Billet inspiré par le fait d’un double hasard :
De tradition familiale (tradition récente, puisque initiée par mes soins il y a de cela quelques années) chaque dimanche je me trouve dans notre laboratoire culinaire à m’escrimer, non sans une certaine délectation, avec les lois de la gastronomie profane. Aujourd’hui, le sujet proposé était : « Le poulet à L’espagnol », avec, parmi les ingrédients obligatoires, olives noires, poivrons rouges, ail et chorizo. En fond sonore, un podcast « choisi » ; et cette fois, premier hasard, une émission des « Nouveaux chemins de la connaissance » avec pour sujet « La fin de l’histoire », avec l’excellent et très pertinent Jocelyn Benoist, venu nous parler de Helgel, Fukuyama et autres thuriféraires iréniques de l’absurde rêve d’un monde occidentalo-centré et gélifié dans la consommation. « Il y a tout de même quelque chose de très choquant dans ce diagnostique, dit Jocelyn Benoist en réponse à Raphaël Enthoven qui trouvait les prophéties de Fukuyama très bien vues, puisqu’on nous parle par exemple de la satisfaction de consommateurs sophistiqués. Je pense que la fraction mondiale que ça concerne est extrêmement limitée. Il y a une forme de cécité dans cette analyse, à ce qu’est la réalité massive de notre monde d’aujourd’hui. A savoir, peut être l’ennui pour certains mais le désespoir pour beaucoup, et même pour la majorité ».
L’émission finie, le repas pas encore tout à fait prêt, je feuillette quelques pages du « Philosophie magasine » de mai dernier et tombe, second hasard, sur un dialogue entre Slavoj Zikek et Isabelle Huppert (il me faut quelque chose de léger, lisible d’un œil – l’autre étant rivé sur l’évolution de la cuisson). J’y relève la phrase suivante ; une répartie qui n’a l’air de rien, mais qui se révèle d’une efficacité particulière pour saisir la logique de ces cohortes experts pixélisés à géométrie variable, dressés pour lobotomiser les foules (les plus en vue de cette engeance étant les sinistres Sieurs Minc et Attali) :
« Paradoxalement, on moque Francis Fukuyama, qui a annoncé « la fin de l’histoire » au sens Hégélien, sans voir que tout le monde est devenu Fukuyamiste. La gauche elle-même ne rêve plus que de capitalisme global à visage humain. Plus personne ne remet en cause le système. Lé démocratie libérale capitaliste offre-t-elle cependant un cadre adéquat pour résoudre les problèmes liés à l’écologie, à la biogénétique, aux nouvelles formes d’apartheid social ? Je ne le crois pas ».
Pour conclure cet impromptu de midi, toujours Jocelyn Benoist : « Parlons des philosophes, des analystes ; ceux qui se situent au plan purement conceptuel : ce qui me frappe c’est que leurs descriptions des faits sont souvent extrêmement misérables. Prenons l’exemple de Fukuyama : dans le livre qu’il a tiré de l’article, lorsqu’il a systématisé son propos, il dit bien : ‘oui, on remarque des poches locales de résistances (…) certains espaces relativement marginaux ne participent pas à cet accomplissement historique’ (…) Ce qu’il diagnostique en réalité c’est le phénomène qui commence à ce faire jour à ce moment là, la montée des intégrismes, et finalement l’apparition d’un certain nombre de résistance à cette tendance. Il me semble tout de même que vingt ans après, pour le coup ce diagnostique appellerait une sérieuse révision, parce qu’il est très difficile de traiter ces phénomènes comme de simples phénomènes locaux. C’est en un sens l’envers de ce qu’il avait diagnostiqué comme fin de l’histoire ».