique de ceux qui n’ont pas de titre à gouverner : ils doivent fonder en dernière instance leur autorité sur un principe qui ruine toute autorité.
Opposition de deux logiques :
Ce que nous appelons politique est la conjonction contradictoire de deux logiques antagoniques : il y a une logique naturelle : ceux qui gouvernent sont ceux qui ont titre à gouverner parce qu’ils sont les mieux nés, les plus savants, les plus forts, les plus riches, etc. Et selon cette même logique ils prouvent ce titre par l’exercice du pouvoir. Dans cette logique il y a une combinaison de ces titres à gouverner (mariages, etc.), qui fournissent des modèles de gouvernement et des pratique d’autorité qui assurent la reproduction de ce pouvoir : c’est logique de la police. Il y a aussi une deuxième logique, ce qui pour Platon est l’antinature, est qui est exactement inverse : la logique du pouvoir spécifique de ceux qui n’ont pas de titres plus à être gouvernés qu’à être gouvernant. Dès qu’un gouvernement à besoin de se légitimer comme un gouvernement politique, et non pas simplement l’exercice d’une supériorité de fait, il a besoin, si peu que ce soit, de se fonder sur ce pouvoir de n’importe qui.
Dans le monde d’expérience sensible :
La police comme organisation de la communauté, est comme l’organisation d’un monde d’expériences sensibles dans lequel opèrent l’identification de l’exercice communautaire avec l’exercice du pouvoir par ceux qui sont habilités pour cela. La police en ce sens est la configuration de la communauté comme ensemble de groupes et d’individus qui occupent certaines places, remplissent certaines fonctions. Il produit un certain type de sens commun, ou consensus. Le consensus est l’accord imposé, le monopole du sens qui peut être donné à cette configuration sensible. Du même coup, le consensus définit aussi finalement qui est capable de dire et d’interpréter ce qui est donné. C’est une affaire de spécialiste, une logique de privatisation du pouvoir de tous. De ce point de vue, la prétendue désaffection des citoyens à l’égard des formes de leur pouvoir est d’abord l’œuvre du fonctionnement gouvernemental lui-même : premièrement l’appropriation du pouvoir collectif par une oligarchie de spécialistes de l’exercice politique, mais aussi une logique qui rejette du coté de la sphère privée les interventions des acteurs non étatique. S’en suit la rupture de l’évidence que le donné est donné et que c’est comme ça, la rupture de la distribution des compétences et des incompétences, etc. L’action politique proprement dite de ce fait, est une action par des sujets spécifiques, qui n’agissent pas comme représentant de tel ou tel intérêt ou groupe social, mais comme représentant d’une puissance de tous, une puissance qui précisément est exclue par le fonctionnement normal du pouvoir. L’action politique se soustrait à la distribution simple de l’opposition du particulier à l’universel et de l’individu et du collectif. L’action politique peut se définir comme une forme de singularisation de l’universel.
Sur ce qui se passe dans la rue lors d’une manifestation (par ex les infirmières ou les enseignants)
Du point de vue de la logique policière, les manifestants expriment leur souffrance ou crient leurs inquiétudes à l’égard de l’avenir, ils lancent des signaux au pouvoir, etc. Du point de vue politique c’est autre choses, à savoir qu’ils ne sont pas là pour manifester leur inquiétude quant à leur avenir, mais ils sont là pour affirmer leur capacité de penser par eux même à l’organisation du travail dans une entreprise, une université, etc. Ils sont là aussi pour affirmer la capacité de n’importe qui à penser le rapport entre le présent et l’avenir.
A partir de là, il est possible de réévaluer le sens et les usages de la notion de crise dans le discours contemporain. La crise nome un état de la tension entre les dynamiques opposés. En allant jusqu’au bout, le manque de choix ou d’adhésion que certains déplorent si forts en un sens est un succès ; un succès de dispositif institutionnel, et de pratiques gouvernementales qui visent précisément à soustraire du pouvoir du peuple.
Qu’est-ce qui ne fonctionnent plus dans nos institutions ? :
On pourrait avoir la réponse cynique que en fait elles fonctionnent très bien. L’ensemble des pratiques gouvernementales qui nous dirigent, ont pour fonction naturelle de produire de la désaffection. La crise de la politique est cet état du rapport de force où la logique policière réussit à neutraliser la logique politique. Autrement dit, il n’y a pas de crise, il y a simplement un déficit de politique, un déficit de démocratie. Mais ce déficit on peut le penser comme l’effet d’un certain fonctionnement des institutions et des pratiques de pouvoir. Si on est conséquent, ce déficit de démocratie, il ne faut pas le penser par rapport aux formes d’adhésions aux dispositifs institutionnels de la représentation ; il faut le penser beaucoup plus par rapport aux capacités d’action de sujets politiques autonomes par rapport à ces dispositifs. Ce déficit ne consiste pas alors dans le nombre d’abstention aux élections, mais bien plutôt dans l’incapacité que s’affirment des forces collectives qui aient une sphère d’action autonome, et qui puissent créer une temporalité qui ne soit pas simplement mesurée par rapport à la seule échéance du choix tous les cinq ans d’un des candidats au pouvoir oligarchique. La notion de crise ne dit rien de plus que cet état des rapports entre les deux logiques. Mais il est clair que de nommer cela crise n’est pas indifférent, que ce choix fait partie lui-même d’un système interprétatif, qui s’exerce au profit d’une des logiques en lutte. Ce qu’il s’agit c’est d’imposer un mode d’interprétation qui est justement l’interprétation pathologique (souffrance, malaise, inquiétude), et que ce troupeau de gens malades est clairement distinct de ceux qui exercent la rationalité de l’exercice gouvernemental. L’avantage de ce type de discours, est d’exclure toute idée que le déficit de démocratie ou de politique, soit dû, au fond, à l’action effective de forces antidémocratiques. Ce déficit il plus rentable de l’attribuer à un vice interne de la démocratie : à savoir les vices dits individualistes, d’absence d’obédience ou d’affiliations collectives. L’explication marche à tout coup précisément à cause de l’écart même entre causes et effets : la cause et l’effet ne sont pas sur le même plan que les déficits de politique qui se trouvent attribués à un phénomène sociétal global. Par conséquent à un mal qui ne peut pas être guérit. L’affirmation au fond de la corruption du principe communautaire par ce que les gens appellent individualisme démocratique a pour contenu effectif la négation du pouvoir communautaire comme pouvoir de n’importe qui. Le diagnostic de crise est simplement l’élément d’une machine interprétative qui est là pour dire que les démocrates sont incapables d’exercer leur propre pouvoir, ce qui veux dire évidement que du même coup il vaut mieux que ce pouvoir soi exercer par les spécialistes du pouvoir. En ce sens, le concept de crise, tel qu’il fonctionne aujourd’hui dans l’espace médiatique, est un élément d’une machine interprétative qui fait partie du discours dominant. Il n’a pas de valeur explicative pour lui-même, et si on veut en faire quelque chose il faut le réinscrire dans le réseau des concepts des interprétations à travers lesquelles le pouvoir de tous s’affronte à son contraire. A ce prix là, il peut, peu être, nous aider au moins à repenser ce que nous appelons politique.