Blog généraliste ou sont évoqués tout aussi bien des sujets sociétaux qu’environnementaux ; s’y mêlent des pérégrinations intempestives, des fiches de lectures, des vidéos glanées ici et là sur la toile : Levi-Strauss, Emanuel Todd, Frédéric Lordon, etc. De la musique et de l’humour aussi. D’hier à aujourd’hui inextricablement lié. Sans oublier quelques albums photos, Images de châteaux, de cités décimées, et autres lieux ou s’est posé mon objectif…
Ce qui suit est tiré de l’excellent ouvrage de synthèse de Jean-Léon Beauvois, « Les influences sournoises » paru il y a quelques semaines chez Bourin. Outil indispensable pour qui veux comprendre les mécanismes insidieux d’influences (et pourquoi non les enrayer en partie), le livre, au sous-titre évocateur « Précis des manipulations ordinaires », mérite une lecture tant attentive qu’exhaustive. C’est clair, sans jargon sibyllin et le seul néologisme que j’y ai relevé est cette savoureuse notion du soi-ïsme sur laquelle je reviendrai dans un prochain billet (Je prépare une fiche de lecture de cet incontournable).
Pour l’heure j’en reviens donc à mon extrait des « influences sournoises » (p 81 –82). Il est tiré du chapitre 2 (« La fabrique de l’opinion de base ») du livre. Je reprends ici une petite partie du paragraphe ayant donné le titre à ce billet. Il y est question d’un exemple que je laisse à la méditation de chacun :
« Le mensonge du prime time : C’est là l’effet qu’on appellerait volontiers ‘l’effet avec tout ce qu’on voit et tout ce qui se passe…’.
Je pense à mon copain maçon. Il est confronté à de si nombreuses scènes d’amour physique qu’il en vient à juger pathologique la rareté de ses ébats, tout juste bimensuels, avec sa femme. Et qui durent quand même moins longtemps. Est-il toujours un vrai mec ? Il lui arrive de penser que sa modération devient problématique. Il voit tant de jeunes, de cadres et d’intellectuels entre 20 h et 22h30 qu’il lui arrive de se demander ce qu’il peut encore faire, lui, dans ce monde, avec son métier manuel d’une autre époque et ses 50 ans qui le tiennent désormais hors du coup. Et ils ont si souvent de belles femmes, ces héros, même les plus vils ou les plus dégradés, que la sienne commence à l’agacer grave. Elle devrait au moins faire de l’aérobic. Il divorcerait bien, mais le culte de la famille auquel il est régulièrement exposé dans les séries et les pubs lui donne à réfléchir sur le sens authentique et profond de l’existence en cocon. Le quota ridiculement faible d’informations internationales lui donne à penser que c’est en France que se passent les événements les plus intéressants. Mais il voit aussi tant de violence, et il est tellement informé sur tout ce qui se passe, qu’il en vient à changer tous les ans de dispositif d’alarme supposé
protéger sa villa. Il est convaincu de vivre dans un monde très dangereux (1). Je peux affirmer qu’il n’y a eu aucun cambriolage dans sa rue depuis au moins 10 ans. Dites-le-lui. Il répondra que ça arrivera forcément un jour. Il ne croit pas non plus qu’il y ait aussi peu de récidivistes que le donnent à penser les statistiques avancées par des juges qu’il sait trop laxistes, et ce sont ceux qui lui ressemblent le plus qui viennent le clamer sur les écrans. On en voit tous les jours, non, des récidivistes et des victimes regrettant le laxisme des magistrats ? Alors, hein ! Et les politiques sécuritaires, comme il se doit, l’enchantent. Avec tout ce qui se passe… Ce n’est pas demain qu’il votera pour ceux qui ont des discours de travailleurs-sociaux-à-la-noix (toujours son langage), qui relâchent les coupables dans la rue et oublient les victimes. C’est qu’il est, lui, une victime potentielle dans un monde dangereux. Montrez-lui les statistiques attestant une diminution de la criminalité depuis le XIXe siècle, il vous dira qu’il n’est pas un intellectuel et qu’il voit bien, lui, ce qui se passe ».
(1) Note de Jean-Léon Beauvois :
« Entre le 7 janvier 2002 et le second tour de l’élection présidentielle, les journaux télévisés avaient consacrés 18766 sujets aux crimes, jets de pierre, vols de voitures, braquages, intervention de la police nationale et de la gendarmerie.(…) L’insécurité fut ainsi médiatisée deux fois plus que l’emploi, 8 fois plus que le chômage… » (Halimi, Les nouveaux chiens de garde, 2005, P 78). On sait qu’il n’y a pas de corrélation entre l’évolution du nombre de crimes et le nombre de faits divers impliquant des crimes évoqués à la télévision. Il n’y a donc pas de corrélation entre le sentiment d’insécurité et l’insécurité réelle (N.Bourgion, Les chiffres du crime, L’Harmattan, 2008).