Vers la pensée unique
La montée de l'intolérance dans l'Antiquité tardive
Polymnia Athanassiadi
Les belles lettres, 2010
Notes de lecture
De petites fiches de lectures sans prétention ; mais utiles pour se remémorer les grandes lignes d’un ouvrage. Recopie de passages et synthèse tout à fait subjective.
Ce livre est tiré d’une série de conférences prononcées en 2006 au Collège de France, suite à une invitation de l’historien et exégète Michel Tardieu
Polymnia Athanassiadi est professeur d'histoire ancienne à l'université d'Athènes et membre du Conseil scientifique de l'École Française d'Athènes.
Quelques recensions de l'ouvrage :
Introduction : D’Alexandre à Mahomet
Après la période hellénistique s’étend un terrain vague qui prolonge l’héritage de Rome et celui de la Grèce orientalisée et qui, dans le jargon des historiens, s’appelle ‘l’antiquité tardive’.
Le fait crucial en est la transformation de la romanité en chrétienté, ou plutôt l’émergence de la religion comme trait identitaire de l’individu dans un monde de plus en plus globalisé – le passage, en d’autres termes, du fait politique au fait religieux.
Ce qui s’effectue dans cet intervalle n’est pas tant le passage du paganisme au christianisme que la transition du pluralisme à l’intégrisme.
Concept dont la pertinence contemporaine paraît évidente : l’intolérance grimpante dans la société méditerranéenne de l’Antiquité finissante.
Pour que l’empire païen fût métamorphosé en empire chrétien, il a fallu Eusèbe de Césarée, propagandiste. On lui doit la réécriture de l’histoire politique, sociale, intellectuelle et spirituelle de l’humanité selon une nomenclature purement chrétienne.
Constantin et ses successeurs immédiats : ont réalisé le modèle eusébien de la gestion d’un pouvoir à la fois temporel et spirituel. Constance surenchérit sur Constantin et Julien sur les deux.
Un regard désenchanté sur cette situation est porté par de rares individus. C’est le cas d’un Procope de Césarée. On dirait un anthropologue avant la lettre, qui promène un regard clinique sur son propre milieu (il est vu aujourd’hui majoritairement non point comme un réprobateur de sa société, mais comme un simple pratiquant d’une rhétorique surannée. L’objectif d’une telle lecture est de mettre en relief, dans un monde qui change vite, l’élément de continuité avec le passé hellénique et d’accentuer dans ce contexte la diversité d’attitudes et la liberté de son expression. Car la vision postmoderne, avec son regard libéral, découvre partout les bienfaits du multiculturalisme).
Antiquité tardive
Qu’est-ce que l’antiquité tardive ? Quelle est sa nature, son étendue, sa durée ?
Notre antiquité est celle de l’Empire romain. On envisage aussi l’Autre, ou plutôt les Autres, Perses et Arabes, Berbères et Barbares du Nord. La notion ‘d’antiquité tardive’ présuppose donc une vision globalisée du monde. Du progrès cyclique au progrès linéaire : En abandonnant l’idée de progrès cyclique pour celle de progrès linéaire, on adhérait à un modèle optimiste de l’évolution historique, un modèle qui ne se pliait pas au schéma de la grandeur et de la décadence des civilisations (initialement la philosophie de l’histoire est calquée sur le modèle biologique de la naissance, maturité, vieillesse et mort des civilisations - Spengler). A la rigidité su schéma tripartite Antiquité – Moyen Age – Temps modernes, on a opposé la continuité et la fluidité de l’histoire, jusqu’à ce qu’on soit arrivé – suprême ironie – à fabriquer une période historique aussi artificielle que celles de l’historiographie scolaire voulait abolir.
Histoire d’une controverse
Peter Brown
En amateur éclairé des disciplines de la psychologie et de l’anthropologie sociale, il a mis leurs méthodes à son service pour avancer des interprétations originales et hardies. C’est ainsi qu’il utilisa la notion de démocratisation de la culture tardo-antique pour l’allier, en prestidigitateur génial, à celle de la contamination des courants spirituels de l’Epoque, proposée par Pierre Hadot – entreprise qui devait lui permettre d’animer un univers lumineux et irénique. L’ère d’angoisse devenait grâce ‘au parfum de révisionnisme passionné’ dispensé par Peter Brown, une ère d’ambition. On aurait pu pourtant souligner les remarquables analogies (plutôt que ‘continuités) entre notre époque et l’Antiquité tardive dans un esprit pessimiste ou cynique, en mettant l’accent sur les intégrismes religieux, le culte de la violence, la ‘démocratisation de le culture’ à pente descendante, et les armées croissantes de nouveaux pauvres parmi les classes moyennes dans l’Occident.
L’antithèse
‘The fall of Rome and the end of civilization’ (Bryan Ward-Perkins), est un livre qui souligne la violence des invasions barbares et s’attarde sur le trauma de la dissolution de l’Empire. Cette thèse contredit en tout point l’orthodoxie de la transformation du monde romain et de l’ethnogenèse des nations de l’Europe du Nord. (…) Indigné contre le relativisme des milieux historiques dans les universités anglo-saxonnes où l’on prêche l’évangile de la continuité, Liebeschuetz conclut que ‘le déclin de l’un est le progrès de l’autre’.
Miroirs identitaires
On sait le caractère relatif, et même autobiographique, de toute tentative dans le domaine de l’historiographie. Personne ne peut s’évader de son présent. Vérité de la Palice, mais qui mérite d’être répétée : nous sommes tous conditionnés par notre époque, et, ce qui est encore plus poignant, nous sommes les prisonniers de notre propre micro-milieu historique, social et idéologique. Et moi ? Echapperais-je au sort de subjectivisme historique ? Bien sûr que non ! Ayant été élevée dans le système éducatif grec, un système d’un héllénocentrisme outrancier, je salue avec enthousiasme toute violation des orthodoxies nationales et religieuses, sous le signe desquelles je fus introduite à cet autre univers : le royaume des morts – le passé. Pour l’écolier grec, l’Histoire commence avec l’antiquité grecque qui se termine avec les conquêtes d’Alexandre. De là on saute à Constantin, qui, avec sa conversion au christianisme, inaugure la période byzantine dont la gloire s’étend jusqu’en 1453 (…) Et les années passées à Oxford m’ont légué une certaine loyauté envers quelques aspects du modèle anglo-saxon de l’Antiquité tardive…
L’imaginaire invisible
Ce glissement d’un univers anthropocentrique à un monde théocentrique est illustré de manière on ne peut plus frappante par la métamorphose du paysage urbain : à la multiplicité de petites et grandes cités, où l’aménagement de l’espace vital trahit le culte du corps et de l’esprit humain, succède la cité unique avec ses magnifiques monuments, symboles de la majesté du Dieu unique et son représentant terrestre, le basileus ou le calife. (…) Et comme dans les mosquées, de même dans les églises, on trouve de plus en plus ces tribunes élevées d’où le prédicateur adresse ses instructions à la masse uniforme des fidèles. Comment en est-on arrivé là, à la voix unique adressée à une humanité volontairement (ou, peut-être, seulement en apparence) écrasée ?
Cette capitulation de la volonté individuelle, qui va souvent jusqu’à l’effacement total du moi, ce changement d’humeur et de ton dans la collectivité ne pourrait pas être plus fidèlement rendu que par le terme qui couronne toute cette ère : islam, à savoir ‘soumission’.
Périodisation de l’Antiquité tardive
D’où embarquerons-nous, où espérons-nous débarquer lors de cette aventure ? Je propose deux cités, où plutôt deux sites, emblématiques. Rome en 250, avec l’Empereur Dèce et Eusèbe de Césarée comme port d’embarquement ; Constantinople en 553, avec l’Empereur Justinien et le cadavre d’Origène comme port de destination.
Religion d’Etat et raison d’Etat : de Dèce à Constantin
La culture de l’amphithéâtre
Lorsqu’on parle d’intolérance dans le cadre de l’Empire romain, le groupe humain qui vient spontanément à l’esprit, dans sa capacité tour à tour de victime et d’agent de persécution, est bien sûr celui des chrétiens. Né dans un monde qui professe le pluralisme religieux, le christianisme exige de ses fidèles une dévotion exclusive à ses principes et, par conséquent, le rejet actif de toute autre voie menant à Dieu. Or, si la foi exclusive est un héritage juif (donc une attitude familière à l’homme hellénistique), le prosélytisme agressif des chrétiens apparaît comme une nouveauté absolue. (…) La nourrice qui berce la religion de Paul de Tarse et veille sur sa croissance n’est autre que la pax romana. Si c’est dans une atmosphère de violence croissance que grandit l’Eglise cette violence est le propre de la société dans son ensemble (…) Aux hécatombes de la République succèdent les hécatombes de l’Empire, à cette différence près qu’au lieu d’appartenir à un parti politique, les victimes appartiennent à une fraternité religieuse. Mais la banalisation progressive de la violence, qui permet l’intégration du martyre dans la vie quotidienne, est un phénomène cyclique qui procède de la société dans son ensemble (…). Le martyre est sans cesse encouragé par le discours chrétien, tel que nous le trouvons résumé dans un passage d’Eusèbe de Césarée, où l’on voit s’assembler tous les clichés évangéliques à son appui (martyr chrétien ; martyr volontaire, voire sollicité, désir de mort).
En soulignant le caractère ostentatoire du martyr chrétien, Marc Aurèle met le doigt sur un de ses aspects cruciaux : la théâtralité. « il n’était pas du tout dans l’intérêt de l’avancement de la cause du christianisme de souffrir le martyr dans un endroit où personne ne pourrait en être témoin ».
Chez les chrétiens, en même temps qu’une imitatio Christi, le martyr volontaire était un acte de protestation, une façon impressionnante de dire son rejet des mœurs de ses contemporains dans la société impériale.
L’édit de Dèce
Années 249 - 250 : on parlera d’un Etat entouré d’ennemis actifs et accablé de maux sociaux et de calamités naturelles. Trajan-Dèce, soucieux d’assurer à l’état en proie à d’inouïs désastres la faveur divine, la pax deorum, publie un édit ordonnant à tous les habitants de l’Empire (sauf évidemment les Juifs) d’offrir un sacrifice sanglant aux dieux du peuple romain.
A la fin de l’année 249 Dèce adresse son édit à tous les gouverneurs provinciaux et à la publication de l’édit, des commissaires locaux sont nommés dans les villes et bourgades de l’Empire avec le devoir de rechercher, à l’aide de registres spéciaux, leurs concitoyens pour les faire sacrifier. Parmi les milliers de chrétiens qui ont été recherchés par les autorités pour accomplir leur devoir religieux de citoyen, il y'en a beaucoup qui échangèrent, leurs convictions contre la sécurité du certificat de sacrifice. D’aucuns ont choisi la fuite, d’autres encore ont réussi à obtenir leur certificat sans se présenter pour sacrificier (graisser la patte du commissaire, ou envoyer à leur place un ami païen ou un esclave). En revanche, ceux qui avaient sacrifié se sont vus, une fois le danger passé, chassés de la communauté des fidèles, bannis de l’Eglise.
La résurrection des corps
Le nouveau langage, qui tournait la mort en sommeil et les nécropoles en dortoir. Le désir de la ‘couronne rouge’ était palpable dans la société. (…) Le culte des morts et l’adoration des reliques voient leur vogue monter au IIIe siècle pour acquérir les dimensions d’une véritable folie au IVe. Pourtant, le chrétien moyen se sentait empiégé entre deux autorités également écrasantes : l’Etat et l’Eglise – et il en était terrifié.
Au IIe siècle encore, la notion de la résurrection du corps était loin de former une croyance courante parmi les chrétiens.
Dèce précurseur de Constantin
Acheminement vers la pensée unique :
1 : en laçant le concept d’une religion d’Etat, action qui se traduisit par le transfert des prérogatives religieuses de la cité à l’Etat.
2 : en proposant un modèle persécuteur.
3 : en semant, au sein d’une Eglise déjà divisée, la querelle.
Ambivalence de l’identité religieuse du premier empereur chrétien – Constantin – entre soleil et le Christ. Elevé dans le climat du monothéisme platonisant à la mode, Constantin honorera un dieu transcendant à identité solaire. Le jour consacré au Soleil fut déclaré jour férié par Constantin. Cela ne sera que 66 ans plus tard, en 386, que Gratien et ses collègues substitueront dies Domini – le jour du seigneur – à dies Solis – le jour du soleil – comme férié de l’Empire.
Par son caractère universel, le christianisme répondait parfaitement aux besoins spirituels d’un état œcuménique fortement centralisé. Constantin décida de s’en servir pour assurer un contrôle plus efficace du bras séculier de l’Etat. Il se dépensa pour mettre fin aux dissensions ecclésiastiques et il combla les cadres chrétiens de privilèges, matériels et moraux. (…) On s’empressa de toute part d’entrer dans les ordres pour se soustraire à ses devoirs de plus en plus onéreux de citoyen et pour jouir des apanages concédés à la nouvelle nomenclature. Ce fut là un lourd héritage pour ses successeurs. (…) Pris dans le cercle vicieux d’un absolutisme de plus en plus impuissant à résoudre les problèmes qu’il enfantait, les maîtres de l’Empire ont suivi l’ornière qu’avait creusé le premier empereur chrétien.
Le concile œcuménique
Deux ouvrages aux approches différentes consacrés à ce sujet :
« Voter pour définir Dieu »… (Ramsay Mc Mullen)
Un élément crucial du concile serait son caractère démocratique. Le paramètre démocratique maintient l’illusion de l’égalité, car même si c’est une élite d’évêques qui détermine l’issue de l’affaire, et même si la décision finale ne dépend que de l’Empereur, chaque participant a droit à un vote.
L’élément intellectuel est en vogue. Même les illettrés (catégorie qui n’était pas sans compter des évêques) se passionnaient pour la controverse théologique.
Le troisième ingrédient était l’élément surnaturel.
Mais le trait le plus caractéristique du concile est la violence : « … en concile, les évêques font preuve de la plus grande obséquiosité et du plus grand respect ; mais parfois, même dans un cadre si solennel, ils se tapent dessus ou se ceinturent, ils se musèlent et se bousculent, ils lancent tel ou tel objet et poussent les cris les plus sauvages afin que tel adversaire soit mis à mort de telle ou telle manière cruelle. (…) A certains moments, arriver à un vote majoritaire puis à la décision voulue ne pouvait pas se faire autrement que par force physique ou par menace. Il est avéré que des évêques signèrent par peur… »
« … power & belief under Theodosius II » (Fergus Millar)
On s’attache ici à l’aspect rhétorique de la culture étudiée. Cette perspective est typique de l’approche postmoderne. Ayant mis l’accent pendant longtemps sur le volet violent de cette société, les savants ont, les dernières décennies, dirigé leurs recherches sur le discours qui accompagne l’action brutale, la justifiant ou la dénonçant selon le cas. (…) Si l’aspect rhétorique de la culture tardo-antique est frappant, plus frappant encore est son côté violent, voire cruel, la facilité avec laquelle les individus et les masses passent à l’action criminelle.
Consensus omnium
C’est en 325 à Nicée que Constantin lança le modèle du concile œcuménique. En son rôle d’apôtre de la concorde il convoqua le concile pour trancher la question christologique qui occupait les esprits subtils. A Nicée, le Grand Commis fit circuler le credo approuvé par l’empereur. Tous (318 évêques), à l’exception d’une vingtaine (que le spectre de l’exil réduisit bientôt à quatre), s’empressèrent de signer. Eusèbe de Césarée, entre autres, dont les sympathies penchaient du côté arien, signa la condamnation de la doctrine d’Arius.
Eusèbe de Césarée
Il est le chroniqueur des nouveautés apportées dans la société romaine par la foi et le culte chrétien. Né vers 260, il grandit dans la relative sécurité de la ‘paix de l’Eglise’, à laquelle allait mettre fin en 303 la Grande Persécution. Son héros fut Origène. Mais Eusèbe n’était pas Origène. Celui que je nommerai volontiers le maître du compromis ne ressemblait à son modèle ni par l’intransigeance du caractère, ni par la force de l’esprit. Dernier des Apologistes, il a défendu la singularité historique du Christ contre la propagande païenne, en même temps qu’il entreprit d’enraciner le christianisme dans la pensée grecque, à laquelle il attribue un rôle purement propédeutique à la révélation chrétienne. L’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe acquiert sa forme définitive vers 324 ou 325. (…) Avec un argument d’une désarmante simplicité, Eusèbe souligne l’ancienneté du christianisme : puisque ce dernier se rattache au judaïsme, il est infiniment plus vieux que l’hellénisme, aussi vieux que le monde. Puisant abondamment dans Flavius Josèphe, Eusèbe raconte avec une sauvage gaieté les humiliations et les défaites des nations juives aux mains des Romains, jusqu’à la catastrophe finale sous Hadrien. (…) On remarque dans L’Histoire ecclésiastique la prolixité et une incohérence digne d’un produit moderne de l’ordinateur. Des citations de longueur démesurée prête à cette narration un air d’authenticité. (…) Eusèbe ignore le schisme donatiste qui déchire l’Eglise pendant les longues années qu’il consacre à l’écriture de son livre. (…) Ainsi les thèmes qui sautent aux yeux du lecteur de L’Histoire ecclésiastique sont : concordisme dogmatique, violence multiforme et discours chrétien normatif.
Les « évêques du dehors » et le salut de l’Empire
Le roman de Constantin, par Eusèbe
Le christianisme naquit dans un monde qui progressait irrésistiblement vers la centralisation, c’est-à-dire vers le contrôle, à partir d’un pouvoir unique ; (….) soutenu par une idéologie politique et spirituelle totalisante.
Le mannequin de Constantin crée par Eusèbe : il transforme le premier monarque chrétien en Empereur-prêtre. A l’entendre, à un moment critique de l’histoire universelle, alors que régnait l’impiété sur terre, Dieu choisit Constantin comme son agent (Incarnation du Logos divin). Treizième apôtre et le plus grand, Constantin est un double de Saint-Paul, comme le souligne que trop l’histoire de sa conversion à la suite de la vision de la croix dans le ciel, événement qui, en dehors de la Vita Constantini (rédigée après la mort de l’empereur), n’est rapportée par aucune autre source.
Un sujet qui divisait alors les Eglises concernait la fixation de la fête de Pâques. Constantin saisit l’occasion de la controverse pascale pour attaquer avec une pieuse virulence ces ‘âmes aveugles’ que sont les Juifs. Thème majeur de l’histoire ecclésiastique, l’avilissement des Juifs reçoit dans la Vie l’empreinte du sceau impérial. Le cliché médiéval est constitué.
Constantin construisit des églises et invita les évêques à en faire autant. Il inaugura la vogue d’une archéologie sacrée, à la suite de l’invention de la croix du Christ par sa mère et lança la mode du pèlerinage chrétien.
Eusèbe, Constantin et Constance
Publiée après la mort de Constantin, la Vita est adressée à ses trois fils. Eusèbe est anxieux d’établir la légitimité d’un succession qui se fonde sur le massacre de la quasi-totalité des représentants mâles de la dynastie des seconds Flaviens, que, vers la fin de sa carrière, Constantin avait associé au pouvoir (Voir Lucien Jerphagnon, histoire de la Rome antique)
Constance (337-361) : roi infortuné, que l’histoire à empiégé entre deux souverains d’exception : son père et son cousin, Constantin et Julien.
Constance avance sur le chemin tracé par Eusèbe avec son père comme modèle, mais sa personnalité sans éclat alourdit, pour ainsi dire, des actes qui chez tout autre personnage paraîtraient flamboyants.
Julien et l’Hellénisme
Julien, rendu orphelin à l’âge de 6 ans à la suite du carnage dynastique qui permit aux 3 fils de Constantin de se partager l’Empire, grandit loin des centres du pouvoir. Par dessein prémédité ou par pure négligence, son éducation fut confiée à des maîtres désespérément démodés. Auprès d’eux Julien étudia la littérature, la rhétorique, l’histoire, et bientôt la philosophie, et développa un respect sans bornes pour les valeurs intellectuelles, morales et politiques de l’hellénisme, un peu dans l’esprit de la seconde sophistique. Mais, comme il atteignait 20 ans, il découvrit Jamblique et fut converti à la théologie platonicienne par un de ses adeptes les plus fervents, le philosophe Maxime d’Ephèse.
L’autre univers, qui s’ouvrit devant Julien à la même époque, fut celui des religions à mystères. Il adhéra au culte de Mithra et à celui de Cybèle, en même temps qu’il s’initia à des mystères plus conventionnels, ceux d’Eleusis, par exemple.
Soudain, en 355, à l’âge de 24 ans, Julien est appelé par Constance à partager le pouvoir. (…) Au cours de 5 ans qu’il passe e Gaule, le dernier des Flaviens se forge une vocation de général et d’homme d’Etat.
Vers le pouvoir absolu
Au bout de 4 ans de service ‘au poste où Dieu m’a placé’, Julien eut un rêve ‘prémonitoire’ (….) Ce qui arriva, nous le savons tous. Julien se fit élire auguste et marcha contre Constance. Et la mort inespérée de ce dernier, il devient l’héritier légitime de Constance.
Sans perdre un instant, Julien se jette au travail : décentralisation de la machine administrative, tolérance religieuse, méritocratie.
Julien, pour ne pas rompre la chaîne dynastique développe une théorie théologique originale : grâce à leurs ancêtres, mais aussi à leur descendant, Constantin et ses fils sont disculpés de leurs énormes péchés. Dans le drame de la culture gréco-romaine, Julien est le Messie qui vient absoudre et sauver.
Pontifex maximus et basileus
Prenant sa propre personne comme modèle, Julien propose – ou plutôt impose – à son clergé les principes de conduite qu’il suit lui-même : vie chaste et studieuse en privé, magnificence ostentatoire pendant l’administration des fonctions liturgiques.
En sa fonction de calife de l’hellénisme, l’empereur se dépense pour établir l’unité de la foi. Révisant, à cet effet, le domaine de la philosophie grecque, il en exile les épicuriens et s’attache à en bannir les hétérodoxes, anciens et modernes – à savoir les pyrrhoniens, les cyniques, qu’il envisage comme les hérétiques du platonisme.
On sélectionne ceux dont le rôle est de conditionner les jeunes vers la monodoxie. Amnien se rend pleinement compte de l’esprit totalitaire qui anime cette loi, la condamne à deux reprises et la déclare digne d’être ensevelie dans un silence éternel.
La fameuse politique de décentralisation qu’on attribue à Julien ne s’exerce qu’à un niveau secondaire et selon des normes bien précises. C’est ainsi que les villes qui n’honorent pas les dieux sont frappées de châtiments sévères. (…) Dans l’armée Julien n’hésite pas à acheter la piété de ses soldats : les chrétiens parmi eux qui scellent leur apostasie en sacrifiant aux dieux reçoivent une somme en or ou en argent, « puisque les paroles ne suffisaient pas à les convaincre ».
Mort de Julien
La mort n’a pas permis à Julien d’opérer la conversion de la Perse aux lois divines et humaines des Romains. Mais sa tentative vers la pensée unique ne fut pas sans lui valoir la reconnaissance de ses propres descendants : loin d’être frappé d’une damnatio memoriae, le dernier des Flaviens est salué dans l’empire chrétien comme le défenseur accomplit de la romanité.
Codifier pour mieux contrôler : la loi et le canon
Julien écrit à l’une de ses prêtresses, la révérente Théodora « Je te préviens, si tu aimes quelqu’un, homme ou femme, de condition libre ou servile, qui n’honore pas les dieux à présent et que tu ne peux espérer convertir, tu pèche ». La haine religieuse est désormais la vertu par excellence du souverain. En effet, dans la course à l’intolérance, Julien est un champion. La relève sera prise par Théodose.
Successeur de Julien, Jovien ne régnera que quelques mois. Deux frères, Valentinien et Valens, lui succéderont.
Naissance de l’orthodoxie
Théodose est celui qui lancera l’orthodoxie comme concept et, surtout, comme programme politique. (…) Désormais tout ce qui s’oppose à la foi catholique est désigné du terme de superstitio et condamné.
L’empereur lance une campagne systématique contre le paganisme, en faisant toutefois la distinction entre religion et culture, entre culte – dont il proscrit les pratiques – et monuments cultuels – qu’il veut préserver pour leur valeur esthétique. Mais la distinction est trop subtile : évêques et moines déclenchent impunément une campagne iconoclaste à travers l’Orient, dont la victime la plus célèbre est le temple de Bel à Apamée (389). Bientôt le Sérapeion d’Alexandrie, temple symbolique s’il en fut, allait suivre le sort du complexe apaméen.
Nestorios
Théodose a donné le ton – un ton combatif et acrimonieux. Ses fils, son petit-fils et surtout sa petite fille – la vierge agressive Pulchérie (qui, à l’âge de 51 ans épousera Marcien à condition de garder sa virginité) – suivront son ornière. Un édit de 425, promulgué par Théodose II, résume bien l’esprit des lois du Code qui devait porter son nom : « Nous poursuivons toute hérésie et perfidie, tout schisme et superstition païenne, toute doctrine fausse ennemie de la foi catholique ».
Nestorios, choisi par Théodose II en 428 pour le siège de Constantinople, est un théologien de l’école d’Antioche. Le patriarche inaugure sa carrière pastorale par une violente persécution des principales communautés hétérodoxes. (..) Il lance un feu d’artifice dogmatique : le vierge ne devait pas être appelée Théotokos (mère de dieu), mais Christotokos (mère du Christ)… C’est dans ce climat tendu que la formule de Nestorios souleva une véritable tempête, dont le bénéficiaire final allait être Cyrille d’Alexandrie. Evêque depuis 414, l’homme qui avait inauguré son sacerdoce par le meurtre de la philosophe Hypatie, a perçu dans le comportement de Nestorios une belle occasion pour privilégier son siège au détriment de Constantinople et d’Antioche. (…) Tiraillé entre son archevêque et sa sœur, Théodose II a dû finalement céder aux pressions du parti cyrillien et convoquer un concile œcuménique (431). Le concile accepta la formule christologique de Cyrille et renvoya Nestorios de son siège. Mais ce dernier ne désarma pas et resta théologiquement actif. ( …) Pendant les 20 ans de son exil il réussit à réviser sa propre théologie à la lumière de l’actualité (climat de surenchère théologique)… Pour Rome, Nestorios sera l’hérésiarque absolu qui subsume en sa personne Mani et Arius.
Légende de la mort de Nestorios : on ne se lasse pas de savourer les détails de l’agonie de l’hérésiarque, qui tombant de sa mule, mord sa langue qui se détache et roule dans la boue pour être mangée par le vers. Mort symbolique, qui renvoie à celle d’Arius, mourant dans les latrines publiques de la capitale d’une crise de dysenterie.
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L’appel à la conformité
La monodoxie : mentalité inverse à celle défendue par Platon (selon qui l’opinion de la foule, nécessairement erronée, s’oppose à la science du sage), l’idéologie byzantine veut que tout le monde pense exactement de la même manière.
Suivant la tendance générale de l’époque vers la classification et la simplification, on assiste du IIe au VIIIe siècle à une catégorisation de l’hérésie selon des normes de plus en plus strictes.
Justinien et la fin du rire
La systématisation de la loi, détaillant les châtiments qui attendent les indisciplinés dans cette vie et dans l’autre, va de pair avec la codification de la vie chrétienne idéale, celle du moine.
On constitue des indices des livres prohibés. Aux bons livres sont opposés les mauvais livres, les livres dangereux.
L’anathème jeté non seulement contre l’enseignement, mais aussi contre la personne même des morts, suscita une longue controverse : après beaucoup de délibérations on contourna cet écueil pour décréter « qu’il était possible désormais de condamner les morts en tant qu’hérétiques. (…) ces anathèmes consolidaient un climat de terreur théologique s’étendant jusqu’au plus lointain passé. Désormais, brûler des livres impies devenait un ‘acte de foi’, un auto da fé (beaucoup de gens, par peur que s’y trouve un livre jugé impie, se mirent à brûler leur propre bibliothèque).
Tout est réglementé, depuis le code vestimentaire jusqu’aux relations sociales et sexuelles et aux croyances privées : Constantin avait déjà décrété que la femme libre et l’esclave qui entretiendraient des relations sexuelles seraient condamnés à mort ; mieux encore : l’esclave qui les dénonce gagne sa liberté. Les homosexuels enfin, sont condamnés sous Justinien à la castration et la raillerie publique. (…) Ce qui frappe, c’est que les démarches tyranniques de Justinien n’étaient pas simplement tolérées par la majorité, elles étaient même admirées comme les actions d’un monarque fort.