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3 septembre 2014 3 03 /09 /septembre /2014 03:32

A mon retour de vacances, j’ai constaté que la publicité était désormais imposée sur la plateforme Overblog, transformant cet espace en guirlande  commerciale. 

J’ai donc décidé de migrer manuellement sur un autre blogue que j’utilisais jusqu’alors essentiellement pour le partage des œuvres peintes.


Ce nouvel espace porte le nom de « Sous un ciel brouillé » et j’ai commencé à y transférer les billets qui me tenaient le plus à cœur. Cela prendra sans doute encore tout le mois de septembre.

Ici, si le blogue n’évoluera plus, je le laisse néanmoins en état pour que l’ensemble des anciens billets, et surtout les commentaires puissent toujours être consultés (car dans le transfert je ne puis que déplacer les articles, mais pas les commentaires).

 

 

La publication de nouveaux billet sur « Sous un ciel brouillé » reprendra sans doute en octobre après une petite pause.

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23 mars 2014 7 23 /03 /mars /2014 09:43

nuitdanslaforet.jpg

 

C’était hier soir au théâtre de l’Idéal à Tourcoing, dans une mise en scène d’Eric Castex.

 

Un soliloque d’Azeddine Benamara... Une heure et demie, où, pourtant, l’on ne s’ennui pas une seconde. De maux en mots, tout le tragique de l’existence résumé à fil prêt à se rompre... Juste une chambre pour la nuit, pas même toute la nuit. Camarade ! Ecoutes-moi, s’il te plait... 

Les yeux dans les yeux... Une magnifique performance d’acteur !

 

« Mon projet de mise en scène est proche d’une atmosphère du Bronx. Un film de Jarmusch 

en noir et Blanc » Eric Castex

nuitdanslaforet1.jpg

 

Dans un décors minimaliste, entre poussière et bardage de fer, avec pour toile de fond un mur en béton, l’acteur nous entraine ainsi dans un monde glauque et désespéré ; un monde de pluie et de nuit, sur le pavé. 

Des ruelles à putes, lorsqu’elles deviennent cinglées et s’en vont manger la terre des cimetière jusqu’à en crever, aux piles de ponts mal éclairés et au-dessus de l’eau pour s’aimer rien qu’une fois. Un univers de paillettes, avec les cons d’en haut et leur gueule de tueur, avec la fête obligatoire du vendredi soir, avec cette fille blonde, belle à tomber par terre, fragile et qui passe avec ses petites boucles, juste comme il faut. Ses yeux sont des abimes mais il ne faut pas la suivre ! Elle est passé de l’autre côté... Et si avais chanté, bien sûr on aurait tout accepté. Comment faire autrement ? Et si elle avait posé sa main sur votre genoux que faire, sauf se la couper ? Seulement elle parle. Elle parle au milieu des minets, et  lorsque s’ouvre sa bouche c’est un dégueulis de l’enfer...  

Alors on s’en retourne là où la solitude de l’étranger sans travail se confronte à l’impossibilité à dire les choses... Il y a ceux qui s’amusent, avec rien derrière la tête, ces sales cons... Et puis il y a les autres, ceux que l’on pousse dans le dos d’ici aux forêts du Nicargua, là où des généraux assis mitraillent tout ce qui en sort. Tout ce qui ne ressemble pas à un arbre, tout ce qui ne bouge pas comme une plante est abattu ! Alors ceux du Nicaragua viennent ici tandis qu’on nous pousse là-bas. Mais partout c’est pareil. Du travail il n’y en a pas plus ici qu’ailleurs. Et là-bas, si vous n’êtes pas d’accord, on vous tire dessus... Alors on reste ici et se fait casser la gueule dans le métro par des loubards bien habillés qui vous ont volé votre portefeuille. Sale PD, qu’ils disent ! Et personne ne bouge...  Tout va bien camarade ! On ne bouge pas... 

Rompu, sans un sou on ne bouge pas. C’est ok . Tout va bien camarade... Il y a ce bruit, cette odeur... Personne ne vous regarde. Passe une fille en pleur dans sa chemise de nuit. Derrière, en haut de l’escalier une grosse femme souffle, accrochée à la rambarde. Assis juste à côté, un arabe marmonne bas, il chante  juste pour lui un truc en arabe... Sur le quai d’en face une folle en jaune, extatique fait de grands gestes dans le vide et se met soudain à chanter une connerie d’opéra... Mais quelle voix ! Elle répond à l’instrument d’un type qui doit jouer un peu plus loin pour faire la manche... 

Chacun pour soi, chacun dans son monde... Chacun avec ses problèmes, rien que pour soi.

 

Alors vous prend l’envie de taper ! De taper, et taper encore !.... 

« ... un monde nocturne, peuplé de prostituées de loubards racistes, de violence. ET puis l’amour aussi, trop vite perdu et que l’on cherche à travers la nuit. Tout Koltès se trouve déjà résumé dans cette première œuvre, qui est un grand texte qui raconte la solitude de l’homme moderne dans l’enfer urbain... »  (Texte tiré de l’extrait vidéo)

 

De Koltès je ne savais rien et avions pris les place sans trop savoir où nous mettions les pieds, sous l’incitation de notre fille, ayant cette année un texte de cet auteur à étudier (« Dans la solitude des champs de coton »).

Nous ne regrettons pas cette plongée en terres inconnues.

 

« Un homme, assis à une table de café, tente de retenir par tous les mots qu’il peut trouver, un inconnu qu’il a abordé au coin d’une rue, un soir où il est seul. Il lui parle de son univers : une banlieue où il pleut, où l’on est étranger, où l’on ne travaille plus ; un monde nocturne qu’il traverse, pour fuir, sans se retourner ; il lui parle de tout et de l’amour comme on ne peut jamais en parler, sauf à un inconnu comme celui-là, silencieux, immobile » 

Bernard Marie Koltès

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Dossier sur la pièce

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22 décembre 2013 7 22 /12 /décembre /2013 09:43

Nu-sur-le-divan.jpg

 

Parcourant la toile en quête de vidéos pour illustrer un billet que je viens de finir « Alan Sokal : Pseudosciences & Postmodernité (Préface de Jean Bricmont) » je suis tombé sur un entretient avec Nicolas Gauvrit, du printemps 2012. 


A l’écoute, la teneur de l’interview dépassant largement le cadre que je recherchais initialement (vidéo courte sur : illustration / définition de la rationalité scientifique ; discours sur les pseudosciences en général), devant l’intérêt du propos développé, j’ai pensé bon, plutôt que de noyer la vidéo dans un article déjà dense et long, de la publier dans un billet indépendant. 

 

Nicolas Gauvrit est mathématicien et chercheur en psychologie du développement. 

 

J’ai ajouté ci-dessous la liste des thèmes abordés, reprenant les titre proposées dans la vidéo pour les différentes sections. 


.
Zététique ? Scepticisme ? rationalisme ?

Agir de façon rationnelle 
Env 4.15

Psychanalyse et inconscient
Env. 6.55

La psychanalyse est-elle scientifique ? 
Env.9

Scientifique, quels critères ?
Env  11.50

Psychanalyse : des hypothèses testables ?
Env 14.25

Psychanalyse : des hypothèses validées ?
Env 16.25

Pyschanayse et idées reçues 
Env 17.15

Le refoulement : une idée reçue ?
Env 19.50

Lapsus : idée reçue ?
Env 21.35

Lacan et les mathématiques
Env 23

Psychanalyse et autisme : sophisme du ‘juste milieu’
Env 28.35

Psychanalyse : traiter les causes de l’autisme
Env 32.50

Sophisme de l’homme de paille
Env 34.40

Les livres qui ont comptés
Env 36.05

- Le singe en nous de Franz De Waal 
- Les impostures intellectuelles de Sokal et Bricmont 
- Mensonges freudiens de J.Benesteau 

Développer science et esprit critique : un outil de transformation sociale ?
Env 42.5 
singe_en_nous1.jpg

(Blog initial de Nicolas Gauvrit)
(Nouvel espace où N.Gauvrit publie en invité ses billets)
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30 novembre 2013 6 30 /11 /novembre /2013 13:26

Fabre-1.jpg

 

Lors d’un échange de commentaires sur un blogue ami, il m’a été demandé d’expliquer pourquoi l’exposition Jan Fabre, qui se déroule actuellement au Palais des beaux de Lille, relevait selon moi du navet intégral - j’aurai pu dire d’une certaine forme de supercherie, sans véritablement trahir le fond de ma pensée. 

C’est cette réponse que j’adapte ici, du haut de ma flemmardise, sous la forme d’un billet qui n’a d’autre justificatif que la subjectivité et le parti pris revendiqués de son auteur, agacé par la fatuité des émois suscité par nombre d’impostures artistes contemporaines  - mais pas toutes (cf. « Jake & Dinos Chapman - No woman No cry »).

 

Fabre-3.jpg

Alors donc, pourquoi n’ai-je pas aimé cette double exposition ? (je mêle ici le Congo de Jan Fabre à ses illuminations du sous-sol, disséminées parmi les enluminures médiévales véritables).

 

Disons qu’une fois pénétré dans l’atrium où étaient exposées les œuvres, à la vue de ces immenses compositions verdâtres sans âmes, mon premier réflexe fut un saisissement. Non pas de stupeur admirative mais de perplexité ; entre envie de m’esclaffer ou de tourner illico les talons. 

 

Fort heureusement, il y avait les étudiants de science Po (organisateurs de la nocturne) pour nous expliciter un peu tout ça (je salue ici leur disponibilité ; sagacité distanciée mêlée d’un excellente connaissance de leur objet d’étude) . 

 

Côté originalité, disons que ces tableaux gigantesques sont constitués uniquement d’élytres de scarabées (provenance d’élevages quasi industriels en Asie) - en ce genre d’exposition il convient de toujours se singulariser !

Ajoutons que le Sieur Fabre met à peine la main à la patte, puisque ce travail de titan (coller des milliers d’élytres – j’ai oublié le nombre faramineux d’heures nécessaire à la réalisation d’un seul tableau) est confié à une équipe de 29 « collaborateurs » du maître (on pourra toujours dire ici qu’il ravive la tradition médiévale de l’atelier ; mon esprit mal tourné y voit plutôt une entreprise commerciale bien rôdée).

 

Au niveau du concept :

cerveau.png

L’objectif affiché de l’artiste est une dénonciation du colonialisme belge au Congo – de quoi susciter l’adhésion inconditionnelle des masses ; une approbation qui ne peut que justifier les œuvres (la critique serait ici malvenue, sinon suspecte).  

 

Au niveau des œuvres en elles-mêmes :

Pour faire spirituel (ou érudit) rien de mieux que de mettre dans chaque tableau un détail tiré du Jardin des délices de Boch ; outre en imposer au niveau culturel, cela fait un petit jeu de piste amusant - et permettra ensuite de pérorer doctement sur la profondeur de la démarche…

Pour le reste, une symbolique bien lourdingue, par exemple : une esclave qui ouvre la bouche devant une sorte d’énorme thermos plantée dans un coin du tableau - et sensé représenter le phallus d’un colonisateur ; ou encore des memento mori disséminés un peu partout (des fois que l’on aurait pas compris que la colonisation c’est le mal) ; cette autre ‘œuvre’ aussi, où il est noté en grand « Côte d’or » du nom de la firme exploiteuse de cacao que l’on sait. Que dire de « La bataille du rail» (car personne évidemment n’imagine un instant que ces tringles du progrès - porteuses de civilisation - aient pu se construire avec du sang d’esclave), ou ces « expositions coloniales d’Anvers » réunissant, oh grand dieu !, tout le gratin de la bourgeoisie d’alors ? 

Devant ce fatras, je ne puis laisser échapper qu’un gros soupir, laissant à chacun le soin se faire sa propre idée de la profondeur de la mise en scène… 

 

JF_Lapin.jpgPassons sur cette cervelle ailée, œuvre intitulée doctement « cerveau à ailes d’anges », ces scarabées moulés en doré (symbole de vie) transportant sur leur dos des crucifix ou des crosses d’évêques (le but ici est de mêler la tradition égyptienne au catholicisme - syncrétisme baveux, ou réminiscence new age, je ne sais - destiné à confondre d’admiration le pécore). On trouvera aussi une épée dont la lame porte inscrit en flamand quelque chose comme (je ne sais plus avec précision) «  Epée du désespoir ». Tout un symbole. J’en oublierai presque cette autre cervelle, d’où sort un petit arbre (l’œuvre est évidemment appelée « l’arbre de la connaissance »)…

 

Au final, seuls deux tableaux sortent pour moi de la médiocrité générale de cet accrochage. Est-ce un hasard s’ils s’agit des œuvres ou apparaissent des oiseaux ? J’opterai plutôt pour un attachement à une certaine forme d’esthétique dont, horreur, je n’arrive pas me défaire en matière d’art… 

Le premier de ces cadres est celui ayant servi - et pour cause - d’affiche à l’exposition. Quant au second, il montre en bonne place un pic, une huppe et un martin pêcheur… 

J’ajouterai enfin que les images de ces tableaux, trouvés ici ou là sur Internet, rendent d’un bien meilleur effet que lorsqu’on s’y trouve directement confronté. S’agirait-il d’un effet de l’écran, faisant office de masque au réel (à la manière d’un masque vénitien posé sur un visage vérolé) ? La raison m’en échappe.


Fabre---martin.jpg

Pourquoi un certain public aime Jan Fabre ?
Pour ceci, sans doute :

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15 novembre 2013 5 15 /11 /novembre /2013 18:46

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Encore sous l’emprise de l’adaptation théâtrale des Particules élémentaires de Michel Houellebecq, jouées samedi dernier à Lille…  

 

Apprenant quelques jours auparavant la durée de la pièce (3h40 env., entracte compris), nous nous étions inquiétés. 

Mais à la vérité tout s’est passé si vite en cette représentation d’une intensité époustouflante, servie par une mise en scène où les effets ne sont pas de simples gadgets, des artifices grossiers destinés à se singulariser par l’absurde, sinon la fatuité… 

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C’est que la poésie noire des petites phrases sorties du stylet de Houellebecq, ciselées dans une sorte d’acide à effet différé mais aussi imparable que la vague rongeant son galet, lâchée dans l’indifférence d’une cigarette qui se consume, atteint ici à son apothéose ;  

 

Ce train de la vie déroulant ses malheurs comme des évidences, ces macchabées grassouillets et nus, secouant leurs bourrelets en mer sur fond d’une barre de béton, symbole du libertinage obligatoire ;

Ou encore tels adeptes de yoga se haïssant viscéralement tout riant par envie de pleurer, sans omettre celle qui, après avoir avorté deux fois, veut un enfant avant qu’il ne soit trop tard. Son leitmotiv : combler le vide abyssal de son existence ;

Et cette autre paumée qui, par trop plein de solitude, après s’être brûlé au dernier degré le bas-ventre fini par se foutre en l’air du haut de l’escalier d’un immeuble de banlieue accrochée à son fauteuil d’handicapée, sans doute par amour envers ce professeur de littérature échoué dans le petit enfer de son lycée d’enfance. Ce dernier, débordé par un trop plein de sève tardive, se branlera bientôt sous l’œil moqueur d’une élève, une beurette, à peine sortie de l’adolescence qui, il en est sûr, « couche ». Le malheureux ira aussitôt se faire interner ou l’occasion lui sera donnée de pisser sur les cendres de sa mère ;

Tandis que son demi-frère s’envolait pour l’Irlande pour involontairement bouleverser l’ordre du monde – rêvant, si on peut appeler cela un rêve, d’une post humanité débarrassée de la plaie de la sexualité, de la douleur, et surtout de la peur de l’abîme – une post humanité immortelle. Nouvelle race, lisse, sans aspérité et à la saveur du navet.

 

particule-nord.jpgCe drame de la banalité grise sur fond d’orgie désespérée et de fin de race, avec ses élans, ses embardées, ses essoufflements et ses impasses, est rendu dans cette pièce avec une acuité si singulière qu’on se sent irrémédiablement englué, souillée par la poisse de cette morne absurdité teintée d’un désespoir sans véritable saveur ni contour.

 

Ici pas d’interprète en deçà. Et si aucun des acteurs ne domine, c’est qu’on ne se dit pas : c’était bien, sauf, peut-être, untel incarnant tel personnage. Car ici tous sont pareillement accrochés à leur rôle, semblables à ces naufragés perdus dans l’immensité d’un océan glacé à perte de vue, incrédules assis sur leur bouée ; si véridiques. 

Ajoutons une musique à la hauteur de ce paysage littéraire sans concessions ni fioritures, avec des percussions qui prenne au thorax, mais aussi, parfois, le chaos de riffs de guitare, joués live, en résonance parfaite avec la teinture du panorama ; impeccables de lourdeur et déchirés sur Manson, à peine audibles à  d’autres moments. 

 

Mais il est impossible de rendre compte d’un tel événement. De coucher sur le plat d’une feuille, temporalité, sensations, mots, non-dits, sous-entendus, maux… 

Laissons donc infuser. 

 

 Video-Houellebecq.JPG

CLIQUER SUR L'IMAGE CI-DESSUS POUR LA VIDEO


« Suite à des travaux d’agrandissement d’un arrêt de cars, il était nécessaire de réorganiser le plan du cimetière municipal et de déplacer certaines tombes, dont celle de sa grand-mère… 

(…)

L’autorail de Crécy-la-chapelle avait été remplacé par un train de banlieue. Le village lui-même avait beaucoup changé. Il s’arrêta sur la place de la Gare, regarda autour de lui avec surprise. Un hypermarché casino s’était installé avenue du Général-Leclerc, à la sortie de Crécy. Partout autour de lui il voyait des pavillons neufs, des immeubles.

Cela datait de l’ouverture d’Eurodisney, lui expliqua l’employé de mairie, et surtout du prolongement du RER jusqu’à Marne-la-Vallée…

(…)

L’homme attendait Michel près de l’entrée du cimetière. « Vous êtes le… -Oui. » Quel était le mot moderne pour « fossoyeur » ? Il tenait à la main une pelle et un grand sac poubelle en plastique noir. Michel lui emboîta le pas. « Vous n’êtes pas forcé de regarder… » grommela-t-il en se dirigeant vers la tombe ouverte.

La mort est difficile à comprendre, c’est toujours à contrecœur que l’être humain se résigne à s’en faire une image exacte. Michel avait vu le cadavre de sa grand-mère vingt ans auparavant, il l’avait embrassée une dernière fois. Cependant, au premier regard, il fut surpris par ce qu’il découvrait dans l’excavation. Sa grand-mère avait été enterrée dans un cercueil ; pourtant dans la terre fraîchement remuée on ne distinguait que des éclats de bois, une planche pourrie, et des choses blanches plus indistinctes. Lorsqu’il prit conscience de ce qu’il avait devant les yeux il tourna vivement la tête, se forçant à regarder dans la direction opposée ; mais c’était trop tard. Il avait vu le crâne souillé de terre, aux orbites vides, dont pendaient des paquets de cheveux blancs. Il avait vu les vertèbres éparpillées, mélangées à la terre. Il avait compris ». 

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A gauche sur l'image ci-dessous :Adaptateur, Metteur en scène, Scénographie des Particules élémentaires 
A droite : Bruno Viard, auteur de Les tiroirs de Houellebecq, Les 100 mots du romantisme et Lire les romantiques français 

Rencontre organisée par Citéphilo

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1 novembre 2013 5 01 /11 /novembre /2013 09:50

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Tiré de la mythique collection Babel, aux textes choisis et préfacé par Jorge Luis Borges, voici deux nouvelles de l’écrivain espagnol Pedro Antonio de Alarcon, ce « révolutionnaire violent qui finit par devenir conservateur sincère et résigné ». 

Derrière la couverture sur fond gris à la saveur d’un romantisme le plus noir, la première de ces histoires, L’ami de la mort, occupe l’essentiel du livre. 

Prose ciselée dans l’encre des intrigues de palais, ou l’amour n’est qu’une manière de s’aimer soi-même, la générosité le masque de l’ambition la plus nauséeuse. Un enfant adultérin se fera savetier avant de devenir médecin de la cour…  

 

Idéale lecture en ce jour macabre ; aux accent de l’Ecclésiaste


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« (…) la gloire n’est qu’un mot vide que l’on accole par hasard, et par hasard seulement, au nom de tel ou tel cadavre. Tu auras compris enfin, que tout ce que font les hommes n’est qu’un jeu d’enfants pour passer le temps, que leurs misères et leurs grandeurs sont relatives, que leur civilisation, leur organisation, leur organisation sociale et leurs intérêts les plus sérieux manquent de sens commun, que les modes, les coutumes, les hiérarchies ne sont que fumée, poussière, vanité entre les vanité… Mais que dis-je vanité ? Bien moins que cela ! Ce ne sont que des jouets pour tromper l’oisiveté de leur existence, délire de malade, hallucinations de fous ! Enfants, vieillards, nobles, plébéiens, sages, ignorants, beaux, contrefaits, rois, esclaves, riches ou mendiants… à mes yeux, ils sont tous égaux : ils ne sont que poignées de poussière que disperse mon souffle ! Et tu t’obstineras à invoquer la vie ! Tu me répéteras que tu ne veux pas quitter ce monde ! »


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6 septembre 2013 5 06 /09 /septembre /2013 15:20

charme.jpg

 

Siroter « Le charme des penseurs tristes », griffé par ces heures interminables éparpillées dans la brise ténue de septembre, entre langueur et ennui, me semble être le meilleur compliment que l’on puisse faire à ces flâneries élégantes aux airs d’entrechats au bord de l’abîme. 

 

Rien qui ne soit plus stylé, si désespérant aussi dans sa beauté, que ces trilles de rossignol des heurs incertains, dérangé dans sa tristesse par le pépiement tonitruant et joyeux d’oiseaux d’instinct plus grégaires. Et c’est là une joute perdue d’avance – entre le fa de l’ironie et le sol majeur de l’humour d’une partition superficielle par profondeur.  

 

Et si la nostalgie est ce sentiment étrange ravivant sans relâche les braises du passé, lointain ou proche, alors que nous savons qu’aujourd’hui sera bientôt son terreau, plutôt que de s’écrier : « qu’il est difficile de se satisfaire de ce famélique maintenant ! », lisons. Lisons jusqu’à plus soif, ou même sans soif, juste pour le plaisir de l’amertume subtile suintant au coin des pages de ce bel essai qui, immanquablement, nous transportera d’esprit sous les solives du plafond de Montaigne. 

 

Car, dans « Le charme des penseurs tristes », il y a de quoi satisfaire notre irrépressible goût de l’Otium, que ce soit allongé sur le sable de désirs vaporeux, ou assis sur la crête d’une vague ourlée de volutes semblant juste commises pour nourrir notre vague à l’âme…


Première partie de la causerie du 28 août qui s’est tenue à Paris au Thé des écrivains, ou l’auteur nous fait partager quelques pages de la préface.

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28 juin 2013 5 28 /06 /juin /2013 18:07

Fort.jpgAdolescent, je me rendais régulièrement à la bibliothèque municipale, une retraite fantastique bourrée de trésors, caverne retranchée à l’abri des murs épais d’un ancien fort, sous le couvert d’arbres d’âges vénérables. 

 

Pour un abonnement modique, j’y dévorais des kilos de bandes dessinées, des Tardi évidemment, avec la belle égérie des muséum enténébrés du début du XXe siècle, je veux nommer Adèle Blanc-Sec, ses ptérodactyles, ses savants fous et ses momies. Pas très loin attendaient les Hugo Pratt, sous l’œil de Corto Maltese et de son ami Raspoutine, ou de l’énigmatique Cush, celui-là n’aimant pas que l’on trouble le silence du désert et qui ne buvait jamais de thé avant cinq heures.  La compagnie était bonne avec les planches noires et blanches, teintées mystère de Comès. Y suintait cette sorte de magie rurale propre à faire hausser les épaules des citadins trop rationnels pour croire à ces histoires à dormir debout venues du fin fond des Ardennes ; délires à la limite de l’inquiétant, noyé dans la méchanceté ordinaire. Il y avait aussi Rork, ce héros étrange d’Andreas et ses labyrinthiques pérégrinations dans les décombres de cathédrales égarées dans les limbes du monde. 

 

Meyrink.jpgCe qui amène tout naturellement à Borges. Car au-delà des bandes dessinées, représentant un espace circonscrit dans la bibliothèque, assez famélique au final, les étagères dégoulinaient surtout de littérature. Dans les méandres de tous ces rayonnages, groupés par thèmes, ceux que j’affectionnait en particulier avaient pour étiquette ‘nouvelles et romans fantastiques’. M’y attendaient les Lovecraft, les Poe, et autres enchanteurs du bizarre. Une collection particulière avait un jour attiré mon attention. C’était de beaux objets d’une teinte gris taupe étirés en hauteur, et aux couvertures ornées d’un dessin donnant l’impression d’ouvrages d’un autre temps. On n’aurait su mieux faire pour mettre en humeur le lecteur. Cette collection s’appelait La bibliothèque de Babel, du nom d’une nouvelle fameuse du directeur de l’éphémère épopée, Jorges Luis Borges en personne, qui assura toutes les préfaces et présentations des auteurs et textes qu’il sélectionna.

 

Sorti initialement en France en 1977, dans des tirages limités à 4000 exemplaires, la collection sera réédité en 2006 - et ce jusqu’à la faillite de l’éditeur en 2009.

 

C’est sur une impulsion soudaine, teintée d’un zeste d’esprit de nostalgie, que je viens de me reconstituer partie de cette collection mythique.

 

Le premier de ces livres à m’être passé entre les mains est celui regroupant trois textes de Gustav Meyrinck, un auteur à ce qu’il me semble plutôt méconnu, doté d’un beau style mis au service d’une acuité existentielle toute particulière ; une lucidité qui fera dire à l’historien de la littérature Albert Soergel « que Meyrink avait commencé par éprouver que le monde était absurde et, par conséquence, irréel » (introduction de Borges). 

 

La première de ces nouvelles, suave et sombre à souhait, à donné le titre au recueil et s’intitule « Le cardinal Napellus ».

 

En voici une page : 

 

gustav-meyrink.jpg« Un moment plus tard, nous entendîmes des pas dans l’escalier. Mais ce n’était que le botaniste Eshcuid, rentré beaucoup plus tard que d’habitude de sa promenade, qui pénétrait dans la bibliothèque. Il tenait à la main une plante haute comme un homme et qui portait des fleurs éclatantes d’un bleu acier.

- C’est bien le plus beau spécimen de cette espèce que j’aie jamais trouvé ; je n’aurai jamais cru que l’aconit napel pouvait pousser à de pareilles hauteurs, dit-il d’une voix détimbrée après nous avoir salués. Puis, avec un soin extrême, afin que la plante ne perdît aucune de ses feuilles, il la plaça sur le rebord de la fenêtre.

L’idée me passa par la tête qu’il en allait de lui comme de nous et j’avais l’impression que M.Finch et Giovanni Braccesco à ce moment pensaient de même. Il erre sans cesse comme un vieillard sur la terre, comme un homme qui cherche sa tombe sans pouvoir ta trouver, ramasse des plantes qui demain seront flétries. Et cela dans quel dessein ? A quoi bon ? Il ne se le demande pas. Il sait qu’il agit sans but comme nous le savons pour nous-mêmes, mais ce qui est pire, la désolante certitude que tout est sans but, que tout ce qu’on a entrepris, grande ou petite chose, s’est épuisé au cours d’une existence, cette certitude-là devrait l’avoir glacé. Dès notre jeunesse nous sommes des agonisants dont les doigts palpent les couvertures avec inquiétude, sans savoir à quoi se raccrocher – des agonisants qui tout à coup prennent conscience que la mort est dans leur chambre… »

 aconitum_napellus_vulgare.jpg

Dans la nouvelle suivante, « Les sangsues du temps », les lettres vivo se trouvent être gravées sur la tombe du narrateur. Etranges circonvolutions qui le mèneront  à la séculaire « Société des Frères Philadelphes ». 

Un texte, pour reprendre l’expression de Borges, « qui excède la métaphore et l’allégorie ». 

 Meyrink-illustration.jpg

 « Les quatre frères de la lune » clos l’ouvrage. J’en reprendrait ici un mince passage, découpé arbitrairement en trois morceaux. Ces extraits, pas si à la marge que cela de l’intrigue principale, valent critique du progressisme, du primat de l’économique, du consumérisme marital. 

Des textes aisément transposables et qui ne laissent de surprendre par leur actualité : 

 

« Mais si les choses continuent comme nous l’espérons, au XXe siècle les gens n’auront bientôt plus guère le temps de voir la lumière du jour, tellement ils seront occupés à fourbir, à maintenir en bon état et à réparer la multitude sans cesse en augmentation de leurs machines.

 

(…)

 

‘Voyez plutôt : le père qui fait mourir son fils sous les mauvais traitements est condamné au plus à quinze jours de prison, tandis que celui qui endommage un vieux rouleau compresseur doit passer trois ans à l’ombre

 

(…)

 

‘Si jamais les femmes mettaient au monde des bicyclettes ou des pistolets à répétition, vous verriez comme il serait élégant de prendre soudain épouse, ou courrait au mariage à bride abattue ! » 

Marcin-Sacha-06.jpg

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1 juin 2013 6 01 /06 /juin /2013 08:39

Lille Pba - 156

 


Lien vers le "Contre" de Frédéric Schiffter

 


Telle est la question posée par la rubrique « Pour ou contre » du dernier Philosophie magazine, flattant le goût supposé de son lectorat pour les duels.

(Un précédent duel : Du Socrate platonisé)

 

Dans l’arène deux philosophes ; chacun une page, chacun son espace et son camp. 

 

Lançons le match ! 

Alors, cette questions aux allures scolaires, qu’en est-il ? L’art rend-t-il donc moralement meilleur ?

 

Oui, décoche l’une d’entrée de jeu « même si la question parait naïve ou simpliste » ; et nous voici avec la thèse. Non rétorque l’autre, renvoyant la balle de fond de court, également déconcerté par la naïveté de la question ; et de nous livrer l’antithèse. 

Après quelques échanges, s’il n’a pas de parti pris de principe, le lecteur décontenancé se dit alors qu’après tout il lui appartient peut-être de se faire sa propre synthèse au vu de l’argumentation proposée de part et d’autre ; que c’est sans doute là même le but de l’exercice – rien n’empêche non plus d’aller compulser quelques documents extérieurs au débat immédiat.


Mais entrons dans l’argumentation. 

 

Lors de leur démonstration, les deux essayistes invoquent des séries-TV, genre sur les franges du domaine artistique, mais pourquoi non - soyons modernes !  

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Barney vs Dexter
(Attention, pour ceux qui ceux qui n’ont pas été au bout de la série Dexter, se trouve dans ce texte certaines révélations susceptibles de gâcher le suspense)

Barney-Stinson-barney-stinson-19630477-1160-1108.jpgBarney est l’un des protagonistes principaux de la série « How I met your mother ». Collectionneur de femmes invétéré (ce qui ne l’empêchera pas d’aspirer au mariage), il est toujours vêtu d’un costume. A ce qu’il semble il appointe dans une grande entreprise, sans fonction définie, en parfait parasite.

Pour Sandra Laugier, parce que ce personnage n’est précisément pas parfait, il nous apprendrait en quelque sorte « à apprécier des manières d’être étranges ou inconformes ». Ce glissement a de quoi surprendre. D’une part, et pour bien connaître cette série, je ne vois véritablement pas en quoi Barney serait une créature si inconforme que cela – nul besoin de série télévisée pour croiser à chaque coin de rue des ersatz « Barnyien » (d’ailleurs « How I met… », me semble plutôt véhiculer des clichés que des tombereaux de marginalité). D’autre part j’ai du mal à saisir comment le comportement et les états d’âmes de Barney serviraient à l’édification morale des téléspectateurs. Il y a là un mystère insondable. 

Le cas de Dexter est différent - et je dirai beaucoup plus intéressant ( pour un éclairage complémentaire voir le billet du Chêne Parlant : Dexter, fade to grey).
Héros principal de la série éponyme, il est un tueur en série d’un genre particulier. Recueillit à l’âge de trois ans par un policier dans un container ou sa mère a été sauvagement assassinée, il est devenu un expert en sang à la police de Miami. Très tôt détectée, sa pulsion de meurtre, qu’il appelle son passager noir, a été canalisée par son  père adoptif (le policier) dont le fantôme accompagne toujours le héros dans les moments difficiles. Ce dernier lui a en effet enseigné le Code : l’art de ne pas se faire prendre et de ne tuer que des « méchants » ; ceux passés entredexter les mailles du filet judiciaire et qui méritent de mourir.
Une fois assuré du bien fondé de ses soupçons (ne pas tuer un innocent) et après avoir piégé sa proie en lui injectant le plus souvent un puissant somnifère, Dexter déroule son petit rituel : salle emballée de plastique (éviter de laisser des traces), si possible un lieu chargé symboliquement pour son gibier. Ce dernier, une fois réveillé saucissonné sur un autel, se voit confronté à ses ignobles forfaits (trophées, photographies de ses propres victimes, etc.) par un Dexter habillé en garçon boucher.
La sentence prononcée, juste avant l’exécution, le bourreau procède alors au prélèvement d’un petit échantillon de sang sur la joue de sa victime, le place entre deux lamelles qui vont rejoindre dans une boite celles des précédentes victimes du « justicier » sans états d’âme. 

Pour Frédéric Schiffter, si le spécialiste de sang de la police de Miami nous apparaît sympathique, ce ne serait pas tant « parce qu’il traque les ‘méchants’, mais parce qu’il réveille l’instinct de tueur qui est en nous ». Sans vouloir faire de mon cas une généralité, en m’auscultant du mieux possible, je dois avouer que je ne trouve rien de véritablement tel dans mes abîmes.
Pour préciser ma pensée je dirais que Dexter m’apparaît plutôt quelque peu inquiétant - et perdu tout à la fois (inapte à ressentir quoi que ce soit). Et s’il m’arrive de faire cause commune avec lui, de comprendre ses mobiles et sa logique, ce n’est pas en tant que substitut de mes propres envies de meurtre, mais parce que je sais l’envers du décor, à savoir qu’il ne tue que de véritables ‘méchants’, des tueurs de sang-froid, des tortionnaires abjects, des massacreurs de femmes et d’enfants, et que c’est là, dans mon esprit (j’y reviendrais), un moindre mal. C’est peut-être aussi la faiblesse de la série : à aucun moment on ne craint le dérapage fatal, d’où peut-être ce sentiment d’empathie parfois que l’on éprouve envers Dexter.
Deb morganJ’en donnerai un seul  exemple : même lorsque Deb Morgan, sœur du héros (et accessoirement lieutenant de police), découvre dans une église désaffectée la véritable nature de son frère, à aucun moment on ne craint pour sa vie. On sait qu’il ne va pas la tuer, qu’il ne peut pas la tuer, qu’il est en quelque sorte, malgré son ombre, du « bon côté » - celui des justiciers, et qu’il va, comme il dit « gérer »… Car Dexter, à l’instar d’un bon manager d’entreprise, gère la situation. Ce qui n’est pas, parfois, sans causer de réelles catastrophes. Et c’est ce qui le rend aussi sympathique : sa faillibilité et son obsession à respecter contre vents et marées son code. Car malgré sa soif de tout planifier, de tout contrôler, d’épargner absolument ceux qui pourraient le découvrir mais ne sont pas des criminels, il arrive que les plans de Dexter s’effondrent pour le pire.
Ainsi sa femme, Rita,Meurtre de Ritaassassinée par le serial killer Trinity qu’il traquait. Elle est morte parce précisément, dans sa soif de coincer Trinity, il n’a pas lâché le morceau, parce qu’il a fourvoyé la police pour s’assurer de sa proie. Dexter pose au fond un dilemme moral insoluble, et c’est ce qui rend à mon sens la série si singulière.
Est-il légitime de se substituer à la loi et abattre d’ignobles individus ? N’y a-t-il aucune rédemption, aucun pardon possible ? (voir par exemple les épisodes autour d’un ancien criminel, sincèrement repenti, et que Dexter voulait tuer, avant de devenir son ami).

Et c’est là où, dans un sens restreint, je pourrais souscrire en pointillé à l’affirmation de Frédéric Schiffter, à savoir : par principe je suis contre la peine de mort, mais si on touche à un cheveu de qui m’est cher, je n’hésiterai pas, si cela m’étais possible, à me faire justice. Cela n’implique pas chez moi une envie particulière de meurtre, mais un sentiment primaire et irrépressible à la saveur du « œil pour œil, dent pour dent » (qui  en son temps fut un dicton progressiste), et qui me hurle, contre tout principe de pardon, qu’il est légitime d’éradiquer une mauvaise graine, même en transgressant la loi si je la juge trop clémente. Mais Dexter va plus loin. Il ne tue pas pour se faire justice mais pour complaire à son passager noir. S’il s’est fait justicier, c’est par le dressage de son père ; pour semer la confusion et rendre sa pulsion plus socialement acceptable – surtout aussi beaucoup plus difficile à détecter (qui pour s’émouvoir du meurtre d’affreux criminels ?).
Dexter a au fond le téléspectateur avec lui, applaudissant à chaque affreux éliminé de la scène du monde. 

C’est cet aspect dérangeant de la série à mon sens qui la rend si unique, si fascinante. 

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Mais je suis un spectateur distrait, et me trouve fort écarté de notre match où s’affrontent qui pense que l’art rend meilleur et qui est assuré que la question même est un non-sens.

L’art chez quelques philosophes 

Platon compare l’art à un fantôme, mais c’est Platon. 
Proudhon, pour le pire, voit dans l’art un vecteur de l’édification du genre humain, « une représentation idéaliste de la nature et de nous-mêmes, en vue de perfectionnement physique et moral de notre espèce ». Voilà de quoi renvoyer les ménagères à leurs aspirateurs au motif que « nous avons à refaire l’éducation des femmes et à leur inculquer les vérités suivantes : - l’ordre, et la propreté dans le ménage valent mieux qu’un salon garni de tableaux de maîtres. (…) La femme est artiste ; c’est justement pour cela que les fonctions du ménage lui ont été départies. »
Quant à l’esthétique chez Schopenhauer, incompétent en la matière, je renvoie volontiers à un document mis en ligne par Jacques Darriulat et intitulé, « Schopenhauer, la contemplation esthétique »

Sur la fonction de l’art, le penseur du dionysiaque et de l’apollinien pense que « L’art doit avantSur-les-marches.jpg tout embellir la vie, donc nous rendre nous-mêmes tolérables aux autres et agréables si  possible : ayant cette tâche en vue, il modère et nous tient en brides, crée des formes de civilité, lie ceux dont l’éducation n’est pas faite à des lois de convenance, de propreté, de politesse, leur apprend à parler et à se taire au bon moment. » Cette description me semble recouper partiellement (en moins radicale) celle de l’auteur de «  La Beauté » (Ed Autrement, 2012) qui, après avoir estimé (à juste titre il me semble) que les critères pour juger d’un progrès sur le plan moral sont introuvables, évoque d’une part la nécessité du droit, « système arbitraire et pragmatique d’obligations sociales et de sanctions pénales », et, d’autre part,  propose pour seule finalité de l’art « un bon travail esthétique ».

« L’art n’a aucun rapport avec le bien », insiste-t-il avec raison. Göring, grand amateur d’art de la Renaissance, suffit à lui seul à corroborer l’affirmation. 

Dans le camp de la philosophe du langage, par ailleurs traductrice et introductrice de l’œuvre de Stanley Cavell en France, plutôt que d’enrôler abusivement Thoreau dans les rangs du perfectionnisme moral (sous prétexte sans doute de désobéissance civile, et de sa classification dans le glossaire transcendantaliste derrière Emerson), j’aurai aimé comprendre la définition qui se cache derrière le devenir meilleur, lorsque celui-ci signifie « simplement qu’on apprend ce qui est important pour soi ». L’art y répondrait, affirme-t-elle, en permettant « une sorte de conversation avec quelque chose qui nous élève ». Et si ce qui m’élève est un art du carnage ?

A l’appui de sa thèse, Sandra Laugier évoque encore d’autres personnages fictifs. Ainsi Omar (Wire) noir, gay et faisant partie de la pègre, mais justicier, donc « modèle moral ». Encore Tony Soprano, un gangster, mais sauvé parce qu’il va voir une psychanalyste ! (je ne pouvait pas le manquer celui-là).
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Chez  Proust, l’art est réminiscence et aide au déchiffrement de nos limbes intimes. C’est parfois un art de l’infime, comme une petite touche de couleur jaune au coin d’un tableau de Vermeer. L’incipit de son gros roman est devenu célèbre. « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. ». 

Mais plutôt que de s’intéresser aux entames des monuments écrits, petits ou grands, examinons un peu la manière dont notre duel se clos.
Les-juges.jpg
Côté de la militante du care l’échange s’épuise ainsi et agonise en une longue tirade, pesante, sans souffle :

« La dimension morale de l’art émerge donc aussi dans le fait de susciter des interrogations et des conversations, un arrière-plan commun, qui sera à la fois partagé et qui permettra d’affirmer une position singulière ».

Le choc en retour d’une vague ciselée par le philosophe balnéaire (1) la clou sur place : 

« Les artistes ne sont pas des prêcheurs de vertu mais des maîtres de lucidité ». 
Eugène Deuplechin - Amphitrite 1893
Au final c’est le style qui l’emporte. Haut la main. 


(1) Lu à Montreal, sous -20°C....
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24 mai 2013 5 24 /05 /mai /2013 08:14

 

L’oracle de Lucrèce : 

 

Eluder l’amertume

Dans trois pincées de miel

Fennema-Sven-06.jpg

 

Incrustés dans les interstices de la mémoire,

S’ébrouant sous le vacarme de nos paupières…

Nul doute, dans le sommeil, 

Que les mots nous travaillent. 


 

Autour de Lucrèce, dans d'anciens billets

 

De la nature

Tant la religion put conseiller des crimes

Le miel et l'absinthe - André Comte-Sponville


Fennema-Sven-11.jpg
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