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17 juin 2011 5 17 /06 /juin /2011 18:42

« Je viens de lire Gelassenheit de Heidegger. Dès qu’il emploie le langage courant on voit le peu qu’il a à dire. J’ai toujours pensé que le jargon est une immense imposture. Le style triste, genre Maurice Blanchot : pensée insaisissable prose parfaite et incolore. Sartre réussit à faire du bon Heidegger mais non pas du bon Céline. La contrefaçon est plus aisée en philosophie qu’en littérature ».

Cioran 

 

Illustrons le propos du philosophe Roumain :

« L’ouvertude est le genre fondamental du Dasein selon lequel il est son la. L’ouvertude est constitué par la disposibilité, l’entendre et la parole. Et elle intéresse co-originalement le monde, l’être au monde et le soi-même. La structure du soucis, comme être en avant de soi, tout en étant déjà en a-monde, comme être étant après l’intérieur au monde recèle en elle l’ouvertude du Dasein ».

 

yes-we-kant.jpgIl est vrai, qu’à lire des salmigondis verbeux du genre de celui-ci, tiré du soi-disant maître livre « Etre et temps », il y a de quoi demeurer, pour le moins, perplexe…
Et ce n’est certes pas en ergotant sur une maladresse - ou un mauvais rendu de traduction, qu’on occultera tout le fumeux dérisoire de cette prose sans la moindre once intérêt.

 

Je reconnais volontiers n’être qu’un cuistre, incapable de saisir toute la portée du sublime esprit germanique soutenue par si vigoureuse prose… Mais, franchement, la vie est bien trop brève pour me la gâter avec de telles fatuités dont le sens se perd dans les limbes irracontables du Concept !

 


…ni d’ailleurs ne suis assez méchant pour souhaiter infliger telle lecture à mon pire ennemi… Quoi qu’hélas certains n’ont pas forcément le choix (désarroi attesté par cette illustration de lycéenne assistant à son x+1 ieme cours sur Kant et à qui l’on a dit Epicure sans interêt et pas même philosophe…) : tels ces élèves en classe de Terminale L qui cette année, outre l’indigeste brique des mémoires du général De Gaule, propulsée par quelques intrigants de couloirs ministériels au rang des œuvres littéraires, se sont trouvés contraints, pour les plus malchanceux, de manger du Kant, Hegel et du Heidegger à longueur de jours ; ce dernier étant, selon un certain point de vue professoral, ne l’oublions pas, rien moins que « le Platon du Xxe siècle… ».

 

Tout aux antipodes, voici un texte fulgurant de Cioran, qui me fit, il y a des années de cela, si grand effet que me prit alors l’envie d’en utiliser une bonne part pour une anodine divagation musicale…  

 


GÉNÉALOGIE DU FANATISMEcioran.gif

 

« En elle-même, toute idée est neutre, ou devrait l’être ; mais l’homme l’anime, y projette ses flammes et ses démences ; impure, transformée en croyance, elle s’insère dans le temps, prend figure d’événement : le passage de la logique à l’épilepsie est consommé… Ainsi naissent les idéologies, les doctrines, et les farces sanglantes.

Idolâtres par instinct, nous convertissons en inconditionné les objets de nos songes et de nos intérêts. L’histoire n’est qu’un défilé de faux Absolus, une succession de temples élevés à des prétextes, un avilissement de l’esprit devant l’Improbable. Lors même qu’il s’éloigne de la religion, l’homme y demeure assujetti ; s’épuisant à forger des simulacres de dieux, il les adopte ensuite fiévreusement : son besoin de fiction, de mythologie triomphe de l’évidence et du ridicule. Sa puissance d'adorer est responsable de tous ses crimes : celui qui aime indûment un dieu, contraint les autres à l'aimer, en attendant de les exterminer s'ils s'y refusent. Point d’intolérance, d’intransigeance idéologique ou de prosélytisme qui ne révèlent le fond bestial de l’enthousiasme. Que l’homme perde sa faculté d’indifférence : il devient un assassin virtuel ; qu’il transforme son idée en dieu : les conséquences en sont incalculables.

L'envie de devenir source d'événements agit sur chacun comme un désordre mental ou comme une malédiction voulue. La société, - un enfer de sauveurs ! Ce qu'y cherchait Diogène avec sa lanterne, c'était un indifférent...

[...] Toute foi exerce une forme de terreur, d'autant plus effroyable que les « purs » en sont les agents. On se méfie des finauds, des fripons, des farceurs ; pourtant on ne saurait leur imputer aucune des grandes convulsions de l'histoire ; ne croyant en rien, ils ne fouillent pas vos cœurs, ni vos arrières-pensées, ils vous abandonnent à votre nonchalance, à votre désespoir ou à votre inutilité ; l'humanité leur doit le peu de moments de prospérité qu'elle connut : ce sont eux qui sauvent les peuples que les fanatiques torturent et que les « idéalistes » ruinent.

Dans tout homme sommeille un prophète, et quand il s'éveille il y a un peu plus de mal dans le monde... »

 

(Précis de décomposition, 1949- Emil Cioran)

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13 juin 2011 1 13 /06 /juin /2011 13:04

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Ecrit en 1973, à partir d’un document de travail rédigé l’année précédente dans le cadre d’un Symposium organisé à Ottawa ce petit livre, véritable ‘extrait sec’, a gardé tout son caractère d’actualité. Mieux, il anticipe et pose les fondations de la réflexion de l’écologie politique contemporaine. Moult des thèmes exposés en ces pages seront repris et développés avec fortune par André Gorz, dont l’émission « Là-Bas si j’y suis » de Daniel Mermet vient de consacrer deux de ses journées pour présenter, au travers de nombreuses archives audio ainsi que d’un entretien avec Christophe Fourel, l’œuvre intellectuelle  tant que la biographie de ce ‘Penseur pour le XXIe siècle’.

 

Christophe Fourel est le coordinateur du collectif, paru à la Découverte en 2009, « André Gorz, un penseur pour le XXIe siècle ».

 

Lien vers la première émission de « Là-Bas si j’y suis » consacrée à André Gorz :
http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2202

 

Fourel---Gorz.jpg

 


 

Revenons à l’ouvrage d’Ivan Illich 

En voici quelques extraits ; notes de lectures éparses, prises dans l’ordre et sans aucun commentaire ni jugement de valeur de ma part. Invite à la réflexion, la critique, aux développements, contradictions et enrichissements de toutes sortes…  Illich-convivialite.jpg

 

   

Qu’est ce qu’une société conviviale ?
« J’appelle société conviviale une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil ».    

 

Sur le prestige de la profession médicale :
 

«… les résultats statistiques sur lesquels se fonde de plus en plus le prestige de la profession médicale ne sont pas, pour l’essentiel, le fruit de ses activités. La réduction souvent spectaculaire de la morbidité et de la mortalité est due surtout aux transformations de l’habitat et du régime alimentaire, et à l’adoption de certaines règles d’hygiène toutes simples. (…) Dans un certain sens, c’est l’industrialisation, plus que l’homme, qui a profité des progrès de la médecine. (…) Et le médecin s’est transformé en mage, ayant seul le pouvoir de faire des miracles qui exorcisent la peur engendrée par la survie dans un mode devenu menaçant. (…) On a rendu impossible à la grand-mère, à la tante ou à la voisine de prendre en charge une femme enceinte, le blessé, le malade, l’infirme ou le mourant, ce qui crée une demande impossible à satisfaire. Au fur et à mesure que monte le prix du service, le soin personnel devient plus difficile, et souvent impossible. En même temps, de plus en plus de situations courantes deviennent justifiables d’un traitement, dès lors que se multiplient des spécialités et des paraprofessions dont la seule fin est de maintenir l’outillage thérapeutique sous le contrôle de la corporation. (…) Dans les pays riches, la population vieillit. Dès qu’on entre sur le marché du travail, on se met à épargner pour contracter des assurances qui vous garantiront, pour une durée de plus en plus longue, les moyens de consommer les services d’une gériatrie coûteuse. (…) En deux jours d’hôpital, un Américain dépense le revenu annuel moyen de la population mondiale. (…) L’important est de comprendre ceci : au début du siècle la pratique médicale s’est engagée dans la vérification scientifique de ses résultats empiriques (premier seuil). Le second seuil fut atteint lorsque l’utilité marginale du ‘plus de spécialisation’ se mit à décroître. Ce dernier a été dépassé lorsque la désutilité marginale s’est mise à croître à mesure que la croissance de l’institution médicale en venait à signifier davantage de souffrances pour plus de gens. C’est alors que l’institution médicale redoubla d’ardeur pour chanter victoire. Les virtuoses de nouvelles spécialités mettaient soudain en vedette quelques individus atteints de maladies rares. La pratique médicale se centrait sur des opérations spectaculaires (…) La foi dans l’opération miracle aveuglait le bon sens et ruinait l’antique sagesse en matière de santé et de guérison. Les médecins répandaient l’usage immodéré des drogues chimiques dans le grand public. A présent, le coût social de la médecine n’est plus mesurable en termes classiques. Comment mesurer les faux espoirs, le poids du contrôle social, la prolongation de la souffrance, la solitude, (…) le sentiment de frustration engendrés par l’institution médicale ? »
 
Dogme de la croissance et foi utilitaire :
« Le dogme de la croissance accélérée justifie la sacralisation de la productivité industrielle, aux dépens de la convivialité.(…)
Les institutions politiques elles-mêmes fonctionnent comme des mécanismes de pression et de répression qui dressent le citoyen et redressent le déviant, pour les rendre conformes aux objectifs de production. Le Droit est subordonné au bien de l’institution. Le consensus de la foi utilitaire rabaisse la justice au simple rang d’une distribution équitable de produits de l’institution. Une société qui définit le bien comme la satisfaction maximale du plus grand nombre de gens par la plus grande consommation de biens et de services industriels mutile de façon intolérable l’autonomie de la personne ».    

 

Prix de l’inversion (vers une société conviviale) :
« Le passage à une société conviviale s’accompagnera d’extrêmes souffrances : famine chez les uns, panique chez les autres. (…) La survie dans l’équité ne sera ni le fait d’un oukase des bureaucrates ni l’effet d’un calcul des technocrates. Elle sera le résultat du réalisme des humbles. La convivialité n’a pas de prix, mais on sait trop bien ce qu’il en coûtera de se déprendre du modèle actuel. L’homme retrouvera la joie de la sobriété et de l’austérité… »    

 

L’invention de l’éducation :ivan-illich.jpg
« L’invention de l’ « éducation » : on a tendance à oublier que le besoin d’éducation, dans son acception moderne, est une invention récente (…). Pour Voltaire, le vocable ‘éducation’ était encore un néologisme présomptueux. (…) Comenius, évêque morave du XVIIe siècle, se nommait lui-même comme l’un des fondateurs de l’école moderne. Ce fut aussi un alchimiste qui adapta le vocabulaire technique de la transmutation des éléments à l’art d’élever des enfants. (…) La pédagogie a ajouté un chapitre à l’histoire du Grand Art. L’éducation devint la quête du processus alchimique d’où naîtrait un nouveau type d’homme, requis par le milieu façonné par la magie scientifique. (…) L’individu scolarisé sait exactement à quel niveau de la pyramide hiérarchique du savoir il s’en est tenu (…) Le service ‘éducation’ et l’institution ‘école’ se justifient mutuellement. L’institution pose des valeurs abstraites, puis les matérialises en enchaînant l’homme à des mécanismes implacables (…) Jadis l’existence dorée de quelque uns s’appuyait sur l’asservissement des autres. Entre le haut Moyen Âge et le Siècle des Lumières, en Occident, plus d’un authentique humaniste s’est fourvoyé dans le rêve alchimique. L’illusion consistait à croire que la machine était un homme artificiel qui remplacerait l’esclave».  

 

De l’aveuglement :
« Un société où la plupart des gens dépendent, quant aux biens et aux services qu’ils reçoivent, des qualités d’imagination, d’amour et d’habileté de chacun, est de la sorte considérée comme sous-développée. En retour, une société où la vie quotidienne n’est plus qu’une suite de commandes sur la catalogue du grand magasin universel est tenue pour avancée (…).
L’outil destructeur accroît l’uniformisation, la dépendance, l’exploitation et l’impuissance ; il dérobe au pauvre sa part de convivialité pour mieux frustrer le riche de la sienne.
L’homme moderne a du mal à penser le développement et la modernisation en termes d’abaissement plutôt que d’accroissement de la consommation d’énergie (…) Il nous faut quitter l’illusion qu’un haut  degré de culture implique une consommation d’énergie aussi élevée que possible ».  

  

Du travail et du prêt à intérêt :
« Le prêt à intérêt était condamné par l’Eglise comme une pratique contre nature : l’argent était par nature un moyen d’échange pour acheter le nécessaire, non un capital qui pût travailler ou porter ses fruits. Au XVIIe siècle, l’Eglise elle-même abandonna cette conception pour accepter le fait que les chrétiens étaient devenus des capitalistes marchands. L’usage de la montre se généralisa et, avec lui, l’idée du ‘manque’ de temps. Le temps devint de l’argent. (…)
Au Xxe siècle, l’esclave laboureur (cède la place) à l’esclave ouvrier ».    



Retour sur la médecine : la dé-professionnalisation :
« A l’image de ce que fit la réforme en arrachant le monopole de l’écriture aux clercs, nous pouvons arracher le malade aux médecins. Il n’est pas besoin d’être très savant pour appliquer les découvertes fondamentales de la médecine moderne, pour déceler et soigner la plupart des maux curables, pour soulager la souffrance d’autrui et l’accompagner à l’approche de la mort. Nous avons du mal à le croire, parce que, compliqué à dessein, le rituel médical nous voile la simplicité de l’acte.
La possibilité de confier des soins médicaux à des non-spécialistes va à l’encontre de notre conception du mieux-être, due à l’organisation régnante de la médecine. Conçue comme une entreprise industrielle, elle est aux mains de producteurs qui encouragent la diffusion des procédés de pointe coûteux et compliqués, et réduisent ainsi le malade et son entourage en clients dociles.
L’organisation médicale protège son monopole orthodoxe de la concurrence déloyale de toute guérison obtenue par des moyens hétérodoxes. (…) Le patient se confie au médecin non seulement à cause de sa souffrance, mais par peur de la mort, pour s’en protéger. (…) Le courage de se soigner seul n’appartient qu’à l’homme qui a le courage de faire face à la mort ».     

voiture-travail.jpgTransports :
« L’intoxication à la vitesse est un bon terrain pour le contrôle social sur les conditions du développement. L’industrie du transport, sous toutes ses formes, avale 23% du budget total de la nation américaine, consomme 35% de l’énergie, est à la fois la principale source de pollution et la plus importante raison d’endettement des ménages ».    



Industrie de la construction :
« Le Droit et la finance sont derrière l’industrie, ils lui donnent le pouvoir d’ôter à l’homme la faculté de construire sa propre maison. (…) car le nouveau code de l’habitat édicte des conditions minimales qu’un travailleur qui construit sa maison sur son temps libre ne peut pas remplir. (…) Aujourd’hui les soins, les transports, le logement sont conçus comme devant être le résultat d’une action qui exige l’intervention de professionnels ».    



Déséquilibres :
« La dynamique du système industriel actuel fonde son instabilité : il est organisé en vue d’une croissance indéfinie, et de la création illimitée de besoins nouveaux – qui deviennent vite contraignants dans le cadre industriel. (…) L’éducation produit des consommateurs compétitifs (…). Qu’à travers l’assurance, la police et l’armée croisse le coût de la défense de nouveaux privilèges, cela caractérise la situation inhérente à une société de consommation ; il est inévitable qu’elle comporte deux types d’esclaves, ceux qui sont intoxiqués et ceux qui ont envie de l’être…
Juguler la pollution exige des investissements, en matériel et en énergie, qui recréent ailleurs, le même dommage à plus large échelle. Si l’on rend obligatoire les dispositifs antipolluants, on ne fait qu’augmenter le coût unitaire de production…. On accentue les écarts sociaux. (..)
Bourreaux et victimes sont confondus dans la dualité opérateurs / clients ».    



Crise écologique et bombe démographique :
« … si l’on veut honnêtement contrôler la bombe démographique et stabiliser la consommation, on s’expose à être traité ‘d’anti-peuple et d’anti-pauvre. (…) Des mesures impopulaires (limitant à la fois les naissances et la consommation) sont le seul espoir qu’à l’humanité d’éviter une misère sans précédent (…)
L’honnête oblige chacun de nous à reconnaître la nécessité d’une limitation de la procréation, de la consommation et du gaspillage (…). La seule solution à la crise écologique est que les gens saisissent qu’ils seraient plus heureux s’ils pouvaient travailler ensemble et prendre soin l’un de l’autre. Une telle inversion des vues courantes réclame de qui l’opère du courage intellectuel. En effet, il s’expose à une critique douloureuse à recevoir : il ne sera pas traité seulement d’anti-peuple et d’anti-pauvre, mais aussi d’obscurantiste opposé à l’école, au savoir et au progrès».    



Monopole radical :
« Que les gens soient obligés de se faire transporter et deviennent impuissants à circuler sans moteur, voilà le monopole radical (…).
Les autodidactes sont officiellement étiquetés comme ‘non éduqués’. La médecine moderne prive ceux qui souffrent des soins qui ne sont pas l’objet d’une prescription médicale (…)
Le fait que des entreprises organisées de pompes funèbres en viennent à contrôler les enterrement démontre comment fonctionne un monopole radical et en quoi il diffère d’autres comportements culturel. (…)
Ces satisfactions élémentaires se raréfient (…) et ne peuvent plus être satisfaits hors commerce (…)
… Se défendre de l’obligation de consommer. »    



Schizophrénie :
« Les mêmes qui s’opposent aux voitures, en tant qu’elles polluent l’air et le silence et monopolisent la circulation, conduisent une automobile dont ils jugent le pouvoir de pollution négligeable, et n’ont aucunement le sentiment d’aliéner leur liberté lorsqu’ils sont au volant (….) Les consommateurs ‘accrochés’ à un produit qui s’organisent pour se défendre, a pour effet immédiat d’accroître la qualité de la drogue fournie ».    



Mauvais consommateurs :
« On accusera le sous-consommateur de saboter l’effort national. (…) refuser la consommation médicale équivaut à faire profession immoralité publique.

Consommation.jpg

Sur-Programmation :
« Plus de gens savent plus de choses, mais tout le monde ne sait plus faire toute chose également bien. (…) Il n’y a pas loin de l’obligation d’aller à l’école, ou ailleurs, à celle d’aller à l’église. (…) ce que les gens apprennent dans les écoles, c’est avant tout de mesurer le temps avec la montre du programmeur (…). Qu’apprend-t-on à l’école ? On apprend que plus on y passe de temps, plus on vaut cher sur le marché. (…) L’école sert l’industrialisation en justifiant au tiers monde l’existence de deux secteurs : celui du marché et celui de la subsistance : de la pauvreté modernisée et celui d’une nouvelle misère des pauvres. (…) L’école publique, pour continuer à jouer son rôle d’écran, coûte plus cher à ceux qui y vont, mais fait payer la note à ceux qui n’y vont pas ».   



La polarisation :
« L’industrialisation multiplie les gens et les choses. Les sous-privilégiés croissent en nombre, tandis que les privilégiés consomment toujours plus. En conséquence, la faim grandit chez les pauvres et la peur chez les riches. Conduits par la famine et le sentiment d’impuissance, le pauvre réclame une industrialisation accélérée ; poussé par la peur et le désir de protéger son mieux-être, le riche s’engage dans une protection toujours plus rageuse et rigide. (…)
Le riche prétend qu’en exploitant le pauvre il l’enrichit puisqu’en dernière instance il crée l’abondance pour tous. Les élites des pays pauvres répandent cette fable ».

 

  under-control2005.jpg

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11 juin 2011 6 11 /06 /juin /2011 10:40

Fiches de lecture

De petites fiches de lectures sans prétention ; mais utiles pour se remémorer les grandes lignes d’un ouvrage. Recopie de passages et synthèse tout à fait subjective.


Histoire logo-copie-1Lucien Jerphagnon 


Histoire de la Rome antique

 

(Tallandier, réédition 2002)

  

 

 


PARTIE I  - Des origines à Antoine

PARTIE II - De Auguste à Néron


 Rome sous les Flaviens
 L’année des 4 empereursLes Trois Muses. Fragment de décoration de la maison de Ti

Galba, richissime vieil homme de 73 ans. Général. Claude l’aimait bien, Agrippine beaucoup moins, ce qui fait qu’à la mort de l’empereur il avait jugé prudent de se faire oublier. Apprenant  chute des Pisons, il était passé à l’opposition. Néron l’avait appris, et Galba n’était pas passé loin de l’élimination. Il décida d’entrer en dissidence. Pour le Sénat, cette rébellion réussie était la divine surprise. Mais dans la même mesure, Galba désolait les gens d’armes. Il avait limogé un bon  général et avait nommé à sa place un certain Vitellius qui devait sa carrière à Néron. Curieuse idée d’aller placer en Gaule du nord-est ce néronien déclaré, toujours à court d’argent ! Galba manquait de clairvoyance. En janvier 69, fort de l’appui desGalba.jpeg effectifs de Germanie, le peu sûr Vitellius s’était révolté et trouvait dans sa marche sur Rome l’appui de plusieurs garnisons. Il y eut un troisième larron : Salvius Otho. La révolte de Vitellius lui parut le bon moment pour agir. Il joua donc de sa séduction naturelle, pour scier la branche déjà pourrie sur laquelle l’infortuné Galba était assis. Le résultat ne fut pas douteux : Salvius Otho fut acclamé empereur. Les prétoriens avaient lâché Galba, qui tomba aux mains de la soldatesque, fut occis et en propres termes dépecé. Ceux qui regrettaient Néron crurent bien l’avoir retrouvé en la personne de Salvius Otho, noceur suprêmement élégant de  37 ans, qui avait repris aussitôt la politique du César-poète. Les armées de Vitellius faisaient du chemin. Salvius Otho décida d’avancer à sa rencontre, en dépit de la maigreur de ses effectifs. L’affrontement eut lieu le 14 avril 69 dans le nord de l’Italie. Les othoniens furent vite enfoncés et l’empereur retrouvant un panache très romain, s’offrit en final un suicide à la Caton d’Utique. Il n’avait guère régné que 3 mois.  


Vitellius ne fit son entrée dans Rome qu’en juillet 69. Néronien de la première heure, il voulait ressembler à l’empereur tant regretté du peuple. Ses efforts pour rétablir le même style de gouvernement lui mirent à dos définitivement le Sénat. Accumulant les maladresses, un conflit s’éleva entre ses légions de Germanie et les troupes danubiennes, puis ce fut les prétoriens. Bref, sous ce brave homme, qui n’avait aucunement l’étoffe d’un empereur, le désordre fut vite à son comble. Les légions danubiennes décidèrent de rallier Vespasien et marchèrent sur Rome, où les légions de Vitellius, fraternisant avec les esclaves de la ville, faisaient régner la terreur. Dépassé par les événements, Vitellius songea bien à abdiquer, mais ce fut une valse-hésitation. Il était trop tard. Le 20 décembre, au cours d’une bataille de rue, il fut massacré par la populace dans des conditions lamentables.   


 Vespasien
En décembre 69 il était devenu empereur, mais mieux valait se faire désirer. Et surtout laisser Mucien, son homme de confiance, envoyé sur place avec Domitien César, régler les problèmes en suspend. Il fut son entrée à  Rome en octobre 70. L’état des finances publiques l’obligea à des mesures drastiques. On rapporte qu’il taxa même la collecte de l’urine par les fabricants de laine qui l’utilisaient industriellement comme dégraissant. Moyennant donc une redevance, l’artisan disposait devant ses ateliers une jarre ébréchée tout exprès, où les passants avaient la faculté de se soulager. Comme l’un de ses conseillers lui faisait part de ses scrupules, Vespasien lui avait mis sous le nez l’argent ainsi récupéré, lui demandant s’il percevait une odeur. De la vient la légende tenace autant que ridicule qui a fait de Vespasien l’inventeur des pissotières.   

vespasien-denier-rome-vesta-z22543.jpg
Vespasien à peine quitté l’orient pour Rome que le 8 septembre 70, Jérusalem tombait. En dépit, dit-on, des ordres de son fils Titus,  qui en appréciait la splendeur, le temple d’Hérode le Grand prit feu. On n’en voit plus aujourd’hui que les énormes soubassements, connus sous le nom de Mur des Lamentations.
Vespasien mourut de maladie  le 23 juin 79.    


 Les héritiers : Titus et Domitien
Titus, le fils aîné, accéda sans heurts à la direction de l’Etat : il l’exerçait déjà depuis des années avec son père. Il  gouverna dans la droite ligne de ce dernier, à la rigueur financière près. Le sort s’acharna sur ce règne : le 24 août 79, l’éruption du Vésuve raya de la carte Pompéi, Herculanum et Stabies. Et puis, ce furent un nouvel incendie à Rome, et une de ces épidémies mystérieuses qu’on a pris l’habitude d’appeler peste à tout hasard. Le 13 septembre 81, un mal non identifié emportait Titus, faisant au moins un heureux : son frère Domitien.


Enfermé dans un perpétuel ressentiment, Domitien surabonda comme à plaisir dans un style de gouvernement qui ne pouvait que déplaire aux sénateurs, pratiquement réduits au silence. Le régime ne tarda pas à tourner au despotisme à l’orientale. En 93 il édicta une mesure générale d’expulsion : tous philosophes devaient immédiatement quitter Rome et l’Italie. Dans cette charrette se trouvait un ancien esclave de la maison d’Epaphrodite, cet affranchi de Néron qui aida son maître à mourir. Il s’appelait Épictète. La petite guerre des philosophes annonçait la fin de Domitien. Enfermé dans un isolement tragique, il multipliait les condamnations, les persécutions en tout genre. Il ne sut pas deviner qu’un complot se tramait sans sa propre maison, à l’instigation de quelques sénateurs et 2 préfets du prétoire. Le 18 septembre 96, Domitien mourut poignardé. La dynastie des Flaviens était éteinte.     Epictete_2.jpg


 Un siècle d’or
Lorsque Domitien meurt en 96, Plutarque à autour de 50 ans et Epictète 46. Tacite a 41 ans et Suétone, le benjamin en a 27. Le grand Pline domine le temps. Le plus important de ses travaux, c’est son Histoire Naturelle. Philosophiquement, disons que son propos est d’accréditer l’idée raisonnable d’une nature ‘souveraine fabricatrice et ouvrière’ d’un grand ensemble fait des 4 éléments d’Empédocle, le feu, l’air, l’eau et la terre. De ce tout, le soleil en est en quelque sorte l’âme, et la divinité, unique, est partout. Sans illusions, Pline reconnaît d’ailleurs que la mort est encore ce que la nature a fait de mieux dans l’intérêt des hommes.    


 Le charme discret des origines
« Rome ta vertu fout le camp… », voilà, à peu près, ce qu’on lit à toutes les pages de la littérature de l’époque dite impériale. Jamais Rome n’a été aussi puissante, aussi incontestable et incontestée. Jamais les romains n’ont connus une si grande facilité de vie. Et voilà que les hommes de lettres, historiens, naturalistes et philosophes, poètes ; chez tous vous trouverez un couplet plus ou moins nostalgique de la Rome rurale et guerrière d’autrefois. (Selon eux) les fils de héros sont fatigués. Ils s’encroûtent dans l’excès de leur luxe, ils mangent les rentes de la gloire ancestrale – et la vertu s’en va. Salluste préconise vivement le retour de la jeunesse à l’austérité des anciens jours. Que ne l’a-t-il mis lui même en pratique, à l’âge où il s’enrichissait de façon éhontée ! Et Juvénal, trouvant trop gâtés les vétérans de son temps. Aujourd’hui, ajoute-t-il désabusé, le peuple ne demande plus que du pain et des jeux, gratuits bien sûr. Sénèque chantant les joies viriles du labourage fait évidemment songer à Mme de Sévigné aux champs. C’est une littérature de caste et de citadins obnubilés par le spectacle, déprimant il est vrai, d’une plèbe urbaine désœuvrée.  

  


 Pax Romana : la Rome des Antonins
 Nerva
En désignant le vieux Nerva, le sénat n’avait pas pris de risques. Il avait 70 ans et présentait le sérieux avantage de n’avoir pas d’enfants. il eut l’intelligence de promulguer une loi agraire favorable aux populations les plus démunies. Il résolut d’adopter un officier général confirmé : le chef des armées du Rhin, dont il venait d’apprécier la loyauté et la poigne. Le 28 octobre 97, Trajan en fut averti par lettre et le 25 janvier 98, le vieil empereur mourrait.      


Ephèse - Fontaine de Trajan Trajan et Hadrien
Dans les premières années de règne, on voit Trajan s’attaquer comme il peut aux effets pervers de la manipulation monétaire de Néron. En effet, les monnaies antérieures à la dévaluation étant plus lourdes en métaux nobles, se voyaient plus recherchées, et donc thésaurisées. Trajan semble avoir remédié à la situation en démonétisant les pièces d’avant la dévaluation et en opérant une remise en ordre du rapport or – argent. Il fallait donc trouver d’urgence le moyen de se procurer des métaux nobles : avec la conquête et la guerre.   


Les motifs étaient tout trouvés. Le royaume Dace mal vaincu par Domitien, menaçait de plus en plus la frontière danubienne. Dès 101 Trajan s’attaqua donc à la Dacie. Une première campagne aboutit à la capitulation de Décébale. En 105, la guerre pourtant reprit de plus belle. Dure campagne, mais dès 106, Trajan en avait fini. Il rentrait à Rome avec un butin faramineux : quelque chose comme 165 tonnes d’or et 300 argent. Trajan avait maintenant de quoi financer la seconde expédition qu’il méditait : vaincre les Parthes. Autrement plus risqué ! L’expédition fut préparée de longue main. Trajan concentra d’importants effectifs, du matériel et des approvisionnements en Asie Mineure. Il ne manquait plus que le Casus belli. Ce fut une fois de plus l’Arménie. Le roi Parthe, en violation de l’accord passé avec Néron, venait d’y placer comme roi un de ses neveux. Trajan sauta sur l’occasion et quitta Rome en octobre 113. La situation se compliqua. En Cyrénaïque, en Egypte et à Chypre. La contagion s’étendit en 117 à l’Orient tout entier. L’empereur, épuisé, dut se replier en direction de l’Occident, laissant à Hadrien, le légat de Syrie, le soin de les ramener à leur point de départ. Ce n’était pas un cadeau. Trajan allait mourir en  Cilicie au début d’août 117, à l’âge de 63 ans. Le rêve s’achevait en désastre.   


Un doute subsiste : Trajan a-t-il bien adopté ce petit cousin ? Il est permis de penser que la promotion du légatHadrien.jpg de Syrie doit beaucoup à Plotine, la femme de Trajan. Elle soutient, en effet, que son mari l’avait adopté sur son lit de mort. Cela suffisait. Fameuse figure de prince que cet homme arrivant au pouvoir à 42 ans, cultivé, raffolant de l’hellénisme. Fin poète à ses heures, aimant les grands débats d’idée, ou il avait forcément raison. Cet homme au charme inquiétant ne laissait personne indifférent. En 136 il adopta sous le nom d’Aelius César un certain Commodus. Pourquoi ce noceur décavé, poitrinaire de surcroît, et qui ne plaisait à personne ? Une explication : séduit par l’exceptionnel sérieux d’un jeune garçon nommé Marcus Annius Verus – le futur Marc Aurèle - , Hadrien l’eût voulu comme successeur. Encore fallait-il laisser grandir ce gamin d’une douzaine d’année ! L’idée était bonne, à condition que Commodus tint le temps voulu. Or, il se trouva que dès 138, le triste Aelius César finit de cracher ses poumons. Hadrien dut se rabattre sur un certain Antonin, l’une des plus grosses fortunes de Rome. C’était un homme vieillissant et distingué, qui ferait sûrement l’affaire. Il l’adopta sous la condition formelle qui lui même adoptât le si gentil Marcus. Hadrien mourrait le 18 juillet 138. Le soi-disant empereur de transition Antonin allait bel et bien se maintenir en place pendant 23 ans.    


 Paix romaine : mythes et réalités
L’empire est grand : 3.300.000 km2 au milieu du second siècle. La méditerranée est un lac intérieur, et autour vivent quelques 70 millions d’humains fort disparates. Un poncif voudrait que les civils de ce temps auraient dû rencontrer une patrouille tous les cent mètres. Bref on est tenté de voir l’Empire romain à l’image de la France sous l’occupation allemande. Depuis Auguste, les effectifs n’ont guère augmentés, et il ne semble pas qu’on dépasse les 350.000 hommes. C’est peu pour 10.000 km de frontières. S’aventurer hors de chez soi pour un voyage engageant plusieurs étapes reste une décision qu’on hésite à prendre. Les textes conseillent au voyageur de ne se mettre en route qu’une fois rédigé son testament. Mieux vaut décidément se coucher de bonne heure, ou alors, s’il faut vraiment aller dîner chez des amis, que ce soit escorté d’esclaves solides, porteurs de flambeaux et de triques. Les différentes contrées de l’Empire sont reliées à Rome non seulement par voie de mer, mais aussi par un important réseau routier, 75 000 km env. Si la vitesse moyenne du courrier était de 75 km par jour, on pouvait, en cas d’urgence, aller jusqu’à doubler cette distance. Les gros transports étaient évidemment beaucoup plus lents.   


 Les forces de l’espritAlma-Tadema_A_Favourite_Custom_1909_Tate_Britain.jpg
Il faut lire et relire Tacite si l’on veut savoir ce que fut la Rome de ce temps pour un aristocrate, pour un sénateur : seuls existent pour lui quelques centaines ou milliers de personnes qui composent son milieu. Le regard de Tacite ne va pas jusqu’à la plèbe, méprisable a priori. Suétone, lui, n’écrit pas de si haut, puisqu’il n’est que chevalier. Dans sa Vie des 12 Césars, qui va de Jules César à Domitien, il déverse une infinité d’indications sur la famille de chacun des princes. On a l’impression qu’il juge les empereurs en fonction de leur attitude à l’égard des chevaliers. Tout cela abonde en anecdotes, auxquelles il donne l’impression de croire dur comme fer, et en détails graveleux. Visiblement il s’y complait. L’histoire c’est Flavius Josèphe. Devenu le protégé de Vespasien et de Titus, il écrit l’histoire de la dernière guerre et de son peuple. Le poète de l’époque c’est Juvénal. Ce Campanien, fils adoptif d’un affranchi, s’est attaqué dans ses Satires aux ridicules et aux tares de la société de son temps. Tout y passe : les façons des parasites combinards à la recherche d’une ascension sociale, les mœurs peu édifiantes des dames, la misère des professions libérales, le luxe et la table…

  

Antonin et Marc Aurèle
Antonin, 52 ans : un brave homme d’empereur, vraiment aussi philanthrope et philhellène que son prédécesseur, le génie en moins. Prudent, économe, ennemi de tout faste, il gérait l’Empire avec un paternalisme précautionneux, un peu comme une moyenne entreprise familiale qui tourne en vertu de la vitesse acquise. Il gouvernait en s’appuyant sur Mar Aurèle. Il est attentif à la justice, il veille au droit des pauvres, des esclaves, des prisonniers. Entre autres, il limitera le droit à la torture. Il quittera le monde en mars 161, ne laissant que des regrets, même dans la plèbe qui l’estimait et se rappelait ses confortables gentillesses.   

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Marc Aurèle était depuis longtemps le second d’Antonin lorsqu’il ferma les yeux du vieil empereur. Moralement il ressemblait comme deux gouttes d’eau à Antonin le Pieux. Un homme infiniment sympathique – mais était-ce bien le genre de maître qu’il fallait à l’Empire ou moment ou les Parthes et les peuplades danubiennes allaient remiser la pax romana au musée des beaux souvenirs ? Il était de santé fragile. A force d’obéissance volontaire aux destins, il donnait l’impression d’une morne résignation. Et puis, il avait été suréduqué : 16 maîtres autour de lui dans sa jeunesse, qui l’ont tous couvé dans un milieu déjà confiné et vieillot. Et sur ces 16, on ne trouve pas moins de 10 philosophes dont 5 stoïciens. Marc Aurèle vénérait tout ce qu’il pouvait vénérer. Seul le christianisme, qu’il persécuta à Lyon en 177, ne trouva pas grâce à ses yeux. Au reste, son stoïcisme cadrait à la perfection avec son esprit dévot. Il n’avait, avec Antonin, exercé le moindre commandement militaire.   


Dès 161 le roi des Parthes entreprit de mettre la main sur l’Arménie. Les romains ne tardèrent pas à subir des revers et il fallut envisager une expédition dans les règles. Il fallut deux campagnes successives pour régler le conflit. La première récupéra l’Arménie en 163. Puis, en 166, un traité de paix avec les Parthes donna aux romains un peu de terrain en Mésopotamie. C’est à cette époque qu’on voit apparaître une pratique inquiétante : le long des frontières on installa des barbares soumis, avec un statut proche de celui des colons. Sans doute pensait-on les rendre inoffensifs en les coupant de la masse de leurs congénères. On enfermait le loup dans la bergerie. C’est à ce moment désastreux pour l’Empire qu’éclata en 175 une usurpation (celle d’Avidius Cassius, général si heureux dans la guerre contre les Parthes) qui vint compliquer encore la situation. En 3 mois Marc Aurèle en vint à bout et Avidius Cassius fut assassiné. En 176, après une absence de 8 ans, Marc Aurèle rentrait à Rome et célébrait son triomphe.   


Le triste épisode Avidius Cassius avait servi de leçon à l’empereur : il s’empressa de soustraire sa succession aux hasards des ambitions rivales en s’adjoignant son fils Commode, promu au titre d’Auguste.   


Sur 19 années de son règne, Marc Aurèle en aura passé 17 à faire la guerre. Loin d’avoir l’imagination créatrice et le punch d’un Trajan ou d’un Hadrien, ni leur goût d’entreprendre, il se contenta de gérer comme il pouvait un Empire dont la crise économique avait déjà commencé de s’emparer. Le 17 mars 180, à Vienne, Marc Aurèle succombait à une épidémie de peste .   


 Commode
La première chose que fit Commode, qui avait évalué les possibilités de Rome dans la région danubienne, fut d’arrêter les frais. C’était simple réalisme : l’armée n’était plus guère en état de mener autre chose que des opérations ponctuelles de représailles. Là-dessus Commode regagna Rome et il eut la sagesse de s’en remettre un certain temps aux excellents collaborateurs de son père. Il est vrai qu’il avait accédé à la pourpre à l’âge de 19 ans. La personnalité du fils n’avait guère de points communs avec celle de son père. Mais dès le début du règne, il sentit grouiller autour de lui des conspirateurs. Sa propre sœur Lucilla, furieuse de se voir supplantée en influence par la nouvelle impératrice, Crispina, s’était lancée dans d’obscures intrigues de palais, où elle avait déjà entraîné des partisans. Quelques condamnations à mort s’en suivirent dans la famille impériale et parmi les sénateurs. Il dut se défaire aussi d’un préfet du prétoire. Désormais méfiant à l’endroit du Sénat, Commode s’en détourna au profit de l’ordre équestre.   


Commode.jpgDe 185 à 189, Marcus Aurelius Cleander, ancien esclave phrygien avait réussit à se hisser jusqu’au grade de chevalier. Il trafiquait des postes officiels, vendait l’entrée au Sénat. Parfois il avait la main heureuse, puisque Septime Sévère, bientôt empereur, lui devait son ascension… Mais des mœurs inquiétantes s’installaient à la cour, et de hauts personnages furent victimes de purges à l’instigation de Cleander. La cour retrouvait des ambiances des derniers temps de Néron et de Domitien. Finalement Cleander disparut, lui aussi, dans un coup monté.   


Commode se fit reconnaître comme l’Hercule romain en personne, instaurant à cet effet un culte officiel. Cela cadre bien avec une page célèbre de Dion Cassius, racontant avec un effroi rétrospectif une scène dont il a été témoin. L’Empereur venait d’occire une autruche. Alors « il s’avance vers la partie de l’amphithéâtre où nous autres sénateurs avions pris place, et il brandit vers nous la tête de l’oiseau de sa main gauche, sans un mot, avec un hochement de tête et un mauvais sourire. Nous avions plus envie de rire que de pleurer, mais il nous eût tous massacrés avec son épée si nous avions ri. Alors je pris le parti de mordiller les feuilles de laurier de ma couronne et je suggérai à mes voisins d’en faire autant… »


Se forma une conspiration qui devait aboutir, le 31 décembre 192, à l’élimination de Commode qui fut étranglé dans son bain par un gladiateur rallié à la conspiration. Les conjurés s’étaient entendus avec les prétoriens pour faire acclamer un respectable sénateur du nom d’Helvius Pertinax, fils d’un affranchi enrichi dans le commerce, et lui même professeur de lettres qui avait fait dans l’armée une carrière dont le brillant devait tout à ses qualités. Le choix était excellent. Mais il faut croire que les prétoriens n’étaient pas si loyaux, et le 28 mars 193, l’infortuné Pertinax fut assassiné par la garde prétorienne dont il avait trop tardé à satisfaire les exigences. C’est alors que les prétoriens firent monter les enchères et ce fut Didius Julianus qui l’emporta. Mais entre-temps, dès la nouvelle de la mort de Pertinax, les puissantes légions du Danube avaient proclamés leur chef, Septime Sévère. 

 


 La dynastie des Sévères
 Septime Sévère
Septime Sévère marchait déjà sur l’Italie du  Nord à la tête de ses légions du Danube, avec pour destination Rome, lorsque Niger, légat de Syrie, rameuta les légions de Palestine et d’Egypte, sans compter les partisans qu’il avait à Rome même. Il y avait donc déjà un candidat de trop lorsque le légat des armées de Grande-Bretagne, Clodius Albinus, résolut lui aussi de tenter sa chance. En fait, Septime Sévère était de beaucoup le mieux placé et Rome lui ouvrit finalement ses portes. Il monta en armes au Capitole accompagné de soldats, s’empressa de licencier les prétoriens, responsables du meurtre de Pertinax. En Orient, l’usurpation de Niger exigea presque 2 ans de combats qui conduisirent l’empereur jusqu’à Byzance. Restait Clodius Albinus. C’est au nord de Lyon qu’il fut mis hors jeu. Albinus, vaincu se donna la mort. Là-dessus Septime Sévère entreprit une tournée en Orient, et en profita pour visiter l’Egypte, et ne regagna Rome qu’en 202.  


Il était né sous Antonin en 146. Marié en secondes noces avec une princesse orientale que ses astrologues lui recommandaient chaudement : une certaine Julia Domna, fille cadette du grand-prêtre du dieu solaire Elagabal. Il avait deux fils : Caracalla, fait César en 196 et Auguste en 198, afin de décourager toute spéculation sur l’avenir. Le second fils s ‘appelait Geta. En 208, flanqué de ses 2 fils maintenant co-empereurs, Septime Sévère s’en fut guerroyer en Grande-Bretagne contre les barbares de Calédonie. Il mourut le 4 février 211 à Eburacum, l’actuelle York. Il avait 65 ans.   


 De Apulée à Lucien de Samosate
Apulee.jpgApulée, un africain de Madaure, avait collectionné les initiations à tous les cultes ‘à mystères’, ceux qui vous garantissaient ce que la religion traditionnelle ne songeait pas à vous offrir : la protection privilégiée d’un dieu durant la vie, et une mort considérée comme un cap de bonne espérance. On est loin du scepticisme d’un Cicéron. Le siècle est redevenu dévot, superstitieux même. Apulée sera l’auteur des Métamorphoses, qui conte l’histoire d’un homme transformé en âne.
Lucien de Samosate est un homme de la vieille école, classique, qu’agace prodigieusement la mode philosophaillante et superstitieuse de son temps. Cultivé et sarcastique, il s’amuse et nous amuse des faux mages, des faux philosophes, des faux prophètes de toutes sortes, qu’il rencontre à tous les coins de rue et qu’il taille en pièce dans une langue pleines de trouvailles.

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 Caracalla
A la mort de Septime Sévère, Caracalla, en dépit de ses 23 ans, était à ce point désireux de régner qu’il n’attendit pas un an pour faire égorger son frère cadet. La tête de Caracalla devait décourager toute velléité de le contrarier : un des plus beaux fasciés de brute qu’il soit donné de contempler. Son administration, pourtant, sa conduite des affaires n’avaient rien d’insensé, tout au contraire. C’est sous son règne que le juriste Ulpien déclare l’égalité de tout homme devant le droit naturel. Plus spectaculaire, en 212, l’empereur promulgua un édit qui fera date. Il étend au monde romain tout entier la civitas romana. Caracalla nivelait, mais par le haut, l’immense population de l’empire. A ce syncrétisme politique se superposait un syncrétisme religieux, les dieux multiples se résorbant en une sorte de divinité unique dont ils étaient les formes particulières ou locales.  


Le règne de Caracalla fut cependant rude. Conscient du rôle prépondérant de l’armée, il se livra, contre l’avis de Julia Domna, soucieuse des deniers de l’état, à une véritable démagogie militaire. L’armée devient ainsi, très ouvertement, une caste, et sa puissance politique n’est plus à démontrer. Pour faire face à la situation compromise par ces largesses, Caracalla dut recourir aux expédients classiques : pression fiscale jusqu’aux limites de l’absurde. Rien de tout cela ne le rendait sympathique aux victimes de ces initiatives. Les classes populaires, toutefois, ne souffraient pas de cette politique.  


Caracalla périt le 8 avril 217 assassiné, à l’instigation de son préfet du prétoire Macrin. Ce dernier avait réussi ce que Séjan et quelques autres avaient échoué à réaliser : désespérés de la mort de Caracalla, ignorant tout du complot, les soldats acclamèrent l’instigateur du crime. Pour contenter l’armée il fit diviniser Caracalla. A Antioche, où elle avait transporté sa cour pendant la campagne contre les Parthes, Julia Domna se désolait moins de la perte d’un fils aîné qu’elle n’avait jamais aimé, que de sa propre chute. Macrin s’était bien gardé de l’offenser d’aucune manière. Jusqu’au au moment où s’apercevant que l’impératrice mère avait quand même gardé beaucoup d’influence, Y comprit à Rome, il dut la prier de quitter Antioche. Minée par un cancer du sein, le moral définitivement atteint, elle devait mourir peu après. La sœur et les deux nièces de Julia Domna n’avaient pas désarmé et elles tenaient Macrin pour un usurpateur. Soi-disant retirées à Emèse, ces dames se mettent donc à comploter. Les troupes, en effet, sont restées fort attachées à la mémoire des regrettés Septime Sévère et Caracalla. Comment faire pour faire d’un gamin de 14 ans, Avitus Bassianus, fils de Julia Soaemias, grand-prêtre d’une pierre noire sacrée, d’un aérolithe divinisé, un Auguste romain à part entière ? Le projet paraît délirant en pourtant…  


La grand-mère a trouvé : on va faire passer Avitus Bassianus pour le fils adultérin du défunt Caracalla. Un peu de propagande sur place, in peu d’intox et la crédulité des soldats fera le reste. Et de fait, le 16 mais 218 au matin, avec la complicité du préfet, ces dames introduisent dans le camp romain le jeune prêtre solaire, aussitôt acclamé du nom de son pseudo-père, César et Auguste. Il ne restait qu’une formalité : régler le problème Macrin qui s’était fâché et avait envoyé ses troupes contre les mutins. Après quelques tentatives, Macrin et son fils disparaîtront successivement. Le père sera égorgé, et le fils, rejoint et massacré en chemin. 

 


d-Alma-Tadema-se-rapporte-aussi-a-Heliogabale---Spring.jpg Héliogabale
Quand on vit débarquer triomphalement dans Rome, avec son aérolithe dont il n’avait jamais voulu se séparer, ce gamin grassouillet et fardé, accoutré à l’orientale et marchant à reculons dans la fumée et l’encens, soutenu par ses acolytes, on eut un choc. Il avait pris tout son temps pour arriver là-bas, car il avait fallut trimballer à grands frais la divine pierre noire depuis la Syrie jusqu’à Rome en passant par l’Asie Mineure. Tant est si bien qu’Héliogabale n’était arrivé à Rome qu’un an et trois mois après les mémorables événements d’Emèse. La vieille Maesa exultait enfin : elle prenait sa revanche sur sa sœur défunte Julia Domna. Et c’est ainsi que le nouvel empereur ne se rendait jamais aux séances sans sa grand-mère bombardée « mère du Sénat », et qui se prélassait au banc des consuls. On vit s’installer dans l’entourage une faune inquiétante. Un ancien acteur comique prit la direction des cohortes prétoriennes. On vit se hisser aux plus hauts postes des eunuques, des travestis, des coiffeurs, des cochers de cirque. Pour cet enfant de chœurs pervers, le pouvoir était comme un gros jouet. Il jouissait de voir tant de gens entre ses mains, dont il pouvait faire ce qu’il voulait, y compris les briser, et il ne s’en privait pas.  


Le 13 mars 222, une émeute éclata dans un caserne de prétoriens où l’empereur s’était rendu ; c’était à vrai dire un guet-apens. Fidèle au genre littéraire antique, l’Histoire Auguste nous fait voir l’empereur massacré dans les toilettes où il s’était placardé, et son corps balancé dans un égout qui le régurgita. Cet intermède bouffon et sanglant, sur fond de décor exotique, laisse une impression désolante. 

 


 La fin d’une dynastie : Sévère Alexandre
Aux corps mutilés d’Héliogabale et de Julia Soaemias sa mère, décapités, estropiés, outragés de mille manières, ne tardèrent pas à s’ajouter ceux du préfet de la ville et du ministre des finances, arrangés de la même façon. Le jeune Sévère Alexandre en l’honneur de la dynastie, fut acclamé Auguste dans la cour même où l’on venait de vilainement accommoder son cousin et prédécesseur. Il avait tout au plus 17 ans et il était aussi insignifiant que son cousin était flamboyant. Pour ce qui est de la politique concrète, on imagine bien qu’elle était entre les mains plus expertes de maman. Cette dernière mourra dès 223, laissant à Julia Mammaea les clés du pouvoir impérial.  


Les Perses Sassanides qui avaient pris depuis 227 le contrôle de l’empire Perse devenaient menaçants. Il fallut se transporter en Orient pour une campagne qui connut des hauts et des bas. Sévère Alexandre n’était évidemment pas l’homme de la situation. Arriva donc ce qu’il devait arriver : le 18 mars 235, un putsch se déclara en faveur d’un homme autrement énergique, le prefet des recrues Maximin. Abandonnés de leur garde personnelle, Sévère Alexandre et sa mère furent assassinés sous leur tente. 

 


 Coup d’état permanent
 La pourpre et le sang
Une autre ère commençait : 49 ans, 23 Augustes ou Césars. 13 meurent assassinés, 7 tombent au combat, 2, pour autant qu’on sache se suicident, et un seul s’éteint dans son lit, mais de la peste. A n’en pas douter, la pourpre, en ce IIIe siècle, est devenue une profession à haut risque.

 


 L’empire remodelé
 Dioclétien et la tétrarchie
Quand Dioclétien arriva au pouvoir, cela faisait bientôt 20 ans que s’escrimaient les empereurs illyriens pour reprendre en main un Empire qui se délitait sous les coups des barbares et des usurpateurs. Il était né à Salone, l’actuelle Croatie, et de très modeste origine. Officier d’élite, fait aux commandements et aux responsabilités, sa position de chef des protectores lui avait permis de se former une idée globale de la situation. Il commença par se pourvoir d’un adjoint, un officier nommé Marcus Aurelius Maximianus, (Maximien) qu’il fut César puis Auguste. A chacun des Augustes, Dioclétien adjoignit un César ou vice-empereur. Galère et Constance Chlore, tenant son nom de son teint blafard tirant sur le vert. C’étaient tous des illyriens. 

 

diocletien.jpegDioclétien, lui-même premier Auguste, ferait de Nicomédie, à 2 pas du Bosphore, sa capitale, d’où il gouvernerait plus spécialement l’Orient. Maximien siégerait à Milan. Quant aux 2 Césars, Galère résiderait à Sirmium, sur le Danube et Constance Chlore, se tiendrait à Trèves. Ainsi aux 4 points chauds de l’Empire, il y aurait désormais 4 capitales pourvues de concentrations de troupes prêtes à intervenir dans le secteur. Rome est devenue capitale nominale, honoraire en quelque sorte, musée et conservatoire des gloires éternelles.  


L’organigramme imaginé par Dioclétien comportait une troisième innovation : le dispositif anti-usurpation. Tous les 20 ans les deux Augustes devaient obligatoirement laisser place à leurs Césars, qui devenaient sur l’heure empereurs à part entière et devaient désigner aussitôt 2 nouveaux Césars. Tel est le système que l’histoire connaît sous le nom de tétrarchie. Cette réforme structurelle sera étalée sur 8 ans, de 285 à 293, montre assez que Dioclétien, parti pour régner seul, avait été amené sous la pression des circonstances à échafauder un autre dispositif.  


Toute l’organisation territoriale se vit remaniée. Les anciennes provinces subirent un découpage. Du plus ces nouvelles unités territoriales furent regroupées dans les préfectures, dites de région, dans 12 circonscriptions originales : les diocèses. Ces régions administratives étaient gouvernées par un haut-fonctionnaire, le vicaire. La centralisation s’opère donc progressivement. A son sommet, le conseil impérial et les 5 grands bureaux se ramifient selon les 4 résidences. On passa également de 39 légions à une soixantaine, mais allégées, soit 450.000 hommes.  


Profitant d’une longue période de paix religieuse, les chrétiens s’étaient multipliés et largement installés un peu partout dans la société romaine. Il n’y avait plus guère de discrimination entre chrétiens et non-chrétiens dans la distribution des hauts emplois. Une réaction s’amorça donc, sans doute à l’initiative de Galère : il fait valoir aux Augustes le danger de subversion que représentait cette religion à vocation universaliste, et si imbue d’elle-même qu’elle prétendait exclure les autres. En 303 apparurent les édits impériaux portant interdiction formelle du christianisme. Ordre était donné de détruire leurs églises, de brûler les livres sacrés. Puis les fidèle durent sacrifier aux dieux ou alors accepter d’être condamnés aux mines ou de mourir, souvent de façon abominable. La persécution fit cette fois de nombreuse victimes (env. 5000). En dépit de ces atrocités, il faut pourtant reconnaître que cette colossale réorganisation de l’Empire laissa un bilan positif. Maximien réduisit les pillards et assainit durablement la frontière rhénane, la mer du Nord et la Manche. L’usurpation d’un certain Carausius fut anéantit par Constance Chlore. Maximien défendit l’Afrique contre les incursions de peuplades insoumises, Maures et Berbères et ferma aux Francs le détroit de Gibraltar.   


 Les derniers jours de la Rome païenne
Dioclétien s’était avisé de renforcer l’union des 4 souverains par un lien de famille. Lorsqu’il avait recruté Constance Chlore, il l’avait trouvé vivant avec une certaine Hélène, serveuse dans une auberge, en Bithynie, et dont il avait un fils, Constantin. Il lui fit mettre fin à sa liaison pour épouser une Théodora, princesse Syrienne, belle-fille de Maximien. On imagine sans difficulté l’état d’esprit de ladite Hélène et de son fils Constantin… Maximien avait également un fils nommé Maxence, à qui il ne fallait pas en promettre. Inutile d’être expert pour deviner que Constantin et Maxence, aussi ambitieux l’un que l’autre, se voyaient déjà Césars dans la seconde tétrarchie. Dioclétien, conseillé par Galère, avait combiné les choses. Il annonça les noms des nouveaux Césars : Sévère et Maximin Daïa. Tous furent frappés de stupeur… Ce Sévère était un officier illyrien ami de Galère, et Maximin Daïa un sien neveu ; ils furent adoptés dans les règles. Seulement, ces nominations saignaient noires dans le cœur de Constantin et de Maxence.  


Battle_at_Pons_Milvius_detail_1__f.jpgConstantin n’eût rien de plus pressé de rejoindre son père, Constance Chlore, qui guerroyait avec succès en Angleterre. L’idée n’était pas mauvaise, car le pauvre Constance décédait de maladie à York en 306. C’était le moment ou jamais de se faire proclamer Auguste par les troupes de son père. C’était une usurpation pure et simple. De son côté Maxence ne perdait pas ses esprits. Se trouvant à Rome il s’y était fait proclamer, lui aussi et avait rappelé au pouvoir le vieux Maximien qui ne demandait pas mieux que de reprendre du service. Galère, maintenant premier Auguste, voyant le tour que prenaient les choses, tenta de reprendre le contrôle et nomma Sévère second Auguste et fit Constantin César, grade que l’autre jugeait désormais tout à fait insuffisant. Sévère voyant le danger marcha sur Rome pour déloger Maxence et Maximien. Mais trahis par ses propres soldats qui passèrent aux usurpateurs, il échoua et fut assassiné. Le vieux Maximien et Maxence décidèrent de traiter avec Constantin, allant jusqu’à lui reconnaître son titre d’Auguste. Galère riposta en faisant empereur un autre illyrien, Licinius. De son côté, Maximin Daïa, qui ne voulait pas être en reste, se bombarda lui-même Auguste. L’invraisemblable suite de luttes qui allaient suivre fait penser à un jeu d’échec. Le vieux Maximien, chassé de Rome par son fils Maxence qu’il commençait à encombrer, se réfugia auprès de Constantin, puis se fâcha avec lui et disparut de la circulation en 310. Et d’un. Puis se fut le tour de Galère, qui décéda en 311 des suites d’une longue maladie. Et de deux. Maxence et Constantin avaient les mains libres pour se combattre à mort. Contre toute attente, c’est Constantin qui l’emporta devant Rome en 312, à la bataille fameuse du pont Milvius où Maxence s’étant jeté dans le Tibre s’y noya. Et de trois. Vaincu près d’Andrinople, Daïa s’enfuit et disparut mystérieusement en 313, probablement empoisonné. Et de quatre. En 313 il ne restait plus donc que Constantin et Licinius. On aurait ou penser que ces messieurs allaient se partager sagement les 2 zones d’influence, Orient et Occident. Mais après une dizaine d’années de calme, ils finirent par s’affronter en 324. Ce fut Licinius qui perdit et périt assassiné sur l’ordre de Constantin. Et de cinq.  


 Constantinconstantin.jpg
Il n’était pas théologien, pas davantage un philosophe. C’était une âme simple, proche de la nature. Question credo, jadis adepte comme ses ancêtres du culte solaire, il n’est pas impossible qu’il ait mêlé toutes ces dévotions. A la réflexion, les fidèles de Christus et ceux de sol invictus possédaient en commun bien des intuitions. Les chrétiens eux-mêmes ne se gênaient pas pour représenter Christus sous les traits d’Apollon-Hélios conduisant son char.  Constantin aurait-il superposé les différentes images, identifiées à ce Christus la divinité unique à laquelle se référaient tous les syncrétismes de l’époque ? c’est ce que j’imagine de plus probable pour rendre compte d’une conversion qui fut sans doute aussi sincère que confuse. Disons que si Constantin s’est converti, ce ne fut pas par politique – mais que s’étant converti, il fit en sorte que cela servît sa politique, tandis que ceux qui l’accueillaient dans l’Eglise s’arrangeaient pour que cela aidât la leur. Avec les années, Constantin en vint à se démarquer de plus en plus du paganisme. Les célébrations chrétiennes prirent le dessus sur les vénérables cérémonies. Il promulguera en 319 une loi autorisant les païens à suivre les exercices du culte : c’était le monde à l’envers ! Il avait donc fallut 7 ans pour que la tolérance ait changé de sens.  


 Le grand ?
Constantin, comme déjà ses prédécesseurs, mais de façon plus massive ouvrit largement les légions aux tribus soumises. Ces guerriers frustes, mais avisés et courageux faisaient merveille comme supplétifs dans les coups de main. On enfermait évidemment le loup dans la bergerie. Cette armée assez bigarrée a pu atteindre le demi-million d’hommes. L’administration fut plus que jamais centralisée. Tout, nominations, commandements militaires, édits, circulaires ; tout émane de la Cour, fastueuse jusqu’à la démesure.  


La Cour et ses splendeurs, l’armée, le lourd appareil d’état, et pour couronner le tout, Constantinople, capitale nouvelle, le rêve d’un mégalomane – tout cela coûtait fort cher. Entre les gens de peu et les puissants l’écart se creusa de plus en plus.  


Les textes législatifs de Constantin s’inspirent parfois d’un certain esprit évangélique, mais pour le reste, on parlerait plutôt aujourd’hui d’ordre moral : sévérité parfois atroce à l’endroit de l’inconduite – adultère concubinage… Les lois semblent avoir été concoctés par des furieux et certains détails lèvent les cœurs…


A mesure qu’avançait le temps, Constantin songeait à sa succession. Il lui restait 3 fils : Constantin II, Constance II et Constant. Il demanda in extremis en mai 337 la grâce du baptême et s’éteignit le 22 mai.

 

 Le clan des chrétiens
Constantin avait réglé sa succession, répartissant entre ses 3 fils et ses 2 neveux les territoires de l’Empire. Il n’avait oublié qu’une chose : la propension de tout un chacun à lorgner la part des cousins. Et puis, il y avait toute cette famille parallèle, demi-frères jusque là tenus en lisière avec quelques honneurs sans conséquences. Les 3 Augustes étaient songeurs. Puis tout alla très vite. Une rumeur incroyable se répandit : on venait, paraît-il de retrouver un billet froissé que Constantin expirant tenait dans sa main. Il s’y disait empoisonné par ses demi-frères, et l’on devine ce qu’il était censé conseiller à ses 3 fils… L’histoire était évidemment montée de toute pièce. Au terme de l’opération, Jules Constance, Delmatius César et bien d’autres encore gisaient sur le carreau. On envoya même liquider à Césarée l’éphémère ‘roi des rois’ Hannibalianus. 15 morts ? 20 ? Plus ? On avait ratissé large. On mit ce tableau de chasse sur le compte de Constance II. Seuls avaient échappé, Dieu sait comment, au massacre Gallus, le futur César, et Julien, le futur empereur. Les 2 orphelins furent séparés et expédiés l’un du côté d’Ephèse pour y faire des étude et l’autre chez sa grand-mère maternelle à Nicomédie.

 


Trois Augustes pourtant c’était trop. Entre frère les lutte ne tardèrent pas. Constantin II tomba dans une embuscade et y trouva la mort. On se retrouvait dans une situation classique : un empereur d’Occident, Constant, résidant à Milan, et un empereur d’orient, Constance, régnant à Constantinople. Ils s’accommodèrent de la situation durant 10 ans.

  


Curieux personnage que ce Constant. Chrétien convaincu, fanatique même, mais borné ; noceur, ne dessaoulant pas, porté sur les trop sympathiques jeunes gens et de ce fait bourrelé de remords. Avec un acharnement maladif, il prohiba toute forme de culte non chrétien, et consolida à coup d’édits vengeurs la position hégémonique de la nouvelle religion. Ajoutons à ce tableau le fait qu’il avait réussi à se mettre à dos non seulement les populations civiles, accablées d’impôts, mais aussi les légions elles-mêmes. Si bien qu’un complot se forma. Le 18 janvier 350, profitant d’une partie de chasse où l’empereur d’Occident se délassait du côté de Autun, les soldats proclamèrent un officier nommé Magnence. Soutenu par la population, l’usurpateur se trouva vite maître de la contrée. Constant, voyant que toute résistance était inutile, prit le large en direction des Pyrénées, où il fut promptement rejoint et éliminé.

  


Pris entre l’usurpation de Magnence et la guerre contre les Perses, Constance se souvint de ceux qu’il avait tant chercher à faire oublier : Gallus et Julien, reclus depuis le carnage de 337. Julien était trop jeune et trop intellectuel. Gallus, en revanche, était sommaire à souhaits et lui parut apte à faire un César à sa botte. En 351, le jeune homme se vit donc promu César, marié à Constantina, sœur de l’empereur, et expédié à Antioche pour administrer l’Orient le temps que Constance en finirait avec Magnence. Ce dernier battu se replia en Gaule et s’en fut à Lyon se donner la mort. En Orient, pendant ce temps, le César Gallus et Constantina accumulaient les erreurs. Il se conduisit en tyranneau. D’exécutions capitales en bannissements, de confiscations abusives en scandales, ce couple malavisé avait fini par s’aliéner tout le monde à Antioche. Devant l’étendue des dégâts Constance le neutralisa progressivement avant de l’isoler complètement, de le faire juger à huis clos et décapiter. Cela se passa au cours de l’hiver 354.
Songeant à cette expédition contre les Perses, Constance désigna comme César chargé des affaires de Gaule le demi-frère du défunt Gallus, le jeune Julien. Lettré, philosophe ou du moins passionné, Julien était ce qu’on appelle une conscience. Devenu expert en pensée grecque, julien-l-apostat.jpgféru surtout d’un certain platonisme de style mystique, Julien avait renoué dans le plus grand secret avec le culte solaire de ses ancêtres illyriens. Tout en gardant les formes extérieures du christianisme, il adorait les anciens dieux de l’Empire. Pour lui, la religion chrétienne était un égarement passager dont l’oncle Constantin était le grand responsable, une parenthèse malheureuse dans l’histoire de Rome. A la fin 355, Julien fut donc bombardé César, marié sans qu’il l’eût souhaité à Hélène la Jeune. Ce que Constance n’avait pas prévu, c’est que Julien, consciencieux comme on ne l’était plus guère dans ces milieux, allait prendre au sérieux son rôle de César fantoche. Au grand désespoir des vrais généraux, il apprit tout sur le tas : les manœuvres élémentaires, l’art de disposer les unités, et jusqu’au métier d’administrateur des provinces. Julien parvint à s’imposer, tant est si bien que Constance dut se résigner à contrecœur à lui laisser la direction effective des opérations. Julien avait établi son quartier général à Lutèce. Il fit merveille, puisqu’en 360, au terme de nombreuses campagnes, la situation des Gaules était rétablie et les barbares calmés.

  


Constance pensa faire d’une pierre deux coups. En rappelant de Gaule les excellents effectifs qui venaient de réussir la reconquête, il se donnait les moyens de vaincre les Perses et il coupait court à l’éventuelle usurpation dont Julien avait pu caresser le projet… Mais l’imprévu se produisit. Les troupes de Julien, composées en majorité de Gaulois et de Barbares ralliés, refusèrent obstinément à quitter les Gaules. Si bien qu’au cours d’une nuit mémorable de février 360, Julien fut acclamé, tout à fait contre son gré – du moins l’a t-il dit et répété – aux cris répétés de ‘Julien Auguste’. La mirifique combinaison de Constance avait abouti à un usurpation.

  


Le 3 novembre 361, Constance, subitement malade, était mort. Il avait in extremis désigné Julien pour successeur. Pour la première fois, un usurpateur devenait empereur. Le 11 décembre de cette même année, Julien faisait une entrée triomphale dans Constantinople, sa capitale, et recevait l’allégeance des souverains alliés.
Le premier acte que le premier acte administratif de Julien fut un édit de tolérance, promulgué en 361, restituant à chacun de pratiquer le culte de son choix. Les difficultés vinrent de ce que les chrétiens, qui s’étaient trop facilement emparés des trésors des cultes païens et des édifices, se virent contraints de tout restituer. Julien pratiqua un délestage sévère des services administratifs et du personnel pléthorique mis en place par la dynastie constantinienne.
La guerre reprit avec les Perses. L’armée de Julien, forte de 65 000 hommes, quitta Antioche le 5 mai 363. L’invasion prit d’abord les allures d’une avance triomphale bien que lente. On prit quelques villes et l’armée remporta sous les murs de la capitale Perse une belle victoire. Mais les Perses en avaient une citadelle inexpugnable. Il eût fallut un siège dans les règles, mais l’on ne pouvait s’attarder en terrain découvert. Il n’y avait plus qu’à se replier vers le nord. Le retraite se fit dans les pires conditions et le 26 juin 363, l’empereur Julien à Samarra lors d’un combat d’arrière-garde. On voudrait être sûr que le javelot qui l’atteignit venait bien des lignes adverses. Ammien, qui était sur place, a des doutes. 

  


Julien mort on acclama l’incolore Jovien, dit Jean Gagé, un chrétien. Les maladroits qui s’étaient engagés trop avant aux côtés de Julien payèrent leur imprudence : ce fut la classique chasse aux sorcières. Les philosophes et les desservants des temples païens furent pourchassés dans des conditions souvent atroces. Cette fois les dieux de Rome étaient bien morts.

  


 Les derniers jours de la Rome antique
 Dernière dynastie : les Valentiniens
Le 25 février 364 on trouva l’empereur Jovien mort sous sa tente, où il s’était retiré la veille saoul. L’armée proclama Valentinien. Teigneux au possible mais courageux et patriote, fut contraint par les soldats de s’adjoindre un collègue. Il choisit son frère Valens. Valentinien aurait en partage l’Occident et Valens, l’Orient. Valentinien mourut en novembre 375, paraît-il d’un coup de sang. Valens, mal entouré, laissa persécuter les intellectuels païens. Le 9 août 378, lors d’une épouvantable déconfiture près d’Andrinople, l’actuelle Edirne en Turquie, Valens disparut dans le désastre.

  


Valentinien mort, c’est son fils Gratien qui prit en charge l’Occident : il était déjà Auguste depuis 367. Et tout incapable de régner seul, Gratien désigna comme Auguste d’Orient en janvier 379, un Espagnol nommé Théodose.

 


Théodose et le pâle Gratien régnèrent chacun de leur côté en bonne intelligence jusqu’en 383. Mais l’armée de Bretagne acclama Maximus. Nul ne porta secours à Gratien : abandonné de ses troupes et rattrapé à Lyon, il y périt massacré. La situation devenait dangereuse pour Théodose. Plusieurs fois défait, il finit néanmoins par prendre Maximus à Aquilée, et ce dernier fut massacré. Théodose allait gouverner seul de 388 à 391. Abandonnant l’Occident, qui comptait de moins en moins, au triste Valentinien II, d’ailleurs placé sous tutelle du général franc Arbogast, Théodose regagna Constantinople. Arbogast, véritable maître d’occident, s’arrangea pour le rester le plus longtemps possible et un beau jour on retrouva mort le pauvre Valentinien II. Entre-temps Théodose était tombé sous la coupe des pontifes de l’Eglise chrétienne.

 


Le 28 février 380 il promulgua un décret fameux, dont les termes étaient sans équivoque : « Tous les peuples doivent se rallier à la foi transmise aux Romains par l’apôtre Pierre (…) c’est-à-dire reconnaître la Sainte Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». Le christianisme devenait donc religion d’Etat.

 


Théodose mourut à Milan le 17 janvier 395. C’est à partir de ce moment que l’empire laisse l’impression d’aller à l’abandon : invasions barbares, insurrections, usurpations, guerres civiles. Alaric, le chef des Wisigoths réussit à investir l’Italie du nord. Et le 24 août 410, il entra dans Rome comme chez lui. Cela fait, les Goths s’en retournèrent comme ils étaient venus, emportant une bonne charge de souvenirs. Alaric ne tenait pas à risquer la famine dans un endroit désormais si mal ravitaillé.

 


Avec Rome disparaissait l’idée d’une civilisation qu’on croyait éternelle.

 


Arcadius, l’empereur d’Orient n’avait rien su de la prise de Rome, car il était mort en 408, remplacé par son fils Théodose II, l’insignifiance faite empereur.

 


En Occident, en 423, Honorius, lui aussi était mort, et à la faveur du vide, un bureaucrate nommé Jean s’était lui-même proclamé empereur, tandis qu’en Afrique, un général avait fait sécession. En Orient Théodose II avait accepté dès 430 de servir aux Huns une subvention annuelle de 350 livres d’or, mais 6 ans plus tard les Huns auront doublés leurs prix

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5 juin 2011 7 05 /06 /juin /2011 09:56

 

BookIanCurtis5111.jpegJ’ai eu l’occasion de regarder il y a quelques jours ‘Control’, un film Anton Corbijn de 2007 réalisé en noir blanc et qui relate la vie torturée de Ian Curtis, chanteur du groupe de légende Joy Division. Adapté de la biographie de sa veuve, Deborah Curtis, Touching From a Distance, (1995) l’œuvre cinématographique donne un éclairage saisissant de ce que pouvait être l’existence dans les grandes banlieues ouvrières de Manchester - et d’ailleurs - à la fin  des années 1970. Macclesfield, bien que cernée de collines dont on devine la verdeur d’alors, y apparaît sinistre ; à la limite oppressante. Et le noir et blanc aidant, l’intrigue semble sortie tout droit d’une espèce de moyen âge moderne - avec ces téléphones vintages en bakélite à cadrans rotatifs comme objets de modernité…

 

Certains, parmi les fidèles de Joy division, déploreront peut-être cette approche trop familiale, et auraient plutôt préféré une mise en scène centrée autour du groupe. Mais il serait injuste de ne point consentir à la beauté tragique de cette fiction, assez proche de ce furent probablement les préoccupations et difficultés existentielles, tant que sentimentales, de Ian Curtis. Il s’agit là de la mise en image de l’une des facettes possible du personnage… Il y en aurait tant d’autres. Une intrigue basée sur le témoignage d’Annik, son amoureuse belge, aurait conféré, sans doute, à cette toile une teinture différente. Quoi qu’il en soit, l’essentiel reste et restera, et c’est heureux, du ressort de la subjectivité des protagonistes : insaisissable…

 

Sur un plan musical, ne boudons point notre plaisir. Le film propose juste ce qu’il faut de mélodies d’anthologies ; d’instants uniques, offerts à la postérité. Comme ce vaporisateur, actionné en rythme, sur ‘She’s lost control’ ; artisanale méthode d’avant les ‘sampleurs’ qui a tout pour me ravir (me souvenant avoir pareillement utilisé une peluche de singe appartenant à ma fille pour simuler des cris de ‘jungle’). D’ailleurs, certains textes s’éclairent subitement au vu de la biographie de ce ‘conteur sépulcral’ que fut Ian Curtis. Ainsi le fabuleux et déjà cité ‘She’s lost control’ s’expliquant par la crise d’épilepsie d’une jeune femme dont il fut témoin alors qu’il travaillait dans une sorte de bourse du travail ; affection qui devait la terrasser peu après. Ce ‘Mal sacré’ sera diagnostiqué chez lui fin décembre 1978, alors que sur le retour de leur premier concert donné à Londres, devant seulement une trentaine de personnes, il s’effondrera dans la voiture. De crises il y en aura d’autres. Convulsions scéniques véritables, prises pour de percutants effets ! « Confusion in her eyes that says it all - She's lost control ».

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D’aucuns ont pu gloser sur l’ambiguïté du nom du groupe, correspondant à la traduction littérale du terme allemand Freudenabteilung. Ces divisions de la joie qui désignaient, lors de la seconde guerre mondiale, au sein des camps de concentration et d’extermination, des cellules dévolues à l'exploitation sexuelle de détenues par certains membres de l’armée allemande. Soupçons d’affinités avec le nazisme entretenus également, entre autres choses, par l'introduction de la chanson Warsaw ou est énuméré le numéro matricule du criminel nazi Rudolf Hess. Cependant, les membres de Joy division se sont toujours défendus de la moindre accointance avec l’idéologie nazie. Sans doute, et cela transparaît bien dans ‘Control’, y a t-il eu part de provocation délibérée dans le but de faire parler du groupe. Et à la vérité, au travers des textes des chansons, pour ce que j’ai pu m’en rendre compte, c’est l’autobiographie qui prime avant tout ; ce sont les difficultés et doutes existentiels de Ian Curtis qui transparaissent…

 

Ian-curtis.jpegDe manière plus personnelle, au début de ces années 80 : chez mes parents, dans ma chambre tournée à l’ouest. Je goûtais alors la prose aventureuse de Frison-Roche. Sur mon lit, la couverture gaufrée, noire et intrigante de ‘Unknown pleasures’. Dans mes mains c’était ‘Nahanni’, en version livre de poche. Un professeur de français, salutairement atypique, lors de ma dernière de collège nous avait fait découvrir le premier opus de la trilogie montagnarde de l’explorateur français. Si les cimes enneigées ne me passionnaient guère, en revanche je tombais littéralement sous le charme de ses périples au cœur du désert africain. Me prenant à rêver ! Et cela me conduisit, tout naturellement, jusqu’en terre indienne ; si loin des sentiers civilisateurs… Et il y avait cette résonance paradoxale avec la musique Joy Division. Le fracas des chutes d’eaux, le silence des grandes forêts… Ces espaces incommensurables troublés par le regard de l’explorateur. Et pour envelopper ces sensations brutes, ce son minimal ; ces mélodies accablées venant s’incruster au plus profond de l’âme, avec pour pulsations ces percussions mates et caverneuses, sorties tout droit de nouvelles de Poe ou de Lovecraft… Et cette voix si caractéristique ! Ce cri du mal être urbain…
Rien ne semblait pouvoir associer des œuvres marquées d’une telle altérité. Elans de l’âme si disparates… Mais ainsi vont les méandres tortueux de l’existence où chacun tire son miel de sa propre expérience.

 

Aujourd’hui enfin.
Avant la mise en ligne de cet article, je parcours, sur le site dédié à Joy division, sans intention particulière, les titres de leurs chansons. Et pensant découvrir dans ‘Wilderness’ un texte évoquant la nature, je clique sur le lien  et m’aperçois que cela sonne en fait comme une authentique dénonciation de la croix.

 

« Tant la religion put conseiller de crimes !»

 

NwMaccCemIanCurtisGraveB512.jpeg 

I travelled far and wide through many different times
What did you see there?
I saw the saints with their toys
What did you see there?
I saw all knowledge destroyed
I travelled far and wide to many different times
I travelled far and wide through prisons of the cross
What did you see there?
The power and glory of sin
What did you see there?
The blood of Christ on their skins
I travelled far and wide through many different times
I travelled far and wide and unknown martyrs died
What did you see there?
I saw the one sided trials
What did you see there?
I saw the tears as they cried
They had tears in their eyes
Tears in their eyes

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28 mai 2011 6 28 /05 /mai /2011 09:41

ovide.jpg« Qu’on lise Lucrèce et l’on comprendra ce à quoi Epicure avait fait la guerre : ce n’était pas le paganisme, mais le ‘christianisme’, je veux dire la corruption des âmes par l’idée de faute, de pénitence et d’immortalité. – Il combattait les cultes souterrains – tout le christianisme latent ; en ce temps là, nier l’immortalité était déjà une véritable rédemption. Et Epicure eût été victorieux, tout esprit respectable de l’Empire romain était épicurien : alors parut Saint Paul…. » Telle est l’exergue choisie par Elisabeth de Fontenay pour son introduction de la traduction en prose du De Rerum natura paru aux Belles lettres. Si Nietzsche, emporté par sa verve, surestime dans ce passage de l’antéchrist assez largement l’enthousiasme des romains envers la philosophie du Jardin, attribuer la postérité de la secte chrétienne aux éblouissements hystériques de Paul de Tarse, ce contemporain de Sénèque qui se mit à promettre la résurrection des corps tout ânonnant : « Si les morts ne ressuscitent pas, alors mangeons et buvons car demain nous mourront », est sans doute un peu plus qu’une simple formule rhétorique. Certes il y eut ensuite Constantin et son inénarrable mère pour transformer l’agrégat catholique en religion d’état… Mais c’est une autre histoire, et là n’est pas véritablement le sujet de cette causerie, même si les chemins de traverses se révèlent souvent agréables. 

Roemer7 

Ainsi est-ce une contribution tirée du collectif « Hédonisme. Penser et dire le plaisir dans l’Antiquité et à la Renaissance » dont j’aimerai ici brosser l’esquisse. J’avais déjà évoqué ce recueil, il y a quelques mois, au travers de notes de lectures issues du texte d’André Laks intitulé « Plaisirs cyrénaïques ». La présente étude s’intitule : « aimer et souffrir : quelques réflexions sur la ‘philosophie dans le boudoir’ de l’Ars amatoria’ ». L’auteur en est Carlos Lévy.

 

Si la matière première se trouve être ici l’œuvre fameuse d’Ovide, L’art d’aimer, il ne s’agit pas pour autant d’un commentaire ou d’une exégèse de ce monument de l’an 1, mais plutôt une mise en perspective ; voire même une mise en relation de l’Ars amatoria  avec le poème de Lucrèce, et, d’une manière plus générale, avec la philosophie épicurienne. « L’art d’Ovide a été depuis toujours considéré comme un joyau d’impertinence libertine (…). Du coup, les études ont fleuri sur ces aspects, sans que l’on se pose la question de savoir quelle relation une telle œuvre pouvait avoir à la philosophie ».
Plantons le décor : l’auteur du De Rerum natura est mort depuis 55 Av JC, et un peu d’épicurisme survit dans Horace. Quant à Ovide, il est né en 43 Av JC. Et lorsque s’égrènent les premières secondes de notre calendrier, il jouit depuis long d’une grande notoriété à Rome grâce à ses recueils de poèmes. Mais, par un jour de novembre de l’an 8, un coup de théâtre s’en vient obscurcir d’un coup l’horizon du poète latin. Auguste, pour d’obscures motifs, vient de décréter son exil. On a beaucoup glosé à ce sujet. Parmi les hypothèses avancées pour cette mise à l’écart, d’aucuns évoquent le prétexte de pornographie, tandis que d’autres plaident pour des intrigues de palais jamais éclaircies. Quoi qu’il en soit, malgré la mort d’Auguste en 14, il ne sera pas rappelé à Rome et mourra en 17 à Tomis, sur les rives occidentales de la Mer Noire.

Temple-de-Lakshmana---Frise-de-sculptureserotiques.jpg 

Revenons sur les rives de l’Ars amatoria. L’ouvrage se compose de trois livres rédigés en vers, et constitue un véritable manuel de séduction et de savoir jouir. Mais au-delà d’une lecture qui insiste « sur le sourire, la grâce, la parodie (se découvre) le projet et même le pari d’Ovide : construire un système pour penser l’homme et le monde à partir des principes unanimement refusés par les philosophes. Il y a donc chez lui,  un effort de subversion radicale de la philosophie, aboutissant à une ‘philosophie dans le boudoir’ avant la lettre, dans laquelle une anthropologie fondée sur un plaisir bien différent de celui que l’on trouve chez Epicure, et même chez les cyrénaïques, aboutit à un art de vivre où la douleur revêt un sens nouveau ».

 Fresque-Lupanar---Pompei.jpg

Si pour Lucrèce, l’humanité est la seule à connaître une histoire évolutive, et s’il montre «  comment les être humains passent de la voluptas de l’accouplement primitif à d’autres formes de ce même principe » pour Ovide, « l’élément unique de référence est l’acte sexuel, c’est en lui seul qu’il faut chercher la source possible d’une moins grande inhumanité ». Bref « il s’en tient au constat initial, l’homme, comme l’animal, est un être pour l’accouplement : ‘L’oiseau a une femelle à aimer. Le poisson femelle trouve au milieu des eaux avec qui goûter la joie de s’unir. La biche recherche le mâle de sa race…’ »

 

« Ovide joue, d’une certaine manière, Lucrèce contre Lucrèce. Dans son évocation des origines de l’humanité, il rétablit les droits de la Vénus chantée au début de De rerum natura, celle sans laquelle ‘rien ne se fait d’aimable ou de joyeux’ ». (…) « Ce qu’Ovide reproche implicitement à Lucrèce, c’est de ne pas avoir conservé cette orientation tout au long de son poème ».

 

« L’homme, (…) disent les épicuriens, recherche le plaisir et fuit la douleur, d’où la nécessité du ‘sage calcul’ qui permettra de déterminer le maximum de plaisir et le minimum de douleur. Inacceptable, répond Ovide, car on ne renonce pas au plaisir de la séduction et de la possession parce qu’il comporte de la souffrance ». Intéressante confrontation… On pourrait rétorquer ici que la théorie des calculs des plaisirs et des déplaisirs peut être tout à fait activée, et justifier le comportement de tel estimant le plaisir de la séduction bien supérieur à la douleur de l’échec. Mais si l’homo oeconomicus n’existe que dans la tête des économistes d’obédience néo-classiques, l’homo calculus n’existe pas davantage. Restera toujours, et c’est heureux, cette part d’irrationnel échappant à l’algèbre le mieux borné. Ainsi, au final, les deux  thèses ont leur part de vérité – et c’est fort bien comme ça. Tout plus, pourrions nous avec Lucrèce conseiller de se garder de la drogue de la passion. Et demeurer dans le ludique et l’immanent….

 

dynoriginal_p.jpgOvide, à sa manière, intègre la complexité des sentiments et des relations humaines ; il se dégage, en quelque sorte, de ce monde ‘idéal’ peint par les philosophes du Jardin pour se frotter au monde tel qu’il va. D’évidence, ce vocable tiré du répertoire platonicien sied mal aux philosophies matérialistes. Mais reconnaissons qu’il y a tout de même du sophisme dans cette belle profession de foi déclinée dans le quadruple remède, à savoir que la « mort n’est rien pour nous » ; qu’il n’y a donc à craindre d’elle. Or, chacun sait, sauf, peut être s’il est un sage accompli, que cela ne fonctionne pas - et comment ne pas s’effrayer devant l’abîme ouvert béant sous nos pas ? Ce néant éternel dont nous ne pouvons nous consoler. De même, «l’important est de se débarrasser de l’illusion philosophique que l’on pourrait maîtriser la douleur, s’en libérer ». Et « s’adressant à Didon et à Ariane, Ovide leur déclare : ‘ce qui a causé votre perte, je vais vous le dire : vous ne saviez pas aimer’. Qu’est-ce donc que ‘savoir aimer’ ? c’est conjuguer une éthique du plaisir et une esthétique de la douleur ».

 

Baudelaire disait que « le vin rend l’œil plus clair et l'oreille plus fine ». La transcription ovidienne de ce vers en est sans doute: le vin « prépare les cœurs et les rend aptes aux ardeurs amoureuses’».
L’Ars amatoria, œuvre ludique et impertinente. Assurément. Provocation s’adressant « à la philosophie dont la politique augustéenne – d’inspiration en partie cicéronienne – semble n’être qu’une émanation aux yeux du poète ». Mais au terme de cette stimulante étude de Carlos Lévy, comment ne pas acquiescer aussi à cette fonction d’ébranlement des certitudes, à « ce refus radical du consensus sur la passion, sur la douleur, et même sur le plaisir, de ceux que Sade qualifiera de ‘froids et plats moralistes’ » ?

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7 mai 2011 6 07 /05 /mai /2011 10:45

Medee.jpgC’est quelques jours après avoir assistés à une conférence, plutôt moyenne, avec Pascal Quignard, organisée autour de l’exposition temporaire « Portraits de la pensée » au palais des beaux arts de Lille, que nous avons déambulés dans les soubassements du musée pour y admirer la cinquantaine d’œuvres exposées, datées pour l’essentiel du XVIIe siècle : De Velasquez à Johannes Moreelse, passant par Salvator Rosa, José de Ribera ou encore Hendrick Ter Brugghen.

 

Sur la conférence, non pas tant que Pascal Quignard fut intéressant, mais le sujet s’est trouvé être vite enlisé dans des considérations vaporeuses et le verbiage savant des conférenciers. Contre le philologue Bernard Vouilloux d’ailleurs, je souscris avec l’auteur des « Ombres errantes », à l’idée d’évidence que l’image est première et que la parole ne vient qu’ensuite nimber l’expérience directe de son pinceau - et non l’inverse… Hormis cela, rien de saillant sauf quelques anecdotes étymologiques ; mais il me plait beaucoup à connaître ce genre de choses aussi futiles qu’essentielles. Primordiales même, en tant que soubassement de la langue et ossature de biens des idées ou de concepts. Ainsi le terme ‘contempler’, viendrait de cette façon qu’avaient les aruspices de compter dans un cadre formé de leurs mains, et qu’on appela le temple, le nombre d’oiseaux qui y passaient sur une période donnée. Selon qu’ils venaient de gauche, à Sinistra, ou de droite, dextre,330px-Etruscan_mural_achilles_Troilus.gif l’augure était considérée bonne ou mauvaise…


Le texte inséré dans le catalogue de l’exposition écrit par Pascal Quignard reprend bonne part de sa présentation ; causerie articulée autour de deux œuvres qui ne sont pas présentées dans l’exposition : la fresque de Pompéi ‘Médée préméditant le meurtre de ses enfants’ et le ‘Tombeau des taureaux : l’assaut d’Achille’. A cette lecture un constat : l’oralité est moins bien passée que l’écrit. Sans doute eût-il mieux valu qu’il se trouvât seul sur l’estrade ce soir là. Des autres contributions du catalogue je retiendrais surtout celle de Tzvetan Todorov, utile et claire. Du premier texte de J.J Melloul je retiendrai ce versant interprétatif qui a tout pour me séduire : «Un autre modèle, matérialiste, est concevable, qui fait de la pensée l’une des manifestations de surface d’une fonction du corps parmi d’autre : le corps ‘pense’ et non pas ‘exprime la pensée’ »...

 

Rosa-salvator-democrite-en-meditation.jpegSur ces « Portraits de la pensée » en eux-mêmes, et pour ne point y développer d’absconses tant subjectives considérations jaillies tout droit de la cuisse de Jupiter, je puis qu’inciter chacun à se faire une idée par soi-même in situ (jusqu’au 13 juin). D’autre part, cette exposition fait écho à celle qui fut organisée à Rouen début 2006, et qui était intitulée : ‘Les curieux Philosophes’. En avait été tiré un catalogue avec une passionnante contribution d’Elisabeth de Fontenay intitulée ‘Rire et larmes Présocratiques’ dont voici, pour mise en bouche deux minces extraits choisis : « Les érudits ont de bonnes raisons de penser que c’est à l’époque romaine impériale que la Lettre 17 (Hippocrate) a été écrite. Le rire de Démocrite et les pleurs d’Héraclite sont ensuite devenus à la Renaissance un lieu commun, un topos rhétorique, faisant partie de ce qu’on appelait les exempla, anecdotes significatives dont étaient friands les humanistes ». (…) « On ne sait que penser de l’incompréhensible hiatus entre le Démocrite, dont on connaissait, déjà au XVIe siècle, le matérialisme et le relativisme radical par l’édition de l’œuvre de Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres (…) et le portrait peint par Velázquez. Hiatus, de même, entre l’Héraclite peint par Ribera ou Rubens et ce que les gens cultivés de la Renaissance pouvaient déjà pressentir de cette aurorale et profonde philosophie – que critiquait si fort Platon – du devenir absolu, du temps, du fleuve dans lequel on ne se baigne jamais deux fois, car il n’est jamais le même. Comment consentir à la bouffonnerie involontaire que suggère ce couple molièresque du docteur Tant Pis et du docteur Tant Mieux, à cette paire de jean qui pleure et Jean qui rit, digne de la Comtesse de Ségur…». Voici enfin quelqu’un qui n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat ; et qui incite aussi à se rendre aux sources et lire - ou relire - de ce qu’il reste à lire de ces philosophes, ainsi que les savoureuses ‘Vies’ De Diogène Laërce. Castiglione-Giovani---diogene.jpeg 

A noter enfin, sur le plan technique, un support audio  très bien fait, téléchargeable et podcastable depuis chez soi. C’est plaisir et toujours enrichissant à réécouter ensuite avec le livre de l’exposition sous le nez.

Ribera_Sybille.jpg 

 Rouen_Bor_La_logique.jpg

Giordano-A_Cynical_Philospher_f.jpg 

 Rosa autoportrait

 

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30 avril 2011 6 30 /04 /avril /2011 13:03

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La toile réserve bien des surprises. Parfois fort jolies…

 

Ainsi est-ce par le plus grand des hasards, en scrobblant (1) de la musique depuis itune, tout rassemblant divers matériaux pour un prochain article sur l’antique cité de Gortyne, qu’avec effarement j’ai découvert que le groupe Quantom 1+3 comptait subitement, depuis avril, sur Last FM 45 auditeurs pour 575 morceaux écoutés… Des partitions musicales forts anciennes que ma mémoire avait oblitérée, telles Céléano, Nordeste mystique ou encore Bleuets dont le texte est tiré du poème éponyme d’Apollinaire.

Cette subite, tant qu’inattendue exhumation, m’a conduit à une rapide recherche sur la toile pour remonter à la source de cette étrangeté, tant temporelle que factuelle ; puisque, à dire vrai, je suis le principal protagoniste et fondateur de cette ‘expérience alchimique’, défunte désormais depuis plus de 15 ans, et que les deux autres membres de la formation - et je le sais de source sure - ne peuvent avoir contribué à la résurgence de ce genre de phénix…

Il ne m’aura pas fallut long pour aborder sur les rives de ‘Systems of Romance, ou se trouve proposé en téléchargement libre une K7 remontant à 1993.

Ainsi, rien ne semble pouvoir se perdre irrémédiablement dans les méandres aux ramifications presque sans limite de la toile digitale. L’oubli n’est plus de ce monde… Et c’est avec un sentiment mêlé de nostalgie et de perplexité que j’ai downloadé le fichier comprenant ces 14 fragments de mon histoire musicale. La page était tournée depuis si longtemps, et ces dizaines de k7 d’alors, reléguées dans des tiroirs délabrés faute d’avoir été ouverts. Ce que j’avais décidé de perdre, d’autres en ont pris soin et se le sont passés de mains en main, jusqu’à ce que cela parvienne de l’autre côté de l’atlantique ou cela a été mis en partage… Le son est étonnamment bon et exempt de tâches pour ce type de production artisanale. Sans doute que ces archéologues de ‘Dark music’ ont-ils atténué le souffle sous les morceaux en rajustant les pierres et colonnes de ce qui reste de ce temple effondré. Quoi qu’il en soit, il s’agit là d’un travail conséquent et altruiste, dont la seule motivation est d’offrir aux auditeurs nostalgiques ainsi qu’aux nouveaux adeptes des vielles sonorités, un peu de l’ambiance de sépulcre qui s’écoulait alors des veines immatures des fauteurs de Quantom 1+3.tophe.jpg

 

Bien sûr, j’ai un peu honte désormais à l’écoute de certains morceaux ; partitions bancales, arrangements hasardeux, moyens rudimentaires assortis de certaines naïvetés de composition - et surtout une voix bien souvent en décalage ; mal posée et sans véritable cachet (blessure d’amour propre : ce fut toujours pour moi le point faible). Mais il convient d’assumer cet héritage. Sans doute explique-t-il aussi, pour part, d’autres chemins pratiqués depuis lors.

Ainsi je sais gré à cet inconnu de Systems of Romance, de cette mise en ligne, et qui outre la mise à disposition de ces ‘Mémoires alchimiques’, a commis un petit texte d’accompagnement que j’hésite à troubler d’un commentaire intempestif. Non pas que je ne veille point manifester ma reconnaissance à ce musicien New-Yorkais, mais je crains, en me manifestant, de troubler l’onde paisible de cet étang ou repose ces vieilleries comme autant de fragments d’une cité engloutie.

 

Au fond, ravi que cela puisse encore plaire et circuler…


Productions officielles de Quantom 1+3 : 

  • Mémoires Alchimiques (1993, demo tape)  
  • L'oeuvre au noir (1994, demo tape)  
  • Les afflictions de l'âme 1995 - Tape sortie sur le label Cat's Heaven (Sub label of VUZ records) 
  • Rough Materials - 1997/1998 - CD demo

Puisque la saison en est finalement propice, je remet ci-dessous, en guise d’épitaphe, quelques extraits de l’ancien Website de Quantom 1+3.

Je précise, qu’il faut évidemment prendre cette prose antédiluvienne avec recul. C’est si vrai que d’ailleurs, déjà à cette époque, j’avais mis en avertissement, en bas de chaque page : " Ne prenez pas ces élucubrations au sérieux. "



Quantom-01.JPG

 

Quantom-02.JPG


 

(1) Le scrobbling est le fait d'envoyer le titre (juste le titre pas le fichier) de la musique que l'on est en train d'écouter à un site.
Le site garde en mémoire les titres écoutés et génère des statistiques . A partir des ces dernières l’on obtient :

Des recommandations musicale, incitations à découvrir des artistes proches de nos goûts musicaux.

Propose des événements proche des chez soi, en relation avec les goûts musicaux exprimés.

Crée un classement des écoutes musicales, indique les sorties de nouveaux albums, etc.

Permet de dialoguer avec les autres utilisateurs.

Génère enfin une sélection des utilisateurs qui ont des goûts proche de soi, avec possibilité de visualiser leur statistiques d’écoute. (voisins qui peuvent devenir amis).   

 

SORSMALL.jpg

 

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17 avril 2011 7 17 /04 /avril /2011 10:24

Philo de notre temps 

   

Exhumé d’une pile de livre en déshérence sous la poussière, cet ouvrage collectif placé sous la direction de Jean-François Dortier, paru en 2000 aux éditions Sciences Humaines a occupé, ces jours derniers, mes heures dilettantes de la plus belle manière.

En voici donc qu’un bel ouvrage de synthèse, et à ce titre à mettre sans hésiter entre toutes les mains, et particulièrement celles des élèves préparant l’épreuve de philosophie en classe de terminale. Loin d’en gâcher la lecture d’ailleurs, cette décennie de sommeil offre de fort belles perspectives ; comme, par exemple, renseigner sur l’évolution de nos préoccupations éthiques et philosophiques depuis lors. Ainsi l’absence de chapitre consacré à l’écologie (le sujet ne se trouve pas même abordé du tout(1) ) est tout à fait symptomatique de cet état de fait.

 

Philosophies de notre temps est architecturé de manière fort didactique, avec en annexe, outre la bibliographie générale, l’index thématique et celui des noms de personnes, un très utile lexique de mots clés qui regroupe aussi bien la présentation intellectuelle des penseurs abordés dans l’ouvrage, que l’explication des principaux concepts et courants de pensées majeurs du XXe siècle (l’école de Francfort par exemple).

 

Sur le fond, l’ouvrage est organisé par thème (philosophie morale, philosophie des sciences, philosophie et politique, etc.) et dans chacun d’entre eux y alternent, après une brève présentation, les contributions des membres du collectif et des entretiens avec des personnalités du monde des idées, toutes tirés de numéros situés grosso modo entre 1991 et 1999 du magazine Sciences humaines. On y lira notamment avec profit, entre autre, les causeries avec André Comte-Sponville, Jean-Pierre Dupuy ou Robert Misrahi. Le résultat en est un panorama assez exhaustif de la pensée contemporaine, telle qu’arrêtée aux années 2000. C’est un ensemble fort agréable à lire, suscitant souvent l’envie salutaire d’approfondir les sujets qui nous intéressent plus particulièrement.

 

Enfin à noter ce Tour d’horizon philosophique en 1 heure 12, placé en introduction de l’ouvrage, et commis par Jean-François Dortier avec brio. C’est, en 35 pages, une synthèse très claire, qui embrasse l’essentiel de la philosophie, depuis ses origines jusqu’à nos jours. C’est le genre de résumé que j’aurai aimé avoir entre les mains à l’école, ne serait-ce que pour planter quelques étendards dans le foisonnement de la pensée et des mouvances philosophiques. L’essentiel pour fixer les idées s’y trouve (2)…

 


Notes :

(1) L’index des noms de personnes, par ailleurs très utile, ne comporte aucun des noms des principaux philosophes de l’écologie de notre temps, ou du moins des philosophes qui s’en sont préoccupé de près dans leurs œuvres. Ainsi, par exemple, l’absence de Gunther Anders, André Gorz, Ivan Illich, ou encore Arne Naes. Seules exceptions, Hans Jonas d’une part, mais retenu essentiellement pour son " principe de responsabilité ". Pareillement pour Jean-Pierre Dupuy, convoqué ici essentiellement comme penseur de la société libérale et marchande. Il est vrai que ce dernier a publié " Pour un catastrophisme éclairé " qu’en 2002.

(2) Je n’y ai trouvé qu’un seul raccourci – un gros contresens même. La philosophie de Michel Onfray y est en effet présentée comme une philosophie hédoniste prise dans le sens le plus vulgaire du terme ; à savoir une philosophie de bâfreur : " La philosophie qu’il pratique est une ‘philosophie de comptoir’ assumée comme telle (…) On y vante les mérites du bon vin, du gros cigare et de la fête ". Bref, il s’agirait là d’une philosophie " cigarette, whisky et petites pépées ", pour reprendre la truculente terminologie de MO à propos des personnes commettant ce genre d’interprétation fautive.  

 


En sabrant encore terriblement dans cet extrait sec qui vaut une lecture exhaustive, et dans un style télégraphique, en voici tiré quelques repères :

 

Qu’est-ce que la philosophie et question subsidiaire, à quoi sert-t-elle ?


Trois postures : Ceux qui l’envisage comme « pensée critique » ; ceux qui lui assigne l’ambition de trouver la Vérité ultime et ceux qui disent que son but est d’apprendre à bien vivre (sagesse).

1) L’école du doute :
Socrate, sage et sceptique, condamné à mort pour ‘délit d’opinion’, inaugure la méthode du doute. Montaigne et son « que sais-je ? ». Wittgenstein, etc.
2) Quête du savoir ultime :
Avec Platon et le concept de « philosophe-roi » ou « roi-philosophe », seul légitime à gouverner la Cité. On dirait aujourd’hui qu’il s’agit du modèle du dictateur éclairé.
Spinoza et sa connaissance du « troisième genre ». Le premier genre correspond à la perception sensible (vision, goût, etc.). Le second genre se rapporte aux opinions courantes et aux expériences. Quant au dernier genre, il serait réservé aux philosophes : il consiste en une sorte de perception globale et intuitive censée procurer sérénité et béatitude.
Hegel et son odyssée de la pensée qui, de la perception sensible, passant par la conscience de soi puis l’exercice de la Raison, conduira au « Savoir absolu » ; soit à la pensée de Hegel lui-même.
En résumé : Platon et l’idéalisme, Spinoza et sa démarche mystique, Hegel et l’esprit de système, représentent quelque unes des postures de ce courant.
3) Art de vivre :
Par exemple, Epicure et l’épicurisme. Le Stoïcisme.
Sous-groupe de cette mouvance ; ceux qui ne croient pas au bonheur, tel Schopenhauer ou Cioran (à l’opposé de Robert Misrahi par exemple).

 

La philosophie face à la science
Jusqu’au XVIIe siècle la figure du philosophe scientifique reste dominante (ex Leibniz, et peu être le dernier d’entre eux Kant), puis les liens vont se distendre.
1) Pour la science :
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le positivisme émerge avec Auguste Comte qui parle de ‘maladie’ chronique à propos de l’esprit métaphysique. Au début du XXe siècle se forme l’école de Vienne (objectif : tracer une ligne de démarcation entre discours métaphysiques inutiles et énoncés scientifiques).
2) Contre la science
Le désenchantement du monde. Husserl qui affirme que la ‘crise de conscience’ que vit l’Europe est due en grande partie à un développement aveugle de la raison scientifique.
Heidegger, son élève, soutient que « la science ne pense pas, et ne peut pas penser ».
Les auteurs de l’école de Francfort quant à eux donnent de la science une vision  asservissante et déshumanisante.
En résumé, se dégage 3 postures critiques de la sciences : 1) vision ‘déshumanisée’, ‘désincarnée’. 2) Aveugle aux valeurs. 3) Incapable de penser par elle-même.
3) Dialogue science et philosophie : L’épistémologie
Karl Popper et son principe de ‘réfutabilité’ : un énoncé scientifique est une hypothèse que l’on soumet à l’épreuve.
Le but de la philosophie et aussi de dévoiler ‘l’impensé’ de la science, les schémas mentaux, qui guident implicitement la recherche. Ex : Bachelard qui parlera de ‘psychanalyse de la connaissance scientifique’. 

 

Philosophie et sciences humaines
Au cours du XIXe siècle les sciences humaines conquièrent leur indépendance.
Par exemple, Lévi-Strauss, dans Tristes Tropiques, raconte comment il s’est désintéressé de la philosophie pour se consacrer à l’enthographie, cette façon vivante et concrète de découvrir l’homme. 

 

Cartographie de la pensée contemporaine (6 zones d’influence majeures) :
1) Phénoménologie : approche qui récuse le clivage objet / sujet. S’intéresse aux ‘intentions’, aux ‘significations’ que nous donnons aux choses (Husserl, Merleau-Ponty, etc.).
2) Philosophie analytique anglo-saxonne (ex Wittgenstein) : critique de la métaphysique. La science repose sur la vérification des faits et la rigueur des énoncés.
3) Critique de la modernité : ‘Déconstruction’, ‘Post modernisme’ et philosophie du ‘soupçon’. Mirage du discours progressiste, du discours à prétention universaliste (Derrida, Foucault, Deleuze).
4) Philosophie des sciences : comprendre comment se construisent les sciences, leurs règles du jeu (Popper, Michel Serres).
5) Philosophie politique : A longtemps été évincée par le Marxisme qui se voulait philosophie globale qui réduisait à néant l’idée d’une autonomie politique. Ce fut en marge de ce courant dominant qu’ont développés leurs pensées des philosophes tels Léo Strauss, Hannah Arendt, Raymond Aron, etc. Nouvelles figures montantes à partir des années 80 : John Rawls, Claude Lefort, etc.
6) Philosophie morale : réapparaît dans les années 80 sous le nom ‘d’éthique’. Elle s’adosse et pense sur le déclin des idéologies, des utopies, le discrédit du politique, les manipulations génétiques, l’essor de l’individualisme, etc. (Ex : Hans Jonas, André comte-Sponville)

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9 avril 2011 6 09 /04 /avril /2011 13:07

Le DésespéreAcculé à n’en avoir qu’une version virtuelle, peu propice à mes bucoliques retraites, longtemps ai-je cherché à me procurer une version tangible du " désespéré ". Point assez lu, sans doute, pour garnir les étagères des librairies où je traînais mes guêtres. Quoi qu’il en soit, jamais je n’eus la pugnacité de me résoudre à en passer commande. Peu être un secret manque de conviction… Aussi, faute d’édition récente ce souhait de lecture demeura-t-il un vœux pieu que les années tapissèrent du souvenir de cette promesse inaccomplie. Jusqu’à ce que ne surgisse cette nouvelle édition, sortie dans la collection GF, à la très opportune couverture ; la meilleure selon moi parmi celles qui me sont connues, car la plus proche de l’esprit de l’ouvrage de Léon Bloy, ce maudit des bénitiers ; anachorète concupiscent au regard exorbité de libellule.

 

Moi qui pensais trouver en ces pages désirées, malgré ma défiance viscérale envers qui porte en bandoulière les stigmates du crucifié, la fulgurance d’un style qui auraient placé Bloy aux côtés de cette sorte d’Huysmans, selon l’expérience de la trappe d’Igny, j’en fus pour mes frais.

Caïn Marchenoir et sa véronique édentée ne sont, chacun à leur manière, que de hideux martyrs à faire peur… Et si d’aventure le sort devait malencontreusement me faire croiser un jour la route de l’un des frères du fauteur de leurs jours, et je n’y songe qu’avec effroi, nul doute que par mesure de salubrité je ne me prisse à déguerpir.

Le désespéré dégouline de cette haine fatale de l’incompris. Celui qui perché du haut de l’absolue vérité, seul contre tous, ne peut s’empêcher cracher à la face du monde sa suffisance ; à défaut de sa vertu. Cerné de toutes part par les séides du mal il n’a à la bouche que pelletés de vociférations ; et ce ne sont là que les invectives d’un intégriste catholique, atrabilaire hanté au-delà du raisonnable par les sécrétions du diable.

Dans le désespéré on ploie aussi sous la complication outrancière ; véritable nuisance que cette pénitence imposée aux pèlerins… Et à ce rat qui " laissa tomber une pièce de cinquante centimes dans cette sébile à remontoir, qui déshonore, avec la plus horologique exactitude, la mendicité chrétienne ", tout refusant de " s’éloigner sans avoir compissé son bienfaiteur d’un dernier avis " et d’exhaler donc de " prototypiques admonitions ", conseillant à l’ami de notre ombrageux forcené de ne " plus tant faire la bête féroce ", il ne sera rien pardonné.Léon Bloy

 

Mais sans doute ne vais-je trop loin dans la détestation ; désappointement à ne mesurer qu’à l’aune de ma déception.

Quoi qu’il en soit, d’une lecture studieuse, j’en suis venu au fil des jours, pour achever l’indigeste pavé, violentant éhontément mes manières policées, à glisser en diagonale sur moult bondieuseries… Et m’en suis fort bien porté.

 

Je retiendrai néanmoins ceci de l’Imprécateur ; de cet homme qui, après avoir fustigé la " Racaille démocratique ", par une espèce de retournement désespéré doublé d’une pénétrante acuité, dénoncera avec toute sa rage cette double indécence qui a traversé les âge : cette promesse d’arrière-monde faite aux gueux par la religion, calamité instigatrice de toutes les soumissions et servitudes volontaires, d’une part. L’abjection, ensuite, suscitée par la vanité sans borne de ces quelques oligarques qui n’ont, pour toute légitimité, qu’une abyssale fourberie nimbée de l’habituelle et acidulée rhétorique propre à leur caste, cache-sexe véritable à cette stupidité instinctive et crasse qui transpire sous leurs beaux habits. Pavloviennes muqueuses indignes même des grands primates qu’ils sont…

 

" Tout homme du monde, - qu’il le sache ou qu’il l’ignore, - porte en soi le mépris absolu de la Pauvreté, et tel est le profond secret de l’HONNEUR, qui est la pierre d’angle des oligarchies.

Recevoir à sa table un voleur, un meurtrier ou un cabotin, est chose plausible et recommandée, - si leurs industries prospèrent. Les muqueuses de la considération la plus délicate n’en sauraient souffrir. Il est même démontré qu’une certaine virginité se récupère au contact des empoisonneurs d’enfants, - aussitôt qu’ils sont gorgés d’or. (…)

Mais l’opprobre de la misère est absolument indicible, parce qu’elle est, au fond , l’unique souillure et le seul péché. (…) La pauvreté véritable est involontaire, et son essence est de ne pouvoir jamais être désirée. Le christianisme a réalisé le plus grand miracle en aidant les hommes à la supporter, par la promesse d’ultérieures compensations. S’il n’y a pas de compensations, au diable tout ! (…)

Hier soir un millionnaire crétin, qui ne secourut jamais personne, a perdu mille louis au cercle, au moment même où quarante pauvres filles qui cet argent eût sauves tombaient de faim dans l’irrémédiable vortex du putanat ; et la si délicieuse vicomtesse que tout Paris connaît si bien a exhibé ses tétons les plus authentiques dans une robe couleur de la quatrième lune de Jupiter, dont le prix aurait nourri, pendant un mois, 80 vieillards et 120 enfants ! (…)

Les riches comprendront trop tard que l’argent dont ils étaient les usufruitiers pleins d’orgueil ne leur appartenait ABSOLUMENT pas ; que c’est une horreur à faire crier les montagnes, de voir une chienne de femme, à la vulve inféconde, porter sur sa tête le pain de 200 familles d’ouvriers attirés par des journalistes et des tripotiers dans le guet-apens d’une grève (…)

Ils se tordront de terreur, les Richards-cœur-de-porcs et leurs impitoyables femelles, ils beugleront en ouvrant des gueules où le sang des misérables apparaîtra en caillots pourris ! (…) Car il faut, indispensablement, que cela finisse, toute cette ordure de l’avarice de l’égoïsme humains ! "


Une musique qui pourrait convenir…

Quoi que dans mon esprit cette association ne soit pas à l’avantage " Cindy talk ", et de ce morceau en particulier, dont les déchirements et la d’une profondeur inextinguible, malgré les ans, me ravissent toujours.

 

 

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3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 11:27

 Feul 1 

  

Très belle trilogie scénarisée par Jean-Charles Gaudin (Marlysa, Les princes d’Arclan, etc.), et dont le dernier tome remonte à 2009. Une série qui, sans en révéler la trame, est hélas d’une brûlante actualité ; et laisse à réfléchir. " Pour le dire brutalement, je ne suis pas sûr que l’humain que je suis soit prêt à changer de mode de vie pour que l’humanité gagne quelques milliers d’années d’espérance de vie. Et si, comme je le pense, ce constat représente la pensée moyenne de l’humain egocentré individuel, il devient très difficile de voir comment les choses pourraient changer de quelque manière que ce soit ". (1)

 

 

En bref : la terre probablement à une époque indéterminée, dans un futur lointain assurément… Une maladie sordide et mystérieuse, le Feul, ravage depuis long des peuples, les Oldis et les Bourouwns dont les cultures, les mœurs et les croyances s’opposent en tout. " Beaucoup de grands avaient été emportés par le Feul, mais père disait que la maladie frappait surtout les enfants… Mon frère aîné que je n’ai jamais connu était mort lui aussi du feul à l’âge de deux ans… Aujourd’hui, c’était mon petit frère qu’on mettait en terre ", dira Jautry l’un des protagoniste de cette fresque merveilleusement mise en image par Frédéric Peynet et sortie aux édition Soleil.

 

Est repêché un jour, dans les filets des Oldis, le cadavre d’un Bourouwn, sans doute noyé eFeul 2t transporté par les courants après avoir glissé en amont sur les rochers de la rive. Le conseil des Oldis, malgré l’antagonisme des deux peuples, a décidé de restituer le cadavre aux Bourouwns et le disposent, en attendant, dans l’argile afin de mieux le conserver. " Chacun appelle barbarie de qui n’est pas de son usage ", a constaté Montaigne dans le fameux chapitre Des cannibales de ses Essais. Et c’est exactement ce que dira le fils de la victime, introduit nuitamment à la tête d’un petit groupe armé dans le village Oldis, lorsqu’il découvrira le corps ainsi apprêté : " Comment ont-ils osés faire ça ?.. Les Oldis ne sont que des barbares ! ".

S’en suivra une poursuite sanglante qui s’achèvera par la capture de deux Oldis, mère Valnes et l’un de ses compagnons, qui seront menés à s’expliquer devant le chef du village Bourouwn. Ils découvrent à cette occasion que le Feul frappe ces derniers également durement, et qu’ils s’apprêtaient à remonter la rivière, bien en amont, afin d’y rencontrer un autre peuple, les Albinths sortes de géants, considérés comme primitifs et dont les coutumes révolteront bientôt mère Valnes au-delà du descriptible. Les Albinths, qui considèrent leur femmes comme leurs propriété foncière, et détruites à la mort de leurs propriétaires, sont en effet soupçonnés d’avoir empoisonné les eaux de la rivière.

 

 Feul - planche

 

 

Feul3Il est décidé une expédition commune. Bourouwns et Oldis vont devoir apprendre à coopérer, et surmonter leurs différences. " C’est inadmissible. Ce sont des bêtes ! Savoir qu’ils forniquent pendant notre prière me met hors de moi ". C’est ce que crachera Dalïark, le fils de l’homme retrouvé mort dans les filets des Oldis à son chef de village, le sage nabot Kaliam à l’issue du premier jour de l’expédition. Les Bourouwns, en effet, sont des rigoristes vouant leur prière au dieu Gorna, tandis que les Oldis, plutôt panthéistes si ce n’est athées, ont des mœurs libertines où les femmes, pour des motifs de déséquilibre démographique, se partagent les hommes.

 

 

Les Brohms sont l’un des autres peuples de cette terre malade. Esclavagistes violents et sans pitié, ils asservissent les peuples et villages de la contrée, tel celui des résignés Baudhels afin de les faire travailler dans des conditions affreuses au fond de leurs mines. Les aventuriers, malgré les réticences de l’Albinth mâle qui a rejoint le groupe avec sa compagne, ne pourront s’empêcher d’intervenir devant le massacre. Il faut dire quel les Albinths, en rien coupable de la maladie, souffrent aussi du terrible fléau qu’est le Feul. " Un groupe ?.. Quelqu’un s’est-il soucié seulement de connaître mon nom ?… ", lâchera cependant amer le géant par une nuit d’orage à ses compagnon de route médusés qui l’avaient sauvé de la foudre, peu être davantage par intérêt que par grandeur d’âme.

 

Cette quête haletante, dont je ne dirai rien de plus afin de n’en point gâter la saveur, connaîtra ses moments heureux et ses drames. Mais ainsi va la vie.

C’est une belle et terrible aventure que Le Feul, et qui forcera les aventuriers à surmonter - et peu être aussi à comprendre - leurs différences ; une quête qui les mènera aux confins du monde, jusqu’à la source du mal.

 

 

Brohm sur sa monture 


 

(1) Stéphane Ferret, Deep Water Horizon, Seuil 2011, p287. Excellent essai sous titré "Ethique de la nature et philosophie de la crise écologique", sur lequel je reviendrai prochainement. 

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