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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 06:31

linkDans le trouble du débat suscité par l’étude du professeur Séralini à propos des OGM et de leur probable toxicité, il ne me semble pas inutile de faire le clair sur deux notions à forte charge politique et émotionnelle : celles de lanceur d’alertes et de principe de précaution.

Lille-Pba---014.JPG 

Principe de précaution
Le mot est devenu valise. Invoqué à tort et à travers, il sert d’un côté à justifier tout et son contraire. De l’autre, on le présente comme repoussoir absolu, empêchant tout progrès et toute innovation, fauteur de retard technologique, etc. Il y a les inconditionnellement pour et les viscéralement contre. Ceux qui pensent qu’il ne va pas assez loin et ceux qui le trouvent trop contraignant. Et entre ces deux partis irréconciliables on se jette souvent à la tête des anathèmes.
Mais de quoi parle-t-on exactement ? Quels sont les enjeux et qu’est-ce-que recouvre à la vérité ce fameux principe ?

Pour tenter de débroussailler tant soit peu le sujet, je m’adosserai sur une émission de Continent Sciences diffusée à la rentrée de septembre. Je me  propose ici d’en sortir quelques extraits, utile à la réflexion.


(Les invités : Denis Grison et Louis-Marie Houdebine).

 

Bref historique du Principe de précaution
chemins_Philosophiques__Principe_Precaution_Grison_15-10--2.jpgDG : Il naît en Allemagne dans les années 70, avec à la fois une vision développement durable, c’est-à-dire bonne gestion du patrimoine naturel, en particulier des forêts, mais il y a aussi l’idée que pour certains risques sur l’environnement, si l’on attend la certitude, lorsqu’il y a une dégradation observée, des mécanismes qui le sous-tendent pour commencer à agir il risque d’être trop tard. Donc il faut anticiper une réponse, même dans le cas d’une incertitude scientifique. En 1992 c’est là ou ce principe entre sous les projecteurs à Rio (c’est le 15ième sur les 21 principes de Rio). Le principe de précaution devient un principe directeur, mais qui simplement inspire les politiques mondiales, mais qui n’a encore aucune force de contrainte juridique. La même année il rentre dans le traité de Maastricht, également dans une position tout à fait principielle, et là il acquiert une dimension juridique. C’est-à-dire qu’il devient un principe qui est opposable à des politiques publiques, et qu’il doit guider ces mêmes politiques. Il aura ensuite une traduction en France en 1995 sous le nom de loi Barnier et en 2005 il rentre dans le préambule de la constitution à côté de la déclaration des Droits de l’Homme, donc une position tout à fait éminente, comme quelque chose qui doit inspirer la politique française.

 

Des mésusages du principe de précaution
Stéphane Deligeorges souligne tout d’abord, par quelques exemples, les usages farfelus du principe de précaution, comme l’interdiction d’une pièce de théâtre. Ensuite il y a l’usage hors de propos, c’est-à-dire l’abus d’usage, par exemple le cas de la fermeture d’une autoroute dans le cas de fortes chutes de neiges.
DG : il est décisif de faire la distinction et prévention et précaution. Il y a deux types de certitudes. Il y a des incertitudes dans le cas où la connaissance des phénomènes est complète. C’est-à-dire que le dossier scientifique est complet. Et il y a une incertitude dans le cas où il reste une absence ou un manque de connaissances.
Un exemple : 10 boules, 3 rouges et 7 vertes. Je tire une boule. Il y a une incertitude sur sa couleur mais non pas sur sa probabilité d’avoir une rouge ou une verte. C’est tout à fait différent de la situation ou je tire une boule dans une urne de 10 ou je ne connais pas la composition. Il y a des rouges ou des vertes, et peut-être autre chose. Si le rouge représente le risque, quand je tire une boule je ne suis même pas sûr que le risque existe, qu’il y ait une boule rouge. Lorsque nous sommes dans le premier cas il faut appliquer la prévention (exemple réduction de la vitesse sur les autoroute). Par contre, lorsque les risques sont soupçonnés (ex les OGM) mais pas encore certains, et pour lesquels en tout cas le dossier scientifique ne permet pas de donner de probabilités de la gravité de la survenance, mais que le risque est de laisser les choses en état sous prétexte que ce dossier n’est pas encore tout à fait terminé, il faut prendre des mesures différentes que les mesures de préventions et qui sont les mesures de précautions.

 

Polémiques et attaques
Certains disent que ceux qui sont pour le principe de précaution manquent de courage, on peut leur attribuer une espèce de ‘risquophobie’ totale, ils sont dans l’accidentalisme fiévreux.
DG : Ces attaques ont été développées d’abord par l’Académie de médecine, qui en 1999 à rédigé un rapport : « Le principe de précaution faisant du sécuritaire une priorité absolue ne risque-t-il pas d’entraîner un frein à toute entreprise, une inhibition du progrès, une paralysie de l’innovation ». Là nous avons les termes principaux de la critique et je voudrai m’employer à démontrer que le principe de précaution c’est tout le contraire.

 

Définition du principe de précaution
DG : Définition donnée à Rio : « En cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives servant à prévenir la dégradation de l’environnement ». (…) Lorsque l’on regarde certains grands scandales actuels  (ex Le Médiator) et passés mais encore présents dans les conséquences (ex l’amiante), on voit que c’est l’absence de certitudes scientifiques qui a servi systématiquement de prétexte pour remettre à plus tard la prise de mesures effectives.
Quant à ces mesures (de précaution), elles ne sont pas irrationnelles mais sont des mesures d’évaluation des risques et l’adoption de mesures provisoires et proportionnées (révisables). 



Quelques mot du scandale du Médiator (et de l’expertise)Mediator.jpg
DG : lecture d’un extrait du rapport de l’organisme chargé de l’enquête sur les politiques publiques : « A aucun moment dans cette longue période (d’incertitude), aucun des médecins experts ou pharmacologues internes ou externes à l’Agence (L’Afssaps) n’a été en mesure de conduire un raisonnement pharmacologique et d’éclairer ainsi le choix des directions générales successives. (…) L’exercice de ce métier (d’expert) est fortement influencé par l’environnement intellectuel et médiatique. Or depuis plusieurs années se sont multipliées des prises de positions publiques pour dénoncer une hypothétique tyrannie du principe de précaution. Dans cette affaire, comme d’en autres passées, et malheureusement à venir, ce n’est pas l’excès de principe de précaution qui est en cause mais le manque de principe de précaution. La chaîne du médicament fonctionne aujourd’hui de manière à ce que le doute bénéficie non au patient et à la santé publique mais aux firmes pharmaceutiques».
LMH : Il y a une espèce de tyrannie qui est entrain de se mettre en place à propos des conflits d’intérêts. On dit, tout ceux qui ont travaillé un jour avec telle entreprise ne peut pas être un expert. C’est complément idiot. C’est même très grave. Car qui sont les meilleurs experts ? C’est ceux qui sont dans le domaine (considéré). Ce sont des gens qui ont forcément des rapports avec les entreprises. Les conflits d’intérêts doivent être gérées par des commissions ad hoc et qui disent : vous avez effectivement travaillé pour untel, mais vous n’avez plus de liens, donc vous n’êtes pas en conflit.
DG : Si on veut éviter cela il faut aussi réguler les circuits financiers et donner un vrai statut de l’expert. Il ne faut pas que l’expertise publique soit 10 fois moins payée que si l’on va chez Monsanto ou chez Servier.



Un mot sur les nanotechnologies
LM H : Ce qui s’est passé est manifestement une catastrophe, parce qu’il y a eu un blocage complet. C’est-à-dire que l’on a été en face de gens qui demandent un débat et qui font tout pour qu’il n’ait pas lieu. Ils l’ont saboté et le dialogue maintenant n’existe plus et il n’est pas près de reprendre de manière saine. Ca me rappelle ce qui s’est passé dans la première moitié du siècle dernier en Europe ; cet espèce de rapport de force, avec un certain mépris de la connaissance. Je m’emploi pas souvent le mot d’obscurantisme, mais c’est même pire : c’est du nihilisme
DG : Si je suis catastrophé par la manière dont les choses se sont passées, je suis aussi catastrophé rétrospectivement par la manière dont les choses ont été engagées. C’est-à-dire que les nanotechnologies sont déjà largement produites, les laboratoires ont les financements, et ce débat n’était pas là pour prendre des décisions mais pour rendre acceptables les nanotechnologies. 



Des OGM
LM H : Les OGM dans les médicaments sont beaucoup mieux acceptés que les OGM dans la nourriture. Il y a deux raisons à cela : le médicament on ne le prend pas si l’on n’en a pas besoin alors que l’alimentation on n’a pas le choix. Deuxièmement il est reconnu – ce n’est pas complément juste - que les médicaments sont plutôt bien surveillés alors que l’agriculture ne l’est normalement pas autant. Alors il faut dire les OGM sont extrêmement surveillés par rapport aux variétés obtenues par simple sélection, et les risques sont de même niveau. On arrive à la situation paradoxale où l’on fait trop de choses sur les OGM en terme de sécurité et pas assez sur les plantes sélectionnées classiquement.
DG : Les OGM sont une pierre de touche parfaite pour réfléchir au principe de précaution et à la précaution en général. Je voudrai introduire une différence entre les risques et les effets que l’on a trop tendance à confondre. Nous vivons dans un cadre d’innovations techno-scientifiques ayant deux conséquences à distinguer : les risques, ce qui nous menace, et les effets, c’est-à-dire ce qui transforme notre rapport au monde mais qui n’est pas forcément une menace. (…) Dans le cas des OGM c’est aux risques qu’il faut appliquer le principe de précaution. Il y a deux types de risques soupçonnés : des risques sur la santé, des risques sur l’environnement. (…) Et puis il y a un débat sur les effets, parce que les effets des OGM sont considérables à la fois sur notre rapport à la nature, la nature de l’agriculture, l’appropriation du vivant, le pouvoir de firmes sur les paysans, etc. Or il se trouve que ces deux niveaux ne sont pas distingués. Le débat met tout ensemble. Et parce que cette distinction n’est pas faite tout est embrouillé et tout devient passionnel et polémique. Toutes les questions sur les effets on a tendance à les reporter sur les risques et le principe de précaution vient endosser sur lui l’ensemble de la question des OGM ou qu’il y a en préalable, en accompagnement, un débat beaucoup plus important et plus large sur : dans quel monde voulons-nous vivre ? Quel rapport à la nature ? Quel type d’agriculture ? Quelle paysannerie ? 

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Nb : A noter que Denis Grison fait référence dans ses travaux à l’Ethique à Nicomaque, et en particulier à la notion de Kairos, mise ne relation avec le principe de précaution : « l’action doit être très affinée, qu’il y a le bon moment pour faire la chose. Le trop tôt est le trop tard n’est pas bon. Il n’y a pas de véritable prudence s’il n’y a pas une expérience ».

 


Lanceur d’alerte

Voici la définition du lanceur d’alerte telle que donnée sur le site de Sciences citoyennes :

« Le terme « lanceurs d’alerte », nous le devons à deux sociologues, Francis Chateauraynaud et Didier Torny. Il s’agit en quelque sorte de la traduction du terme anglophone « whistleblowers  (« Ceux qui sifflent »).

Scientifique ou tout autre personne travaillant dans le domaine publique ou privé, voire simple citoyen, le lanceur d’alerte se trouve à un moment donné confronté à un fait pouvant constituer un danger potentiel pour l’homme ou son environnement, et décide dès lors de porter ce fait au regard de la société civile et des pouvoirs publics. Le rôle du lanceur d’alerte n’est pas de démontrer (en ce sens, il n’est pas forcément expert) mais de mettre une question aux enjeux sanitaires ou environnementaux graves entre les mains de son employeur ou des pouvoirs publics chargés de solutionner le problème. La santé et l’environnement touchant de nombreux secteurs économiques, les conséquences pour le lanceur d’alerte — qui agit à titre individuel parce qu’il n’existe pas à l’heure actuelle en France de dispositif de traitement des alertes — peuvent être graves : de pressions morales et matérielles jusqu’au licenciement (dans le privé) ou la « mise au placard » (dans le public), il se retrouve directement exposé à des représailles dans un système hiérarchique qui ne le soutient pas car souvent subordonné à des intérêts financiers ou politiques. »

 lanceurs-d-alerte

Sur cette page de l’organisation se trouvent d’intéressants développements et compléments sur cette notion de lanceurs d’alertes, notamment à propos des enjeux associés et le souhait de lui voir reconnu un statut juridique.  
Parmi les critiques et oppositions à l’idée même de lanceurs d’alertes, on retrouve grosso modo l’argumentation développée à l’encontre du principe de précaution : ces Cassandres - qui parfois n’ont d’autre légitimité que d’être citoyens - seraient des anti-progressistes, des fauteurs de retards technologiques, des catastrophistes ancrés dans un idéal passéiste.



Les lanceurs d’alertes seraient-ils donc des fâcheux, des frileux arc-boutés sur des craintes irrationnelles et sans objet ?
Prenons le cas de l’amiante. « Les effets nocifs de la poussière d'amiante ont entraîné un examen microscopique de la poussière minérale par l'inspecteur médical du Ministère de la Santé. La nature irrégulière des particules, s'apparentant à du verre coupant, a été clairement décelé, et, lorsque ces particules restent en suspension, quelle que soit leur quantité, leurs effets se sont toujours révélés nocifs, comme on pouvait s'y attendre. ». Ce texte sans ambigüité, on le doit à Lucy Deane, inspectrice du travail britannique... et a été rédigé en 1898 !
Il aura ainsi fallut un siècle pour que soit enfin interdit l’usage industriel de l’amiante. Ce n’est pas faute, pourtant, de l’accumulation d’indices et de preuves de la dangerosité de cette substance (voir la chronologie de la connaissance des risques de l'amiante en France, et en particulier en 1982).

 Troll climatique
Mais lorsque l’on évoque les lanceurs d’alertes, se profile aussitôt en filigrane une autre catégorie d’individus, celle des lobbyistes, qu’ils soient d’ailleurs franc-tireur, idéologiquement formatés, téléguidés par tel ou tel groupement d’intérêts, ou officiant au sein d’associations ou de fondations ayant pignon sur rue. A ce propos, il n’est pas anodin de noter que l’on retrouve toujours à peu près les mêmes. Et parmi ceux-là, la figure emblématique de notre troll climatique national, cet ancien ministre de l’Education national, pris à trafiquer ses courbes sur le CO2, pour motif ‘éditorial’. Le même qui en 1996, à propos de l’amiante à Jussieu, évoquera, dans un contexte de « terrorisme intellectuel » un « phénomène de psychose collective ».

 

 

 

Aujourd’hui les lanceurs d’alertes se trouvent confrontés aux lobby du sel, du sucre ou encore des OGM.



Ainsi Pierre Méneton, chercheur à L’Inserm, qui pour avoir dénoncer le scandale du sel eu maille à partir avec le Comité des Saline de France. 
Ainsi le cas de Véronique Lapides, poursuivie en diffamation par le maire de sa ville pour avoir soupçonné la pollution d’un ancien site industriel de Kodak.
Ainsi Christian Vélot, généticien, inquiété par sa hiérarchie pour ses positions critiques envers les OGM.
Ainsi la pneumologue Irène Frachon confrontée au lobby agro-chimique, pour s’être frottée au Médiator.
Ainsi tant d’autres encore...

 

 

Sur le sucre, pas plus loin qu’il y a quelques mois, le neurobiologiste Jean-Didier Vincent se fendait d’une rubrique dans l’Express au titre sans ambigüité : « La guerre du sucre est déclarée: chronique d’une défaite annoncée». Il y concluait « “la malbouffe ne saurait être un remède au mal-être” et que les milliers de morts dues aux excès de sucre ne pèsent pas lourd face “au lobby du sucre et à l’omniprésence des fast-foods”. »
Evidemment un contrefeu fut aussitôt allumé par les professionnels de la filière sucrière : « les études épidémiologiques disponibles ne permettent pas aujourd’hui d’affirmer scientifiquement que les consommations de sucre sont la cause directe et spécifique de l’obésité ou des pathologies associées. » On le voit, l’argumentaire développé ici nous ramène au principe de précaution et à ceux qui le dénoncent. Nous leur rappelleront, avec Denis Grison, que « c’est l’absence de certitudes scientifiques qui a servi systématiquement de prétexte pour remettre à plus tard la prise de mesures effectives ».

 


Lobbysme
En bref, autour de ce sujet il n’est pas inutile d’écouter - ou de réécouter - l’émission Science publique du 30 mars dernier avec Naomi Oreskes, autour de son essai Les marchands de doute, ces apôtres intéressés de la fuite en avant...
Il y a là je pense matière à se faire une idée un peu plus précise des réseaux et du rapport des forces en lice.

 


« Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire. »

Orwell

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11 juin 2012 1 11 /06 /juin /2012 19:22

Ile-paques.jpgLorsque Pierre Loti débarque à l’ile de Pâques en 1872 il n’y reste que 105 personnes. Pourtant, vers 1605 une population estimée entre 5 à 10.000 habitants vivait sur Rapa Nui « la grande Rapa », cette île au milieu de nulle part (la plus proche île habitée se trouve à 2000 km). Jadis la forêt y était dense et il n’y reste plus un arbre. Que s’est-il donc passé ? La thèse de Jared Diamond, dans son livre Effondrement est convaincante : il s’agirait d’un écocide.
 
 « Nous Humanite-biodiversite.pngéliminons aujourd’hui plus de mille fois plus d'espèces qu'avant l'époque industrielle. Cette extinction massive, la sixième dans l'histoire de la Terre, l'humanité en est la cause. Elle pourrait en être la victime  les taux d’extinction des espèces » indique sur sa page internet l’astrophysicien Hubert Reeves et président de l’association Humanité et Biodiversité (ex Ligue ROC).

De fait, on parle aujourd’hui du syndrome de l’île de Pâques (ou encore du Titanic), pour désigner ce prométhéisme forcené qui caractérise nos époques postmodernes.
Nous nous sommes rendus comme « maîtres et possesseurs de la nature », pour reprendre la terminologie de Descartes, capables, sans qu’il soit nécessaire même d’évoquer les menaces militaires et nucléaires (pourtant bien réelles), de mettre en péril notre propre espèce, voir toute forme de vie sur terre.
Serions-nous entrés dans l’ère de l’anthropocène ? A chacun d’en juger.

Mais pour l’heure revenons sur la biodiversité.
Le biologiste Gille Bœuf nous expose dans cette série de vidéos, de manière fort didactique, simple et limpide, les enjeux relatifs à l'impact de l'homme sur son environnement. Il est également président du Muséum national d'histoire naturelle.

 



Quelques autres billets sur ce blog en relation avec ce sujet :

 MidWay Atoll
 A propos de l’idée de progrès, une discussion récente autour du travail de JCL.Michéa
 Jean Gadrey : Crise écologique et crise économique (transcription de conférence)
 Stephane Ferret : Deep water horizon (sous-titré éthique de la nature et philosophie de la crise écologique)
 Jared Diamond : Effondrement
L’homme, un consummateur ?

 

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L’anthropocène, dialogue entre un glaciologue et un anthropologue
Alain Gras, anthropologue et sociologue, et Claude Lorius, glaciologue.
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Hubert Reeves et la défense de la biodiversité
(émission ‘coup de pouce pour la planète, 2010)
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28 avril 2012 6 28 /04 /avril /2012 10:43

Pissenlits---baniere.jpg

 

Pissenlits-et-paquerettes.jpgPassant outre les sages conseils de mieux avisés que moi – ah, impétueuse jeunesse – cela fait désormais des années que je ne répands plus de pesticides sur ma famélique clairière. Aujourd’hui le sacrilège est  consommé et j’en paye le prix fort ! Ce ne fut pourtant pas faute d’injonctions réitérées à me plier à la coutume du ‘bon jardinier’ sous peine de me voir débordé par les mauvaises herbes et autres furoncles broussailleux…
Mais, par un effet naturel de ma tendance à faire exactement le contraire de ce qu’on attend de moi, ces perspectives de chaos me passèrent par dessus la tête…. Je me souviens même, plus d’une fois, m’être gaussé à gorge déployée, un brin de provocation tapis au fond des prunelles, à l’écoute de la prose terrible de ces bienveillants jardinistes m’exposant les périls prêts à envahir ma tranquillité dilettante. Que risquais-je donc de si affreux ? De la mousse peut-être ? Oui de la mousse précisément, et dont le propre, comme son nom l’indique, est de ne point être du gazon. Telle me fut la docte réponse de plus d’un de ces fins observateurs de la nature en pot ! Ce n’était pas tout… Bien d’autres maux vivaces menaçaient, tels ces épidémies de trèfles, de chardons, de pissenlits, que sais-je encore !

 

La lèpre s’est installée et il n’est désormais plus temps de cultiver le regret, c’est le jardin que j’aurai dû pulvériser.  A la coutume de l’offrande de la terre j’aurai dû me soumettre et le glyphosate acide couler à flots…
Lorsque j’y pense à présent, animé d’une haine coupable retournée contre mon esprit rebelle, quel émoi à l’évocation si douce de cet élixir dont la dénomination même, résonne tel un baume sur mon cœur : ‘désherbant total folliaire systémique’.
En outre, je le sais, souscrire au canon du jardin bien entretenu aurait eu d’autres effets bénéfiques. Celui de participer à la croissance du béni PIB n’en est pas des moindres - il n’y a pas de modestes contributions en la matière (il faudrait instaurer, j’en suis désormais convaincu, une taxe pour sanctionner les mauvais consommateurs de mon espèce !).

 Pissenlits-de-pres.jpg

A ma peine immense s’ajoute la honte d’avoir privé, par mon geste insensé, la firme pourvoyeuse du nectar du jardinier de substantiels bénéfices, si utiles pour alimenter ses recherches OGM afin d’éradiquer le fléau des famines dans le monde. Et c’est l’âme attendrie que je songe aujourd’hui au sacerdoce de ces travailleurs désintéressés qui ont jadis, sans compter, déversé le fruit de leur recherche, sur les populations récalcitrantes de l’Asie du Sud-Est.
Ô, molécules herbicides ; Gloire du génie humain ! Agent orange – mécanique… Décoction de dioxine, si stable, si parfaite qu’on en trouve de nos jours  encore à la pelle dans les sols et les sédiments : cécité, diabète, malformations, cancer…. Lait céleste répandu durant l'Opération Ranch Hand, et qui fit dire à la pauvre Perette : « adieu veau, vache, cochon, couvée ; »

 

Mais je m’égare !

 

Revenons à nos jardin, qui comme le clame avec sagesse Candide, il faut (soigneusement) cultiver.
Et ce soin à l’entretien de ce qui me tenais à cœur - m’a manqué…
Je peux bien alors avoir l’air d’un Paul de Tarse, et retourner avec rage destructrice contre ses anciens coreligionnaires du laisser-aller.
Mais comment réagir autrement à la vue de ces pustules jaunes crépitant sur la peau verte de mon gazon ? Pelouse d’ailleurs comme prédit mangée de mousse, de pâquerettes et de trèfles…

 

Mais il y a pire à confesser.
Au lieu d’éradiquer comme il se doit cette engeance envahissante, pris d’une incompréhensible sensiblerie, sous le joug même d’un délétère élan esthétique, m’a pris la folie, lors de ma tonte presque hebdomadaire, de contourner comme je l’ai pu ces horribles furoncles, et qui restent désormais posés là, comme une irréparable faute de goût, sur la moquette où, si le temps le permettait, j’aimerais me prélasser un bon livre à la main…

 

 Pissenlits.jpg

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31 octobre 2011 1 31 /10 /octobre /2011 20:34

porcs.jpg

 

Je n’ai pas lu l’essai de Jonathan Safran Foer « Eating animals », traduit en sa version française par une question, à mes yeux maladroite, « Faut-il manger des animaux ? ». La question n’est pas en effet, d’un point de vue global (relatif à l’espèce), de savoir s’il faut ou s’il ne faut pas manger de viande. L’homme en a toujours mangé, et ceci depuis les temps les plus reculés de la préhistoire (1)  (seule varie selon les coutumes et/ou les époques la part faite à l’alimentation carnée). Non, la véritable question est  à mes yeux plutôt : quelle place faisons-nous aujourd’hui dans nos sociétés à l’animal dont nous allons consommer la chair ?

 

S’il n’est pas nécessité de lire Jonathan Safran Foer pour savoir (à moins d’être autiste) le sort réservé aux volailles, porcs et autres ovins et bovins dans les univers concentrationnaires que sont les industries de production de chair animale, c’est que d’autres, bien avant lui, nous ont déjà alerté (sans grand succès, il faut le reconnaître) sur ce qu’on fait subir aux animaux. Je pense notamment à quelques émissions d’investigations et, en France, au livre de Fabrice Nicolino, publié en 2009, «Bidoche ». Quoi qu’il en soit, il n’est jamais mauvais qu’un écrivain de renommée internationale s’empare d’un tel sujet et contribue, par sa notoriété, à le hisser temporairement au devant de la scène.

 

Reste qu’entre savoir et voir de ses propres yeux les sévices endurés par les animaux séquestrés dans les industries qui les exploitent, qu’entre imaginer abstraitement et se trouver directement confronté à ces souffrances animales, il y a un monde….

 

Récemment Stéphane porcher_432.jpgDeligeorges recevait dans son émission Continent Sciences Jocelyne Porcher, Chargée de recherches à l'Inra (relation de travail entre les humains et les animaux en élevage). Ancienne éleveuse elle sait de quoi elle parle :
« …Il faut enseigner aux éleveurs, il faut leur apprendre il faut leur faire comprendre ; c’est-à-dire que ça va dans un sens. C’est le chercheur qui sait tout, qui va enseigner au paysan qui ne sait rien. C’est comme ça aujourd’hui et cela a commencé avec la zootechnie quand on a dit aux paysans qu’ils étaient des nuls, qu’ils ne savaient pas ce qu’était un animal, qu’ils ne savaient ce qu’était la gestion d’une exploitation agricole et que le maître mot du rapport du travail aux animaux ce n’était pas les sentiments mais le profit. Tout le reste en découle. (…)  J’ai décrit ce rapport au travail dans l’industrie porcine : Oui c’est monstrueux. C’est un travail qui est devenu un travail de mort et qui s’aggrave. Il y a un côté soft dans la violence, qui est devenue très discrète : le système est impitoyable : par exemple une truie  qui ne produit pas comme il faut, on l’euthanasie, on s’en débarrasse. Ces truies produisent un nombre de porcelets hallucinants. Sur ces porcelets qui naissent il y’en a qui ne sont pas viables et donc les salariés doivent les tuer. C’est un gros problème parce que du coup ils sont dans un rapport morbide au travail, alors que ce qui les intéressent c’est faire naître les animaux, soigner et là ils sont condamnés à massacrer les animaux. Et c’est vrai que les outils de cette destruction sont absolument terribles, puisque la filière porcine met à la disposition des travailleurs pour se débarrasser des animaux, des petites boites chambre à gaz : on met un porcelet dedans, il étouffe dans le CO2 ; des boites à électrocuter les animaux : on branche des électrodes, on ferme, on appui sur le bouton on rouvre et l’animal est mort, ce qui permet de prendre une distance pour le travailleur avec la brutalité et la violence de la tuerie, mais qui n’en reste pas moins ce qu’elle est. Et le pire de tout  c’est qu’il y a une internalisation de la gestion des cadavres et donc on demande aux éleveurs de faire du compostage de cadavres, comme on composte les légumes ; ce n’est pas tout à fait la même chose quand on remue les cadavres à la pelleteuse (…) On produit du vivant et on produit du mort qui doit être rentable. Il n’y a pas de perte… (…) La problématique du bien être animal elle sert à améliorer les systèmes industriels de façon à les rendre socialement et éthiquement acceptables (…)»

 

vie-a-coucher-dehors.jpgC’est de ce sujet dont s’empare la cinglante nouvelle de Sylvain Tesson « Les porcs » tiré de son recueil « Une vie à coucher dehors ».

 

Le texte consiste en une lettre postée par un éleveur du Dorset au tribunal de son comté, à l’attention expresse de l’attorney du chef-lieu. Il y relate avec un fatalisme mêlé de désespoir comment et pourquoi il fut contraint de passer de l’élevage extensif à l’univers concentrationnaire de la production de viande industrielle. Conversion faite, sous la contrainte économique, au lieu de laisser paître ses porcs à l’extérieur, il recevait alors des sacs de granulés : « Nous avions du respect pour ces sacs : ils représentaient la viande. Nous avions de la considération pour la viande : elle représentait l’argent. Nous avons oublié qu’au milieu il y avait les bêtes. Nous les avons annulées ». S’en suit une description poignante des sévices subits par les porcs : « Il paraît que l’homme s’habitue à tout. Le cochon non. Même après 20 semaines, ils continuaient de mordre leurs barreaux ». Productivité oblige, dans cet enfer on sèvre les porcelets au bout de 3 semaines pour pouvoir ré-inséminer les femelles. Cinq portées en 2 ans puis c’est l’abattoir.  « Les petits avaient accès aux mamelles à travers les barreaux. C’était leur seul contact avec leur mère. Ils se battaient et, pour qu’ils ne se mutilent pas à mort, je leur arrachais à vif la queue et les incisives. Le problème lorsqu’on transforme les granulés en viande, c’est qu’on métamorphose les porcelets en loups ».
Il le confesse : « la souffrance extrême ne rend pas docile. Elle rend dingue. Nos usines étaient des asiles. »

 Buzz

Et lorsqu’il arrive qu’un éleveur, en pleine dépression pour cause de souffrances infligées à ses bêtes, vient à s’en plaindre au directeur de son syndicat, ce dernier de rétorquer en lisant le passage d’un livre de zootechnie daté des années 20, commis par un certain Paul Diffloth , « Les animaux sont des machines vivantes non pas dans l’acception figurée du mot, mais dans son acception la plus rigoureuse telle que l’admettent la mécanique et l’industrie ». Et de conclure : « Lis ça et reprend-toi. »
Voici pris à la lettre et incarné tout le programme de Descartes. A propos de la zootechnie Jocelyne Porcher explique :

 

« L’émergence de la zootechnique est liée au courant des lumières, à la primauté de la raison, contre une sensibilité qui était celle des paysans. Il n’y a pas de travaux d’historien là-dessus. (…) Elle apparaît au milieu de XIXe siècle en tant que quelque chose qui se prétend comme discipline scientifique, appuyée à la fois sur la biologie et sur l’économie. Elle s’inscrit dans le mouvement du capitalisme industriel qui vise à arraisonnement de la nature. Cela s’est déjà fait un peu auparavant à propos de la production végétale et il y a des agronomes et des vétérinaires qui se sont dit : pourquoi ne pas faire la même chose avec les animaux ; après tout les animaux sont une ressource potentielle - et c’est bien cela qui est lié au capitalisme -, ce qui change c’est le statut de l’animal, (et l’on prend la définition) hérité de Descartes, l’animal machine… Les zootechniciens du XIXe au fond ils n’y croient qu’à moitié, que c’est parce qu’il a une fonction économique que l’animal doit être une machine. Mais en soi il ne l’est pas».

 

Enfin, lorsqu’on a suffisamment engraissé les bêtes, histoire d’en finir plus vite, leur chargement pour l’abattoir se fait à la matraque électrique.

 

Un jour le fils de notre éleveur du Dorset, après l’école, lit à son père un article « où l’on décrivait le cochon comme un animal sensible et altruiste, aussi intelligent que le chien et très proche de l’homme en termes génétiques. Il m’a montré, dit le pauvre homme, le journal avec un regard de défi. (…) A la rentrée des classes, un professeur du collège m’a téléphoné pour s’étonner qu’à la ligne « profession du père » mon fils n’ait rien voulu inscrire ».

 

DOSSIER1-3-web.jpgCe malheureux éleveur supportera 40 ans l’insupportable ; cette atroce cruauté : « Que dis-je ? Je l’ai organisée, régentée et financée. Chaque matin, je me suis levé pour contrôler le bon fonctionnement d’une arche de ténèbres ». Et pour tenir il a réussit un exploit : « en 40 ans, ne jamais regarder un porc dans les yeux. (…) Ne raisonner qu’en masse. Ne penser qu’à la filière ».

 

Je laisse ici en suspend l’issue de cette histoire poignante pour ne pas gâcher la lecture de ceux qui ne l’ont pas encore eu entre les mains.
Sylvain Tesson ne pouvait écrire plus juste. On ne sort pas indemne de cette nouvelle...

 

En guise de conclusion je dirai que si l’on n’est pas carnivore, ni davantage végétarien, au minimum « Les porcs » sonnera comme une invite à questionner nos habitudes alimentaires et, sans doute, contribuera si ce n’est pas déjà fait, à rejeter la viande industrielle.

 

« L’enfer n’existe pas pour les animaux, ils y sont déjà… » Victor Hugo


(1) Contrairement à que certains voudraient faire accroire pour des motifs idéologiques le régime carné y était même prédominant. (Cf. émission ‘Le salon noir’ du 21/10/2009 sur France Culture) Dans chasseurs-cueilleurs il y a bien le mot chasseur, et la chasse était une activité bien plus importante que la cueillette (servant d’appoint selon les opportunités du biotope). Outre la chair animale que l’homme de la préhistoire consommait, tout ou presque se récupérait alors : les peaux servaient à se vêtir et à se protéger, certains os finissaient en outils, les tendons en fils à coudre, etc. Aujourd’hui, le fait de manger plus ou moins de viande, ne relève certainement pas d’un archaïsme mais bien de pratiques culturelles assorties de tabous alimentaires. Ceci dit, en manger moins (voire beaucoup moins) n’est pas plus mal (aussi bien sur un plan moral, financier et environnemental qu’au niveau de la santé). Mais en tout état de cause le problème du rapport que nous entretenons à l’animal que l’on exploite reste posé, une société végétarienne relevant de l’utopie (au-delà du cas le plus emblématique de la consommation de protéines animales se pose également, par exemple, la question de la filière laitière).

 

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9 juillet 2011 6 09 /07 /juillet /2011 14:18

La panique semée en Europe par une souche particulièrement virulente d’E.coli (1) détectée après quelques péripéties dans des graines germées, a été l’occasion d’attaques en règle des produits bio. La question est : était-ce justifié ?

 

brochure_agriculture-copie-1.jpgComme point de départ je vais prendre une anodine conversation que j’ai eu il y a peu avec une relation de travail, qui au-delà de l’anecdote, permet de mettre en évidence les sophismes utilisés d’ordinaire soit par les défenseurs inconditionnels de l’agro-industrie, soit, plus certainement, par tous ceux qui soucieux de se donner bonne conscience dans leurs habitudes alimentaires se ruent sur le moindre frétillement allant dans le sens de leur croyance. Revenons en à mon exemple : fort de l’actualité médiatique, il m’avait été donc annoncé un beau matin, avec une assurance olympienne teintée de triomphalisme, que la nourriture industrielle issu de « l’agriculture de destruction massive » était plus sûre que la nourriture biologique au motif que les contrôles y étaient plus rigoureux et que les additifs, permettant une meilleure conservation et stabilisation des produits, concouraient à la sécurité alimentaire. Au fond, selon ce collègue, la seule véritable différence entre le bio et la nourriture industrielle pourrait se résumer de la sorte : « le bio tue tout de suite ; la nourriture industrielle tue éventuellement à long terme ».

 

J’avoue que cet argument m’a sur le vif laissé pantois ; incapable d’apporter contradiction à si logique raisonnement… Cela allait à rebours de tout ce que je savais – ou croyais savoir – sur le bio, mais par horreur de la joute oratoire stérile (où celui qui gagne, est celui qui a la plus grande gueule ; celui capable d’assener péremptoire d’énormes contrevérités, d’inventer encore les chiffres et les histoires qui l’arrangent), et faute de préparation je n’ai su alors que répondre. C’est pourquoi, sûr que ces allégations allant à l’encontre de mes intuitions ne devaient pas être aussi nettes, il m’a pris l’envie d’investiguer un peu sur ce sujet. C’est très loin d’être exhaustif mais ça a le mérite, je pense, de remettre au moins les pendules à l’heure.

 

Du Bio
Je prends ici le mot dans son acception la plus courante, dans le sens de produits BIO.jpgalimentaires tirés de l’agriculture biologique et labellisés comme tels (et non pas simplement des aliments naturels : on peut avoir un potager et y déverser des tonnes pesticides, ou être contaminés par les champs alentours - A noter que l'appellation marketing «100 %naturel » ne répond à aucune définition réglementaire). 

 

Des contrôles
Tordons tout d’abord le cou à une idée reçue : Le bio est tout autant contrôlé que les aliments industriels, sinon plus. Et c’est simple à comprendre : non seulement les produits bio doivent répondre aux même critères et exigences que les produits alimentaires industriels ou « naturels » ; ils sont contrôlés de la même manière par les services de sécurité alimentaire. Mais en outre, afin d’obtenir leur label, les produits bio subissent des contrôles complémentaires et doivent être certifié par un organisme indépendant.
En clair, sur un plan purement factuel, le bio c’est la nourriture conventionnelle sans les pesticides et autres produits chimiques de synthèse, sans les conservateurs problématiques, sans les farines animales, etc. Mais ce n’est pas que cela. Qu’est ce qu’un label bio garantit précisément ?

 

 une forte majorité de substances naturelles,
 des matières de qualité qui ne perturbent pas l’environnement,
 une utilisation raisonnée des ressources naturelles,
 le respect des espèces et de la condition animale,
 un usage réduit et responsable des produits chimiques,
 des efforts de production et de recyclage,
 une recherche de la qualité du produit,
 une attention particulière aux conditions sanitaires, sociales et économiques des acteurs,
 un effort de transparence envers le consommateur.

 
(Source et plus d’information ici : http://www.biopreferences.com/blog/label-bio)

 

Retour sur l’origine de graines germées sources probable de la contamination avec E.Coli
Aux dernières nouvelles il s’agirait donc d’un lot de graines germées de fenugrec (plante proche du trèfle) qui serait à l’origine de la contamination. Plus intéressant est de voir le parcours des dites graines : « Arrivée en novembre 2009 dans le port d’Anvers en Belgique, la cargaison a ensuite été acheminée jusqu’à Rotterdam aux Pays-Bas, puis livrée à un importateur en Allemagne. Ce dernier a ensuite revendu le produit à des distributeurs en Allemagne et au Royaume-Uni ».
Ce qui m’amène à distinguer le bio paysan et le bio industriel.

 

Industrialisation du bionouveaux-esclaves-du-capitalisme.jpg
Le bio, comme on l’a constaté dans ce que recouvre le label éponyme, ce n’est pas seulement avoir une nourriture saine, mais également une philosophie : outre tout ce qui a été dit c’est aussi produire et consommer local (c’est un non-sens écologique d’importer des produits bio - parfois de très loin - cultivables localement). C’est aussi, entre autre, adapter son régime alimentaire en fonction des saisons (fruit, légumes de saison).
Or avec ces graines contaminés on se trouve en présence manifeste d’un détournement de « l’esprit bio » dans un objectif manifestement mercantile (maximisation des profits). A ce propos l’émission « Les nouveaux esclaves du capitalisme », évoquant le sort des ouvriers agricoles et tout à fait édifiant… Que l’alimentation soit bio ou non, lorsque la logique de l’agro-industrie se met en branle et s’impose le résultat est le même : un désastre écologique et sociologique.

 

De courte mémoire
L’épidémie de grippe aviaire : pointé du doigt les élevages industriels, particulièrement en Asie (Thaïlande, Indonésie, Chine) : probables foyers d’infection et propagateurs à l’échelle planétaire de l’épidémie.
farines-animales.jpgLe scandale des farines animales : alors qu’on nous annonce le possible retour en France de ces farines provoquant une infection dégénérative du système nerveux central des bovins (maladie de la vache folle).
Le bœuf et le veau aux hormones : hormones utilisées pour augmenter la croissance des animaux en favorisant la rétention d'eau dans les muscles. Elles ont été accusées d’être dangereuses pour la santé et d'avoir des effets délétères sur la fertilité humaine en développant la stérilité masculine. Interdites depuis 1988 par la Commission européenne (Aux États-Unis, plus de 95 % de la viande abattue est encore traitée aux anabolisants).
Le poulet à la dioxine : Scandale  en Belgique après la découverte de taux de dioxine anormalement élevés dans des aliments pour volailles et porcs (graisse contenant des huiles industrielles et de la dioxine incorporée frauduleusement dans l'aliment pour le bétail).

J’en oublie sans doute…

 

À propos d’E.Coli
E.Coli est une bactérie tueuse que l’on trouve principalement dans la viande préparée de manière industrielle. Présente dans le steak haché de burgers, l’E.coli a fait de nombreuses victimes dans les fast-foods. En France, chaque année, E.Coli tue 400 personnes.
Rappelons au passage que chaque année aux Etats-Unis, 325.000 personnes sont hospitalisées à cause de maux liés à l’alimentation et que 5000 en meurent. Et ce n’est pas de l’alimentation bio. Sur les problèmes de sécurité alimentaire causés par E.Coli, voir également l’article de Marie-Monique robin à ce sujet.

 

   

Evénements récents. L’industriel plus sûr ?..
Mort d’un adolescent de 14 ans en janvier dernier dans un fast food. Le décès est bien lié au repas pris chez Quick. 
Plus récemment, 7 enfants dans la région Nord Pas-de-Calais ont été infectés par des steaks surgelés de chez Lidl. 
Etc.

  

Au-delà de ces cas, en France on dénombre par an entre 250 000 et 750 000 cas d’intoxications alimentaires (plus de 2 millions au Royaume-Unis et 76 millions aux Etats-Unis, pays du fast food).

  
Quant à la mortalité en France :  70 000 ont fait l'objet d'une consultation aux urgences (113 pour 100 000 hab.)
 15 000 personnes ont été hospitalisées (24 pour 100 000 hab.) ;
 400 personnes en sont mortes (0,65 pour 100 000 hab. Pour comparaison, ce taux atteint 1,7 pour 100 000 hab. aux Etats-Unis) 

 

 

Jardinier-XXie.jpgOn s’aperçoit à l’évocation de ces chiffres que la visibilité médiatique d’un événement dépend très largement des « contraintes de ‘l’urgence’ et la quête du ‘nouveau’ » (2), ce à quoi s’ajoute cette tendance des gardiens de l’ordre social à se copier les uns les autres dans une course frénétique à la surenchère informationnelle, allant d’ordinaire dans le sens des intérêts des dominants. En découle, outre un brouillard de confusion propice à la désinformation, aux amalgames et à un relativisme ici pernicieux (tout se vaut), une mise en épingle sélective d’un fait particulier. Ce type de pratique participe évidemment à la fabrication de l’opinion, et dans le cas qui nous occupe, à l’emballement et aux vents de panique. « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ». Et c’est ce qui s’est bel et bien passé avec ce haro sur le bio. Une autre citation me vient en tête, celle de Francis Bacon : « Calomniez, calomniez il en restera toujours quelque chose » ; et de fait, avec la crise des graines germées, la cohorte des affidés à la malbouffe et autre journaleux de salon, se sont empressés de préciser, avec un plaisir mal dissimulé, que ces graines étaient issues de l’agriculture biologique. Ajoutons à cela un petit reportage ou une note montrant que l’agriculture bio peut être dangereuse et le tour est joué. Or, en matière alimentaire le risque 0 n’existe pas. Et si dans les faits le Bio se révèle bien plus sûr et plus sain que la nourriture industrielle, à force de formules à l’emporte pièce et autre perfides approximation (ou simplement par incompétence notoire) certains finiraient par faire accroire que le Bio participe, au mieux, à une mode passagère onéreuse destinée aux bobos, et au pire, à une utopie rétrograde voulant nous faire régresser au néolithique, avec pour résultat une alimentation bien plus dangereuse pour la santé que la junk food, les tomates sous serre d’Almeria et autres plats issus de l’agriculture industrielle (pudiquement et fautivement baptisée « traditionnelle » - Comme si répandre des pesticide sur les cultures, bourrer les volailles d’anti-biotiques, gonfler les bœufs aux anabolisant, et autre joyeusetés  relevait de pratiques traditionnelles ! ). Quoi qu’il en soit, le but ce brouhaha est de semer le doute dans l’esprit du consommateur…

 

« nous sommes transpercés de paroles inutiles, de quantités démentes de paroles et d’images. La bêtise n’est jamais muette ni aveugle… » (3)

 

Agriculture-pesticides

 

Sur le fil de l’actualité, une émission récente « Du grain à moudre » dont le titre évocateur et délibérément ambigu « le bio est-il suffisamment surveillé ? », tout à fait dans ligne prise par cette tribune, se révèle à ce propos tout à fait symptomatique. Au-delà de la joute oratoire et des perles enfilées par l’animateur-producteur, du genre, « Quand même, si un produit à issue de l’agriculture à base d’OGM avait tué 48 personnes en un mois, je pense que cela aurait causé un certain scandale, après tout du niveau de la centrale de Fukushima ; puisque c’est une bonne cause étiquetée politiquement correcte, on s’est contenté un peu trop vite d’un : circulez y a rien à voir », les commentaires placés à la suite de l’émissions valent le détour, particulièrement la traduction d’un article dont certains diront qu’ils tombe dans la rubrique complotiste. Si sa conclusion peu prêter à sourire, de bonnes question y sont néanmoins posées.

 

Le selsel---meneton-copie-1.jpg
On estime que le sel, à lui seul est la cause d’environ 75 000 accidents cardio-vasculaires et 25 000 morts tous les ans en France.
Ce sel se trouve pour l’essentiel dans les plats cuisinés, plats à faire chauffer au four micro-onde, la charcuterie, etc.
Pourtant des chercheurs se mobilisent pour dénoncer ce scandale. Parmi eux, et le cas est exemplaire, Pierre Meneton, chercheur à l’Inserm. Il s’est confronté frontalement au lobby du sel et a gagné le procès en diffamation qui l’opposait au Comité des salines de France.

« La surconsommation de sel tout au long de la vie, à des répercutions graves pour la santé (…) ».

 

 

 

 

 

 

 Part 1

 


Part 2
http://www.youtube.com/watch?v=ZA3cYBkYu2E&feature=mfu_in_order&list=UL

 
Part 3

   

Nourriture industrielle comme facteur favorisant le fléau de l’obésité :
L’explosion de l’obésité, directement corrélée à la nourriture industrielle de masse, est cause de childhood-obesity-junk-food-high-calories.jpgnombreux décès. « Selon l'Organisation Mondiale de la Santé, l'obésité est devenue un problème de santé publique majeur, encore plus important que la malnutrition et les maladies infectieuses. L'OMS estime que d'ici 2015, quelque 2,3 milliards d'adultes auront un surpoids et plus de 700 millions seront obèses.
Une personne obèse a un risque accru de mort prématurée (maladies coronariennes et certains cancers). Elle est susceptible de souffrir de maladies cardiovasculaires, d'être hypertendue, de faire des accidents vasculaires cérébraux, d'avoir un diabète non insulinodépendant ou dit de type II, de connaître l'apnée du sommeil, l'arthrose, l'infertilité, etc. Un tiers des obèses est diabétique (diabète de type 2) ; mais surtout 80 % des diabétiques sont obèses ». 
 Par ailleurs, « l'obésité, qui engendre une diminution d'espérance de vie de cinq à quinze ans, … », frappe prioritairement les catégories socioprofessionnelles les moins favorisées. De la à titrer que l’obésité est la maladie de la pauvreté il n’y a qu’un pas. Et de fait les plus pauvres n’ont souvent, faute de moyens suffisants, accès qu’aux aliments, souvent premiers prix, issus de l’agro-industrie ; ceux qui sont « très caloriques riches en graisses et en sucres mais pauvres en vitamines, en minéraux et autres micronutriments, etc. ».

 
Du sucre, des graisses et autres conservateurs nuisibles à la santé
Dans son livre, Toxic food, William Raymond  avance que seuls 5 à 10 % des cancers sont d’origine génétique et que 70% de certains cancers sont d’origine alimentaires. Au delà des ergotages à la marge, il n’est qu’à lire les compositions des aliments proposés à la vente par les agro-industries : conservateurs nuisible pour la santé, sirops en excès, produits hydrogénés, sucres industriels, substances addictives. On trouve ce genre de produit partout, jusque dans certaines vitamines. Comment alors s’étonner, par exemple, de l’accroissement fulgurant des diabètes de type II, qui normalement concerne les adultes à partir de 40 ans environ, et atteint aujourd’hui de plus en plus d’enfants ?
Dans le film de Philippe Borrel, Alerte dans nos assiettes, un terme revient de manière récurrente : épidémie. Il me semble que le vocable empoisonnement délibéré conviendrait mieux. mort.jpeg
Pour le visionnage intégral de l’enquête : http://aevigiran.over-blog.com/article-alimentation-trop-de-sucre-trop-de-sel-trop-de-gras-64367206.html
L’entretien (en trois parties) de William Raymond sur la télévision québécoise à propos de son ouvrage Toxic food vaut également le détour.

 

Des OGM
Quelques mots tout même des OGM, même si ce n’est pas directement le sujet du débat. Je ne résiste pas à proposer cette vidéo de Christian Vélot, tout incitant à aller l’écouter dans cette émission : http://www.terreaterre.ww7.be/ogm-tout-va-tres-bien-mme-la-marquise.html

   

 

 

ESPERANCE DE VIE (en bonne santé)
Si l’espérance de vie est aujourd'hui en France de 84,5 ans pour les femmes et 77,8 ans OGM vache pour les hommes, à l’heure où nos oligarques repoussent l’âge de la retraite, il est bon de savoir que l'espérance de vie en bonne santé  (4)tombe à 63,1 ans pour les hommes et de 64,2 ans pour les femmes. Ainsi, selon un article collectif paru dans le Monde du 23 septembre 2010, « Tout démontre que l'espérance de vie en bonne santé et encore plus l'espérance de vie tout court sont menacées par la montée des maladies chroniques qui se sont substituées aux maladies infectieuses comme cause dominante de mortalité et de morbidité ». Et dans le même article d’enfoncer le clou : « L'augmentation actuelle de l'espérance de vie à la naissance est essentiellement celle des personnes nées au début du XXe siècle, principalement en milieu rural, dans un environnement peu pollué et avec un mode de vie plutôt sain au moins jusqu'à l'âge adulte. La tendance actuelle, en matière d'espérance de vie, risque de s'inverser lorsque les générations nées après guerre vont vieillir. Ces dernières ont vécu dans un univers totalement différent de celui de leurs aînés. Polluées dès la vie fœtale par les substances chimiques de synthèse, elles ont mangé, souvent dès la naissance, une nourriture plus ou moins déséquilibrée (trop de sucre, d'aliments raffinés, de produits appauvris par des transformations industrielles, etc.), effet amplifié par le développement de la sédentarité ». D’ailleurs, aux Etats-Unis selon rapport publié en décembre 2010 par le NCHS (Centre national des statistiques de santé) cette tendance s’observe déjà sur l’espérance de vie moyenne, qui est passée de 77,9 ans en 2007 à 77,8 ans en 2008, alors que depuis 1970, l'espérance de vie des Américains augmentait en moyenne de 2,6 mois par an.


En guise de conclusion
Etrange époque décidément que la notre, où l’on s’inquiète jusqu’au ridicule du moindre bobo de sa progéniture, alors qu’on la gave quotidiennement de poison. Mais nous ne sommes plus à un paradoxe près. Il fut un temps, où sur mon destrier blanc, je parcourais les villes et les champs toujours prêt à pourfendre l’ennemi de la malbouffe. Cette époque fut l’occasion de moult combats, d’escarmouches et autres chausse-trappes : toutes des guerres féroces et sans panache dont on ne sort pas indemne… Rétrospectivement, que d’énergie dépensée en vain ! S’il m’a fallut longtemps avant de comprendre qu’on ne peut pas contraindre à faire boire un âne qui n’a pas soif, je me loue néanmoins de m’être frotté et avoir parfois préféré « ceux qui, bien que d’un bord intellectuel ou politique différent du mien, m’ont aidés à réfléchir, à ceux qui, de mon ‘camp’, m’ont incité plutôt à patauger dans un marécage d’évidence ! » . Aussi, que ce collègue m’ayant suscité l’envie de cette petite enquête soit ici remercié.

serres-almeria.jpg
Si enfin désormais mon état d’esprit pourrait se résumer par la formule : Que chacun s’empoisonne s’il en a envie (j’exclus ici ceux qui hélas n’ont pas d’autres choix que de consommer les camelotes de l’industrie alimentaire), je considère aussi que les vertus de l’exemple, dénuée d’une mise en accusation du mode de vie d’autrui, valent mieux que mille discours. Et plus que tout, en contribuant dans une modeste mesure au partage et à la diffusion d’éléments tangibles et concrets, sur un sujet d’importance cruciale en nos sociétés, j’espère aider à déjouer les sophismes et autres techniques de désinformations malhonnêtes que l’on nous sert à longueur de jours. Bref qu’on sera moins démunis face à la cohorte de ceux qui voudraient nous faire « prendre des vessies pour des lanternes ».     


 TOXIC

 

 

 

 


 PIECES A CONVICTION - Assiette-tous-risques  

  

  

 Notes :

(1) Depuis la mi-mai, ce microbe très virulent a fait 51 morts (49 en Allemagne, un en Suède et un aux États-Unis) et plus de 4.000 malades, principalement en Allemagne).

(2) Philippe Corcuff, B;a-ba philosophique de la politique, p 29

(3) Gilles Deleuze.

(4) Définition de l’Insee : "Absence de limitation d'activités (dans les gestes de la vie quotidienne) et absence d'incapacité." L’article paru dans le Monde du 23 09 2010 précise : " Ainsi, une personne en rémission d'un cancer, un diabétique correctement soigné ou quelqu'un ayant eu un pontage coronarien sont en bonne santé ".  

 

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13 juin 2011 1 13 /06 /juin /2011 13:04

Gorz.jpeg

 

Ecrit en 1973, à partir d’un document de travail rédigé l’année précédente dans le cadre d’un Symposium organisé à Ottawa ce petit livre, véritable ‘extrait sec’, a gardé tout son caractère d’actualité. Mieux, il anticipe et pose les fondations de la réflexion de l’écologie politique contemporaine. Moult des thèmes exposés en ces pages seront repris et développés avec fortune par André Gorz, dont l’émission « Là-Bas si j’y suis » de Daniel Mermet vient de consacrer deux de ses journées pour présenter, au travers de nombreuses archives audio ainsi que d’un entretien avec Christophe Fourel, l’œuvre intellectuelle  tant que la biographie de ce ‘Penseur pour le XXIe siècle’.

 

Christophe Fourel est le coordinateur du collectif, paru à la Découverte en 2009, « André Gorz, un penseur pour le XXIe siècle ».

 

Lien vers la première émission de « Là-Bas si j’y suis » consacrée à André Gorz :
http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2202

 

Fourel---Gorz.jpg

 


 

Revenons à l’ouvrage d’Ivan Illich 

En voici quelques extraits ; notes de lectures éparses, prises dans l’ordre et sans aucun commentaire ni jugement de valeur de ma part. Invite à la réflexion, la critique, aux développements, contradictions et enrichissements de toutes sortes…  Illich-convivialite.jpg

 

   

Qu’est ce qu’une société conviviale ?
« J’appelle société conviviale une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil ».    

 

Sur le prestige de la profession médicale :
 

«… les résultats statistiques sur lesquels se fonde de plus en plus le prestige de la profession médicale ne sont pas, pour l’essentiel, le fruit de ses activités. La réduction souvent spectaculaire de la morbidité et de la mortalité est due surtout aux transformations de l’habitat et du régime alimentaire, et à l’adoption de certaines règles d’hygiène toutes simples. (…) Dans un certain sens, c’est l’industrialisation, plus que l’homme, qui a profité des progrès de la médecine. (…) Et le médecin s’est transformé en mage, ayant seul le pouvoir de faire des miracles qui exorcisent la peur engendrée par la survie dans un mode devenu menaçant. (…) On a rendu impossible à la grand-mère, à la tante ou à la voisine de prendre en charge une femme enceinte, le blessé, le malade, l’infirme ou le mourant, ce qui crée une demande impossible à satisfaire. Au fur et à mesure que monte le prix du service, le soin personnel devient plus difficile, et souvent impossible. En même temps, de plus en plus de situations courantes deviennent justifiables d’un traitement, dès lors que se multiplient des spécialités et des paraprofessions dont la seule fin est de maintenir l’outillage thérapeutique sous le contrôle de la corporation. (…) Dans les pays riches, la population vieillit. Dès qu’on entre sur le marché du travail, on se met à épargner pour contracter des assurances qui vous garantiront, pour une durée de plus en plus longue, les moyens de consommer les services d’une gériatrie coûteuse. (…) En deux jours d’hôpital, un Américain dépense le revenu annuel moyen de la population mondiale. (…) L’important est de comprendre ceci : au début du siècle la pratique médicale s’est engagée dans la vérification scientifique de ses résultats empiriques (premier seuil). Le second seuil fut atteint lorsque l’utilité marginale du ‘plus de spécialisation’ se mit à décroître. Ce dernier a été dépassé lorsque la désutilité marginale s’est mise à croître à mesure que la croissance de l’institution médicale en venait à signifier davantage de souffrances pour plus de gens. C’est alors que l’institution médicale redoubla d’ardeur pour chanter victoire. Les virtuoses de nouvelles spécialités mettaient soudain en vedette quelques individus atteints de maladies rares. La pratique médicale se centrait sur des opérations spectaculaires (…) La foi dans l’opération miracle aveuglait le bon sens et ruinait l’antique sagesse en matière de santé et de guérison. Les médecins répandaient l’usage immodéré des drogues chimiques dans le grand public. A présent, le coût social de la médecine n’est plus mesurable en termes classiques. Comment mesurer les faux espoirs, le poids du contrôle social, la prolongation de la souffrance, la solitude, (…) le sentiment de frustration engendrés par l’institution médicale ? »
 
Dogme de la croissance et foi utilitaire :
« Le dogme de la croissance accélérée justifie la sacralisation de la productivité industrielle, aux dépens de la convivialité.(…)
Les institutions politiques elles-mêmes fonctionnent comme des mécanismes de pression et de répression qui dressent le citoyen et redressent le déviant, pour les rendre conformes aux objectifs de production. Le Droit est subordonné au bien de l’institution. Le consensus de la foi utilitaire rabaisse la justice au simple rang d’une distribution équitable de produits de l’institution. Une société qui définit le bien comme la satisfaction maximale du plus grand nombre de gens par la plus grande consommation de biens et de services industriels mutile de façon intolérable l’autonomie de la personne ».    

 

Prix de l’inversion (vers une société conviviale) :
« Le passage à une société conviviale s’accompagnera d’extrêmes souffrances : famine chez les uns, panique chez les autres. (…) La survie dans l’équité ne sera ni le fait d’un oukase des bureaucrates ni l’effet d’un calcul des technocrates. Elle sera le résultat du réalisme des humbles. La convivialité n’a pas de prix, mais on sait trop bien ce qu’il en coûtera de se déprendre du modèle actuel. L’homme retrouvera la joie de la sobriété et de l’austérité… »    

 

L’invention de l’éducation :ivan-illich.jpg
« L’invention de l’ « éducation » : on a tendance à oublier que le besoin d’éducation, dans son acception moderne, est une invention récente (…). Pour Voltaire, le vocable ‘éducation’ était encore un néologisme présomptueux. (…) Comenius, évêque morave du XVIIe siècle, se nommait lui-même comme l’un des fondateurs de l’école moderne. Ce fut aussi un alchimiste qui adapta le vocabulaire technique de la transmutation des éléments à l’art d’élever des enfants. (…) La pédagogie a ajouté un chapitre à l’histoire du Grand Art. L’éducation devint la quête du processus alchimique d’où naîtrait un nouveau type d’homme, requis par le milieu façonné par la magie scientifique. (…) L’individu scolarisé sait exactement à quel niveau de la pyramide hiérarchique du savoir il s’en est tenu (…) Le service ‘éducation’ et l’institution ‘école’ se justifient mutuellement. L’institution pose des valeurs abstraites, puis les matérialises en enchaînant l’homme à des mécanismes implacables (…) Jadis l’existence dorée de quelque uns s’appuyait sur l’asservissement des autres. Entre le haut Moyen Âge et le Siècle des Lumières, en Occident, plus d’un authentique humaniste s’est fourvoyé dans le rêve alchimique. L’illusion consistait à croire que la machine était un homme artificiel qui remplacerait l’esclave».  

 

De l’aveuglement :
« Un société où la plupart des gens dépendent, quant aux biens et aux services qu’ils reçoivent, des qualités d’imagination, d’amour et d’habileté de chacun, est de la sorte considérée comme sous-développée. En retour, une société où la vie quotidienne n’est plus qu’une suite de commandes sur la catalogue du grand magasin universel est tenue pour avancée (…).
L’outil destructeur accroît l’uniformisation, la dépendance, l’exploitation et l’impuissance ; il dérobe au pauvre sa part de convivialité pour mieux frustrer le riche de la sienne.
L’homme moderne a du mal à penser le développement et la modernisation en termes d’abaissement plutôt que d’accroissement de la consommation d’énergie (…) Il nous faut quitter l’illusion qu’un haut  degré de culture implique une consommation d’énergie aussi élevée que possible ».  

  

Du travail et du prêt à intérêt :
« Le prêt à intérêt était condamné par l’Eglise comme une pratique contre nature : l’argent était par nature un moyen d’échange pour acheter le nécessaire, non un capital qui pût travailler ou porter ses fruits. Au XVIIe siècle, l’Eglise elle-même abandonna cette conception pour accepter le fait que les chrétiens étaient devenus des capitalistes marchands. L’usage de la montre se généralisa et, avec lui, l’idée du ‘manque’ de temps. Le temps devint de l’argent. (…)
Au Xxe siècle, l’esclave laboureur (cède la place) à l’esclave ouvrier ».    



Retour sur la médecine : la dé-professionnalisation :
« A l’image de ce que fit la réforme en arrachant le monopole de l’écriture aux clercs, nous pouvons arracher le malade aux médecins. Il n’est pas besoin d’être très savant pour appliquer les découvertes fondamentales de la médecine moderne, pour déceler et soigner la plupart des maux curables, pour soulager la souffrance d’autrui et l’accompagner à l’approche de la mort. Nous avons du mal à le croire, parce que, compliqué à dessein, le rituel médical nous voile la simplicité de l’acte.
La possibilité de confier des soins médicaux à des non-spécialistes va à l’encontre de notre conception du mieux-être, due à l’organisation régnante de la médecine. Conçue comme une entreprise industrielle, elle est aux mains de producteurs qui encouragent la diffusion des procédés de pointe coûteux et compliqués, et réduisent ainsi le malade et son entourage en clients dociles.
L’organisation médicale protège son monopole orthodoxe de la concurrence déloyale de toute guérison obtenue par des moyens hétérodoxes. (…) Le patient se confie au médecin non seulement à cause de sa souffrance, mais par peur de la mort, pour s’en protéger. (…) Le courage de se soigner seul n’appartient qu’à l’homme qui a le courage de faire face à la mort ».     

voiture-travail.jpgTransports :
« L’intoxication à la vitesse est un bon terrain pour le contrôle social sur les conditions du développement. L’industrie du transport, sous toutes ses formes, avale 23% du budget total de la nation américaine, consomme 35% de l’énergie, est à la fois la principale source de pollution et la plus importante raison d’endettement des ménages ».    



Industrie de la construction :
« Le Droit et la finance sont derrière l’industrie, ils lui donnent le pouvoir d’ôter à l’homme la faculté de construire sa propre maison. (…) car le nouveau code de l’habitat édicte des conditions minimales qu’un travailleur qui construit sa maison sur son temps libre ne peut pas remplir. (…) Aujourd’hui les soins, les transports, le logement sont conçus comme devant être le résultat d’une action qui exige l’intervention de professionnels ».    



Déséquilibres :
« La dynamique du système industriel actuel fonde son instabilité : il est organisé en vue d’une croissance indéfinie, et de la création illimitée de besoins nouveaux – qui deviennent vite contraignants dans le cadre industriel. (…) L’éducation produit des consommateurs compétitifs (…). Qu’à travers l’assurance, la police et l’armée croisse le coût de la défense de nouveaux privilèges, cela caractérise la situation inhérente à une société de consommation ; il est inévitable qu’elle comporte deux types d’esclaves, ceux qui sont intoxiqués et ceux qui ont envie de l’être…
Juguler la pollution exige des investissements, en matériel et en énergie, qui recréent ailleurs, le même dommage à plus large échelle. Si l’on rend obligatoire les dispositifs antipolluants, on ne fait qu’augmenter le coût unitaire de production…. On accentue les écarts sociaux. (..)
Bourreaux et victimes sont confondus dans la dualité opérateurs / clients ».    



Crise écologique et bombe démographique :
« … si l’on veut honnêtement contrôler la bombe démographique et stabiliser la consommation, on s’expose à être traité ‘d’anti-peuple et d’anti-pauvre. (…) Des mesures impopulaires (limitant à la fois les naissances et la consommation) sont le seul espoir qu’à l’humanité d’éviter une misère sans précédent (…)
L’honnête oblige chacun de nous à reconnaître la nécessité d’une limitation de la procréation, de la consommation et du gaspillage (…). La seule solution à la crise écologique est que les gens saisissent qu’ils seraient plus heureux s’ils pouvaient travailler ensemble et prendre soin l’un de l’autre. Une telle inversion des vues courantes réclame de qui l’opère du courage intellectuel. En effet, il s’expose à une critique douloureuse à recevoir : il ne sera pas traité seulement d’anti-peuple et d’anti-pauvre, mais aussi d’obscurantiste opposé à l’école, au savoir et au progrès».    



Monopole radical :
« Que les gens soient obligés de se faire transporter et deviennent impuissants à circuler sans moteur, voilà le monopole radical (…).
Les autodidactes sont officiellement étiquetés comme ‘non éduqués’. La médecine moderne prive ceux qui souffrent des soins qui ne sont pas l’objet d’une prescription médicale (…)
Le fait que des entreprises organisées de pompes funèbres en viennent à contrôler les enterrement démontre comment fonctionne un monopole radical et en quoi il diffère d’autres comportements culturel. (…)
Ces satisfactions élémentaires se raréfient (…) et ne peuvent plus être satisfaits hors commerce (…)
… Se défendre de l’obligation de consommer. »    



Schizophrénie :
« Les mêmes qui s’opposent aux voitures, en tant qu’elles polluent l’air et le silence et monopolisent la circulation, conduisent une automobile dont ils jugent le pouvoir de pollution négligeable, et n’ont aucunement le sentiment d’aliéner leur liberté lorsqu’ils sont au volant (….) Les consommateurs ‘accrochés’ à un produit qui s’organisent pour se défendre, a pour effet immédiat d’accroître la qualité de la drogue fournie ».    



Mauvais consommateurs :
« On accusera le sous-consommateur de saboter l’effort national. (…) refuser la consommation médicale équivaut à faire profession immoralité publique.

Consommation.jpg

Sur-Programmation :
« Plus de gens savent plus de choses, mais tout le monde ne sait plus faire toute chose également bien. (…) Il n’y a pas loin de l’obligation d’aller à l’école, ou ailleurs, à celle d’aller à l’église. (…) ce que les gens apprennent dans les écoles, c’est avant tout de mesurer le temps avec la montre du programmeur (…). Qu’apprend-t-on à l’école ? On apprend que plus on y passe de temps, plus on vaut cher sur le marché. (…) L’école sert l’industrialisation en justifiant au tiers monde l’existence de deux secteurs : celui du marché et celui de la subsistance : de la pauvreté modernisée et celui d’une nouvelle misère des pauvres. (…) L’école publique, pour continuer à jouer son rôle d’écran, coûte plus cher à ceux qui y vont, mais fait payer la note à ceux qui n’y vont pas ».   



La polarisation :
« L’industrialisation multiplie les gens et les choses. Les sous-privilégiés croissent en nombre, tandis que les privilégiés consomment toujours plus. En conséquence, la faim grandit chez les pauvres et la peur chez les riches. Conduits par la famine et le sentiment d’impuissance, le pauvre réclame une industrialisation accélérée ; poussé par la peur et le désir de protéger son mieux-être, le riche s’engage dans une protection toujours plus rageuse et rigide. (…)
Le riche prétend qu’en exploitant le pauvre il l’enrichit puisqu’en dernière instance il crée l’abondance pour tous. Les élites des pays pauvres répandent cette fable ».

 

  under-control2005.jpg

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5 janvier 2011 3 05 /01 /janvier /2011 21:00

Le film, édifiant qu’il puisse être, ne surprend hélas pas.

 

Pour ceux qui désirent avoir davantage d’informations sur l’action des lanceurs d’alertes, particulièrement celle de Pierre Meneton, qui s’est frotté au lobby de sel, et que l’on voit s’exprimer dans le film, je renvoie à ce lien du site de la fondation " Sciences Citoyennes " :

 

http://sciencescitoyennes.org/spip.php?article1793 

 

Au long de l’enquête le terme d’épidémie est à plusieurs reprise employé, celui d’empoisonnement conviendrait mieux.

 

A visionner et partager.


 

 

  .  

 

 


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12 septembre 2010 7 12 /09 /septembre /2010 20:55

Origine de la guerreJe ne sais s’il faut faire coïncider les origines de la guerre, entendue comme conflit organisé, avec la sédentarisation de l’espèce humaine, puis sa généralisation, à l’avènement de l’âge du bronze, avec la constitution de groupes sociaux plus larges. Toujours est-il que si notre espèce (hommes modernes) apparaît il y a de cela environ 120 000 ans (2) les premières traces de guerres ne remonteraient, si l’on peut s’exprimer ainsi, qu’environ 4000 ans, avant notre ère (3). Non pas que la violence fut exempte au sein des groupes humains auparavant, et les traces de quelques massacres collectifs, remontant à plus de 10.000 ans avant JC l’attestent, mais du moins aurait-elle été fort circonscrite et occasionnelle. A cela on peut, sans doute, donner une explication purement démographique (4), mais c’est largement insuffisant, et comme l’indique Pascal Picq, pour évoquer les relations entre Cro-magnon et Neandertal : « Sans nier l’évidence de conflits parfois mortels, il a bien fallu des relations plus pacifiques pour expliquer ces transferts culturels »(5) entre ces deux groupes d’hommes dont ont sait aujourd’hui qu’ils mêlèrent, outre des techniques et savoirs faire, quelques gênes. D’autre part, je n’ai jamais souscris aux thèses extrêmes ; la réalité est toujours plus complexe et plus nuancée que ne l’échafaudent les spéculations, idéologiquement orientée, des philosophes. Ainsi, en la matière, ce n’est ni vers Hobbes et son : « l’homme est un loup pour l’homme », ni en direction de Rousseau avec son mythe du bon sauvage, vers qui il faut se tourner, mais bien du côté de l’éthologie. L’homme, à l’instar de ses cousins panidés, est un animal territorial. Et à la tendance à former des groupes hiérarchisés, à l’instinct d’appropriation et de reproduction, il partage avec les grands singes la conscience de soi, l’art de l’imitation, de se mettre à la place d’un congénère (capacité d’empathie), de manipuler, d’afficher ou de camoufler ses intentions, de mentir, et, aptitude cruciale ; d’être apte à se réconcilier (6). Et plutôt que conjecturer sur un « propre de l’homme » aux contours inconsistants, constatons qu’entre Sapiens sapiens, si mal nommé deux fois sage, et les animaux, comme l’a sans ambiguïté démontré Montaigne dans le chapitre XII du livre 2 des Essais (7), il n’y a pas une différence de nature, mais de degré. Contre Descartes, les libertins érudits sauront s’en souvenir. La science leur donne raison. « Les animaux ont inventé la société. Les humains en ont inventé de nouvelles formes reposant sur l’imaginaire collectif. Charles Darwin et Emile Durkheim ne sont pas contradictoires : ils se complètent » (8).

 

Mais trêve de digressions, et entrons désormais de plain-pied dans les sociétés humaines. Lucrèce un siècle avant notre ère écrivait déjà :

 

« Ce qu’on a sous la main, si nous connaissons

Rien encore de meilleur, suffit à nous combler ;

Mais qu’on découvre alors quelque chose de mieux,

Le nouveau tue l’ancien, nous dégoûte de lui » (9) 

 

Depuis lors, rien de neuf sous le soleil. Et avec l’avènement du capitalisme, la généralisation planétaire du « doux commerce », et le mythe de la « main invisible du marché » en lieu et place de la volonté divine, nous n’assistâmes qu’à une mise en équation de nos pulsions les

plus primitives – les lois de l’économies singeant en cela les sciences mathématiques (10). Enfin, né dans les années 1980, dernier avatar de nos sociétés post-modernes, le néo-libéralisme ne fit que pousser à son paroxysme, à l’échelle mondiale, la brutalité absurde des rapports sociaux, en la justifiant par la  pseudo-science du « darwinisme social », bâtie sur une mécompréhension totale des thèses de l’auteur de « L’origine des espèces par le moyen de la sélection naturelle », pour qui, chez l’homme, l’adaptation au milieu se trouve tout autant adossée - sinon davantage - sur la coopération que sur l’esprit compétition.

 L'équilibre et la main invisible du marché

 

Aujourd’hui, « le but de ce qu’on nomme couramment, faute de mieux, le système économique, n’est pas la satisfaction des besoins. (…) Le but du jeu est l’accroissement infini du capital : faire avec de l’argent, plus d’argent. (…) « Our business is not to make cars, our business is to make money » (…) Ce n’est pas en baissant les prix des produits existants que l’on va accroître le profit, mais en en lançant de nouveaux. (…) Mais bien sûr, ce sera de courte durée : bientôt, les concurrents vont l’imiter. (…) Par conséquent, l’innovation perpétuelle est une condition nécessaire à l’accroissement du capital. C’est ce que Schumpeter nommait la “destruction créatrice” » (11).

 

Ajoutons un petit mot sur le désir mimétique de René Girard (" nous désirons un objet parce que le désir d’un autre nous le désigne comme désirable ") : il présente d’incontestables affinités avec la thèse de la " consommation ostentatoire ", défendue par l’économiste de la fin du XIXe siècle, Thorstein Veblen. Pour ce dernier, dans nos " sociétés de loisir ", les mécanismes sous-jacents poussant à une consommation toujours plus effrénée, proviennent pour l’essentiel de motivations relevant de la vanité et du désir de se démarquer de son voisin : « La possession de richesse est restée le moyen de la différenciation, son objet essentiel n’étant pas de répondre à un besoin matériel, mais d’assurer une « distinction provocante », autrement dit d’exhiber les signes d’un statut supérieur » (12).

 

On le sait bien, dans un monde fini, une croissance infinie est impossible. A l’heure du dérèglement du climat causé par l’homme ; à l’heure où le pic pétrolier est en passe d’être atteint, si ce n’est déjà fait ; à l’heure de l’effondrement terrible de la biodiversité, au point que certains évoquent déjà la sixième extinction ; à l’heure où commence à se faire sentir le manque de métaux précieux nécessaires pour le bon fonctionnement de nos économies (13), « la course à la distinction pousse à produire bien davantage que ce requérrait l’atteinte des « fins utiles » : « Le rendement va augmentant dans l’industrie, les moyens d’existence coûtent moins de travail, et pourtant les membres actifs de la société, loin de ralentir leur allure et de se laisser respirer, donnent plus d’effort que jamais afin de parvenir à une plus haute dépense visible (…) l’accroissement  de la production et le besoin de consommer davantage s’entre provoquent : or ce besoin est indéfiniment extensible » En effet, il ne s’arrête jamais : repensons à nos milliardaires. Qu’acheter, quand chacun a son avion décoré de bois précieux et de marbre ? Une collection d’objets d’art. Une fusée. Un sous-marin. Et ensuite ? Une villégiature sur la lune. Autre chose toujours, car la satiété n’existe pas dans la compétition somptuaire » (14).

 Explosion finale

Rappelons enfin la fragilité de la planète : « Ramenée à un globe terrestre d’un mètre de diamètre, l’épaisseur moyenne de la biosphère serait de moins de un millimètre. Des trois éléments physiques qui la composent, l’océan, l’atmosphère et la surface de continents, l’atmosphère est la plus fragile (…) C’est dans cette piscine peu profonde que barbotent, sans beaucoup de précaution, plus de six milliards d’hommes et leur technique» (15).

 

Et à ceux qui, nombreux je n’en doute pas, seraient tentés de taxer cette prose de pessimiste, pour reprendre le reproche qui fut adressé en son temps à André Lebeau lors de la sortie de son livre « L’enfermement planétaire », il n’est sans doute pas inutile de rappeler qu’un constat n’a pas à verser dans l’optimisme, ou son contraire ; sauf à vouloir s’illusionner.

 

 

« Nous refusons de croire ce que nous savons », dit Jean-Pierre Dupuy. Espérons qu’il se trompe. Car nous sommes bien entrés dans l’anthropocène…

   

 


 

(1) Néologisme. Consummation : "XVe s. « destruction » : Faire cuire et bouillir jusques à la consumation ». Consumer : User, détruire progressivement une chose par altération ou anéantissement de sa substance. Ainsi ce terme lie, de manière propice, la consommation à un acte de destruction. Il renvoie aussi à cette métaphore, où la Terre est vue comme une immense marmite posée sur le feu. L’inertie en est très grande. Et tant que l’eau ne bout pas on s’imagine que rien ne passe. Lorsque enfin l’ébullition se manifeste, il est trop tard.

 (2) Pascal Picq, Au commencement était l’homme P 178.

(4) http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pop_0032-4663_1987_num_42_6_16996   « La population préhistorique de la France, Essai de calcul par la méthode de Peyrony », Jean-Noël Biraben , Claude Lévy : « Avec de telles densités, la France aurait eu, à l’époque moustérienne, 16.000 habitants répartis en une quarantaine de tribus… »

(5) Pascal Picq, op cité, P 164.

(6) Pascal Picq, op cité, P 23.

(7) MONTAIGNE - Essais - Livre II Chapitre XII Apologie de Raimond Sebond. http://www.site-magister.com/prepas/montess2.htm

(8) Jean-François Dortier, L’homme, cet étrange animal, P 307. Livre excellent, sous titré « Aux origines du langage, de la culture et de la pensée », dont je recommande lecture.

(9)Lucrèce V 1412-1415. Traduit par André Comte-Sponville, Le miel et l’Absinthe.

(10) « Que l’économie soit un peu, ou beaucoup mathématisée, n’a évidement rien à voir avec son caractère scientifique. La mathématique, dit Bertrand Russel, consiste en tautologies et ne prétend pas prouver autre chose que : « un quadrupède est un animal à quatre pattes ». (…)  Les économistes adoptent la physique newtonienne et n’en sortent plus. Ils sont heureux de leur causalité, de leur déterminisme, ils utilisent le calcul différentiel et expriment la « tendance naturelle » des marchés à aller vers l’équilibre. (…) Voila nos premiers économistes « scientifiques »… Des copistes, pour ne pas dire pire. Ils construisent une physique sociale, où la société est composée d’individus autonomes, rationnels, cherchant à maximiser « l’utilité ». (…) L’équilibre de la mécanique classique est un équilibre du retour à l’équilibre, d’une science qui ignore le temps. (…) Malheureusement, la plupart des phénomènes physiques, sont irréversibles. Les gens ne rajeunissent pas. Les forêts primitives ne repoussent pas. Les bûches consommées ne refont pas des arbres… On ne revient pas de la mort à la vie… ». Bernard Maris, Antimanuel d’économie, livre 1.

(11) Guillaume Paoli, Eloge de la démotivation, p 77-78.

(12) Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète, P 77.

(13) Voir à ce propos la conférence de Jean gadrey, crise écologique et crise économique http://aevigiran.over-blog.com/article-jean-gadrey-crise-ecologique-et-crise-economique-50238672.html

(14) Hervé Kempf, op cité, P80 (il reprend, dans cet extrait, pour part Thorstein Veblen)

(15) André Lebeau, L’enfermement planétaire, P 37.

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10 août 2010 2 10 /08 /août /2010 17:59

Cet été, Philosophie Magazine a organisé un magnifique cycle de conférences sur le thème " Les aventure de la raison ". Y étaient invités Hubert Reeves, Etienne Klein et Jean Pierre Dupuy. Chacun d’entre eux nous a proposé trois conférences. Pour Hubert Reeves : " La raison peut-elle être l’ultime instance ? ", " Les leçons du passé " et " Les risques de l’intelligence ? ". Etienne Klein proposa : " Peut-on penser le temps ? ", et en deux parties " De quoi Galilée est-il le nom ? ". Enfin pour Jean Pierre Dupuy, outre un visionnage du film Vertigo d’Hitchcock, les conférences furent " Apocalypse now ", " La religion au vu de la raison et réciproquement " et " Que peut la raison face à la passion ". S’y ajoute une conférence, non prévue initialement, de Monique Canto-Sperber intitulée " La rationalité grecque ".

A l’issu de ce cycle s’est fait sentir le besoin d’une confrontation des vues des trois conférenciers (d’accord sur l’essentiel, mais divergents parfois sur des points particuliers). Voici un court extrait de cette conférence finale que j’ai enregistré au mieux avec les moyens du bord. Il s’agit de la réponse à la question d’un auditeur : " Le catastrophisme éclairé n’est-il pas un pessimisme ? "








 

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11 mai 2010 2 11 /05 /mai /2010 18:28

Crise

 

Jean Gadrey

  Crise écologique et crise économique

 

 

Conférence du 04 Mai 2010 - Université de Lille 1.

 

   

 


Voici une transcription, la plus fidèle possible que j’ai faite, de la conférence donnée par Jean Gadrey le 04 Mai dernier, à l’université de Lille 1, pour conclure le cycle " La crise " des rendez-vous d’Archimède.

 


 Blog de Jean Gadrey

 


 

Intervention de Jean Gadrey, Professeur d'économie à l'Université de Lille 1, membre de la Commission Stiglitz et animateur du collectif FAIR (Forum pour d'autres indicateurs de richesse), le 27 Janvier 2010 lors des Assises de l'Energie à Dunkerque

 


 PARTIE 1 - Crise systémique à forte dimension écologique

 

Introduction

Accumulation de plusieurs crises interdépendantes : crise financière, se prolongeant par une crise économique (effet emploi, dettes, etc.). Crise sociale (explosion des inégalités). Et puis il y a une dimension de crise écologique dont les experts ont peu parlé.

 

Composante sociale de la crise systémique 

 

Jean GadreyIncroyable montée des inégalités. Le niveau de vie des plus modestes a stagné, voire a baissé, tandis que les revenus des plus riche a explosé dans le même temps (Aux USA, 10 % des plus riches captaient 30% des revenus des ménages de 1950 à 1980, et aujourd’hui ils en captent 50%. En France la tendance est la même (moins spectaculaire)).

 

* Pourquoi cette montée des inégalités a jouée dans la crise ? Les revenus devenus énormes des très riches, étaient à la recherche des rendements les plus élevés possibles. Ils se sont orientés vers les grandes entreprises et la spéculation qui semblaient être la source des plus grands gains possibles ; sur tout ce qui grimpait vite (immobilier, pétrole, matières premières et denrées alimentaires. Dans le même temps les ménages US modestes ont fortement été incités à s’endetter (proposition de crédit avec perspectives spéculation faciles et gains rapides). Ainsi les riches du monde entier ont prêtés à des taux usuraires aux ménages modestes, via la finance incontrôlée qui a inventé les outils sophistiqués de l’usure moderne : rien ou presque de la crise des subprimes ne se serait produit dans une société beaucoup plus égalitaire, et avec les logements sociaux descends pour tous.

 

Composante écologique de cette crise globale 

Période 2003 / 2008 : envolée des prix du pétrole ainsi que des matières premières et des produits agricoles. Il y a une composante spéculative, mais qui s’est adossée sur une tendance à la raréfaction : la rareté facilite la spéculation : diminution des terres arables ; réduction des ressources en eau ; effets d’érosion et désertification des sols sous l’effet de l’agriculture productiviste ; dérèglement climatique qui devient le principal frein du développement humain (rapport 2008 des nations unies pour le développement). Montée en puissance des agro-carburants, qui ont signifiés une réduction des terres destinées à l’alimentation au bénéfice des terres destinées aux pompes à essence : tout cela à amplifié la crise de l’immobilier et la pauvreté dans le monde (il devenait de plus en plus cher de se loger, de se nourrir, de se chauffer). ==) Nous assistons à la première crise socio-écologique du capitalisme financier et boursier ; la première où des phénomènes de raréfaction des ressources, de dégâts écologiques, ont eut une influence sur le plongeon économique, même si ce n’est pas l’influence la plus importante. Mais avec une probabilité non négligeable qu’à l’avenir le rôle des facteurs écologiques soient de plus en plus décisif.

 

" Croissance verte " 

Définition

Hypothèse qu’on peut rendre compatible les objectifs de soutenabilité écologique et le maintient de la croissance économique à long terme.

On ne s’en sortira pas avec le terme et la notion de " croissance verte " (la croissance est devenue croyance).

 

Qu’implique la croissance " verte ", et pourquoi ce n’est pas la solution : 

Exemple, du scénario du conseil d’orientation du plan des retraites, on fait l’hypothèse qu’il y aura une croissance de 2% par an jusqu’en 2050. Qu’est-ce que cela signifie ?

 

Trois arguments pour en démontrer l’inanité.

  

Premier argument - que représente 2% de croissance ?

 2% par an de croissance signifie la multiplication par 6 des quantités produites en 2100, etc. Franchement 6 fois plus de quoi ? Dans les pays riches est-ce seulement sensé indépendamment même des considérations écologiques ?

 

Second argument  - Réduction des GES

Pour diviser par 5 nos émissions de gaz à effets de serres (GES) d’ici 2050 en France (objectifs fixés par les nations unies), il faut les réduire de 4% pendant 40, soit autant chaque année que ce que nous sommes arrivés à faire en 10 ans. Cela ne sera pas facile s’il n’y a pas de croissance. Mais si on vise en plus une croissance de 2% par an (des quantités produites), cela signifie qu’il faut réduire nos émissions de 6% par an par unité produite (de nouvelles technologies, les nouveaux comportements vont émerger mais on n’en connaît pas leur contribution à la réduction de la pression écologique, alors que la montée des périls est certaine).

  

Troisième argument - Seuils à ne pas franchir

Il n’y a pas que le climat. Il faut raisonner en terme de seuils écologiques à ne pas franchir, et il n’y a pas que celui des émissions des GES.

  

Ressources renouvelables - Seuils déjà dépassés :

 

3.1) Climat

Pour le climat, on sait a peu près à quel moment l’humanité a franchi le seuil de soutenabilité de ses émissions (moment ou le volume des émissions de GES d’origine humaine a dépassé ce que les puits de carbone peuvent séquestrer naturellement à leur propre rythme (forêt, océan, etc.). C’est en gros la fin des années 1960.

 

3.2) Réduction de la biodiversité 

Le rythme de disparition des espèces est 10 fois supérieur à un rythme soutenable à long terme.

 

3.3 ) Azote

L’azote prélevé dans l’atmosphère pour les activités humaines (4 fois supérieur à un rythme soutenable à long terme)

 

Ressources renouvelables - Seuils en voie d’être dépassés :

 

3.4) Seuil d’acidification des océans

3.5) Diminution de l’ozone dans la stratosphère.

3.6) Déforestation des forêts

Déforestation des forêts primaires, qui sont les plus gros puits de carbone source de biodiversité.

(La forêt amazonienne à perdu 15% de sa surface depuis les années 1970).

 

3.7) Diminution des terres agricoles

Diminution des terres agricoles et fertilité des sols qui se dégrade, etc.….

 

Ressources non-renouvelables - Seuils en voie d’être dépassés, ou dépassés :

Ressources indispensables à la croissance.

 

3.8) Matières fossiles et minerais.  

Le Pétrole (Pic du pétrole dépassé ? ) ; Plomb (2030/2040) - Argent (2020- 2040), cuivre, uranium, le nickel, ainsi qu’une série de métaux rares indispensables à l’industrie.

 

Avocats de la croissance

Les avocats de la croissance verte (modernité scientiste à l’ancienne) nous disent qu’elle viendra des nouvelles technologies. On peut en douter avec tout ce qui vient d’être dit. Mais en outre, ces derniers ne semblent pas avoir consulté les bilans carbone de ces nouvelles technologies. Exemple : un ordinateur de bureau standard représente (sans compter son fonctionnement) pour sa production, son transport et sa commercialisation 1,3 t de C02 et 1500 litres d’eau , soit, dans un monde durable où chaque personne à un droit égal d’émission de C02, il ne faudrait pas dépasser 1,7 t par habitant et par an. Faut-il encourager la croissance indéfinie de production d’ordinateurs, ou faire d’autres choix pour une informatique accessible, partagée, recyclable et à très longue durée de vie (ce qui est catastrophique pour la croissance) ?

Il y a bien d’autres thèmes de réflexions, car les modernes scientistes ont des tas d’idées pour développer la " croissance verte " : OGM ; agro-carburants, le stockage du carbone , le nucléaire, l’économie fondée sur l’hydrogène.

 

Enjeux géopolitiques

Guerres pour l’accès aux ressources (risques de conflits écologiques majeurs). Si les choses ne sont pas gérées démocratiquement, la tendance pourrait être à la constitution de sortes d’apartheids climatiques ou écologiques : réservation d’espaces adéquats afin de continuer à vivre dans le luxe. Le problème que pose ce genre de scénario, c’est le risque de guerres autour du contrôle et de l’approvisionnement des ressources naturelles jugées stratégiques pour la croissance, par les pays riches, par les riches des pays riches, ou par les firmes des pays riches. On sait que dans un pays riche, comme la France, l’espace écologique que l’on utilise pour assurer notre mode de vie et notre mode de consommation est bien supérieur à l’espace écologique du pays. C’est la dette écologique. Il faut donc aller chercher ailleurs ces ressources dont on a besoin. Lorsque c’est relativement pacifique le commerce y pourvoie (encore que lorsque c’est la version OMC c’est pas du commerce équitable). Mais quand ça ne suffit pas, les guerres sont là.  

L’existence d’un lien entre les guerres et l’accès à des ressources naturelles, n’est en rien l’annonce de catastrophes futures sur le mode : avec la crise écologique ca va être la guerre partout. Si ce lien existe, on peut raisonnablement défendre l’idée qu’une politique mondiale des énergies alternatives ambitieuse, serait un facteur majeur d’atténuation des conflits mondiaux .  

On considère qu’il faudrait dépenser par 400 à 500 milliards par an dans le monde jusqu’à 2050 pour tenir les objectifs climatiques. Pour idée, les dépenses annuelles de publicité dans le monde sont de l’ordre de 600 milliards, et les dépenses militaires de 1500 milliards. Prenons le cas des USA (estimation Stieglitz) : le coût des 2 guerres majeures d'Irak et en Afghanistan initiées par les USA, est de 3000 milliards de dollars sur 15 ans, soit 200 milliard de dollars par an. Supposons qu’en 2003 les USA se soient lancés dans un programme ambitieux pour le développement des énergies renouvelables, plutôt que de se lancer dans une guerre ruineuse pour les puits de pétrole et les gazoducs, ils auraient pu y consacrer 200 milliards de dollars par an. Cela aurait réduit de manière considérable leur dépendance incroyable envers ces énergies.

 

 

PARTIE 2 - comment en sortir ?

Quels pourraient être les richesses économiques et l’emploi d’un modèle de développement fondés sur la soutenabilité écologique et sociale ? 

Quels seraient les contours d’une économie soutenable vers laquelle on pourrait tendre par étape, et qui serait socialement acceptable, mais même désirable (peu être pas par les 0,1% du haut).

 

Point 1. Produire et consommer autrement serait bon pour l’emploi, pour l’économie et sur le plan social

Il serait temps de substituer à la logique de toujours plus de quantité, une logique de toujours plus de qualité, de durabilité et de sobriété matérielle. Dans ce schéma, on réoriente par étape la production d’une façon telle, que cela n’exige pas moins d’emploi ni moins de valeur ajoutée, mais probablement plus dans la majorité des secteurs. Cela exigerait beaucoup d’innovations et beaucoup de recherches. C’est tout sauf une stagnation, c’est tout sauf la fin du progrès.

Les chiffres de la croissance indiquent l’accroissement des quantités produites, mais ignorent la montée de qualité et les gains de durabilité des produits. Si un produit est moins cher mais de moindre durabilité et plus coûteux en émission de GES, il sera déduit que cela augmente le pouvoir d’achat.

On peut avoir du développement économique, durable, innovant, riche en emplois, et en valeur ajoutée, sans croissance des quantités, parce que la plupart des processus de production les plus économes en énergie et matériaux, exigent plus de volume de travail que les productions productivistes, polluants et surexploitant les ressources naturelles, et le cas échéant les hommes et les femmes

Exemple : l’agriculture  représente 3% de population active actuellement. Si on remplaçait  l’agriculture productiviste, dont on ne mesure nulle part dans les chiffres de la croissance les dommages sur l’environnement et sur la santé, par une agriculture de proximité et écologique faudrait nettement plus de travail et de valeur ajoutée pour produire les même quantité. WWF et d’autres ont faits le même scénario sur les énergies renouvelables modernes. On peut faire le même type de raisonnement pour les logements à faibles niveaux d’émissions, la transformation du système écologiquement aberrant des grandes surfaces en commerces de proximités modernes, le développement du recyclage, la réparation, etc. On peut aussi réorienter les transports : la confédération européenne des syndicats a fait un scénario à 2020 : si on basculait une bonne partie du transport motorisé (véhicules individuels et camions) vers des transports collectifs nettement plus doux avec l’environnement, on créerait beaucoup plus d’emplois dans les transports ainsi développés qu’on en supprimerait dans l’industrie automobile. A ceci, il faut ajouter l’amélioration nécessaire de la qualité des services de bien être et développement humain, associés à des droits qui devraient être universels dans l’éducation, la santé, la justice, les soins aux personnes âgées, aux handicapés à la petite enfance, etc. On y applique aujourd’hui une logique de performance industrielle de réduction des coûts, qui menacent la qualité individuelle et collective de ces services et qui nuisent à l’emploi.  

Il existe une série de secteurs (exemple pic de pétrole) où y a des reconversions qu’il va falloir tenter d’anticiper plutôt que les subir en catastrophe, mais d’une part ces activités ne représentent que 10 à 15 % de l’emploi, et d’autre part si on y réfléchit en terme de planification sur 20 ans, on a les moyen d’éviter des catastrophes comparables à celles qu’on a connues dans le passé dans certains secteurs.

 

Point 2. Condition impérative : il faut réduire fortement les inégalités.

 

En finir avec les inégalitésSi on produit plus vert et plus social et que le niveau d’inégalité interdit à une bonne partie de la population d’accéder à ces biens et à ces services, écologiquement et socialement préférables, et donc forcément plus chers, alors ce système réorienté ne marchera pas. C’est bien beau de faire du HQE, mais il faut en même temps faire du HQS (haute qualité sociale). Il faut une vrai rupture avec le système que le capitalisme a mis en place ces 50 dernières années, et qui consistait au fond à susciter par des dispositifs extrêmement puissants, dont la publicité et le crédit, une avidité permanente d’achats de biens et de services, sans cesse multipliés en quantité.  

Il faudrait passer à autre chose, qui est non pas l’augmentation constante des quantités sur la base des gains de productivité permanents, mais quelque chose qui serait un partage de gains de qualité et de durabilité. Qu’est-ce qui va se passer si on laisse faire le marché dans ce domaine ? Les biens et les services issus de ces productions écologiquement et socialement durables seront en moyenne plus chers que les anciens. Et pour beaucoup de gens, dans l’état actuel des inégalités, ils seront tout bonnement perçus comme trop chers pour eux. Ils continueront à faire du hard discount parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Il faut des politiques publiques permettant de rendre les productions durables accessibles à tous ; et donc une économie soutenable écologiquement et socialement, y compris permettant de créer des emplois utiles, qui auraient un autre sens (ce n’est pas la même chose que de travailler comme agriculteur dans une AMAP, que comme agriculteur déprimé dans le cadre de l’agriculture productiviste, des subventions à l’hectare et des fruits qu’on laisse sur les arbres parce que les cours sont trop bas).  

Il faut réduire fortement les inégalités et favoriser la sobriété matérielle , à l’opposé de l’avidité consumériste. Cela ne veux pas dire du tout se serrer la ceinture : cela veux dire des dispositif de délibération permettant de faire la part des choses entre l’utile et le futile. De se dépendre de l’emprise excessive de la publicité, du marketing et d’un certain nombre de dispositifs de crédits. Ca suppose d’investir massivement dans les productions les plus douces pour la nature et pour la société au prix d’une vague d’innovations, qui ne sont pas seulement technologiques (cas des AMAP). Ces investissements seront-ils coûteux ? Oui et c’est très bien comme ça, parce que d’une part il va y avoir du travail pour réparer tout ce qu’on a détériorer ou anticiper les risques évoqués plus haut, et d’autre par ils seront beaucoup moins coûteux que l’inaction ou la mollesse face à la crise écologique à venir.

  

Point 3. Condition impérative : ca suppose de reprendre le contrôle public et citoyen de la finance.

 

 

Conclusion

Pour conclure, il faut distinguer assez clairement une économie vraiment soutenable, c’est à dire débarrassée du culte de la croissance, associée à une maîtrise collective de la finance, à une nette réduction des inégalités. Il faut la distinguer du simple verdissement du capitalisme, du capitalisme financier et productiviste et inégalitaire qui est encore aux commandes. Il faut le faire, parce que ce dernier n’a aucune chance de nous sortir de la zone des tempêtes à répétitions et de la crise écologique non plus. Il faut le faire, parce qu’il y a une incompatibilité irréductible entre ce que Greenspan appelait " l’exubérance irrationnelle des marché," et l’exigence écologique d’anticipation, voire de planification démocratique. On ne s’en sortira pas sans une coordination mondiale des efforts.

 

Puisque cette crise est systémique et qu’elle a une dimension écologique, il faut agir sur toutes ses composantes, économiques, financières, sociale et écologiques.

 

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