Fiches de lecture
De petites fiches de lectures sans prétention ; mais utiles pour se remémorer les grandes lignes d’un ouvrage. Recopie de passages et synthèse tout à fait subjective.
Lucien Jerphagnon
Histoire de la Rome antique
(Tallandier, réédition 2002)
PARTIE I - Des origines à Antoine
PARTIE II - De Auguste à Néron
Rome sous les Flaviens
L’année des 4 empereurs
Galba, richissime vieil homme de 73 ans. Général. Claude l’aimait bien, Agrippine beaucoup moins, ce qui fait qu’à la mort de l’empereur il avait jugé prudent de se faire oublier. Apprenant chute des Pisons, il était passé à l’opposition. Néron l’avait appris, et Galba n’était pas passé loin de l’élimination. Il décida d’entrer en dissidence. Pour le Sénat, cette rébellion réussie était la divine surprise. Mais dans la même mesure, Galba désolait les gens d’armes. Il avait limogé un bon général et avait nommé à sa place un certain Vitellius qui devait sa carrière à Néron. Curieuse idée d’aller placer en Gaule du nord-est ce néronien déclaré, toujours à court d’argent ! Galba manquait de clairvoyance. En janvier 69, fort de l’appui des
effectifs de Germanie, le peu sûr Vitellius s’était révolté et trouvait dans sa marche sur Rome l’appui de plusieurs garnisons. Il y eut un troisième larron : Salvius Otho. La révolte de Vitellius lui parut le bon moment pour agir. Il joua donc de sa séduction naturelle, pour scier la branche déjà pourrie sur laquelle l’infortuné Galba était assis. Le résultat ne fut pas douteux : Salvius Otho fut acclamé empereur. Les prétoriens avaient lâché Galba, qui tomba aux mains de la soldatesque, fut occis et en propres termes dépecé. Ceux qui regrettaient Néron crurent bien l’avoir retrouvé en la personne de Salvius Otho, noceur suprêmement élégant de 37 ans, qui avait repris aussitôt la politique du César-poète. Les armées de Vitellius faisaient du chemin. Salvius Otho décida d’avancer à sa rencontre, en dépit de la maigreur de ses effectifs. L’affrontement eut lieu le 14 avril 69 dans le nord de l’Italie. Les othoniens furent vite enfoncés et l’empereur retrouvant un panache très romain, s’offrit en final un suicide à la Caton d’Utique. Il n’avait guère régné que 3 mois.
Vitellius ne fit son entrée dans Rome qu’en juillet 69. Néronien de la première heure, il voulait ressembler à l’empereur tant regretté du peuple. Ses efforts pour rétablir le même style de gouvernement lui mirent à dos définitivement le Sénat. Accumulant les maladresses, un conflit s’éleva entre ses légions de Germanie et les troupes danubiennes, puis ce fut les prétoriens. Bref, sous ce brave homme, qui n’avait aucunement l’étoffe d’un empereur, le désordre fut vite à son comble. Les légions danubiennes décidèrent de rallier Vespasien et marchèrent sur Rome, où les légions de Vitellius, fraternisant avec les esclaves de la ville, faisaient régner la terreur. Dépassé par les événements, Vitellius songea bien à abdiquer, mais ce fut une valse-hésitation. Il était trop tard. Le 20 décembre, au cours d’une bataille de rue, il fut massacré par la populace dans des conditions lamentables.
Vespasien
En décembre 69 il était devenu empereur, mais mieux valait se faire désirer. Et surtout laisser Mucien, son homme de confiance, envoyé sur place avec Domitien César, régler les problèmes en suspend. Il fut son entrée à Rome en octobre 70. L’état des finances publiques l’obligea à des mesures drastiques. On rapporte qu’il taxa même la collecte de l’urine par les fabricants de laine qui l’utilisaient industriellement comme dégraissant. Moyennant donc une redevance, l’artisan disposait devant ses ateliers une jarre ébréchée tout exprès, où les passants avaient la faculté de se soulager. Comme l’un de ses conseillers lui faisait part de ses scrupules, Vespasien lui avait mis sous le nez l’argent ainsi récupéré, lui demandant s’il percevait une odeur. De la vient la légende tenace autant que ridicule qui a fait de Vespasien l’inventeur des pissotières.

Vespasien à peine quitté l’orient pour Rome que le 8 septembre 70, Jérusalem tombait. En dépit, dit-on, des ordres de son fils Titus, qui en appréciait la splendeur, le temple d’Hérode le Grand prit feu. On n’en voit plus aujourd’hui que les énormes soubassements, connus sous le nom de Mur des Lamentations.
Vespasien mourut de maladie le 23 juin 79.
Les héritiers : Titus et Domitien
Titus, le fils aîné, accéda sans heurts à la direction de l’Etat : il l’exerçait déjà depuis des années avec son père. Il gouverna dans la droite ligne de ce dernier, à la rigueur financière près. Le sort s’acharna sur ce règne : le 24 août 79, l’éruption du Vésuve raya de la carte Pompéi, Herculanum et Stabies. Et puis, ce furent un nouvel incendie à Rome, et une de ces épidémies mystérieuses qu’on a pris l’habitude d’appeler peste à tout hasard. Le 13 septembre 81, un mal non identifié emportait Titus, faisant au moins un heureux : son frère Domitien.
Enfermé dans un perpétuel ressentiment, Domitien surabonda comme à plaisir dans un style de gouvernement qui ne pouvait que déplaire aux sénateurs, pratiquement réduits au silence. Le régime ne tarda pas à tourner au despotisme à l’orientale. En 93 il édicta une mesure générale d’expulsion : tous philosophes devaient immédiatement quitter Rome et l’Italie. Dans cette charrette se trouvait un ancien esclave de la maison d’Epaphrodite, cet affranchi de Néron qui aida son maître à mourir. Il s’appelait Épictète. La petite guerre des philosophes annonçait la fin de Domitien. Enfermé dans un isolement tragique, il multipliait les condamnations, les persécutions en tout genre. Il ne sut pas deviner qu’un complot se tramait sans sa propre maison, à l’instigation de quelques sénateurs et 2 préfets du prétoire. Le 18 septembre 96, Domitien mourut poignardé. La dynastie des Flaviens était éteinte. 
Un siècle d’or
Lorsque Domitien meurt en 96, Plutarque à autour de 50 ans et Epictète 46. Tacite a 41 ans et Suétone, le benjamin en a 27. Le grand Pline domine le temps. Le plus important de ses travaux, c’est son Histoire Naturelle. Philosophiquement, disons que son propos est d’accréditer l’idée raisonnable d’une nature ‘souveraine fabricatrice et ouvrière’ d’un grand ensemble fait des 4 éléments d’Empédocle, le feu, l’air, l’eau et la terre. De ce tout, le soleil en est en quelque sorte l’âme, et la divinité, unique, est partout. Sans illusions, Pline reconnaît d’ailleurs que la mort est encore ce que la nature a fait de mieux dans l’intérêt des hommes.
Le charme discret des origines
« Rome ta vertu fout le camp… », voilà, à peu près, ce qu’on lit à toutes les pages de la littérature de l’époque dite impériale. Jamais Rome n’a été aussi puissante, aussi incontestable et incontestée. Jamais les romains n’ont connus une si grande facilité de vie. Et voilà que les hommes de lettres, historiens, naturalistes et philosophes, poètes ; chez tous vous trouverez un couplet plus ou moins nostalgique de la Rome rurale et guerrière d’autrefois. (Selon eux) les fils de héros sont fatigués. Ils s’encroûtent dans l’excès de leur luxe, ils mangent les rentes de la gloire ancestrale – et la vertu s’en va. Salluste préconise vivement le retour de la jeunesse à l’austérité des anciens jours. Que ne l’a-t-il mis lui même en pratique, à l’âge où il s’enrichissait de façon éhontée ! Et Juvénal, trouvant trop gâtés les vétérans de son temps. Aujourd’hui, ajoute-t-il désabusé, le peuple ne demande plus que du pain et des jeux, gratuits bien sûr. Sénèque chantant les joies viriles du labourage fait évidemment songer à Mme de Sévigné aux champs. C’est une littérature de caste et de citadins obnubilés par le spectacle, déprimant il est vrai, d’une plèbe urbaine désœuvrée.
Pax Romana : la Rome des Antonins
Nerva
En désignant le vieux Nerva, le sénat n’avait pas pris de risques. Il avait 70 ans et présentait le sérieux avantage de n’avoir pas d’enfants. il eut l’intelligence de promulguer une loi agraire favorable aux populations les plus démunies. Il résolut d’adopter un officier général confirmé : le chef des armées du Rhin, dont il venait d’apprécier la loyauté et la poigne. Le 28 octobre 97, Trajan en fut averti par lettre et le 25 janvier 98, le vieil empereur mourrait.
Trajan et Hadrien
Dans les premières années de règne, on voit Trajan s’attaquer comme il peut aux effets pervers de la manipulation monétaire de Néron. En effet, les monnaies antérieures à la dévaluation étant plus lourdes en métaux nobles, se voyaient plus recherchées, et donc thésaurisées. Trajan semble avoir remédié à la situation en démonétisant les pièces d’avant la dévaluation et en opérant une remise en ordre du rapport or – argent. Il fallait donc trouver d’urgence le moyen de se procurer des métaux nobles : avec la conquête et la guerre.
Les motifs étaient tout trouvés. Le royaume Dace mal vaincu par Domitien, menaçait de plus en plus la frontière danubienne. Dès 101 Trajan s’attaqua donc à la Dacie. Une première campagne aboutit à la capitulation de Décébale. En 105, la guerre pourtant reprit de plus belle. Dure campagne, mais dès 106, Trajan en avait fini. Il rentrait à Rome avec un butin faramineux : quelque chose comme 165 tonnes d’or et 300 argent. Trajan avait maintenant de quoi financer la seconde expédition qu’il méditait : vaincre les Parthes. Autrement plus risqué ! L’expédition fut préparée de longue main. Trajan concentra d’importants effectifs, du matériel et des approvisionnements en Asie Mineure. Il ne manquait plus que le Casus belli. Ce fut une fois de plus l’Arménie. Le roi Parthe, en violation de l’accord passé avec Néron, venait d’y placer comme roi un de ses neveux. Trajan sauta sur l’occasion et quitta Rome en octobre 113. La situation se compliqua. En Cyrénaïque, en Egypte et à Chypre. La contagion s’étendit en 117 à l’Orient tout entier. L’empereur, épuisé, dut se replier en direction de l’Occident, laissant à Hadrien, le légat de Syrie, le soin de les ramener à leur point de départ. Ce n’était pas un cadeau. Trajan allait mourir en Cilicie au début d’août 117, à l’âge de 63 ans. Le rêve s’achevait en désastre.
Un doute subsiste : Trajan a-t-il bien adopté ce petit cousin ? Il est permis de penser que la promotion du légat
de Syrie doit beaucoup à Plotine, la femme de Trajan. Elle soutient, en effet, que son mari l’avait adopté sur son lit de mort. Cela suffisait. Fameuse figure de prince que cet homme arrivant au pouvoir à 42 ans, cultivé, raffolant de l’hellénisme. Fin poète à ses heures, aimant les grands débats d’idée, ou il avait forcément raison. Cet homme au charme inquiétant ne laissait personne indifférent. En 136 il adopta sous le nom d’Aelius César un certain Commodus. Pourquoi ce noceur décavé, poitrinaire de surcroît, et qui ne plaisait à personne ? Une explication : séduit par l’exceptionnel sérieux d’un jeune garçon nommé Marcus Annius Verus – le futur Marc Aurèle - , Hadrien l’eût voulu comme successeur. Encore fallait-il laisser grandir ce gamin d’une douzaine d’année ! L’idée était bonne, à condition que Commodus tint le temps voulu. Or, il se trouva que dès 138, le triste Aelius César finit de cracher ses poumons. Hadrien dut se rabattre sur un certain Antonin, l’une des plus grosses fortunes de Rome. C’était un homme vieillissant et distingué, qui ferait sûrement l’affaire. Il l’adopta sous la condition formelle qui lui même adoptât le si gentil Marcus. Hadrien mourrait le 18 juillet 138. Le soi-disant empereur de transition Antonin allait bel et bien se maintenir en place pendant 23 ans.
Paix romaine : mythes et réalités
L’empire est grand : 3.300.000 km2 au milieu du second siècle. La méditerranée est un lac intérieur, et autour vivent quelques 70 millions d’humains fort disparates. Un poncif voudrait que les civils de ce temps auraient dû rencontrer une patrouille tous les cent mètres. Bref on est tenté de voir l’Empire romain à l’image de la France sous l’occupation allemande. Depuis Auguste, les effectifs n’ont guère augmentés, et il ne semble pas qu’on dépasse les 350.000 hommes. C’est peu pour 10.000 km de frontières. S’aventurer hors de chez soi pour un voyage engageant plusieurs étapes reste une décision qu’on hésite à prendre. Les textes conseillent au voyageur de ne se mettre en route qu’une fois rédigé son testament. Mieux vaut décidément se coucher de bonne heure, ou alors, s’il faut vraiment aller dîner chez des amis, que ce soit escorté d’esclaves solides, porteurs de flambeaux et de triques. Les différentes contrées de l’Empire sont reliées à Rome non seulement par voie de mer, mais aussi par un important réseau routier, 75 000 km env. Si la vitesse moyenne du courrier était de 75 km par jour, on pouvait, en cas d’urgence, aller jusqu’à doubler cette distance. Les gros transports étaient évidemment beaucoup plus lents.
Les forces de l’esprit
Il faut lire et relire Tacite si l’on veut savoir ce que fut la Rome de ce temps pour un aristocrate, pour un sénateur : seuls existent pour lui quelques centaines ou milliers de personnes qui composent son milieu. Le regard de Tacite ne va pas jusqu’à la plèbe, méprisable a priori. Suétone, lui, n’écrit pas de si haut, puisqu’il n’est que chevalier. Dans sa Vie des 12 Césars, qui va de Jules César à Domitien, il déverse une infinité d’indications sur la famille de chacun des princes. On a l’impression qu’il juge les empereurs en fonction de leur attitude à l’égard des chevaliers. Tout cela abonde en anecdotes, auxquelles il donne l’impression de croire dur comme fer, et en détails graveleux. Visiblement il s’y complait. L’histoire c’est Flavius Josèphe. Devenu le protégé de Vespasien et de Titus, il écrit l’histoire de la dernière guerre et de son peuple. Le poète de l’époque c’est Juvénal. Ce Campanien, fils adoptif d’un affranchi, s’est attaqué dans ses Satires aux ridicules et aux tares de la société de son temps. Tout y passe : les façons des parasites combinards à la recherche d’une ascension sociale, les mœurs peu édifiantes des dames, la misère des professions libérales, le luxe et la table…
Antonin et Marc Aurèle
Antonin, 52 ans : un brave homme d’empereur, vraiment aussi philanthrope et philhellène que son prédécesseur, le génie en moins. Prudent, économe, ennemi de tout faste, il gérait l’Empire avec un paternalisme précautionneux, un peu comme une moyenne entreprise familiale qui tourne en vertu de la vitesse acquise. Il gouvernait en s’appuyant sur Mar Aurèle. Il est attentif à la justice, il veille au droit des pauvres, des esclaves, des prisonniers. Entre autres, il limitera le droit à la torture. Il quittera le monde en mars 161, ne laissant que des regrets, même dans la plèbe qui l’estimait et se rappelait ses confortables gentillesses.

Marc Aurèle était depuis longtemps le second d’Antonin lorsqu’il ferma les yeux du vieil empereur. Moralement il ressemblait comme deux gouttes d’eau à Antonin le Pieux. Un homme infiniment sympathique – mais était-ce bien le genre de maître qu’il fallait à l’Empire ou moment ou les Parthes et les peuplades danubiennes allaient remiser la pax romana au musée des beaux souvenirs ? Il était de santé fragile. A force d’obéissance volontaire aux destins, il donnait l’impression d’une morne résignation. Et puis, il avait été suréduqué : 16 maîtres autour de lui dans sa jeunesse, qui l’ont tous couvé dans un milieu déjà confiné et vieillot. Et sur ces 16, on ne trouve pas moins de 10 philosophes dont 5 stoïciens. Marc Aurèle vénérait tout ce qu’il pouvait vénérer. Seul le christianisme, qu’il persécuta à Lyon en 177, ne trouva pas grâce à ses yeux. Au reste, son stoïcisme cadrait à la perfection avec son esprit dévot. Il n’avait, avec Antonin, exercé le moindre commandement militaire.
Dès 161 le roi des Parthes entreprit de mettre la main sur l’Arménie. Les romains ne tardèrent pas à subir des revers et il fallut envisager une expédition dans les règles. Il fallut deux campagnes successives pour régler le conflit. La première récupéra l’Arménie en 163. Puis, en 166, un traité de paix avec les Parthes donna aux romains un peu de terrain en Mésopotamie. C’est à cette époque qu’on voit apparaître une pratique inquiétante : le long des frontières on installa des barbares soumis, avec un statut proche de celui des colons. Sans doute pensait-on les rendre inoffensifs en les coupant de la masse de leurs congénères. On enfermait le loup dans la bergerie. C’est à ce moment désastreux pour l’Empire qu’éclata en 175 une usurpation (celle d’Avidius Cassius, général si heureux dans la guerre contre les Parthes) qui vint compliquer encore la situation. En 3 mois Marc Aurèle en vint à bout et Avidius Cassius fut assassiné. En 176, après une absence de 8 ans, Marc Aurèle rentrait à Rome et célébrait son triomphe.
Le triste épisode Avidius Cassius avait servi de leçon à l’empereur : il s’empressa de soustraire sa succession aux hasards des ambitions rivales en s’adjoignant son fils Commode, promu au titre d’Auguste.
Sur 19 années de son règne, Marc Aurèle en aura passé 17 à faire la guerre. Loin d’avoir l’imagination créatrice et le punch d’un Trajan ou d’un Hadrien, ni leur goût d’entreprendre, il se contenta de gérer comme il pouvait un Empire dont la crise économique avait déjà commencé de s’emparer. Le 17 mars 180, à Vienne, Marc Aurèle succombait à une épidémie de peste .
Commode
La première chose que fit Commode, qui avait évalué les possibilités de Rome dans la région danubienne, fut d’arrêter les frais. C’était simple réalisme : l’armée n’était plus guère en état de mener autre chose que des opérations ponctuelles de représailles. Là-dessus Commode regagna Rome et il eut la sagesse de s’en remettre un certain temps aux excellents collaborateurs de son père. Il est vrai qu’il avait accédé à la pourpre à l’âge de 19 ans. La personnalité du fils n’avait guère de points communs avec celle de son père. Mais dès le début du règne, il sentit grouiller autour de lui des conspirateurs. Sa propre sœur Lucilla, furieuse de se voir supplantée en influence par la nouvelle impératrice, Crispina, s’était lancée dans d’obscures intrigues de palais, où elle avait déjà entraîné des partisans. Quelques condamnations à mort s’en suivirent dans la famille impériale et parmi les sénateurs. Il dut se défaire aussi d’un préfet du prétoire. Désormais méfiant à l’endroit du Sénat, Commode s’en détourna au profit de l’ordre équestre.
De 185 à 189, Marcus Aurelius Cleander, ancien esclave phrygien avait réussit à se hisser jusqu’au grade de chevalier. Il trafiquait des postes officiels, vendait l’entrée au Sénat. Parfois il avait la main heureuse, puisque Septime Sévère, bientôt empereur, lui devait son ascension… Mais des mœurs inquiétantes s’installaient à la cour, et de hauts personnages furent victimes de purges à l’instigation de Cleander. La cour retrouvait des ambiances des derniers temps de Néron et de Domitien. Finalement Cleander disparut, lui aussi, dans un coup monté.
Commode se fit reconnaître comme l’Hercule romain en personne, instaurant à cet effet un culte officiel. Cela cadre bien avec une page célèbre de Dion Cassius, racontant avec un effroi rétrospectif une scène dont il a été témoin. L’Empereur venait d’occire une autruche. Alors « il s’avance vers la partie de l’amphithéâtre où nous autres sénateurs avions pris place, et il brandit vers nous la tête de l’oiseau de sa main gauche, sans un mot, avec un hochement de tête et un mauvais sourire. Nous avions plus envie de rire que de pleurer, mais il nous eût tous massacrés avec son épée si nous avions ri. Alors je pris le parti de mordiller les feuilles de laurier de ma couronne et je suggérai à mes voisins d’en faire autant… »
Se forma une conspiration qui devait aboutir, le 31 décembre 192, à l’élimination de Commode qui fut étranglé dans son bain par un gladiateur rallié à la conspiration. Les conjurés s’étaient entendus avec les prétoriens pour faire acclamer un respectable sénateur du nom d’Helvius Pertinax, fils d’un affranchi enrichi dans le commerce, et lui même professeur de lettres qui avait fait dans l’armée une carrière dont le brillant devait tout à ses qualités. Le choix était excellent. Mais il faut croire que les prétoriens n’étaient pas si loyaux, et le 28 mars 193, l’infortuné Pertinax fut assassiné par la garde prétorienne dont il avait trop tardé à satisfaire les exigences. C’est alors que les prétoriens firent monter les enchères et ce fut Didius Julianus qui l’emporta. Mais entre-temps, dès la nouvelle de la mort de Pertinax, les puissantes légions du Danube avaient proclamés leur chef, Septime Sévère.
La dynastie des Sévères
Septime Sévère
Septime Sévère marchait déjà sur l’Italie du Nord à la tête de ses légions du Danube, avec pour destination Rome, lorsque Niger, légat de Syrie, rameuta les légions de Palestine et d’Egypte, sans compter les partisans qu’il avait à Rome même. Il y avait donc déjà un candidat de trop lorsque le légat des armées de Grande-Bretagne, Clodius Albinus, résolut lui aussi de tenter sa chance. En fait, Septime Sévère était de beaucoup le mieux placé et Rome lui ouvrit finalement ses portes. Il monta en armes au Capitole accompagné de soldats, s’empressa de licencier les prétoriens, responsables du meurtre de Pertinax. En Orient, l’usurpation de Niger exigea presque 2 ans de combats qui conduisirent l’empereur jusqu’à Byzance. Restait Clodius Albinus. C’est au nord de Lyon qu’il fut mis hors jeu. Albinus, vaincu se donna la mort. Là-dessus Septime Sévère entreprit une tournée en Orient, et en profita pour visiter l’Egypte, et ne regagna Rome qu’en 202.
Il était né sous Antonin en 146. Marié en secondes noces avec une princesse orientale que ses astrologues lui recommandaient chaudement : une certaine Julia Domna, fille cadette du grand-prêtre du dieu solaire Elagabal. Il avait deux fils : Caracalla, fait César en 196 et Auguste en 198, afin de décourager toute spéculation sur l’avenir. Le second fils s ‘appelait Geta. En 208, flanqué de ses 2 fils maintenant co-empereurs, Septime Sévère s’en fut guerroyer en Grande-Bretagne contre les barbares de Calédonie. Il mourut le 4 février 211 à Eburacum, l’actuelle York. Il avait 65 ans.
De Apulée à Lucien de Samosate
Apulée, un africain de Madaure, avait collectionné les initiations à tous les cultes ‘à mystères’, ceux qui vous garantissaient ce que la religion traditionnelle ne songeait pas à vous offrir : la protection privilégiée d’un dieu durant la vie, et une mort considérée comme un cap de bonne espérance. On est loin du scepticisme d’un Cicéron. Le siècle est redevenu dévot, superstitieux même. Apulée sera l’auteur des Métamorphoses, qui conte l’histoire d’un homme transformé en âne.
Lucien de Samosate est un homme de la vieille école, classique, qu’agace prodigieusement la mode philosophaillante et superstitieuse de son temps. Cultivé et sarcastique, il s’amuse et nous amuse des faux mages, des faux philosophes, des faux prophètes de toutes sortes, qu’il rencontre à tous les coins de rue et qu’il taille en pièce dans une langue pleines de trouvailles.

Caracalla
A la mort de Septime Sévère, Caracalla, en dépit de ses 23 ans, était à ce point désireux de régner qu’il n’attendit pas un an pour faire égorger son frère cadet. La tête de Caracalla devait décourager toute velléité de le contrarier : un des plus beaux fasciés de brute qu’il soit donné de contempler. Son administration, pourtant, sa conduite des affaires n’avaient rien d’insensé, tout au contraire. C’est sous son règne que le juriste Ulpien déclare l’égalité de tout homme devant le droit naturel. Plus spectaculaire, en 212, l’empereur promulgua un édit qui fera date. Il étend au monde romain tout entier la civitas romana. Caracalla nivelait, mais par le haut, l’immense population de l’empire. A ce syncrétisme politique se superposait un syncrétisme religieux, les dieux multiples se résorbant en une sorte de divinité unique dont ils étaient les formes particulières ou locales.
Le règne de Caracalla fut cependant rude. Conscient du rôle prépondérant de l’armée, il se livra, contre l’avis de Julia Domna, soucieuse des deniers de l’état, à une véritable démagogie militaire. L’armée devient ainsi, très ouvertement, une caste, et sa puissance politique n’est plus à démontrer. Pour faire face à la situation compromise par ces largesses, Caracalla dut recourir aux expédients classiques : pression fiscale jusqu’aux limites de l’absurde. Rien de tout cela ne le rendait sympathique aux victimes de ces initiatives. Les classes populaires, toutefois, ne souffraient pas de cette politique.
Caracalla périt le 8 avril 217 assassiné, à l’instigation de son préfet du prétoire Macrin. Ce dernier avait réussi ce que Séjan et quelques autres avaient échoué à réaliser : désespérés de la mort de Caracalla, ignorant tout du complot, les soldats acclamèrent l’instigateur du crime. Pour contenter l’armée il fit diviniser Caracalla. A Antioche, où elle avait transporté sa cour pendant la campagne contre les Parthes, Julia Domna se désolait moins de la perte d’un fils aîné qu’elle n’avait jamais aimé, que de sa propre chute. Macrin s’était bien gardé de l’offenser d’aucune manière. Jusqu’au au moment où s’apercevant que l’impératrice mère avait quand même gardé beaucoup d’influence, Y comprit à Rome, il dut la prier de quitter Antioche. Minée par un cancer du sein, le moral définitivement atteint, elle devait mourir peu après. La sœur et les deux nièces de Julia Domna n’avaient pas désarmé et elles tenaient Macrin pour un usurpateur. Soi-disant retirées à Emèse, ces dames se mettent donc à comploter. Les troupes, en effet, sont restées fort attachées à la mémoire des regrettés Septime Sévère et Caracalla. Comment faire pour faire d’un gamin de 14 ans, Avitus Bassianus, fils de Julia Soaemias, grand-prêtre d’une pierre noire sacrée, d’un aérolithe divinisé, un Auguste romain à part entière ? Le projet paraît délirant en pourtant…
La grand-mère a trouvé : on va faire passer Avitus Bassianus pour le fils adultérin du défunt Caracalla. Un peu de propagande sur place, in peu d’intox et la crédulité des soldats fera le reste. Et de fait, le 16 mais 218 au matin, avec la complicité du préfet, ces dames introduisent dans le camp romain le jeune prêtre solaire, aussitôt acclamé du nom de son pseudo-père, César et Auguste. Il ne restait qu’une formalité : régler le problème Macrin qui s’était fâché et avait envoyé ses troupes contre les mutins. Après quelques tentatives, Macrin et son fils disparaîtront successivement. Le père sera égorgé, et le fils, rejoint et massacré en chemin.
Héliogabale
Quand on vit débarquer triomphalement dans Rome, avec son aérolithe dont il n’avait jamais voulu se séparer, ce gamin grassouillet et fardé, accoutré à l’orientale et marchant à reculons dans la fumée et l’encens, soutenu par ses acolytes, on eut un choc. Il avait pris tout son temps pour arriver là-bas, car il avait fallut trimballer à grands frais la divine pierre noire depuis la Syrie jusqu’à Rome en passant par l’Asie Mineure. Tant est si bien qu’Héliogabale n’était arrivé à Rome qu’un an et trois mois après les mémorables événements d’Emèse. La vieille Maesa exultait enfin : elle prenait sa revanche sur sa sœur défunte Julia Domna. Et c’est ainsi que le nouvel empereur ne se rendait jamais aux séances sans sa grand-mère bombardée « mère du Sénat », et qui se prélassait au banc des consuls. On vit s’installer dans l’entourage une faune inquiétante. Un ancien acteur comique prit la direction des cohortes prétoriennes. On vit se hisser aux plus hauts postes des eunuques, des travestis, des coiffeurs, des cochers de cirque. Pour cet enfant de chœurs pervers, le pouvoir était comme un gros jouet. Il jouissait de voir tant de gens entre ses mains, dont il pouvait faire ce qu’il voulait, y compris les briser, et il ne s’en privait pas.
Le 13 mars 222, une émeute éclata dans un caserne de prétoriens où l’empereur s’était rendu ; c’était à vrai dire un guet-apens. Fidèle au genre littéraire antique, l’Histoire Auguste nous fait voir l’empereur massacré dans les toilettes où il s’était placardé, et son corps balancé dans un égout qui le régurgita. Cet intermède bouffon et sanglant, sur fond de décor exotique, laisse une impression désolante.
La fin d’une dynastie : Sévère Alexandre
Aux corps mutilés d’Héliogabale et de Julia Soaemias sa mère, décapités, estropiés, outragés de mille manières, ne tardèrent pas à s’ajouter ceux du préfet de la ville et du ministre des finances, arrangés de la même façon. Le jeune Sévère Alexandre en l’honneur de la dynastie, fut acclamé Auguste dans la cour même où l’on venait de vilainement accommoder son cousin et prédécesseur. Il avait tout au plus 17 ans et il était aussi insignifiant que son cousin était flamboyant. Pour ce qui est de la politique concrète, on imagine bien qu’elle était entre les mains plus expertes de maman. Cette dernière mourra dès 223, laissant à Julia Mammaea les clés du pouvoir impérial.
Les Perses Sassanides qui avaient pris depuis 227 le contrôle de l’empire Perse devenaient menaçants. Il fallut se transporter en Orient pour une campagne qui connut des hauts et des bas. Sévère Alexandre n’était évidemment pas l’homme de la situation. Arriva donc ce qu’il devait arriver : le 18 mars 235, un putsch se déclara en faveur d’un homme autrement énergique, le prefet des recrues Maximin. Abandonnés de leur garde personnelle, Sévère Alexandre et sa mère furent assassinés sous leur tente.
Coup d’état permanent
La pourpre et le sang
Une autre ère commençait : 49 ans, 23 Augustes ou Césars. 13 meurent assassinés, 7 tombent au combat, 2, pour autant qu’on sache se suicident, et un seul s’éteint dans son lit, mais de la peste. A n’en pas douter, la pourpre, en ce IIIe siècle, est devenue une profession à haut risque.
L’empire remodelé
Dioclétien et la tétrarchie
Quand Dioclétien arriva au pouvoir, cela faisait bientôt 20 ans que s’escrimaient les empereurs illyriens pour reprendre en main un Empire qui se délitait sous les coups des barbares et des usurpateurs. Il était né à Salone, l’actuelle Croatie, et de très modeste origine. Officier d’élite, fait aux commandements et aux responsabilités, sa position de chef des protectores lui avait permis de se former une idée globale de la situation. Il commença par se pourvoir d’un adjoint, un officier nommé Marcus Aurelius Maximianus, (Maximien) qu’il fut César puis Auguste. A chacun des Augustes, Dioclétien adjoignit un César ou vice-empereur. Galère et Constance Chlore, tenant son nom de son teint blafard tirant sur le vert. C’étaient tous des illyriens.
Dioclétien, lui-même premier Auguste, ferait de Nicomédie, à 2 pas du Bosphore, sa capitale, d’où il gouvernerait plus spécialement l’Orient. Maximien siégerait à Milan. Quant aux 2 Césars, Galère résiderait à Sirmium, sur le Danube et Constance Chlore, se tiendrait à Trèves. Ainsi aux 4 points chauds de l’Empire, il y aurait désormais 4 capitales pourvues de concentrations de troupes prêtes à intervenir dans le secteur. Rome est devenue capitale nominale, honoraire en quelque sorte, musée et conservatoire des gloires éternelles.
L’organigramme imaginé par Dioclétien comportait une troisième innovation : le dispositif anti-usurpation. Tous les 20 ans les deux Augustes devaient obligatoirement laisser place à leurs Césars, qui devenaient sur l’heure empereurs à part entière et devaient désigner aussitôt 2 nouveaux Césars. Tel est le système que l’histoire connaît sous le nom de tétrarchie. Cette réforme structurelle sera étalée sur 8 ans, de 285 à 293, montre assez que Dioclétien, parti pour régner seul, avait été amené sous la pression des circonstances à échafauder un autre dispositif.
Toute l’organisation territoriale se vit remaniée. Les anciennes provinces subirent un découpage. Du plus ces nouvelles unités territoriales furent regroupées dans les préfectures, dites de région, dans 12 circonscriptions originales : les diocèses. Ces régions administratives étaient gouvernées par un haut-fonctionnaire, le vicaire. La centralisation s’opère donc progressivement. A son sommet, le conseil impérial et les 5 grands bureaux se ramifient selon les 4 résidences. On passa également de 39 légions à une soixantaine, mais allégées, soit 450.000 hommes.
Profitant d’une longue période de paix religieuse, les chrétiens s’étaient multipliés et largement installés un peu partout dans la société romaine. Il n’y avait plus guère de discrimination entre chrétiens et non-chrétiens dans la distribution des hauts emplois. Une réaction s’amorça donc, sans doute à l’initiative de Galère : il fait valoir aux Augustes le danger de subversion que représentait cette religion à vocation universaliste, et si imbue d’elle-même qu’elle prétendait exclure les autres. En 303 apparurent les édits impériaux portant interdiction formelle du christianisme. Ordre était donné de détruire leurs églises, de brûler les livres sacrés. Puis les fidèle durent sacrifier aux dieux ou alors accepter d’être condamnés aux mines ou de mourir, souvent de façon abominable. La persécution fit cette fois de nombreuse victimes (env. 5000). En dépit de ces atrocités, il faut pourtant reconnaître que cette colossale réorganisation de l’Empire laissa un bilan positif. Maximien réduisit les pillards et assainit durablement la frontière rhénane, la mer du Nord et la Manche. L’usurpation d’un certain Carausius fut anéantit par Constance Chlore. Maximien défendit l’Afrique contre les incursions de peuplades insoumises, Maures et Berbères et ferma aux Francs le détroit de Gibraltar.
Les derniers jours de la Rome païenne
Dioclétien s’était avisé de renforcer l’union des 4 souverains par un lien de famille. Lorsqu’il avait recruté Constance Chlore, il l’avait trouvé vivant avec une certaine Hélène, serveuse dans une auberge, en Bithynie, et dont il avait un fils, Constantin. Il lui fit mettre fin à sa liaison pour épouser une Théodora, princesse Syrienne, belle-fille de Maximien. On imagine sans difficulté l’état d’esprit de ladite Hélène et de son fils Constantin… Maximien avait également un fils nommé Maxence, à qui il ne fallait pas en promettre. Inutile d’être expert pour deviner que Constantin et Maxence, aussi ambitieux l’un que l’autre, se voyaient déjà Césars dans la seconde tétrarchie. Dioclétien, conseillé par Galère, avait combiné les choses. Il annonça les noms des nouveaux Césars : Sévère et Maximin Daïa. Tous furent frappés de stupeur… Ce Sévère était un officier illyrien ami de Galère, et Maximin Daïa un sien neveu ; ils furent adoptés dans les règles. Seulement, ces nominations saignaient noires dans le cœur de Constantin et de Maxence.
Constantin n’eût rien de plus pressé de rejoindre son père, Constance Chlore, qui guerroyait avec succès en Angleterre. L’idée n’était pas mauvaise, car le pauvre Constance décédait de maladie à York en 306. C’était le moment ou jamais de se faire proclamer Auguste par les troupes de son père. C’était une usurpation pure et simple. De son côté Maxence ne perdait pas ses esprits. Se trouvant à Rome il s’y était fait proclamer, lui aussi et avait rappelé au pouvoir le vieux Maximien qui ne demandait pas mieux que de reprendre du service. Galère, maintenant premier Auguste, voyant le tour que prenaient les choses, tenta de reprendre le contrôle et nomma Sévère second Auguste et fit Constantin César, grade que l’autre jugeait désormais tout à fait insuffisant. Sévère voyant le danger marcha sur Rome pour déloger Maxence et Maximien. Mais trahis par ses propres soldats qui passèrent aux usurpateurs, il échoua et fut assassiné. Le vieux Maximien et Maxence décidèrent de traiter avec Constantin, allant jusqu’à lui reconnaître son titre d’Auguste. Galère riposta en faisant empereur un autre illyrien, Licinius. De son côté, Maximin Daïa, qui ne voulait pas être en reste, se bombarda lui-même Auguste. L’invraisemblable suite de luttes qui allaient suivre fait penser à un jeu d’échec. Le vieux Maximien, chassé de Rome par son fils Maxence qu’il commençait à encombrer, se réfugia auprès de Constantin, puis se fâcha avec lui et disparut de la circulation en 310. Et d’un. Puis se fut le tour de Galère, qui décéda en 311 des suites d’une longue maladie. Et de deux. Maxence et Constantin avaient les mains libres pour se combattre à mort. Contre toute attente, c’est Constantin qui l’emporta devant Rome en 312, à la bataille fameuse du pont Milvius où Maxence s’étant jeté dans le Tibre s’y noya. Et de trois. Vaincu près d’Andrinople, Daïa s’enfuit et disparut mystérieusement en 313, probablement empoisonné. Et de quatre. En 313 il ne restait plus donc que Constantin et Licinius. On aurait ou penser que ces messieurs allaient se partager sagement les 2 zones d’influence, Orient et Occident. Mais après une dizaine d’années de calme, ils finirent par s’affronter en 324. Ce fut Licinius qui perdit et périt assassiné sur l’ordre de Constantin. Et de cinq.
Constantin
Il n’était pas théologien, pas davantage un philosophe. C’était une âme simple, proche de la nature. Question credo, jadis adepte comme ses ancêtres du culte solaire, il n’est pas impossible qu’il ait mêlé toutes ces dévotions. A la réflexion, les fidèles de Christus et ceux de sol invictus possédaient en commun bien des intuitions. Les chrétiens eux-mêmes ne se gênaient pas pour représenter Christus sous les traits d’Apollon-Hélios conduisant son char. Constantin aurait-il superposé les différentes images, identifiées à ce Christus la divinité unique à laquelle se référaient tous les syncrétismes de l’époque ? c’est ce que j’imagine de plus probable pour rendre compte d’une conversion qui fut sans doute aussi sincère que confuse. Disons que si Constantin s’est converti, ce ne fut pas par politique – mais que s’étant converti, il fit en sorte que cela servît sa politique, tandis que ceux qui l’accueillaient dans l’Eglise s’arrangeaient pour que cela aidât la leur. Avec les années, Constantin en vint à se démarquer de plus en plus du paganisme. Les célébrations chrétiennes prirent le dessus sur les vénérables cérémonies. Il promulguera en 319 une loi autorisant les païens à suivre les exercices du culte : c’était le monde à l’envers ! Il avait donc fallut 7 ans pour que la tolérance ait changé de sens.
Le grand ?
Constantin, comme déjà ses prédécesseurs, mais de façon plus massive ouvrit largement les légions aux tribus soumises. Ces guerriers frustes, mais avisés et courageux faisaient merveille comme supplétifs dans les coups de main. On enfermait évidemment le loup dans la bergerie. Cette armée assez bigarrée a pu atteindre le demi-million d’hommes. L’administration fut plus que jamais centralisée. Tout, nominations, commandements militaires, édits, circulaires ; tout émane de la Cour, fastueuse jusqu’à la démesure.
La Cour et ses splendeurs, l’armée, le lourd appareil d’état, et pour couronner le tout, Constantinople, capitale nouvelle, le rêve d’un mégalomane – tout cela coûtait fort cher. Entre les gens de peu et les puissants l’écart se creusa de plus en plus.
Les textes législatifs de Constantin s’inspirent parfois d’un certain esprit évangélique, mais pour le reste, on parlerait plutôt aujourd’hui d’ordre moral : sévérité parfois atroce à l’endroit de l’inconduite – adultère concubinage… Les lois semblent avoir été concoctés par des furieux et certains détails lèvent les cœurs…
A mesure qu’avançait le temps, Constantin songeait à sa succession. Il lui restait 3 fils : Constantin II, Constance II et Constant. Il demanda in extremis en mai 337 la grâce du baptême et s’éteignit le 22 mai.
Le clan des chrétiens
Constantin avait réglé sa succession, répartissant entre ses 3 fils et ses 2 neveux les territoires de l’Empire. Il n’avait oublié qu’une chose : la propension de tout un chacun à lorgner la part des cousins. Et puis, il y avait toute cette famille parallèle, demi-frères jusque là tenus en lisière avec quelques honneurs sans conséquences. Les 3 Augustes étaient songeurs. Puis tout alla très vite. Une rumeur incroyable se répandit : on venait, paraît-il de retrouver un billet froissé que Constantin expirant tenait dans sa main. Il s’y disait empoisonné par ses demi-frères, et l’on devine ce qu’il était censé conseiller à ses 3 fils… L’histoire était évidemment montée de toute pièce. Au terme de l’opération, Jules Constance, Delmatius César et bien d’autres encore gisaient sur le carreau. On envoya même liquider à Césarée l’éphémère ‘roi des rois’ Hannibalianus. 15 morts ? 20 ? Plus ? On avait ratissé large. On mit ce tableau de chasse sur le compte de Constance II. Seuls avaient échappé, Dieu sait comment, au massacre Gallus, le futur César, et Julien, le futur empereur. Les 2 orphelins furent séparés et expédiés l’un du côté d’Ephèse pour y faire des étude et l’autre chez sa grand-mère maternelle à Nicomédie.
Trois Augustes pourtant c’était trop. Entre frère les lutte ne tardèrent pas. Constantin II tomba dans une embuscade et y trouva la mort. On se retrouvait dans une situation classique : un empereur d’Occident, Constant, résidant à Milan, et un empereur d’orient, Constance, régnant à Constantinople. Ils s’accommodèrent de la situation durant 10 ans.
Curieux personnage que ce Constant. Chrétien convaincu, fanatique même, mais borné ; noceur, ne dessaoulant pas, porté sur les trop sympathiques jeunes gens et de ce fait bourrelé de remords. Avec un acharnement maladif, il prohiba toute forme de culte non chrétien, et consolida à coup d’édits vengeurs la position hégémonique de la nouvelle religion. Ajoutons à ce tableau le fait qu’il avait réussi à se mettre à dos non seulement les populations civiles, accablées d’impôts, mais aussi les légions elles-mêmes. Si bien qu’un complot se forma. Le 18 janvier 350, profitant d’une partie de chasse où l’empereur d’Occident se délassait du côté de Autun, les soldats proclamèrent un officier nommé Magnence. Soutenu par la population, l’usurpateur se trouva vite maître de la contrée. Constant, voyant que toute résistance était inutile, prit le large en direction des Pyrénées, où il fut promptement rejoint et éliminé.
Pris entre l’usurpation de Magnence et la guerre contre les Perses, Constance se souvint de ceux qu’il avait tant chercher à faire oublier : Gallus et Julien, reclus depuis le carnage de 337. Julien était trop jeune et trop intellectuel. Gallus, en revanche, était sommaire à souhaits et lui parut apte à faire un César à sa botte. En 351, le jeune homme se vit donc promu César, marié à Constantina, sœur de l’empereur, et expédié à Antioche pour administrer l’Orient le temps que Constance en finirait avec Magnence. Ce dernier battu se replia en Gaule et s’en fut à Lyon se donner la mort. En Orient, pendant ce temps, le César Gallus et Constantina accumulaient les erreurs. Il se conduisit en tyranneau. D’exécutions capitales en bannissements, de confiscations abusives en scandales, ce couple malavisé avait fini par s’aliéner tout le monde à Antioche. Devant l’étendue des dégâts Constance le neutralisa progressivement avant de l’isoler complètement, de le faire juger à huis clos et décapiter. Cela se passa au cours de l’hiver 354.
Songeant à cette expédition contre les Perses, Constance désigna comme César chargé des affaires de Gaule le demi-frère du défunt Gallus, le jeune Julien. Lettré, philosophe ou du moins passionné, Julien était ce qu’on appelle une conscience. Devenu expert en pensée grecque,
féru surtout d’un certain platonisme de style mystique, Julien avait renoué dans le plus grand secret avec le culte solaire de ses ancêtres illyriens. Tout en gardant les formes extérieures du christianisme, il adorait les anciens dieux de l’Empire. Pour lui, la religion chrétienne était un égarement passager dont l’oncle Constantin était le grand responsable, une parenthèse malheureuse dans l’histoire de Rome. A la fin 355, Julien fut donc bombardé César, marié sans qu’il l’eût souhaité à Hélène la Jeune. Ce que Constance n’avait pas prévu, c’est que Julien, consciencieux comme on ne l’était plus guère dans ces milieux, allait prendre au sérieux son rôle de César fantoche. Au grand désespoir des vrais généraux, il apprit tout sur le tas : les manœuvres élémentaires, l’art de disposer les unités, et jusqu’au métier d’administrateur des provinces. Julien parvint à s’imposer, tant est si bien que Constance dut se résigner à contrecœur à lui laisser la direction effective des opérations. Julien avait établi son quartier général à Lutèce. Il fit merveille, puisqu’en 360, au terme de nombreuses campagnes, la situation des Gaules était rétablie et les barbares calmés.
Constance pensa faire d’une pierre deux coups. En rappelant de Gaule les excellents effectifs qui venaient de réussir la reconquête, il se donnait les moyens de vaincre les Perses et il coupait court à l’éventuelle usurpation dont Julien avait pu caresser le projet… Mais l’imprévu se produisit. Les troupes de Julien, composées en majorité de Gaulois et de Barbares ralliés, refusèrent obstinément à quitter les Gaules. Si bien qu’au cours d’une nuit mémorable de février 360, Julien fut acclamé, tout à fait contre son gré – du moins l’a t-il dit et répété – aux cris répétés de ‘Julien Auguste’. La mirifique combinaison de Constance avait abouti à un usurpation.
Le 3 novembre 361, Constance, subitement malade, était mort. Il avait in extremis désigné Julien pour successeur. Pour la première fois, un usurpateur devenait empereur. Le 11 décembre de cette même année, Julien faisait une entrée triomphale dans Constantinople, sa capitale, et recevait l’allégeance des souverains alliés.
Le premier acte que le premier acte administratif de Julien fut un édit de tolérance, promulgué en 361, restituant à chacun de pratiquer le culte de son choix. Les difficultés vinrent de ce que les chrétiens, qui s’étaient trop facilement emparés des trésors des cultes païens et des édifices, se virent contraints de tout restituer. Julien pratiqua un délestage sévère des services administratifs et du personnel pléthorique mis en place par la dynastie constantinienne.
La guerre reprit avec les Perses. L’armée de Julien, forte de 65 000 hommes, quitta Antioche le 5 mai 363. L’invasion prit d’abord les allures d’une avance triomphale bien que lente. On prit quelques villes et l’armée remporta sous les murs de la capitale Perse une belle victoire. Mais les Perses en avaient une citadelle inexpugnable. Il eût fallut un siège dans les règles, mais l’on ne pouvait s’attarder en terrain découvert. Il n’y avait plus qu’à se replier vers le nord. Le retraite se fit dans les pires conditions et le 26 juin 363, l’empereur Julien à Samarra lors d’un combat d’arrière-garde. On voudrait être sûr que le javelot qui l’atteignit venait bien des lignes adverses. Ammien, qui était sur place, a des doutes.
Julien mort on acclama l’incolore Jovien, dit Jean Gagé, un chrétien. Les maladroits qui s’étaient engagés trop avant aux côtés de Julien payèrent leur imprudence : ce fut la classique chasse aux sorcières. Les philosophes et les desservants des temples païens furent pourchassés dans des conditions souvent atroces. Cette fois les dieux de Rome étaient bien morts.
Les derniers jours de la Rome antique
Dernière dynastie : les Valentiniens
Le 25 février 364 on trouva l’empereur Jovien mort sous sa tente, où il s’était retiré la veille saoul. L’armée proclama Valentinien. Teigneux au possible mais courageux et patriote, fut contraint par les soldats de s’adjoindre un collègue. Il choisit son frère Valens. Valentinien aurait en partage l’Occident et Valens, l’Orient. Valentinien mourut en novembre 375, paraît-il d’un coup de sang. Valens, mal entouré, laissa persécuter les intellectuels païens. Le 9 août 378, lors d’une épouvantable déconfiture près d’Andrinople, l’actuelle Edirne en Turquie, Valens disparut dans le désastre.
Valentinien mort, c’est son fils Gratien qui prit en charge l’Occident : il était déjà Auguste depuis 367. Et tout incapable de régner seul, Gratien désigna comme Auguste d’Orient en janvier 379, un Espagnol nommé Théodose.
Théodose et le pâle Gratien régnèrent chacun de leur côté en bonne intelligence jusqu’en 383. Mais l’armée de Bretagne acclama Maximus. Nul ne porta secours à Gratien : abandonné de ses troupes et rattrapé à Lyon, il y périt massacré. La situation devenait dangereuse pour Théodose. Plusieurs fois défait, il finit néanmoins par prendre Maximus à Aquilée, et ce dernier fut massacré. Théodose allait gouverner seul de 388 à 391. Abandonnant l’Occident, qui comptait de moins en moins, au triste Valentinien II, d’ailleurs placé sous tutelle du général franc Arbogast, Théodose regagna Constantinople. Arbogast, véritable maître d’occident, s’arrangea pour le rester le plus longtemps possible et un beau jour on retrouva mort le pauvre Valentinien II. Entre-temps Théodose était tombé sous la coupe des pontifes de l’Eglise chrétienne.
Le 28 février 380 il promulgua un décret fameux, dont les termes étaient sans équivoque : « Tous les peuples doivent se rallier à la foi transmise aux Romains par l’apôtre Pierre (…) c’est-à-dire reconnaître la Sainte Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». Le christianisme devenait donc religion d’Etat.
Théodose mourut à Milan le 17 janvier 395. C’est à partir de ce moment que l’empire laisse l’impression d’aller à l’abandon : invasions barbares, insurrections, usurpations, guerres civiles. Alaric, le chef des Wisigoths réussit à investir l’Italie du nord. Et le 24 août 410, il entra dans Rome comme chez lui. Cela fait, les Goths s’en retournèrent comme ils étaient venus, emportant une bonne charge de souvenirs. Alaric ne tenait pas à risquer la famine dans un endroit désormais si mal ravitaillé.
Avec Rome disparaissait l’idée d’une civilisation qu’on croyait éternelle.
Arcadius, l’empereur d’Orient n’avait rien su de la prise de Rome, car il était mort en 408, remplacé par son fils Théodose II, l’insignifiance faite empereur.
En Occident, en 423, Honorius, lui aussi était mort, et à la faveur du vide, un bureaucrate nommé Jean s’était lui-même proclamé empereur, tandis qu’en Afrique, un général avait fait sécession. En Orient Théodose II avait accepté dès 430 de servir aux Huns une subvention annuelle de 350 livres d’or, mais 6 ans plus tard les Huns auront doublés leurs prix