Je me suis endormi hier soir avec en tête cette affaire d’inexpressivité musicale qui me rendait perplexe – toutes mes fibres y résistent.
Au réveil je crois avoir mieux cerné mes réticences.
Les voici exposées succinctement dans un style télégraphique – pas facile d’organiser le chaos de ces bribes de raisonnements.
Tous les humains sont équipés à peu près des mêmes outils sensoriels et se trouvent embarqués dans la même corporéité.
Ce constat factuel conforte mon intuition d’un probable socle commun en terme de perceptions et de types de réactions instinctives face à ces agents d’influence.
Loin d’une inexpressivité musicale, donc, il devrait au contraire se manifester des sortes d’archétypes sonores, de constantes. C’est-à-dire qu’à tel type de stimuli sonore, à tel enchaînement ou agencement de sons, ne pourrait correspondre que tel type de ressenti primaire, telle genre d’émotion ou de réaction spontanée (je pense à l’appui de cette idée au cas des oiseaux : du babil au cri d’alarme, passant par le chant) ; sérénité / agitation – Angoisse / paix, etc.
Ensuite, évidemment, chez l’humain (et chez les espèces de mammifères et d’oiseaux les plus évoluées) s’y superposent des couches culturelles propre à chaque individu : son vécu, sa singularité, l’influence du groupe, de l’environnement, des rencontres, etc. Ces facteurs estompent ou renforcent, contrecarrent ou encouragent, ruinent ou sanctifient, ces affects universels – mais les anéantissent-ils tout à fait ? j’en doute.
Nous projetons de la sorte notre intellect sur les phénomènes sonores dans lesquels nous baignons, qu’ils soient naturels ou artificiels (notre propre respiration, le bruit du vent, le chant des oiseaux, le bruit des vagues, les agressions sonores des engins mécaniques de toutes sortes, les cris de la foule, etc.) les dénaturons et les recomposons tout à la fois au grès de notre humeur, de nos capacités tant intellectuelles que culturelles. A ce crible et depuis nos échasses jugeons-nous alors la musique, plus ou moins consciemment : harmonique, inharmonique, agressive, douce, éthérée, lourde, romantique, conceptuelle, innovante ou neuve, démodée voire ringarde, piquante, plate, aliénante, irritante, élitistes, populaire, que sais-je encore. C’est là, sans doute, à travers cette projection et cette macération dans ces couches supérieures de notre entendement, qu’intervient cette idée d’une possible inexpressivité musicale.
Ainsi existe-il un genre musical bien nommé « musique industrielle », assez peu supporté par la masse mais qui convient à une élite (1) qui ne se sent pas « offensé par (… cet) art de privilège, de noblesse de nerfs, d’aristocratie instinctive » (je reprends la terminologie d’Ortega y Gasset, un peu par provocation je l’avoue).
C’est un exemple phénomène purement culturel. Quoi que… (je songe ici au côté hypnotique engendré par les pulsations du rythme de base : voir les deux exemples de ce genre musical au bas du billet. Mais je préviens, il faut avoir les oreilles bien accrochées – et imaginer ces morceaux joués à pleine puissance sous effet stroboscopique).
Il y aurait aussi à dire de la musique aux époques préhistoriques, mais cela dépasserait largement mon propos (voir le bel article sur le site Hominidés, ici - cliquer aussi sur l'image présentée ci-dessous).
La quête des archétypes :
Parmi d’autres, la pulsation de notre sang, le rythme de notre cœur doivent en être…
Et je me suis soudain rappelé d’un billet de Nicolas Gauvrit sur l’effet bouba-kiki.
Il y écrit :
« Les humains semblent tous partager une certaine forme de synesthésie. S'il est rare de voir de la musique ou de percevoir des couleurs dans les lettres ou les formules mathématiques, il est en revanche plus que courant de faire le lien entre certaines sonorités linguistiques (pseudo-mots) et des formes ou types de lignes. Dans une version de l'expérience de Köhler, on demandait par exemple à des adultes de deviner les noms des formes suivantes, sachant que l'une des deux s'appelle Takete et l'autre Maluma. »
(Ne lisez pas la suite du billet de Nicolas Gauvrit avant d’avoir répondu à la question ci-dessous)
Laquelle des formes reprise sur l’image ci-dessus s’appelle Maluma et laquelle se nomme Takete ? Alors, à votre avis ?
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Tout ceci est embrouillé encore.
Mais plus je m’engage en ce sentier, plus je me trouve à plaider, tout à rebours d’une foncière inexpressivité musicale, pour des motifs sonores universaux - réaménagés ensuite par l’intellect et la culture.
(Certains y trouveront là peut-être des restes de l’influence de Jung sur mes jeunes ans. Plus sûrement j’y verrai un ancrage dans la science contemporaine).
Décrassage d’oreilles : Exemple de musique industrielle
SONAR – HOSTAGE (instrumental)
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DIVE – BLOOD MONEY (avec paroles)
(1) Il me semble que ce genre de discours est toujours tenu par ceux qui se sentent ou se pensent du bon côté de la barrière qu’ils ont construite.