Hier Jean-Claude Michéa était l'invité de l'émission Réplique, pour une causerie passionnante autour de son dernier essai, Le Complexe d'Orphée, sous-titré la gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès.
La transcription étant un art fastidieux, sachant que l'émission est podcastable toute la semaine sur France-Culture et écoutable pendant cinq semaines sur le site de l'émission, je me contenterai ici, en guise de mise en bouche, d'indiquer quelques repères et de reprendre seuls deux ou trois passages de manière exhaustive.
Par ailleurs, voici quelques liens vers d'anciens billets autour du travail de Jean-Claude Michéa :
Les riches et le défaut d'éthique ; la common decency au crible de la science
Jean-Claude Michéa : Le complexe d'Orphée, la gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès
Jean-Claude Michéa - Le nomade "Attalien' où la nouvelle gauche kérozène
Jean-Claude Michéa - L'empire du moindre mal
Quelques jalons
Ce ne sont là que quelques notes prises sur le fil de la discussion ; forcément partielles, incomplètes et rédigées dans un style télégraphique ; invite, je l'espère à aller écouter l'émission en son entier, afin d'en tirer tout le miel.
Critique de l'idéologie du progressisme :
Critique de l'idée de progrès, vu comme le sens de l'histoire, inéluctable et irréversible (La globalisation, par exemple, dans ce schéma se présente comme un phénomène devant lequel tout choix est impossible).
Progressisme & libéralisme - Hobbes et l'absolutisme :
Deux réponses modernes (suite aux guerres de religion) - Volonté de neutraliser l'idéologie (politique axiologiquement neutre). Objectif : déloger l'ancienne main invisible de l'Etat par celle du Marché.
Origine du libéralisme moderne :
Le libéralisme, dans son volet économique nait au fond à l'intérieur de Port Royal et des moralistes à la Rochefoucauld
Libéraux : pessimistes anthropologiques (l'homme est mu par son égoïsme, ne voit que son intérêt) auquel se couple un optimisme radical dans le pouvoir de la raison et dans les rapports de l'homme à la nature.
Common decency :
Sentiment spontané essentiellement répandu chez l'homme ordinaire qu'il y a des choses qui ne se font pas.
(Définition délibérément floue philosophiquement, dira JCl Michéa ; et de s'en expliquer)
Passages de l'émission
J'ai choisi deux passages s'ouvrant par des phrases qui m'ont semblé choc :
1) Ce premier passage est fort mince ; le second sera plus consistant. Mais je ne pouvais m'empêcher de relever cette phrase avec Brassens.
"David Hume, vous lui donnez une guitare et ça fait Georges Brassens".
Hume est un penseur de la limite et de la modération. Néanmoins, son principal souci est de construire une société où chacun soit libre de vivre comme il l'entend ; donc une société dans laquelle le gouvernement des hommes n'exigerait des citoyens aucun modèle de bonne vie.
(....) La mise en œuvre de leurs intentions (Hume, Smith, etc.) déclenche un mécanisme qui leur échappe et se retourne contre eux
2) Cette partie fait réponse à une question d'Alain Finkielkraut, et la reprise à son compte par ce dernier de la définition tocquevillienne de la démocratie.
"Sur le plan politique les libéraux ne sont pas des démocrates".
(Ils sont), dès Sieyès, clairement critiques de la république et la démocratie ; c'est-à-dire le régime de la souveraineté du peuple comme une des figures possibles de l'absolutisme - Les libéraux reprochent précisément à Rousseau et aux républicains issus de la tradition florentine de se contenter de transférer le pouvoir absolu du roi entre les mains du peuple, ce qui ne fait pas sortir, disent-ils du despotisme. C'est pourquoi la démocratie ne peut pas être un bon régime et doit être remplacée par le régime représentatif (dans le cas de Kant, la république ; et Kant range la démocratie du côté du despotisme). De fait l'histoire politique du libéralisme ne va pas dans le sens d'un pouvoir croissant du peuple sur son propre destin. A tel point que lorsque la Trilatérale en 75 publie le résultat de ses travaux, elle dit que la gouvernabilité des sociétés libérales (des démocraties ans sens tocquevillien du terme) serait beaucoup efficace avec l'apathie des citoyens, qui devraient se contenter d'être des consommateurs. Et par conséquent, le libéral n'est pas un démocrate, sauf si, comme le dit Orwell, on prend le mot démocrate dans le deuxième sens que ce mot à pris après l'accession d'Hitler au pouvoir : c'est-à-dire la défense des libertés individuelles.
http://www.franceculture.com/emission-l-invite-des-matins-jean-claude-michea-2011-10-06.html
Un exemple
Enfin, un exemple concret de ce que peu donner la mise en œuvre du principe libéral dans la vie de tous les jours. (principe libéral : privatisation des valeurs morales, religieuses, philosophiques et autres).
Un nouveau centre commercial qui défigure un paysage est entrain de se mettre en place. Vous ne pouvez pas faire valoir que le paysage est défiguré, parce qu'on vous ferait valoir en réponse que nous comprenons que votre esthétique personnelle pense que ce bloc de béton est moins beau que la forêt qui existait avant, sauf que c'est une opinion privée et que vous ne pouvez pas faire de cette opinion la règle d'une politique commune. En sorte que, dans cette guerre des dieux que sera le débat sur la beauté ou non de ce bloc de béton, en dernière instance, qu'est-ce qui tranchera ? Le Marché ! Est-ce que ou non le centre commercial va permettre le développement de la croissance locale ? Si oui, il est beau. L'économie et le Marché tiendront lieu de la morale absente.