Très belle trilogie scénarisée par Jean-Charles Gaudin (Marlysa, Les princes d’Arclan, etc.), et dont le dernier tome remonte à 2009. Une série qui, sans en révéler la trame, est hélas d’une brûlante actualité ; et laisse à réfléchir. " Pour le dire brutalement, je ne suis pas sûr que l’humain que je suis soit prêt à changer de mode de vie pour que l’humanité gagne quelques milliers d’années d’espérance de vie. Et si, comme je le pense, ce constat représente la pensée moyenne de l’humain egocentré individuel, il devient très difficile de voir comment les choses pourraient changer de quelque manière que ce soit ". (1)
En bref : la terre probablement à une époque indéterminée, dans un futur lointain assurément… Une maladie sordide et mystérieuse, le Feul, ravage depuis long des peuples, les Oldis et les Bourouwns dont les cultures, les mœurs et les croyances s’opposent en tout. " Beaucoup de grands avaient été emportés par le Feul, mais père disait que la maladie frappait surtout les enfants… Mon frère aîné que je n’ai jamais connu était mort lui aussi du feul à l’âge de deux ans… Aujourd’hui, c’était mon petit frère qu’on mettait en terre ", dira Jautry l’un des protagoniste de cette fresque merveilleusement mise en image par Frédéric Peynet et sortie aux édition Soleil.
Est repêché un jour, dans les filets des Oldis, le cadavre d’un Bourouwn, sans doute noyé et transporté par les courants après avoir glissé en amont sur les rochers de la rive. Le conseil des Oldis, malgré l’antagonisme des deux peuples, a décidé de restituer le cadavre aux Bourouwns et le disposent, en attendant, dans l’argile afin de mieux le conserver. " Chacun appelle barbarie de qui n’est pas de son usage ", a constaté Montaigne dans le fameux chapitre Des cannibales de ses Essais. Et c’est exactement ce que dira le fils de la victime, introduit nuitamment à la tête d’un petit groupe armé dans le village Oldis, lorsqu’il découvrira le corps ainsi apprêté : " Comment ont-ils osés faire ça ?.. Les Oldis ne sont que des barbares ! ".
S’en suivra une poursuite sanglante qui s’achèvera par la capture de deux Oldis, mère Valnes et l’un de ses compagnons, qui seront menés à s’expliquer devant le chef du village Bourouwn. Ils découvrent à cette occasion que le Feul frappe ces derniers également durement, et qu’ils s’apprêtaient à remonter la rivière, bien en amont, afin d’y rencontrer un autre peuple, les Albinths sortes de géants, considérés comme primitifs et dont les coutumes révolteront bientôt mère Valnes au-delà du descriptible. Les Albinths, qui considèrent leur femmes comme leurs propriété foncière, et détruites à la mort de leurs propriétaires, sont en effet soupçonnés d’avoir empoisonné les eaux de la rivière.
Il est décidé une expédition commune. Bourouwns et Oldis vont devoir apprendre à coopérer, et surmonter leurs différences. " C’est inadmissible. Ce sont des bêtes ! Savoir qu’ils forniquent pendant notre prière me met hors de moi ". C’est ce que crachera Dalïark, le fils de l’homme retrouvé mort dans les filets des Oldis à son chef de village, le sage nabot Kaliam à l’issue du premier jour de l’expédition. Les Bourouwns, en effet, sont des rigoristes vouant leur prière au dieu Gorna, tandis que les Oldis, plutôt panthéistes si ce n’est athées, ont des mœurs libertines où les femmes, pour des motifs de déséquilibre démographique, se partagent les hommes.
Les Brohms sont l’un des autres peuples de cette terre malade. Esclavagistes violents et sans pitié, ils asservissent les peuples et villages de la contrée, tel celui des résignés Baudhels afin de les faire travailler dans des conditions affreuses au fond de leurs mines. Les aventuriers, malgré les réticences de l’Albinth mâle qui a rejoint le groupe avec sa compagne, ne pourront s’empêcher d’intervenir devant le massacre. Il faut dire quel les Albinths, en rien coupable de la maladie, souffrent aussi du terrible fléau qu’est le Feul. " Un groupe ?.. Quelqu’un s’est-il soucié seulement de connaître mon nom ?… ", lâchera cependant amer le géant par une nuit d’orage à ses compagnon de route médusés qui l’avaient sauvé de la foudre, peu être davantage par intérêt que par grandeur d’âme.
Cette quête haletante, dont je ne dirai rien de plus afin de n’en point gâter la saveur, connaîtra ses moments heureux et ses drames. Mais ainsi va la vie.
C’est une belle et terrible aventure que Le Feul, et qui forcera les aventuriers à surmonter - et peu être aussi à comprendre - leurs différences ; une quête qui les mènera aux confins du monde, jusqu’à la source du mal.
(1) Stéphane Ferret, Deep Water Horizon, Seuil 2011, p287. Excellent essai sous titré "Ethique de la nature et philosophie de la crise écologique", sur lequel je reviendrai prochainement.