J’ai eu l’occasion de regarder il y a quelques jours ‘Control’, un film Anton Corbijn de 2007 réalisé en noir blanc et qui relate la vie torturée de Ian Curtis, chanteur du groupe de légende Joy Division. Adapté de la biographie de sa veuve, Deborah Curtis, Touching From a Distance, (1995) l’œuvre cinématographique donne un éclairage saisissant de ce que pouvait être l’existence dans les grandes banlieues ouvrières de Manchester - et d’ailleurs - à la fin des années 1970. Macclesfield, bien que cernée de collines dont on devine la verdeur d’alors, y apparaît sinistre ; à la limite oppressante. Et le noir et blanc aidant, l’intrigue semble sortie tout droit d’une espèce de moyen âge moderne - avec ces téléphones vintages en bakélite à cadrans rotatifs comme objets de modernité…
Certains, parmi les fidèles de Joy division, déploreront peut-être cette approche trop familiale, et auraient plutôt préféré une mise en scène centrée autour du groupe. Mais il serait injuste de ne point consentir à la beauté tragique de cette fiction, assez proche de ce furent probablement les préoccupations et difficultés existentielles, tant que sentimentales, de Ian Curtis. Il s’agit là de la mise en image de l’une des facettes possible du personnage… Il y en aurait tant d’autres. Une intrigue basée sur le témoignage d’Annik, son amoureuse belge, aurait conféré, sans doute, à cette toile une teinture différente. Quoi qu’il en soit, l’essentiel reste et restera, et c’est heureux, du ressort de la subjectivité des protagonistes : insaisissable…
Sur un plan musical, ne boudons point notre plaisir. Le film propose juste ce qu’il faut de mélodies d’anthologies ; d’instants uniques, offerts à la postérité. Comme ce vaporisateur, actionné en rythme, sur ‘She’s lost control’ ; artisanale méthode d’avant les ‘sampleurs’ qui a tout pour me ravir (me souvenant avoir pareillement utilisé une peluche de singe appartenant à ma fille pour simuler des cris de ‘jungle’). D’ailleurs, certains textes s’éclairent subitement au vu de la biographie de ce ‘conteur sépulcral’ que fut Ian Curtis. Ainsi le fabuleux et déjà cité ‘She’s lost control’ s’expliquant par la crise d’épilepsie d’une jeune femme dont il fut témoin alors qu’il travaillait dans une sorte de bourse du travail ; affection qui devait la terrasser peu après. Ce ‘Mal sacré’ sera diagnostiqué chez lui fin décembre 1978, alors que sur le retour de leur premier concert donné à Londres, devant seulement une trentaine de personnes, il s’effondrera dans la voiture. De crises il y en aura d’autres. Convulsions scéniques véritables, prises pour de percutants effets ! « Confusion in her eyes that says it all - She's lost control ».
D’aucuns ont pu gloser sur l’ambiguïté du nom du groupe, correspondant à la traduction littérale du terme allemand Freudenabteilung. Ces divisions de la joie qui désignaient, lors de la seconde guerre mondiale, au sein des camps de concentration et d’extermination, des cellules dévolues à l'exploitation sexuelle de détenues par certains membres de l’armée allemande. Soupçons d’affinités avec le nazisme entretenus également, entre autres choses, par l'introduction de la chanson Warsaw ou est énuméré le numéro matricule du criminel nazi Rudolf Hess. Cependant, les membres de Joy division se sont toujours défendus de la moindre accointance avec l’idéologie nazie. Sans doute, et cela transparaît bien dans ‘Control’, y a t-il eu part de provocation délibérée dans le but de faire parler du groupe. Et à la vérité, au travers des textes des chansons, pour ce que j’ai pu m’en rendre compte, c’est l’autobiographie qui prime avant tout ; ce sont les difficultés et doutes existentiels de Ian Curtis qui transparaissent…
De manière plus personnelle, au début de ces années 80 : chez mes parents, dans ma chambre tournée à l’ouest. Je goûtais alors la prose aventureuse de Frison-Roche. Sur mon lit, la couverture gaufrée, noire et intrigante de ‘Unknown pleasures’. Dans mes mains c’était ‘Nahanni’, en version livre de poche. Un professeur de français, salutairement atypique, lors de ma dernière de collège nous avait fait découvrir le premier opus de la trilogie montagnarde de l’explorateur français. Si les cimes enneigées ne me passionnaient guère, en revanche je tombais littéralement sous le charme de ses périples au cœur du désert africain. Me prenant à rêver ! Et cela me conduisit, tout naturellement, jusqu’en terre indienne ; si loin des sentiers civilisateurs… Et il y avait cette résonance paradoxale avec la musique Joy Division. Le fracas des chutes d’eaux, le silence des grandes forêts… Ces espaces incommensurables troublés par le regard de l’explorateur. Et pour envelopper ces sensations brutes, ce son minimal ; ces mélodies accablées venant s’incruster au plus profond de l’âme, avec pour pulsations ces percussions mates et caverneuses, sorties tout droit de nouvelles de Poe ou de Lovecraft… Et cette voix si caractéristique ! Ce cri du mal être urbain…
Rien ne semblait pouvoir associer des œuvres marquées d’une telle altérité. Elans de l’âme si disparates… Mais ainsi vont les méandres tortueux de l’existence où chacun tire son miel de sa propre expérience.
Aujourd’hui enfin.
Avant la mise en ligne de cet article, je parcours, sur le site dédié à Joy division, sans intention particulière, les titres de leurs chansons. Et pensant découvrir dans ‘Wilderness’ un texte évoquant la nature, je clique sur le lien et m’aperçois que cela sonne en fait comme une authentique dénonciation de la croix.
« Tant la religion put conseiller de crimes !»
I travelled far and wide through many different times
What did you see there?
I saw the saints with their toys
What did you see there?
I saw all knowledge destroyed
I travelled far and wide to many different times
I travelled far and wide through prisons of the cross
What did you see there?
The power and glory of sin
What did you see there?
The blood of Christ on their skins
I travelled far and wide through many different times
I travelled far and wide and unknown martyrs died
What did you see there?
I saw the one sided trials
What did you see there?
I saw the tears as they cried
They had tears in their eyes
Tears in their eyes
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