C’était hier soir au théâtre de l’Idéal à Tourcoing, dans une mise en scène d’Eric Castex.
Un soliloque d’Azeddine Benamara... Une heure et demie, où, pourtant, l’on ne s’ennui pas une seconde. De maux en mots, tout le tragique de l’existence résumé à fil prêt à se rompre... Juste une chambre pour la nuit, pas même toute la nuit. Camarade ! Ecoutes-moi, s’il te plait...
Les yeux dans les yeux... Une magnifique performance d’acteur !
« Mon projet de mise en scène est proche d’une atmosphère du Bronx. Un film de Jarmusch
en noir et Blanc » Eric Castex
Dans un décors minimaliste, entre poussière et bardage de fer, avec pour toile de fond un mur en béton, l’acteur nous entraine ainsi dans un monde glauque et désespéré ; un monde de pluie et de nuit, sur le pavé.
Des ruelles à putes, lorsqu’elles deviennent cinglées et s’en vont manger la terre des cimetière jusqu’à en crever, aux piles de ponts mal éclairés et au-dessus de l’eau pour s’aimer rien qu’une fois. Un univers de paillettes, avec les cons d’en haut et leur gueule de tueur, avec la fête obligatoire du vendredi soir, avec cette fille blonde, belle à tomber par terre, fragile et qui passe avec ses petites boucles, juste comme il faut. Ses yeux sont des abimes mais il ne faut pas la suivre ! Elle est passé de l’autre côté... Et si avais chanté, bien sûr on aurait tout accepté. Comment faire autrement ? Et si elle avait posé sa main sur votre genoux que faire, sauf se la couper ? Seulement elle parle. Elle parle au milieu des minets, et lorsque s’ouvre sa bouche c’est un dégueulis de l’enfer...
Alors on s’en retourne là où la solitude de l’étranger sans travail se confronte à l’impossibilité à dire les choses... Il y a ceux qui s’amusent, avec rien derrière la tête, ces sales cons... Et puis il y a les autres, ceux que l’on pousse dans le dos d’ici aux forêts du Nicargua, là où des généraux assis mitraillent tout ce qui en sort. Tout ce qui ne ressemble pas à un arbre, tout ce qui ne bouge pas comme une plante est abattu ! Alors ceux du Nicaragua viennent ici tandis qu’on nous pousse là-bas. Mais partout c’est pareil. Du travail il n’y en a pas plus ici qu’ailleurs. Et là-bas, si vous n’êtes pas d’accord, on vous tire dessus... Alors on reste ici et se fait casser la gueule dans le métro par des loubards bien habillés qui vous ont volé votre portefeuille. Sale PD, qu’ils disent ! Et personne ne bouge... Tout va bien camarade ! On ne bouge pas...
Rompu, sans un sou on ne bouge pas. C’est ok . Tout va bien camarade... Il y a ce bruit, cette odeur... Personne ne vous regarde. Passe une fille en pleur dans sa chemise de nuit. Derrière, en haut de l’escalier une grosse femme souffle, accrochée à la rambarde. Assis juste à côté, un arabe marmonne bas, il chante juste pour lui un truc en arabe... Sur le quai d’en face une folle en jaune, extatique fait de grands gestes dans le vide et se met soudain à chanter une connerie d’opéra... Mais quelle voix ! Elle répond à l’instrument d’un type qui doit jouer un peu plus loin pour faire la manche...
Chacun pour soi, chacun dans son monde... Chacun avec ses problèmes, rien que pour soi.
Alors vous prend l’envie de taper ! De taper, et taper encore !....
« ... un monde nocturne, peuplé de prostituées de loubards racistes, de violence. ET puis l’amour aussi, trop vite perdu et que l’on cherche à travers la nuit. Tout Koltès se trouve déjà résumé dans cette première œuvre, qui est un grand texte qui raconte la solitude de l’homme moderne dans l’enfer urbain... » (Texte tiré de l’extrait vidéo)
De Koltès je ne savais rien et avions pris les place sans trop savoir où nous mettions les pieds, sous l’incitation de notre fille, ayant cette année un texte de cet auteur à étudier (« Dans la solitude des champs de coton »).
Nous ne regrettons pas cette plongée en terres inconnues.
« Un homme, assis à une table de café, tente de retenir par tous les mots qu’il peut trouver, un inconnu qu’il a abordé au coin d’une rue, un soir où il est seul. Il lui parle de son univers : une banlieue où il pleut, où l’on est étranger, où l’on ne travaille plus ; un monde nocturne qu’il traverse, pour fuir, sans se retourner ; il lui parle de tout et de l’amour comme on ne peut jamais en parler, sauf à un inconnu comme celui-là, silencieux, immobile »