A dire vrai je ne saurai affirmer d’où vient l’idée du titre de cette série BD fantastique si attachante, dont le troisième tome « L’adieu aux rois » est sorti en novembre dernier chez Soleil. J’aime cependant à y déceler un clin d’œil à l’œuvre maitresse d’Etienne de La Boétie.
Mais ici c’est essentiellement de la servitude des princes et des puissants dont il s’agit ; de l’hubris des ‘maîtres du monde’ – sous l’emprise qu’ils sont de leurs délires des grandeurs. Cette maladie de l’âme qui faisait dire à Sénèque : « Combien d’hommes que l’opulence accable ; (…) que de grands à qui le peuple des clients toujours autour d’eux empressé ne laisse aucune liberté ! » (1).
Ecrit par Fabrice David (Les voies du seigneur) le scénario solidement charpenté, développe une intrigue complexe et passionnante ; nombre de romanciers , d’ailleurs, feraient bien de s’en inspirer (mais il est vrai que de nos jour on donne plutôt dans l’autofiction narcissique que dans la saga).
Je ne reviendrai pas ici dans le détail de l’histoire, ni sur l’arrière-fond dans lequel évoluent les personnages, se trouvant sur la toile d’excellentes présentations vers lesquelles je renvoie volontiers les lecteurs intéressés. Je me contenterai juste d’évoquer la subtilité avec laquelle sont distillés, au fil de l’aventure, les éléments fantastiques du scénario. Ainsi Servitude prend ses racines dans un univers de type médiéval, avec un soupçon de magie et de créatures hybrides. Et à la lecture des trois premiers tomes de cette palpitante saga (qui devrait en compter au moins cinq), je n’ai pu m’empêcher de faire le rapprochement avec la superbe série télévisée intitulée Le Trône de fer (Game of thrones), dont la saison II est actuellement en préparation. Je ne savais d’ailleurs pas - j’aurai dû, à la richesse du scénario le soupçonner - que l’adaptation télévisuelle s’adossait aux écrits d’un certain George R. R. Martin, écrivain américain dont je dois reconnaître, à ma grande confusion, que jusqu’alors je n’avais jamais entendu parler. Le premier tome de sa saga (sur un cycle qui devrait en compter sept en sa version originale, les traductions françaises étant davantage saucissonnées, probablement pour des motifs mercantiles), précisément intitulé Game of thrones est sorti en 1996. Actuellement il en est au tome 5 (Dance with dragons, sorti en 2011).
Cette impression de connivence fortuite entre le Trône de fer et Servitude a été confirmée par le dessinateur et coloriste de la série BD, Eric Bourgier en personne : « J’ai découvert tardivement les romans du Trône de fer et je dois dire qu’il a fait un truc très fort avec lequel nous n’avons pas la prétention de rivaliser, mais c’est vrai qu’il y a un esprit commun avec notre univers ».
Ce qui m’amène à dire quelques mots du travail d’Eric Bourgier, dont il n’est pas anodin d’indiquer qu’il a débuté sa carrière comme illustrateur de jeux de rôle.
Au niveau des tons, à mille lieues des planches flashy qu’affectionnent certains - dont je ne fais pas partie - la dominante marron rehaussé d’une palette de gris sert à merveille le propos. Le rendu n’est ni glauque ni terne. Tout au contraire. L’ambiance est plantée, avec juste ce qu’il faut de contrastes et, des déserts brulants de la province de Veriel aux froids sommets des terres d’Anoroer, on sent parfaitement la dureté de ces temps d’incertitudes où sourdent mille et une manigances. Quant au dessin, juste ciselé avec une dextérité qui force l’admiration, il ne concoure pas moins que la palette de couleurs à l’immersion dans cette œuvre passionnante dont c’est avec impatience que j’attends le prochain tome (il me faudra armer de patience, chaque sortant avec un intervalle moyen de trois ans).
Least but not last, j’ai particulièrement apprécié les éléments annexes aux planches dessinées proprement dites. La carte, cela va de soi, mais aussi les lettres, les documents décrivant le contexte et la société dans lesquels évoluent les personnages, ainsi que les textes relatant l’issue de la bataille de L’adieu aux rois (procédé ludique tant qu’original de finir l’histoire). Les amateurs de jeux de rôle, particulièrement les MD, y verront là un background particulièrement bien ficelé.
On l’aura compris, Servitude est définitivement une série qui se doit trouver dans les meilleures BD-thèques.
(1) Sénèque, De la brièveté de la vie.