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1 novembre 2013 5 01 /11 /novembre /2013 09:50

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Tiré de la mythique collection Babel, aux textes choisis et préfacé par Jorge Luis Borges, voici deux nouvelles de l’écrivain espagnol Pedro Antonio de Alarcon, ce « révolutionnaire violent qui finit par devenir conservateur sincère et résigné ». 

Derrière la couverture sur fond gris à la saveur d’un romantisme le plus noir, la première de ces histoires, L’ami de la mort, occupe l’essentiel du livre. 

Prose ciselée dans l’encre des intrigues de palais, ou l’amour n’est qu’une manière de s’aimer soi-même, la générosité le masque de l’ambition la plus nauséeuse. Un enfant adultérin se fera savetier avant de devenir médecin de la cour…  

 

Idéale lecture en ce jour macabre ; aux accent de l’Ecclésiaste


gizn-i-smert.jpg

 

« (…) la gloire n’est qu’un mot vide que l’on accole par hasard, et par hasard seulement, au nom de tel ou tel cadavre. Tu auras compris enfin, que tout ce que font les hommes n’est qu’un jeu d’enfants pour passer le temps, que leurs misères et leurs grandeurs sont relatives, que leur civilisation, leur organisation, leur organisation sociale et leurs intérêts les plus sérieux manquent de sens commun, que les modes, les coutumes, les hiérarchies ne sont que fumée, poussière, vanité entre les vanité… Mais que dis-je vanité ? Bien moins que cela ! Ce ne sont que des jouets pour tromper l’oisiveté de leur existence, délire de malade, hallucinations de fous ! Enfants, vieillards, nobles, plébéiens, sages, ignorants, beaux, contrefaits, rois, esclaves, riches ou mendiants… à mes yeux, ils sont tous égaux : ils ne sont que poignées de poussière que disperse mon souffle ! Et tu t’obstineras à invoquer la vie ! Tu me répéteras que tu ne veux pas quitter ce monde ! »


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28 juin 2013 5 28 /06 /juin /2013 18:07

Fort.jpgAdolescent, je me rendais régulièrement à la bibliothèque municipale, une retraite fantastique bourrée de trésors, caverne retranchée à l’abri des murs épais d’un ancien fort, sous le couvert d’arbres d’âges vénérables. 

 

Pour un abonnement modique, j’y dévorais des kilos de bandes dessinées, des Tardi évidemment, avec la belle égérie des muséum enténébrés du début du XXe siècle, je veux nommer Adèle Blanc-Sec, ses ptérodactyles, ses savants fous et ses momies. Pas très loin attendaient les Hugo Pratt, sous l’œil de Corto Maltese et de son ami Raspoutine, ou de l’énigmatique Cush, celui-là n’aimant pas que l’on trouble le silence du désert et qui ne buvait jamais de thé avant cinq heures.  La compagnie était bonne avec les planches noires et blanches, teintées mystère de Comès. Y suintait cette sorte de magie rurale propre à faire hausser les épaules des citadins trop rationnels pour croire à ces histoires à dormir debout venues du fin fond des Ardennes ; délires à la limite de l’inquiétant, noyé dans la méchanceté ordinaire. Il y avait aussi Rork, ce héros étrange d’Andreas et ses labyrinthiques pérégrinations dans les décombres de cathédrales égarées dans les limbes du monde. 

 

Meyrink.jpgCe qui amène tout naturellement à Borges. Car au-delà des bandes dessinées, représentant un espace circonscrit dans la bibliothèque, assez famélique au final, les étagères dégoulinaient surtout de littérature. Dans les méandres de tous ces rayonnages, groupés par thèmes, ceux que j’affectionnait en particulier avaient pour étiquette ‘nouvelles et romans fantastiques’. M’y attendaient les Lovecraft, les Poe, et autres enchanteurs du bizarre. Une collection particulière avait un jour attiré mon attention. C’était de beaux objets d’une teinte gris taupe étirés en hauteur, et aux couvertures ornées d’un dessin donnant l’impression d’ouvrages d’un autre temps. On n’aurait su mieux faire pour mettre en humeur le lecteur. Cette collection s’appelait La bibliothèque de Babel, du nom d’une nouvelle fameuse du directeur de l’éphémère épopée, Jorges Luis Borges en personne, qui assura toutes les préfaces et présentations des auteurs et textes qu’il sélectionna.

 

Sorti initialement en France en 1977, dans des tirages limités à 4000 exemplaires, la collection sera réédité en 2006 - et ce jusqu’à la faillite de l’éditeur en 2009.

 

C’est sur une impulsion soudaine, teintée d’un zeste d’esprit de nostalgie, que je viens de me reconstituer partie de cette collection mythique.

 

Le premier de ces livres à m’être passé entre les mains est celui regroupant trois textes de Gustav Meyrinck, un auteur à ce qu’il me semble plutôt méconnu, doté d’un beau style mis au service d’une acuité existentielle toute particulière ; une lucidité qui fera dire à l’historien de la littérature Albert Soergel « que Meyrink avait commencé par éprouver que le monde était absurde et, par conséquence, irréel » (introduction de Borges). 

 

La première de ces nouvelles, suave et sombre à souhait, à donné le titre au recueil et s’intitule « Le cardinal Napellus ».

 

En voici une page : 

 

gustav-meyrink.jpg« Un moment plus tard, nous entendîmes des pas dans l’escalier. Mais ce n’était que le botaniste Eshcuid, rentré beaucoup plus tard que d’habitude de sa promenade, qui pénétrait dans la bibliothèque. Il tenait à la main une plante haute comme un homme et qui portait des fleurs éclatantes d’un bleu acier.

- C’est bien le plus beau spécimen de cette espèce que j’aie jamais trouvé ; je n’aurai jamais cru que l’aconit napel pouvait pousser à de pareilles hauteurs, dit-il d’une voix détimbrée après nous avoir salués. Puis, avec un soin extrême, afin que la plante ne perdît aucune de ses feuilles, il la plaça sur le rebord de la fenêtre.

L’idée me passa par la tête qu’il en allait de lui comme de nous et j’avais l’impression que M.Finch et Giovanni Braccesco à ce moment pensaient de même. Il erre sans cesse comme un vieillard sur la terre, comme un homme qui cherche sa tombe sans pouvoir ta trouver, ramasse des plantes qui demain seront flétries. Et cela dans quel dessein ? A quoi bon ? Il ne se le demande pas. Il sait qu’il agit sans but comme nous le savons pour nous-mêmes, mais ce qui est pire, la désolante certitude que tout est sans but, que tout ce qu’on a entrepris, grande ou petite chose, s’est épuisé au cours d’une existence, cette certitude-là devrait l’avoir glacé. Dès notre jeunesse nous sommes des agonisants dont les doigts palpent les couvertures avec inquiétude, sans savoir à quoi se raccrocher – des agonisants qui tout à coup prennent conscience que la mort est dans leur chambre… »

 aconitum_napellus_vulgare.jpg

Dans la nouvelle suivante, « Les sangsues du temps », les lettres vivo se trouvent être gravées sur la tombe du narrateur. Etranges circonvolutions qui le mèneront  à la séculaire « Société des Frères Philadelphes ». 

Un texte, pour reprendre l’expression de Borges, « qui excède la métaphore et l’allégorie ». 

 Meyrink-illustration.jpg

 « Les quatre frères de la lune » clos l’ouvrage. J’en reprendrait ici un mince passage, découpé arbitrairement en trois morceaux. Ces extraits, pas si à la marge que cela de l’intrigue principale, valent critique du progressisme, du primat de l’économique, du consumérisme marital. 

Des textes aisément transposables et qui ne laissent de surprendre par leur actualité : 

 

« Mais si les choses continuent comme nous l’espérons, au XXe siècle les gens n’auront bientôt plus guère le temps de voir la lumière du jour, tellement ils seront occupés à fourbir, à maintenir en bon état et à réparer la multitude sans cesse en augmentation de leurs machines.

 

(…)

 

‘Voyez plutôt : le père qui fait mourir son fils sous les mauvais traitements est condamné au plus à quinze jours de prison, tandis que celui qui endommage un vieux rouleau compresseur doit passer trois ans à l’ombre

 

(…)

 

‘Si jamais les femmes mettaient au monde des bicyclettes ou des pistolets à répétition, vous verriez comme il serait élégant de prendre soudain épouse, ou courrait au mariage à bride abattue ! » 

Marcin-Sacha-06.jpg

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10 mai 2013 5 10 /05 /mai /2013 17:02

Misanthrope-00.jpg

P1070149.jpgOn ne savoure jamais tant une grande pièce - j’entends un classique – que lorsque nous en sommes déjà tout imprégné. 

 

Et lorsque advient l’instant magique de la représentation, que les feux s’éteignent pour laisser place à l’incarnation, la familiarité avec l’œuvre contribue au transport, et les vers glissent tout droit au cœur. 

D’un goût plus ferme on s’abandonne…. D’un pas plus ferme on s’aventure… 

Et les répliques dont s’est forgée la mémoire des temps nous entraînent et nous ravissent. 

 

Tel est du moins mon sentiment - conscient qu’on puisse avoir avis tout à rebours.  

 

Ce pourquoi, hier au soleil sous un pommier ai-je repris cette vieille édition du Misanthrope datée de 1939 soigneusement recouverte d’une couverture en lambeau et qui me vient de ma tante, elle-même ayant eu le livre annoté des mains d’une cousine dont ne me reste que Misanthrope-01.jpg


Un livre, mais pas n’importe quel livre. Comme le dit Alberto Manguel (Une Histoire de la lecture) « en fonction des époques et des lieux, j’ai appris à attendre des livres des apparences diverses et, comme dans toutes les modes, ces traits changeants attachent un caractère précis à la définition d’un livre. Je juge un livre à sa couverture ; je juge un livre à sa forme ». J’ajouterai : à sa saveur, à sa tessiture et à son histoire – la liste n’est pas exhaustive. 

 

Ainsi hier soir, comme on devine, nous sommes-nous rendus, famille au grand complet, à laMisathrope01-.jpg ville pour assister à une représentation du Misanthrope, pièce avec une mise en scène commise par Jean-François Sivadier

Et si, après cette belle expérience les avis divergent sur certains aspects, on s’accordera néanmoins pour louer le résultat d’ensemble. 

Pour préciser ma pensée sur ces marges, je dirai que sans doute par excès de conservatisme, j’aurai préféré décors et costumes d’époque, sans intempestives incursions d’éléments contemporains. C’est que les innovations conceptuelles de toutes sortes me gâchent quelque peu l’esprit des grandes pièces. Pour dire au plus juste, si je comprends que le metteur en scène veuille laisser sa marque, cette façon de penser que pour séduire et retenir l’attention du public il faille absolument introduire dans les pièces classiques de la modernité et du contemporain me parait, au contraire, avoir pour résultat d’en réduire la portée. Reste que l’interprétation d’Alceste est époustouflante, celle de Philinte savoureuse et celle d’Oronte, d’un comique fort à propos, tout à fait séduisante. Les autres rôles sont pareillement fort joliment incarnés, ma seule réserve étant le choix pour incarner et interpréter Célimène. Mais il est vrai que je suis un vieux grincheux… Aussi ne boudons pas notre plaisir ! 

Misathrope.jpg 

 Video---Misanthrope.JPG

Et s’il est des hasards, des singularités dont on voudrait faire sens, j’ajouterai qu’alors que nous avions nos places pour ce spectacle depuis de longs mois, le neuvième volet d’Ad Usum mei de Frédéric Schiffter me fit cliquer sur le lien vers une Petite philosophie du jet-setter ; qui me conduisit au Contre Debord


Je reçu les livres précisément avant-hier, soit la veille de la représentation de L’atrabilaire amoureux. Et lorsque on sait que la première édition du Contre Debord se nommait Debord l’atrabilaire, il y a de quoi y voir un signe…  

Ce que confirma ma lecture ou je lu, dans des pages précisément consacrées au Misanthrope

« Alceste clame si fort sa répugnance pour le genre humain, que nul ne prend garde que Philinte est le vrai misanthrope » et plus loin « Le ridicule d’Alceste vient de sa philanthropie déçue. L’élégance de Philinte, de son aimable lucidité ». (Frédéric Schiffter, Contre Debord pp 91-92).

Un renversement où la lucidité se trouve opposée à l’aigreur de l’atrabilaire : voilà une interprétation à laquelle je n’avais pas songée !

 

A l’appui de tels dires, deux passage de la pièce de Molière :

 

« Et mon esprit enfin n’est pas plus offensé

De voir un homme fourbe, injuste, intéressé,

Que de voir des vautours affamés de carnage,

Des singes malfaisants, et des loups pleins de rage ».

- - - - -

 

« J’observe, comme vous, cent choses tous les jours,

Qui pourraient mieux aller, prenant un autre cours ;

Mais quoi qu’à chaque pas je puisse voir paraître,

En courroux comme vous, on ne me voit point être ;

Je prends tout doucement les hommes comme ils sont ;

J’accoutume mon âme à souffrir ce qu’ils font,

Et je crois qu’à la cour, de même qu’à la ville,

Mon flegme est philosophe autant que votre bile ».

 

Le flegme philosophe, qui fera dire à Philinte encore : 

 

« Il faut fléchir au temps sans obstination ;

Et c’est une folie à nulle autre seconde,

De vouloir se mêler de corriger le monde ».

P1070147.jpg

 


Quelques données sur la pièce 

(Je les tire de ma vielle édition) 

 

« Le Misanthrope fut représenté pour la première fois, sur la scène de Palais-Royal par Molière et sa troupe, le 04 juin 1666. C’était la seizième pièce de Molière. L’accueil du public fut, paraît-il, assez froid, et le succès, selon l’abbé du Bos, « ne se dessina qu’après huit ou dix représentations ». (…) Le Misanthrope fut néanmoins donné 34 fois en 1666, ce qui pour l’époque, est honorable ; par contre, dans les années suivantes, jusqu’à la mort de Molière, il ne fut voué que 25 fois. Il semble donc bien qu’en dépit de l’accueil élogieux dont la pièce avait été l’objet de la part de gens éclairés, le grand public ait boudé le Misanthrope. (…) A l’époque de Musset, le Misanthrope ne faisait pas recette, si l’on en juge par le début d’Une soirée perdue :

J’étais seul, l’autre soir, au Théâtre Français,

Ou presque seul. L’auteur n’avait pas grand succès :

Ce n’était que Molière…

On donnait ce soir là le Misanthrope !

Reconnu néanmoins comme le chef-d’œuvre de Molière, le Misanthrope a eu à la Comédie Française, de 1860 à 1932, 1367 représentations, distancé seulement par Tartuffe et l’Avare. »

 


Avis de Chamfort sur Le Misanthrope

 

« Si jamais auteur comique a fait voir comment il avait conçu le système de la société, c’est Molière dans le Misanthrope. C’est là que, montrant les abus qu’elle entraîne nécessairement, il enseigne à quel prix le sage doit acheter les avantages qu’elle procure ; que, dans un système d’union fondé sur l’indulgence mutuelle, une vertu parfaite est déplacée parmi les hommes et se tourmente elle-même sans les corriger… Mais en même temps, l’auteur montre, par la supériorité constante d’Alceste sur tous les autres personnages, que la vertu, malgré les ridicules où son austérité l’expose, éclipse tout ce qui l’environne… » 

 


Avis de Rousseau sur le Misanthrope


« Vous ne sauriez me nier deux choses : l'une, qu'Alceste, dans cette pièce, est un homme droit, sincère, estimable, un véritable homme de bien ; l'autre, que l'auteur lui donne un personnage ridicule. C'en est assez, ce me semble, pour rendre Molière inexcusable. On pourrait dire qu'il a joué dans Alceste, non la vertu, mais un véritable défaut, qui est la haine des hommes. A cela je réponds qu'il n'est pas vrai qu'il ait donné cette haine à son personnage. (…)  Qu'est-ce donc que le misanthrope de Molière? Un homme de bien qui déteste les mœurs de son siècle et la méchanceté de ses contemporains; qui, précisément parce qu'il aime ses semblables, hait en eux les maux qu'ils se font réciproquement et les vices dont ces maux sont l'ouvrage. S'il était moins touché des erreurs de l'humanité, moins indigné des iniquités qu'il voit, serait-il plus humain lui-même? (…) Ces sentiments du misanthrope sont parfaitement développés dans son rôle. Il dit, je l'avoue, qu'il a conçu une haine effroyable contre le genre humain. Mais en quelle occasion le dit-il ? Quand, outré d'avoir vu son ami trahir lâchement son sentiment et tromper l'homme qui le lui demande, il s'en voit encore plaisanter lui-même au plus fort de sa colère. Il est naturel que cette colère dégénère en emportement et lui fasse dire alors plus qu'il ne pense de sang-froid. D'ailleurs la raison qu'il rend de cette haine universelle en justifie pleinement la cause :


…………..Les uns parce qu'ils sont méchants

Et les autres, pour être aux méchants complaisants.


Ce n'est donc pas des hommes qu'il est ennemi, mais de la méchanceté des uns et du support que cette méchanceté trouve dans les autres. S'il n'y avait ni fripons ni flatteurs, il aimerait tout e genre humain. Il n'y a pas un homme de bien qui ne soit misanthrope en ce sens; ou plutôt les vrais misanthropes sont ceux qui ne pensent pas ainsi; car, au fond, je ne connais point de plus grand ennemi des hommes que l'ami de tout le monde, qui, toujours charmé de tout, encourage incessamment les méchants, et flatte, par sa coupable complaisance, les vices d'où naissent tous les désordres de la société.

Une preuve bien sûre qu'Alceste n'est point misanthrope à la lettre, c'est qu'avec ses brusqueries et ses incartades il ne laisse pas d'intéresser et de plaire. Les spectateurs ne voudraient pas à la vérité lui ressembler, parce que tant de droiture est fort incommode; mais aucun d'eux ne serait fâché d'avoir affaire à quelqu'un qui lui ressemblât : ce qui n'arriverait pas s'il était l'ennemi déclaré des hommes. Dans toutes les autres pièces de Molière, le personnage ridicule est toujours haïssable ou méprisable. Dans celle-là, quoique Alceste ait des défauts réels dont on n'a pas tort de rire, on sont pourtant au fond du cœur un respect pour lui dont on ne peut se défendre. En cette occasion, la force de la vertu l'emporte sur l'art de l'auteur et fait honneur à son caractère. Quoique Molière fît des pièces répréhensibles, il était personnellement honnête homme; et jamais le pinceau d'un honnête homme ne sut

couvrir de couleurs odieuses les traits de la droiture et de la probité. Il y a plus : Molière a mis dans la bouche d'Alceste un si grand nombre de ses propres maximes, que plusieurs ont cru qu'il s'était voulu peindre lui-même. Cela parut dans le dépit qu'eut le parterre à la représentation de n'avoir pas été, sur le sonnet, de l'avis du misanthrope : car on vit bien que c'était celui de l'auteur ».

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24 juin 2012 7 24 /06 /juin /2012 00:32

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Il y a des années de cela je lus Le chat Murr. C’était à la belle saison, et on m’avait prêté le livre. Il me fit alors grand effet et je me promis de le relire un jour. C’est désormais chose faite et j’y ai pris beaucoup de plaisir.
Lecture nimbée de nostalgie bien sûr, avec des réminiscences ici ou là ; certains passages remontant à la surface et d’autres que ma mémoire avait tout a fait oblitérés. Je ne me rappelais d’ailleurs pas qu’Hoffmann, sous le joug déjà de la maladie, avait laissé le roman inachevé. Mais là n’est pas ici l’essentiel.

 

Je commis,  il y a quelques mois, un billet en faveur des belles et nobles actions, plaidant en quelque sorte, avec le renfort de Montaigne, pour la posture altruiste, dénuée de toute arrière pensée.
Il me fallait donc rééquilibrer les choses.

 

Le romantique allemand m’en donne l’occasion. Plutôt dans l’esprit d’un La Rochefoucauld qui pensait que « Quand on croit servir les autres, on ne fait que se servir à travers eux », il livre ici en de belles pages un contrepoint savoureux à la thèse du désintéressement.
Dans cet extrait il illustre par l’exemple que « L'intérêt parle toutes sortes de langues, et joue toutes sortes de personnages, même celui de désintéressé.  »

 

Plantons le décor :
Le Chat Murr est en compagnie de son ami, le caniche Ponto. Devant eux un jeune homme recule soudain brusquement, manquant d’écraser Murr. C’est qu’il vient de reconnaître un ami cher. Ce dernier se presse à sa rencontre, et ils tombent dans les bras l’un de l’autre.
Ponto narre à Murr l’histoire de ces deux amis, Formosus et Walter.

 

La-Mort-du-Chat-Murr.jpeg

« Là-bas, dans la belle maison aux grandes fenêtres, habite le vieux et richissime Président chez qui Formosus a su si bien s'insinuer, grâce à sa brillante intelligence, à son savoir-faire, à son érudition immense, qu'il fut bientôt comme le fils du vieillard. Il arriva un beau jour que Formosus perdit toute sa gaieté, devint pâle et eut l'air malade, que dix fois par quart d'heure il poussait de profonds soupirs, comme s'il eût rendu le dernier souffle ; entièrement reployé sur lui-même, abîmé dans ses pensées, il semblait incapable d'ouvrir ses sens au monde extérieur. Longtemps, le vieillard pressa vainement le jeune homme de lui révéler la cause de son chagrin. Formosus finit par avouer, pourtant, qu'il était mortellement épris de la fille unique du Président. Celui-ci, qui avait sans doute pour sa fille d'autres vues qu'un mariage avec ce jeune homme sans rang ni situation, s'effraya d'abord de cette révélation ; mais voyant le pauvre soupirant dépérir, il se fit une raison et demanda à Ulrique si Formosus lui plaisait et s'il lui avait parlé déjà de son amour. Ulrique baissa les yeux et dit que le jeune Formosus, timide et réservé, ne s'était point déclaré à elle, mais qu'elle avait remarqué depuis longtemps son amour, car c'était chose remarquable. D'ailleurs, ajouta-t-elle, le jeune Formosus lui plaisait bien ; s'il n'y avait point d'obstacle, si son petit papa chéri ne s'y opposait pas, et... bref, Ulrique dit tout ce que disent en pareille occasion les jeune filles qui ne sont plus de la toute, toute première jeunesse et qui se demandent sans cesse : « Quel est celui qui t'épousera ? » Là-dessus, le Président dit à Formosus : « Relève la tête, mon fils ! sois gai, sois heureux ! mon Ulrique sera à toi. » Et Ulrique devint ainsi la fiancée du jeune Formosus. Tout le monde fut enchanté du bonheur qui survenait à cet aimable et modeste jeune homme ; un seul être en fut chagrin et désespéré, et ce fut Walter, l'ami intime de Formosus. Walter avait vu quelquefois Ulrique, il lui avait parlé, il s'en était épris plus encore que Formosus peut-être...
(…)

 Le chat Murr dessiné par l'auteur, E. T. A. Hoffmann.

Walter (reprit Ponto) sauta au cou de Formosus et lui dit en pleurant : « Tu me ravis le bonheur de mon existence, « mais que ce soit toi, que toi, tu sois heureux, voilà ma consolation. Adieu, mon ami, adieu pour toujours ! » Et Walter, s'élançant au plus épais d'un fourré, voulut s'y donner la mort. Mais il ne le fit pas, car dans son désespoir il avait oublié de charger son pistolet ; il se contenta donc de quelques accès de folie qui se répétaient chaque jour. Un beau matin Formosus, qu'il n'avait pas vu depuis de longues semaines, entra chez lui à l'improviste, comme il était justement agenouillé, se lamentant horriblement devant un portrait au pastel d'Ulrique qui était accroché, encadré et sous verre, à la paroi. « Non l « s'écria Formosus en pressant Walter sur son cœur. Je ne « pouvais supporter ta douleur, ton désespoir; je te sacrifie mon « bonheur avec joie. J'ai renoncé à Ulrique, j'a i amené son « vieux père à t'accepter pour gendre. Ulrique t'aime, sans « peut-être le savoir elle-même. Demande sa main, je m'en « vais !... adieu ! » Il voulut partir, mais Walter le retint. Celui-ci croyait rêver, il n'ajouta foi aux paroles de Formosus que lorsque celui-ci lui montra un billet du vieux Président qui disait à peu près : « Noble jeune homme ! tu l'emportes, « c'est malgré moi que je te rends ta parole, mais j'honore « ton amitié ; elle ressemble aux actions héroïques qu'on lit « dans les écrivains anciens. Si M. Walter, qui est un homme « doué de louables qualités et pourvu d'une bonne charge « rémunératrice, veut demander la main de ma fille, si elle « veut l'épouser, je n'y trouve rien à redire. » Formosus quitta la ville, Walter demanda la main d'Ulrique, Ulrique devint la femme de Walter. Le vieux Président écrivit encore une fois à Formosus, le couvrant d'éloges et lui demandant s'il accepterait avec plaisir trois mille écus, non point en dédommagement, certes, il savait bien qu'il ne saurait y en avoir en pareil cas, mais comme un très modeste signe de sa profonde affection. Formosus répondit que le vieillard connaissait la modestie de ses besoins ; l'argent, disait-il, ne donnait pas, ne pouvait pas lui donner le bonheur ; le temps seul le consolerait d'une perte dont nul n'était coupable, sinon le sort qui avait enflammé au cœur de son ami une passion pour Ulrique ; il n'avait fait qu'obéir à son destin, il ne pouvait donc être question d'un acte magnifique. D'ailleurs, ajoutait-il, il acceptait le présent, à condition que le vieillard le donnât à une pauvre veuve qui vivait à tel et tel endroit, dans une misère affreuse, avec une vertueuse fille. On trouva la veuve, on lui remit les trois mille écus destinés à Formosus. Peu de temps après, Walter écrivit à Formosus : « Je ne puis plus vivre sans toi, « accours dans mes bras. » Formosus le fit et, en arrivant, apprit que Walter avait abandonné son poste rémunérateur à condition qu'on le donnerait à Formosus, qui désirait depuis longtemps une charge de ce genre. Formosus eut ce poste, et, à part l'espoir déçu de son mariage avec Ulrique, il fut dès lors le plus heureux des hommes. Tout le monde admira la joute de noblesse des deux amis, on considéra leurs actions comme un écho d'une époque plus belle et depuis longtemps révolue, on y vit l'exemple d'un héroïsme dont seuls les grands esprits sont capables.
(…)

Trois Chats Franz Marc 1913
Il faut ajouter encore quelques détails auxquels la ville n'a pas pris garde et que je tiens en partie de mon maître, en partie de mes propres observations. L'amour de M. Formosus pour la riche fille du vieux Président ne dut pas être aussi violent que le vieillard le crut, car au plus fort de cette mortelle passion le jeune homme ne négligeait pas, après ses journées consacrées au désespoir, d'aller voir chaque soir une charmante petite modiste. Mais lorsqu' Ulrique fut devenue sa fiancée, il trouva bientôt que l'angélique demoiselle possédait le talent tout particulier de se changer, à l'occasion, en un petit Satan. 11 eut en outre le malheur d'apprendre de source certaine que Mll e Ulrique avait fait à la capitale, en fait d'amour et de bonheur amoureux, des expériences fort exactes; c'est alors qu'il fut pris soudain d'une irrésistible noblesse de cœur, grâce à laquelle il céda sa riche fiancée à son ami. Walter était réellement épris d'Ulrique, qu'il avait vue dans le monde, revêtue de tous les artifices éclatants de la toilette ; quant à Ulrique, il lui était assez indifférent de s'adjoindre pour époux Walter ou Formosus. Walter avait, il est vrai, une charge très rémunératrice, mais il l'avait administrée avec tant de fantaisie qu'il se voyait à la veille d'être mis à pied. Il préféra démissionner au profit de son ami et sauver ainsi son honneur par une action qui portait la marque des plus nobles intentions. Les trois mille écus furent remis, en bons et honnêtes billets, entre les mains d'une femme très distinguée qui passait tantôt pour la mère, tantôt pour la nourrice de la jolie modiste. En cette affaire, elle joua deux personnages. Elle fut d'abord, pour recevoir l'argent, la mère, puis, pour le transmettre et se faire donner un bon pourboire, la servante de la jeune fille que tu connais, cher Murr, puisque c'est elle qui vient d'apparaître à la fenêtre avec Formosus. D'ailleurs, les deux amis, Walter et Formosus, savent depuis longtemps de quelle façon ils ont rivalisé de générosité ; ils se sont longtemps évités pour s'épargner des louanges réciproques, et c'est pourquoi ils se sont salués si chaleureusement tout à l'heure, lorsque le hasard les a fait se rencontrer dans la rue. »
Jeunesse-de-Murr.JPG

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22 juillet 2011 5 22 /07 /juillet /2011 21:34

hermann-hesse.jpgLe « Loup de Steppes », le premier livre de Hermann Hesse que je lus, me fit si fort effet qu’il reste, dans mon souvenir, assez haut placé pour presque côtoyer des œuvres telles que « Là-bas » ou « A rebours » d’Huysmans, « L’homme qui rit », de Hugo, « Salammbô » de Flaubert, - j’en oublie mille ! - ou, pour puiser dans le registre contemporain « Samarcande » commis en 1988 par le tout jeune immortel Amin Maalouf, celui qui succéda à Claude Lévi-Strauss dans le fauteuil 29 de l’illustre confrérie des vampires hexagonaux (et oui, j’ai beaucoup aimé le romantisme noir de la série d’Anne Rice consacrée à ces non-mort finissant, comme attendu, leurs pérégrinations dans les contreforts de New Orleans). Je pourrais aussi, dans un registre fantastique citer ici le fabuleux « La maison des feuilles » de Mark Z. Danielewski, ouvrage inclassable dont l’ambiance ainsi que les multiples entrées me font irrésistiblement songer à une sorte de labyrinthe aux accents de« Blair witch » littéraire.  


New Orleans et son cortège d’histoires glauques… Le vieux carré français, avec ses musiciens de jazz et ses danseuses ondulant dans la pénombre des bars enfumés ; ce lieu où séjourna cet enfant d’une dizaine d’année qui pouvait s’écrier du haut de 5000 ans : « Je suis un vampire » ! New Orleans, là où Laurent Gaudet, dans « Ouragan », nous plongera dans une scène de sinistre beauté, lorsque les Flamants aux poitrails cramoisis seront dévorés par des nuées d’alligators vomis des bayous… 

 

Mais je m’égare ! 

 

Ce n’est point ici le lieu d’une causerie autour de l’œuvre d’Hermann Hesse. De « Siddharta » ou de « Demian » je ne dirai point un mot.
Mais, choisissant ce recueil de textes périphériques, cette compilation à mon sens plutôt mal nommé « L’Art de l’oisiveté », et qui laisse entrevoir l’homme derrière l’écrivain, j’ose croire pouvoir prendre le parti de l’accessoire : déambulation cependant essentielle à celui animé du désir de saisir le reflet de qui se love au-delà du rideau de nos fictions…

 

Nous avons tous un petit côté réactionnaire, dont nous nous accommodons plus ou moins bien. Des hérissements et des digues… Pour ma part, à la lecture de ce texte, je puis, sans réserve, m’identifier à ce villageois intermittent, qui au nom du droit du sol, crache son exaspération envers ceux qui contrarient sa quiétude. Ainsi, au Crotoy, entre chasseurs, véliplanchistes, ramasseurs de coques, familles criardes inconscientes de la marée montante (et qu’il faudra à grand frais hélitreuiller), m’est-il arrivé, plus que de raison, de déplorer que : « les hordes multicolores aient envahies la baie ».

 

C’est que, piétons, nous n’avons pas de mots assez durs pour qualifier la grossière stupidité de l’automobiliste, son hystérie ou encore sa méchanceté congénitale. Nous rions de cette espèce de régression infantile qui lui fait chérir, comme la prunelle de ses yeux, ce qui n’est en résumé que quatre roues surmontées d’un habitacle plus ou moins inutilement luxueux. Mais une fois motorisés nous oublions d’ordinaire tout aussitôt la sagesse du péripatéticiens que nous fûmes ; et de nous compromettre en cohortes d’imprécations tout étant prêt à massacrer qui égratignera le substitut de notre ego… Personne ou presque n’y échappe… Ainsi ai-je vu des vieillards métamorphosés en Cerbères version moderne, de jolies femmes s’avilir en tombereaux insultes ; bouches déformées par la haine. Etc.
En d’autres termes, nous sommes tous le touriste d’un autre…Et, comme chacun sait, le problème, c’est précisément l’autre !

 

Enfin, quant à l’allusion que fait Hermann Hesse au sujet du problème de la surpopulation généralisée, thème d’évidence politiquement incorrect au plus au degré, je laisse à chacun le soin, dans le secret de son alcôve, de se positionner en âme et conscience…

 hesse-suisse.jpg


Retour à la campagne

Art-oisivete.jpg« Dieu merci, je me suis évadé de la ville. Les préparatifs de départ et le voyage ne sont plus qu’un souvenir et, après six mois d’absence, me voici de retour à la maison. (…) L’arrivée à Lugano fut en revanche peu réjouissante. Telles des nuées de sauterelles, les étrangers débarquent ici en masse aux alentours de Pâques, et cela faisait longtemps que je n’avais pas été indisposé à ce point par le vacarme des foules envahissantes peuplant la terre. Dans cette petite ville, un quart des habitants viennent de Berlin, un tiers de Zurich, un cinquième de Frankfort et de Stuttgart. On compte environ dix personnes au mètre carré, dont beaucoup disparaissent piétinés chaque jour. Cependant, on ne ressent absolument aucune diminution de la population, car chaque train express arrivant en gare apporte cinq cents à mille nouveaux visiteurs. Naturellement ce sont des gens charmants qui se contentent d’infiniment peu.(…) ils ont le teint blafard et portent de grandes lunettes à travers lesquelles ils contemplent d’un air intelligent et reconnaissant les prairies en fleur. Ces prairies sont désormais entourées de barbelés, alors que, il y a quelques années encore, elles s’étendaient sous le soleil, libres et confiantes, traversées seulement par de petits sentiers. Encore une fois, ces étrangers sont des gens charmants, bien éduqués, reconnaissants et immensément modestes. Ils roulent en voiture et s’écrasent les uns contre les autres sans qu’un seul d’entre eux ne se plaigne ; pendant des journées entières, ils errent de village en village, cherchant une chambre d’hôtel libre, en vain, naturellement (…) D’année en année, le nombre des voitures augmente et les hôtels sont de plus en plus remplis. Même le dernier des vieux paysans, si aimable soit-il,gallery_18.jpeg installe du fil de fer barbelé autour de ses prairies pour les protéger du flot de touristes qui les piétinent. Ainsi disparaissent les unes après les autres les prairies, les belles et paisibles lisières des forêts qui deviennent des terrains à bâtir entièrement clôturés. Depuis des années déjà, l’argent, l’industrie, la techniques, l’esprit moderne se sont emparés eux aussi, de ces paysages parés, il y a peu encore, d’une splendeur enchanteresse (…). Le dernier d’entre nous se pendra au dernier vieux châtaignier du Tessin juste avant que celui-ci ne soit abattu sur l’ordre d’un promoteur.
(…) Alors nous fermons l’œil, souvent même les deux, nous tenons nos portes bien fermées et, de derrière nos volets clos, nous regardons la foule compacte qui, jour après jour, se répand en un défilé ininterrompu à travers tous nos villages, venant se recueillir en masse devant les restes d’un paysage qui fut jadis vraiment beau.
La terre est désormais tellement surpeuplée !
(…) Enfermé dans ma cellule d’ermite, je lis ces ouvrages délicieux, tandis que dehors Lugano_0550-copie-1.jpg(…) la foule compacte des étrangers parcours la campagne. Ces gens sont venus ici parce que passer Pâques à Lugano est aujourd’hui à la mode. Dans dix ans, ils seront au Mexique ou au Honduras (…) Dieu sait où encore ; en tout cas, ils se trouveront toujours dans des endroits où ils se disputeront la dernière chambre d’hôtel, où la poussière de leurs propres voitures les fera tousser et cligner des yeux. »

(1928)

 


Pour tous les va-t-en guerre et autres admirateurs de défilés militaires.

 

Opposions
defile.jpg« (…) je ne puis m’empêcher de penser à l’année 1914. Je songe à l’optimisme soi-disant salutaire de ces peuples qui trouvaient tout magnifique, enthousiasmant et menaçaient de coller au mur chaque pessimiste rappelant que les guerres sont des entreprises fort périlleuses et violentes qui peuvent aussi se solder par une triste défaite. Ainsi les pessimistes furent-ils en partie ridiculisés, en partie fusillés. Les optimistes eurent alors leur époque de gloire, ils exultèrent et triomphèrent (…), jusqu’au moment où, épuisés de tant d’allégresse et de victoires, ils s’effondrèrent brutalement… »

 

(1928)

 


Celle-ci, fort courte, je la livre en son intégralité. Elle reste à toute les époques, ,hélas, d’une brûlante  d’actualité. Et de reprendre avec Cioran : « On ne tue qu’au nom de Dieu ou de ses contrefaçons ».

 

Mise à mort

« Le maître et quelques-uns de ses disciples quittèrent la montagne pour descendre à pied en direction de la plaine. Ils arrivèrent près des murailles d’une grande ville. Devant les portes de celle-ci, la foule s’était rassemblée. En s’approchant, ils virent qu’un échafaud s’élevait à cet endroit et que les bourreaux s’affairaient. Ils étaient en train de tirer hors d’une charrette un homme affaibli par la captivité et la torture et le traînaient vers le billot. Quant à la masse, elle se pressait pour voir le spectacle, huait le condamné et lui crachait dessus. Elle attendait la décapitation avec une gaîté et une avidité bruyante.
« Se qui s’agit-il ? se demandèrent entre eux les disciples, et qu’à-t-il bien pu faire pour que ces gens réclament sa mort avec tant de fureur ? Il n’y a là personne qui ait pitié ou qui pleure.heretique
- Je crois, déclara le maître avec tristesse, qu’il s’agit d’un hérétique.
Ils poursuivirent leur chemin. Lorsqu’ils rencontrèrent la foule, les disciples pleins de compassion s’enquérirent du nom et du crime et celui qui était en train de s’agenouiller devant le billot.
- C’est un hérétique, s’écrièrent les gens avec colère, hé regardez, il baisse sa tête de maudit ! A mort ! Rendez-vous compte, ce chien a voulu nous enseigner que la cité du Paradis n’avait que deux portes ; mais on sait bien, nous, qu’elle en a douze !
Les disciples se tournèrent avec surprise vers le maître et lui demandèrent :
« Comment l’as-tu deviné, maître ? »
Le maître sourit puis se remit à marcher.
« Cela n’était pas compliqué, dit-il tout bas. Si cet homme avait été un meurtrier, un voleur, un criminel, nous aurions rencontré chez les gens un sentiment de pitié et de compassion. Beaucoup auraient pleuré, plus d’un aurait affirmé qu’il était innocent. Mais il en va autrement s’agissant d’une personne qui a une foi différente de celle des autres. Le peuple assiste à son exécution sans aucune pitié, et son corps est jeté aux chiens ».

 

(Vers 1908)

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9 avril 2011 6 09 /04 /avril /2011 13:07

Le DésespéreAcculé à n’en avoir qu’une version virtuelle, peu propice à mes bucoliques retraites, longtemps ai-je cherché à me procurer une version tangible du " désespéré ". Point assez lu, sans doute, pour garnir les étagères des librairies où je traînais mes guêtres. Quoi qu’il en soit, jamais je n’eus la pugnacité de me résoudre à en passer commande. Peu être un secret manque de conviction… Aussi, faute d’édition récente ce souhait de lecture demeura-t-il un vœux pieu que les années tapissèrent du souvenir de cette promesse inaccomplie. Jusqu’à ce que ne surgisse cette nouvelle édition, sortie dans la collection GF, à la très opportune couverture ; la meilleure selon moi parmi celles qui me sont connues, car la plus proche de l’esprit de l’ouvrage de Léon Bloy, ce maudit des bénitiers ; anachorète concupiscent au regard exorbité de libellule.

 

Moi qui pensais trouver en ces pages désirées, malgré ma défiance viscérale envers qui porte en bandoulière les stigmates du crucifié, la fulgurance d’un style qui auraient placé Bloy aux côtés de cette sorte d’Huysmans, selon l’expérience de la trappe d’Igny, j’en fus pour mes frais.

Caïn Marchenoir et sa véronique édentée ne sont, chacun à leur manière, que de hideux martyrs à faire peur… Et si d’aventure le sort devait malencontreusement me faire croiser un jour la route de l’un des frères du fauteur de leurs jours, et je n’y songe qu’avec effroi, nul doute que par mesure de salubrité je ne me prisse à déguerpir.

Le désespéré dégouline de cette haine fatale de l’incompris. Celui qui perché du haut de l’absolue vérité, seul contre tous, ne peut s’empêcher cracher à la face du monde sa suffisance ; à défaut de sa vertu. Cerné de toutes part par les séides du mal il n’a à la bouche que pelletés de vociférations ; et ce ne sont là que les invectives d’un intégriste catholique, atrabilaire hanté au-delà du raisonnable par les sécrétions du diable.

Dans le désespéré on ploie aussi sous la complication outrancière ; véritable nuisance que cette pénitence imposée aux pèlerins… Et à ce rat qui " laissa tomber une pièce de cinquante centimes dans cette sébile à remontoir, qui déshonore, avec la plus horologique exactitude, la mendicité chrétienne ", tout refusant de " s’éloigner sans avoir compissé son bienfaiteur d’un dernier avis " et d’exhaler donc de " prototypiques admonitions ", conseillant à l’ami de notre ombrageux forcené de ne " plus tant faire la bête féroce ", il ne sera rien pardonné.Léon Bloy

 

Mais sans doute ne vais-je trop loin dans la détestation ; désappointement à ne mesurer qu’à l’aune de ma déception.

Quoi qu’il en soit, d’une lecture studieuse, j’en suis venu au fil des jours, pour achever l’indigeste pavé, violentant éhontément mes manières policées, à glisser en diagonale sur moult bondieuseries… Et m’en suis fort bien porté.

 

Je retiendrai néanmoins ceci de l’Imprécateur ; de cet homme qui, après avoir fustigé la " Racaille démocratique ", par une espèce de retournement désespéré doublé d’une pénétrante acuité, dénoncera avec toute sa rage cette double indécence qui a traversé les âge : cette promesse d’arrière-monde faite aux gueux par la religion, calamité instigatrice de toutes les soumissions et servitudes volontaires, d’une part. L’abjection, ensuite, suscitée par la vanité sans borne de ces quelques oligarques qui n’ont, pour toute légitimité, qu’une abyssale fourberie nimbée de l’habituelle et acidulée rhétorique propre à leur caste, cache-sexe véritable à cette stupidité instinctive et crasse qui transpire sous leurs beaux habits. Pavloviennes muqueuses indignes même des grands primates qu’ils sont…

 

" Tout homme du monde, - qu’il le sache ou qu’il l’ignore, - porte en soi le mépris absolu de la Pauvreté, et tel est le profond secret de l’HONNEUR, qui est la pierre d’angle des oligarchies.

Recevoir à sa table un voleur, un meurtrier ou un cabotin, est chose plausible et recommandée, - si leurs industries prospèrent. Les muqueuses de la considération la plus délicate n’en sauraient souffrir. Il est même démontré qu’une certaine virginité se récupère au contact des empoisonneurs d’enfants, - aussitôt qu’ils sont gorgés d’or. (…)

Mais l’opprobre de la misère est absolument indicible, parce qu’elle est, au fond , l’unique souillure et le seul péché. (…) La pauvreté véritable est involontaire, et son essence est de ne pouvoir jamais être désirée. Le christianisme a réalisé le plus grand miracle en aidant les hommes à la supporter, par la promesse d’ultérieures compensations. S’il n’y a pas de compensations, au diable tout ! (…)

Hier soir un millionnaire crétin, qui ne secourut jamais personne, a perdu mille louis au cercle, au moment même où quarante pauvres filles qui cet argent eût sauves tombaient de faim dans l’irrémédiable vortex du putanat ; et la si délicieuse vicomtesse que tout Paris connaît si bien a exhibé ses tétons les plus authentiques dans une robe couleur de la quatrième lune de Jupiter, dont le prix aurait nourri, pendant un mois, 80 vieillards et 120 enfants ! (…)

Les riches comprendront trop tard que l’argent dont ils étaient les usufruitiers pleins d’orgueil ne leur appartenait ABSOLUMENT pas ; que c’est une horreur à faire crier les montagnes, de voir une chienne de femme, à la vulve inféconde, porter sur sa tête le pain de 200 familles d’ouvriers attirés par des journalistes et des tripotiers dans le guet-apens d’une grève (…)

Ils se tordront de terreur, les Richards-cœur-de-porcs et leurs impitoyables femelles, ils beugleront en ouvrant des gueules où le sang des misérables apparaîtra en caillots pourris ! (…) Car il faut, indispensablement, que cela finisse, toute cette ordure de l’avarice de l’égoïsme humains ! "


Une musique qui pourrait convenir…

Quoi que dans mon esprit cette association ne soit pas à l’avantage " Cindy talk ", et de ce morceau en particulier, dont les déchirements et la d’une profondeur inextinguible, malgré les ans, me ravissent toujours.

 

 

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