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19 mars 2011 6 19 /03 /mars /2011 17:09

Fukushima - centrale nucléaire

  

A l’heure ou les liquidateurs japonais dans une course contre la montre, et au péril de leur vie, tentent de refroidir les réacteurs éventrés de la centrale nucléaire de Fukushima, le monde s’affole.  

 

 

Comment l’impossible a-t-il pu survenir ?  

Il aura fallut, pour en arriver là, un monstrueux séisme d'une magnitude de 8,9 suivi d'une forte réplique de 7,4. Le Japon n’avait jamais connu, ni anticipé, un tremblement de terre d’une telle ampleur. Et personne n’avait prévu qu’une telle secousse tellurique puisse produire un tsunami avec des vagues hautes de près de 10 mètres. Mais les mots sont abstraits ; il est très difficile, sauf à y être confronté, de se représenter véritablement la puissance de tels phénomènes, même au travers de vidéos telles celles circulant actuellement sur la toile. 

 

 

 

Nul n’avait non plus cru possible un tel enchaînement d’accidents graves sur une même centrale nucléaire. Pour rappel, il y a tout juste une semaine se produisait une explosion dans les bâtiments du réacteur N°1. Deux jours plus tard survenait une autre déflagration, cette fois dans les locaux abritant le réacteur N°3. Ensuite, il se produisit mardi dernier une nouvelle explosion dans le bâtiment du réacteur N°2, occasionnant deux brèches de huit mètres de large dans l'enceinte extérieure du bâtiment. Comme si cela ne suffisait point, une autre déflagration d’hydrogène déclencha un incendie dans le réacteur N°4, alors à l’arrêt pour maintenance.

 

Une telle conjonction d’événements, tous plus improbables les uns que les autres, font immanquablement songer aux Cygnes noirs décrits par Nassim Nicolas Taleb, concept qui existe au moins depuis l’antiquité romaine, et qu’il a repris et développé avec succès dans son essai éponyme. En bref, le Cygne noir consiste en une théorie selon laquelle un événement imprévisible a une faible probabilité de se dérouler. Mais s'il se réalise, les conséquences qu’il engendre ont une portée considérable et exceptionnelle. Pour reprendre la terminologie de N.N Taleb, le domaine du Cygne Noir se situe dans une zone située dans le quatrième cadran d’une matrice qui conjugue Extrêmistan et complexité de l’exposition. Jean-Pierre Dupuy ne dit pas autre chose, lorsqu’il écrit : " Le problème des coûts et des avantages à quoi se résume la leçon principale de la théorie en question (théorie économique enseignée dans les écoles d’ingénieurs) n’est d’aucun secours lorsqu’il s’agit de multiplier une probabilité infinitésimale par des conséquences infinies ". On encore : " Il existe des actions ou des faits qui ont une probabilité extrêmement faible de produire un effet considérable. Parce qu’elles sont insignifiantes, un calcul moral ou rationnel devrait-il tenir ces probabilités pour nulles ? ".

Quadrans

 

Mais au-delà des apparences, à propos du nucléaire et des risques qu’il fait courir au vivant, peut-on véritablement parler de Cygne noir lorsque survient de telles catastrophes (nous en sommes tout de même au troisième incident majeur) ? Force est de répondre par la négative.

 

En France, on voit depuis une semaine nos politiques (ceux aux commandes de nos destinées) s’agiter en tout sens ; et de promettre sur le vif, la main sur le cœur et la mine grave, des contrôles et des mesures de sécurités renforcées sur nos vieilles centrales. Et de nous assurer au passage qu’un tel événement est impossible en chez nous. Ils communiquent et rassurent. Bref désinforment tant qu’ils peuvent, particulièrement en France, le pays le plus nucléarisé au monde avec les Etats-Unis et le Japon précisément. La cohorte des experts autorisés - jamais indépendants - déferle sur les médias, tant ceux du domaine public, assujettis à l’oligarchie que ceux inféodés aux amis du pouvoir, pour s’adonner à l’art de la paraphrase, sophistique éprouvée les faisant faire du commentaire de texte autour des dépêches Reuters, rafistolant au passage leurs conjectures, hypothèses et autres élucubrations, à l’aune de l’évolution du réel.

 

Mais plus que ces gesticulations prévisibles, c’est le cynisme ambiant qui est révoltant ; cet espèce d’utilitarisme de bazar visant à la minimisation de l’importance morale de la catastrophe doublé d’une incapacité à tirer les leçons du passé.

Que n’ai-je donc point entendu ces jours derniers… Ces antiennes chantées sur tous les tons, par des gens qui pourtant, a priori, n’ont aucun intérêt personnel dans l’énergie nucléaire, ni n’ont rien de particulièrement " monstrueux ".

Tu veux t’éclairer à la bougie peu être ? " ; " Le risque zéro n’existe pas…".

 

Dupy JP - TchernobylC’est dans cet état d’esprit que j’ai exhumé de ma pile de livres en attente de lecture, et que j’ai lu, le témoignage de Jean-Pierre Dupuy, " Retour de Tchernobyl, journal d’un homme colère ", paru en 2006 à la suite d’une mission qu’il a effectué sur le site de Tchernobyl en août 2005. Toutes les questions essentielles sont posées et l’analyse est imparable… Et comment ne pas lui donner raison lorsqu’il écrit : C’est à tort que l’industrie nucléaire se félicite que Three Mile Island ne soit pas devenu un Tchernobyl, et que Tchernobyl n’ait pas fini en explosion atomique. Ces catastrophes majeures qui n’ont pas eu lieu à un near miss près sont la seule garantie que nous ayons que l’industrie trouve la sagesse et la volonté de les éviter. L’industrie est la première à reconnaître qu’elle prend le chemin opposé, malgré Three Mile Island, malgré Tchernobyl. Ce qui ne signifie qu’une chose : ce pire que le sort lui a évité, elle ne le tient pas pour réel, simplement parce qu’elle n’a pas eu lieu. C’est une faute gravissime ". Le plus effarant c’est que " dans son livre ‘Hiroshima est partout’, Anders nous fait voir la vision la plus accomplie du mal, un mal qui n’est le produit d’aucune intention de faire le mal (…) si ces catastrophes se présentent comme quelque chose qui nous dépasse et que nous refusons de voir, ce n’est pas qu’elles sont une fatalité ; c’est qu’une multitudes de décisions de tous ordres, caractérisées davantage par la myopie que la malice ou l’égoïsme, se composent en un tout qui les surplombe. " Pour dire court, et selon la leçon d’Ivan Illich qui fut l’un des maîtres de Jean-Pierre Dupuy : " les plus grandes menaces viennent aujourd’hui moins des méchants que des industriels du bien ".

 

Sur le cynisme pratique dont font preuve d’ordinaire moult de nos contemporains, animés par le soucis d’éviter à tout prix les questions dérangeantes susceptibles de remettre en cause leur routine confortable, Jean-Pierre Dupuy s’y est naturellement trouvé confronté à son retour de Tchernobyl. En voici un mince aperçu : (tel) " fait remarquer qu’on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. Cette stratégie a ses lettres de noblesse philosophiques : ce que nous appelons le mal relève du domaine de l’apparence car, pour celui qui sait voir, ce prétendu mal contribue à la maximisation du bien dans le meilleur des mondes possibles. La civilisation technologique ne peut pas se passer du nucléaire et les risques qui pèsent sur celui-ci sont le prix que nous devons payer pour nourrir la croissance ". (Tel autre) " relativise l’importance quantitative. Qu’est-ce donc, dit-il, que ces quelques dizaines de milliers de morts au passif de la seule catastrophe nucléaire de l’histoire si on les compare au nombre total des victimes des catastrophes minières ? " (Un autre) " va beaucoup plus loin. Acceptant pour les besoins du raisonnement que Tchernobyl est bien responsable de 40.000 morts, il n’hésite pas à les comparer aux 2 millions de cancers mortels que la nature aura provoqués dans la population des zones contaminées, pour conclure que les conséquences de l’accident sont négligeables. Sur sa lancée, il ose même mettre en rapport les victimes de Tchernobyl avec les 6 millions de paysans ukrainiens que Staline a délibérément condamnés à mourir de faim. Ne sachant quoi lui répondre, je l’abats d’une balle de revolver : quelle importance puisque après tout il faut bien mourir de quelque chose ". Il y a de quoi susciter la nausée. Mais, constate Jean-Pierre Dupuy, aucune de ces personnes n’arrive néanmoins à la cheville des technocrates onusiens. Et voici ce qu’un comité d’expert scientifiques, parlant au nom du Commissariat à l’énergie atomique a rédigé, " sans que personne, semble-t-il, s’en émeuve : ‘l’accident de Tchernobyl n’a eu aucune conséquence statistiquement observable sur la santé dans notre pays’. Pour bien saisir l’imposture que représente cette assertion, il suffit de transposer dans le domaine du vote. On obtient : ‘Lors du référendum français sur le projet de Constitution européenne, 29 millions de votants n’ont par leur vote produit aucune conséquence statistiquement observable sur le résultat final’. Vraie de chacun des votes pris individuellement, cette proposition devient absurdement fausse lorsqu’on l’applique au niveau collectif. On s’esclafferait si le tour de passe-passe n’était pas aussi révoltant " .

 

Sur la science, Jean-Pierre Dupuy, fait remarquer que loin d’être neutre, elle est au contraire porteuse d’un projet. Mais, s’interroge-t-il avec justesse, " la science doit-elle être une arme dans la concurrence féroce que se livrent les peuples à l’échelle de la planète ? ". Et de se souvenir " des cris d’admiration obscène des officiels et des journalistes devant le premier champignon atomique réussit par la France. Il n’était question que de valeurs républicaines, de patriotisme et de respect pour le pouvoir de la science ". Il note d’ailleurs que la spécialisation à outrance dans le domaine scientifique conduit à une profonde inculture scientifique de la plupart des scientifiques ", les rendant souvent incapables d’un retour réflexif sur ce qui dépasse leur spécialité, voire ce qui constitue même leur cœur de métier. " La science hyper-concurrentielle, donc hyper-spécialisée, est tout sauf une activité culturelle ".

 

Nous savons, mais ne croyons pas ce que nous savons ", pourrait être l’amère conclusion de ce livre tant visionnaire que d’une brûlante actualité. Ce témoignage est à méditer en profondeur. Et s’il se dégage à la lecture de l’ouvrage un légitime sentiment colère, loin de se résoudre cependant à un pessimisme désespéré, l’auteur escompte bien nous dessiller les yeux avec le concept de catastrophisme éclairé " qu’il a développé avec bonheur dans l’essai éponyme paru en 2002 ; et il faut entendre ici le catastrophisme éclairé  comme posture métaphysique à faire sauter ce verrou que constitue le caractère non crédible de la catastrophe ".

Nous n’en prenons, hélas, pas pour l’heure le chemin. Et si, quelque soit l’issue de Fukushima il est à craindre que l’apprenti sorcier prométhéen qui sommeille en la plupart d’entre-nous prenne le dessus, lorsque l’impensable devient possible il n’est plus temps de renoncer à tenter de renverser ce qui semble prendre l’allure d’un destin collectif.

 

L’ennemi c’est nous.

Reste à voir, pour reprendre les termes d’un article d’Ernest Partridge de 2008, si l’être humain est réellement capable d’utiliser son savoir ainsi que sa capacité à se projeter dans l’avenir pour choisir, parmi les options se présentant à lui, celles assurant sa pérennité. Jarred Diamond, dans " Effondrement " a montré qu’il n’en était parfois rien, en témoigne les exemples bien connus des habitants de l’île de Pâques, ou celui des vikings du Groenland.

Désormais nous sommes tous embarqués sur le même navire et les vents radioactifs ne s’arrentent pas aux frontières, sauf évidemment dans les songes des thuriféraires du Progrès à tout prix ou dans les discours de la propagande politique.

L’avenir dira si nous valons finalement mieux que la levure ou les mouches à fruits. 

 

   

 Centrales Nucleaires dans le monde

  


VIDEO

Courons nous à la catastrophe ?

Jean-Pierre Dupuy, Isabelle Stenger, Yves Citton sur le plateau de Frédéric Taddeï

(cliquer sur l'image)Jp dupuy

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5 mars 2011 6 05 /03 /mars /2011 09:07

 

Fiches de lecture

De petites fiches de lectures sans prétention ; mais utiles pour se remémorer les grandes lignes d’un ouvrage. Recopie de passages et synthèse tout à fait subjective.


Histoire logo-copie-1Lucien Jerphagnon 


Histoire de la Rome antique

 

(Tallandier, réédition 2002)

 

 


Partie II  :    D'Auguste à Néron

Lecture partie I  


     

Le Principat sous Auguste

 

Octave Auguste ou le césarisme sans César

 

Quand Lépide sera mort, en 12 AV JC, Auguste se retrouvera souverain pontife. Il a été, de plus, été déclaré divin, et il porte désormais le nom d’Auguste. Il est le premier président, le princeps, et le premier des Romains, rt à vrai dire le patron universel dont Rome et son Empire deviennent clients. Une telle accumulation de pouvoirs n’a pas d’équivalent aujourd’hui. Bref la monarchie était instaurée sans que la République fût abolie.  

   

AugusteLe gouvernement des réalités

 

Le Sénat vit son prestige rehaussé dans la mesure ou s’exténuaient ses pouvoir réels. Auguste réduisit à 600 le nombre des titulaires, et les candidats au titre devaient justifier d’un patrimoine d’un million de sesterces.

Pour l’ordre équestre, constitué d’un réseau de notables issus de la grande propriété terrienne traditionnelle, du grand commerce, Auguste a eu tôt fait de se rallier cette couche influente de la société romaine, dont il fit le second ordre. Il fallait pour y prétendre, justifier d’un patrimoine de 400.000 sesterces. Désormais ces notables auront vocation à occuper des postes importants : gouvernement de provinces de moindre classe, certaines préfectures, etc. Cette confiance du prince, et aussi les mille agréments qui toujours et partout font le ravissement des gens d’appareil : passementerie vestimentaire, places réservées, etc., tout cela va donner à l’ordre équestre un lustre apprécié des titulaires… et envié des postulants.

Côté des armées : service allongé à 20 ans, recrutement limité autant que possible aux citoyens romains. A la fin du règne, Rome disposera de 25 légions, soit 140.000 hommes, appuyés désormais sur des escadrons de cavalerie. Chaque légion a son numéro d’ordre, et se trouve commandée par un légat ayant rang de sénateur, et qui tient ses pouvoir du princeps. Une exception bien sûr : l’Egypte, où commande un préfet équestre. L’encadrement est assumé par des tribuns militaires et des centurions.

En Italie, on ne trouve pas de légions, mais des cohortes d’élite, fortes de 500 hommes triés sur le volet. On y doit que 16 ans et l’on y est 3 fois mieux payé.

De modestes effectifs en somme, si l’on considère l’immensité des territoires sous domination romaine.

 

Les gens de l’entourage

Auguste avait su s’entourer dès le départ. C’était un groupe d’amis très chers. Et d’abord l’excellent Agrippa, son viel ami, qu’il avait marié en 21 AV JC avec sa fille, l’explosive Julie.

Côté philosophe : Areios Didymos, un érudit qui avait pondu deux doxographies. Areios constituait, en somme, une encyclopédie sur pattes, un dictionnaire ambulant qu’il pouvait consulter à tout moment. Auguste avait même son coin de transcendance, avec les pythagoriciens. Toutes ces influences philosophiques se retrouvent d’ailleurs dans Virgile, dont on sait les relations qu’il entretenait avec le prince.

A partir de toutes ces influences, Auguste a su tirer, théoriquement et pratiquement, ce qu’il lui fallait pour mener à bien ce qu’il avait entrepris. Quel art de la synthèse ! Le résultat ne laisse pas d’être impressionnant, et permet de pressentir ce qu’il en a coûté à un homme d’ailleurs chétif, légèrement contrefait, affligé d’un système digestif délabré et avec cela mangé d’anxiétés diverses.

 

Le siècle des étoiles

Lucrèce est mort depuis 55. Un peu d’épicurisme survit toutefois dans la muse élégante d’Horace. Properce est flatté de compter dans la pléiade qui entoure Mécène. Ovide lui, est la coqueluche de la société romaine qui raffole de ses œuvres légères.

Auguste exile Ovide à Tomes, sur la mer Noire, sous prétexte officiel de pornographie, mais peut-être du fait d’intrigues de palais jamais éclaircies. Il ne sera jamais rappelé.

Salluste venait de mourir quand survient Actium, si bien qu’il n’avait connu Octave que comme triumvir. Il avait connu tout le monde : Cicéron, Pompée, César, Antoine, Brutus… Il se mit donc a consigner les événements, et surtout à réfléchir dessus, en s’inspirant de ses lectures : Thucydide, Platon, Poseidonios. Salluste est clairvoyant. Son style, la pénétration de ses analyses, sa recherche des causes, surtout psychologiques, en ont fait un modèle de Sénèque et de Tacite.

Tite-Live est tout juste le contemporain d’Auguste. C’est un rat de bibliothèque, qui accumule et met en forme la documentation encyclopédique puisée à même ses devanciers.

Varron ? Un monument. Rien n’aura échappé à sa curiosité : grammaire, dialectique, rhétorique, géométrie, arithmétique, astrologie, musique, médecine, architecture, toutes disciplines qui constituent le cycle, le programme des études.

 

Eterniser le provisoire

Tout le temps qu’il fut aux affaires, soit pendant 45 ans, Auguste fut tourmenté par le problème de sa succession. Il lui sembla, n’ayant pas de fils, que l’appartenance à la lignée, à la gens Julia pouvait constituer un titre convenable. C’est pourquoi Auguste avait d’abord songé à un neveu, Claudius Marcellus, le fils de sa sœur Octavie. Mais à peine Marcellus eut-il ses 18 ans qu’il mourut. Auguste se tourna alors vers son vieil ami, Agrippa, le fit divorcer, le remaria avec Julie et vit avec bonheur 2 petits César, Caius et Lucius, naître de cette union politique. En 2 et 4, ils avaient, hélas, rejoint les dieux. Sans enthousiasme il songea alors à son beau-fils Tibère. Et peu avant sa mort, il se résigna à s’adjoindre Tibère en tant que coadjucteur, si bien que le 17 août 14, lorsque Auguste s’éteignit, c’est tout naturellement que le Sénat, le peuple et l’armée prêtèrent serment de fidélité à Tibère.

   

Le second César : Tibère

Tibère proposa qu’on répartît sur trois têtes l’énorme charge de gérer l’Empire. Là où il proposait sincèrement une ouverture, on crut voir une grosse ficelle. Cette offre désintéressée avait pris de court ces politiciens rancis, déshabitués à des vraies responsabilités par 40ans de tutelle. Quelle tête faire quand un supérieur vous apporte sur un plat ce dont vous n’avez pas envie ?

Si Tibère était conservateur, il ne l’était pas au point de vouloir perpétuer les abus invraisemblables qui avaient amené la République à l’abus que l’on sait. S’il entendait favoriser l’aristocratie, il n’allait pas quand même pas jusqu’à lui sacrifier les provinces. L’incompréhension s’installa. Comment ! Il nous comble de respect, nous accable de faveurs, et il prétend mettre son nez dans nos comptes ! Quel homme, quel tyran est-ce donc là, quel ennemi de la " liberté " ? Quant à la plèbe, elle trouve le nouveau prince sérieux, trop, revêche même, alors qu’elle aime le sourire, les allures décontractées.

TibereMilitairement, le règne n’eut rien de particulièrement brillant, ni d’ailleurs de décevant. Rome digère ses conquêtes et ne les étend pas. Digestion d’ailleurs difficile. En Germanie éclate une nouvelle révolte. Las Bas c’est Germanicus qui commande en chef. Sa femme Agrippine l’accompagne. Le couple à plusieurs enfants, dont le petit Caius, chouchou des soldats. On le surnommera Caligula, le petit godillot. Quand éclate l’insurrection, Germanicus est absent. Apprenant les troubles particulièrement meurtriers, il revient d’urgence et découvre avec des sentiments mêlés… que ses soldats l’acclament imperator. Il faudra tout le prestige personnel de Germanicus, et aussi son énergie pour venir à bout de ce pronunciamiento. Tibère, qui sait ce qui pouvait se passer dans l’esprit de ce jeune homme adulé, et de sa femme surtout, était de plus en plus perplexe. Le contact avec le peuple, ils l’avaient eux ! Or, les affaires d’Orient devenant de plus en plus embrouillées, il devenait urgent d’y envoyer quelqu’un en mission. Il démontra au Sénat que c’était Germanicus le plus qualifié en la circonstance. Dans le même temps, Tibère nomma à la préfecture de Syrie un sien ami nommé Pison, qui s’installera avec sa femme, une amie très chère de Livie, et qui avait ceci en particulier qu’elle détestait Agrippine, la femme de Germanicus. Ainsi Tibère et son auguste mère ne seraient pas sans nouvelles de l’expédition. En 18, donc, Germanicus et Pison s’en furent chacun de leur côté pour l’Orient. Le jeune prince fit un large périple. Il inspecte les provinces, vérifie les comptes de gestion, relève les anomalies, entend les doléances, bref il se conduit en vice-empereur. En 19, Germanicus, sûr de lui, fait un crochet par l’Egypte, dont nous savons le statut de chasse gardée impériale. Alexandrie l’accueille en petit-fils d’Antoine. On l’accable de marques de respect, de titres – y compris celui d’Auguste ! Tibère et Livie ne manqueraient pas d’apprécier… Là-dessus, Germanicus remonta le cours du Nil jusqu’à Assouan. Et là, il se sent subitement très mal. Peu après il meurt, non sans avoir laissé entendre qu’il était victime de Pison et Plancina. La nouvelle consterna Rome et fit le pire effet. Sur les murs de la résidence impériale, des graffiti vengeurs réclamaient : " Rends-nous Germanicus ! ". Les obsèques prirent un tour séditieux. Pison fut traduit en justice, et son procès souleva l’hystérie des foules. Le gouverneur prit le parti de se suicider le lendemain. Pourtant, la mort de Germanicus était sûrement fortuite, mais ce fut la rumeur qui prévalut. Pour Tibère, c’était la brisure définitive des liens entre le peuple et lui.

Un homme s’active dans l’entourage, car il a compris tout le parti qu’il pouvait tirer de la solitude désenchantée de l’empereur : c’est un chevalier nommé Séjan, préfet du prétoire. Il a la haute main sur les puissantes cohortes prétoriennes, et il intrigue sans cesse auprès du Sénat pour faire nommer ses propres créatures aux postes à influence. Les " princes héritiers " ne voient évidemment pas la chose d’un bon œil. Drusus, le propre fils de Tibère, en vient à se colleter avec le préfet, qui entre-temps l’a bel et bien fait cocu. Peu après, Drusus meurt, dans des circonstances mal éclaircies. Bien plus tard Tibère apprendra par l’ex-épouse de Séjan que l’infortuné Drusus aurait été empoisonné par les 2 amants. Séjan prend de plus en plus d’importance, et Tibère, durant les années 24-30, va vivre littéralement sous influence. Qu’espère au juste Séjan ? Disposer dans l’ombre du pouvoir absolu par tacite délégation. Il cherchera même à épouser sa maîtresse, la veuve plus ou moins " volontaire " du pauvre Drusus. Alors Séjan trouve un autre moyen de gouverner à sa guise : il habitue l’empereur à l’idée de s’éloigner de Rome. En 26 c’est chose faite. Tibère se retire pour toujours sur le fameux rocher de Capri. Séjan a mainte nant les mains libres pour mener à bien la seconde partie de son projet : éliminer Agrippine et le jeune Néron César. L’affaire sera rondement menée : traduits en justice, Agrippine et son fils seront déclarés ennemis publics et déportés séparément. A Rome, le " cher Séjan " disposait tout à son gré et bénéficiait d’un avancement incroyable : consul à Rome, proconsul dans toutes les provinces. Du jamais vu pour un simple chevalier ! Il y avait bien encore un fils de Germanicus, Caligula. Séjan s’en inquiétait d’autant plus que Tibère l’avait fait venir auprès de lui à Capri : il se demandait comment évacuer de son chemin cet ultime obstacle. Il ne savait pas encore qu’il était perdu : Tibère avait reçu une lettre intéressante d’Antonia, la veuve de son cher Drusus où elle racontait tout : les menées de Séjan, les réactions des milieux romains, où l’on commençait à se demander si un empereur n’en cachait pas un autre. Tibère en secret, avec l’aide d’un ancien préfet des vigiles prépare sa vengeance. Elle sera foudroyante. Il s’assure sur place, moyennant finance, de la fidélité des prétoriens – et il fait lire au sénat une lettre : ordre d’appréhender immédiatement Séjan. En un instant la situation se retourne. Le maître de Rome n’est plus rien. La nuit d’après, Séjan est exécuté et son corps tiré au croc – suprême déchéance – jusqu’aux Gémonies. Trois jours plus tard il ne reste plus rien de sa famille ni de ses amis : tous lynchés ou exécutés dans des conditions horribles. La terreur s’abat sur Rome durant toute l’année 32 : une effroyable purge de la classe politique menée de Capri et exécutée sur place par les dignitaires trop heureux de se défausser de toute imputation de " séjanisme ".

Qui désigner à présent, comme successeur à l’Empire ? De la famille de Germanicus, il ne reste comme descendant mâle que le jeune Caligula. Tibère le trouve inquiétant, mais qui d’autre proposer ? Passe pour Caligula.

En 37, miné par la maladie, épuisé, Tibère veut une dernière fois retourner à Rome, mais de nouveau il fait demi-tour et repart pour la Campanie. Il meurt seul, à 68 ans, après 23 années d’un règne implacable, douloureux et pleinement efficace.

 

Les princes et les destins Caligula

Le système politique inauguré par Auguste au lendemain d’Actium, reconduit par Tibère, le sera par plus de 80 souverains après eux. Ce sera toujours la République et ce que nous appelons l’Empire. Bref ce régime qui, à ses débuts, ne cessait d’être affirmé provisoire et qui va se prolonger plus de 4 siècles. D’un bout à l’autre, la res publica, l’Etat va reposer finalement sur un seul homme . Mais le prince n’est seul que dans les chronologies : il a une mère, un père, des frères et des sœurs, des beaux-frères et des belles-sœurs, de neveux et des nièces. Et puis, le prince a des conseillers, bons, moins bons, ou carrément dangereux. L’empereur a souvent son philosophe personnel, et ces " abbés de cour ", des aumôniers stimulants ou reposants, des éminences grises qui trafiquent de leur influence.

Il faut mentionner le rapport du princeps et des forces politiques, et d’abord le Sénat qui, de repli en repli n’était plus qu’un mauvais institut où l’on discutaille avec pertinence et raffinement rhétorique sur les droits du sénateur et du peuple romain aisé. Le Sénat, c’est la propriété foncière, l’argent, la culture, et donc le prestige, même si de plus en plus on le voit cantonné dans le rôle de chambre d’enregistrement. (…) Il a toujours la faculté de faire sentir plus ou moins son inertie, de faire perdre du temps, de créer des courants favorables ou défavorables dans sa clientèle, et donc par totalisation, dans l’opinion.

L’hérédité des Julio-Claudiens pesait lourd sur Caligula : il était très probablement épileptique, ce qui n’arrangeait rien. Toujours est-il qu’il dépêcha aux Enfers un sien cousin et frère adoptif cohéritier de Tibère, Macron, le préfet du prétoire, et Silanus, son propre beau-père. De 38 à 39, son comportement avec le Sénat fut ahurissant. Mêlant le loufoque à la cruauté, il semble vouloir non seulement décimer la vénérable institution mais encore la ridiculiser. Il fait courir des sénateurs en toge à côté de sa voiture, il fait battre au Cirque des hauts personnages âgés ou infirmes ; il condamne aux bêtes des gens irréprochables, etc. En revanche, il ne se gênait pas pour affirmer qu’il entendait gouverner pour le peuple et les chevaliers. De tout cela, il ressort à l’évidence que si Caligula détestait la très haute société romaine, il aimait le peuple et ne savait qu’inventer pour lui faire plaisir.

En 40, Caligula reprit de plus belle ses ruineuses extravagances de monarque oriental divinisé, vida les caisses impériales laissées pleines par Tibère, et entreprit d’éponger le déficit par des exactions fiscales d’une telle ampleur qu’elles lui aliénèrent même le petit peuple.

Le 24 janvier 41, des conjurés coincèrent opportunément Caligula dans un cryptoportique du palais. Ainsi s’achevait se règne cruel et surréaliste.  

 

Messaline - Gustave Moreau 1874 

Claude, empereur malgré lui    

Débarrassés de Caligula, désorientés par ce qui venait de se passer, les gardes parcouraient le palais lorsqu’ils avaient vu dépasser d’un rideau soigneusement tiré les pieds d’un homme vert de peur, qu’ils avaient délogé : c’était Claude, le frère de Germanicus. Il fut sans doute le premier surpris de se voir à porter une pourpre à laquelle il n’avait jamais songé. Bègue, bourré de tics, bâfreur, ivrogne et porté sur les femmes, c’était cependant un authentique érudit. Né à Lyon en 10 Av JC, il avait donc 52 ans lorsque le Sénat, qui n’en était plus à cela près, entérina le choix des prétoriens, et lui confia solennellement le 25 janvier 41 l’investiture suprême. Il n’avait pas souhaité le pouvoir ; il allait l’exercer, et dans le sens d’une stricte loyauté dynastique. Son premier acte fut de condamner et de faire exécuter les assassins de son neveu Caligula.

Il fut à coup sûr le meilleur administrateur qu’ait connu Rome jusqu’alors. Claude avait compris la nécessité d’assimiler largement les provinciaux. Il est triste d’entendre Sénèque se moquer de cet empereur qui " avait décidé de voir en toge les Grecs, les Gaulois, les Espagnols et les Bretons ". Encore s’agissait-il que de l’élite évidemment.

Ce fut finalement un règne brillant sous un César qui ne le paraissait guère. Il est bien dommage que tout cela ait été finalement terni par des intrigues assez sordides où furent impliquées les épouses du prince. Laissons les deux premières, qui n’ont aucun intérêt. Messaline, en revanche, la troisième, a laissé un nom. Cette descendante d’Antoine complotait. Elle ne sut se modérer ni dans sa nymphomanie ni dans ses manigances. Elle avait fini par bafouer ouvertement l’impérial cocu en épousant, dans le cadre d’une sorte de bacchanale, l’un de ses amants. Messaline fut donc invitée à aller voir aux Enfers s’il y avait du monde à séduire.

Claude n’eut pas la main plus heureuse en épousant sa propre nièce, une fille de Germanicus qui s’appelait Agrippine comme sa redoutable maman. Elle profita de la décrépitude accélérée de Claude pour le manœuvrer à sa guise. Elle voyait sans plaisir grandir son beau-fils Britannicus, tout désigné pour succéder à son père. Aussi s’arrangea-t-elle pour faire adopter par Claude le fils qu’elle avait eu d’un premier mariage avec une abominable crapule, mais très noble, du nom de Domitius Ahenobarbus. Une fois adopté, le jeune homme s’appela Tiberius Claudius Nero. Agrippine le confia au meilleur précepteur qu’elle put trouver : le philosophe stoïcien Sénèque. On maria le prince avec Octavie, la fille de Claude.

Le 13 octobre 53, Claude dîna d’un plat de champignons qui fut le dernier. Nul n’en saura jamais plus long.  

 

Néron, l’empereur-soleil Néron

Né à Antium le 15 décembre 37. (…) Avec une touchante dignité, le jeune homme âgé de 17 ans, prononcera l’éloge funèbre de Claude.

Quand Néron prononça devant le Sénat son " discours du trône " - entièrement mis au point par Sénèque – ce fut la divine surprise : il promettait de respecter les droits du Sénat, de ne se mêler en rien des procès, et de distinguer radicalement sa Maison et l’Etat. L’anti-Claude en somme ! Et de fait, les premières années se passèrent de cette manière et furent sans histoires. Seulement, Agrippine, voulait gouverner par fils interposé, et ne prenait même pas la peine de s’en cacher. C’est ainsi qu’un jour, elle se mit en tête de présider avec Néron une audience d’ambassadeurs… et se fit remettre à sa place. Elle avait tout prévu, sauf que Néron, une fois empereur, voudrait l’être pour de bon. Mortifiée elle essaya la chantage., laissant entendre que Britannicus pourrait constituer une solution de rechange. Peu après, en 55, l’infortuné Britannicus décéda brutalement au cours d’un repas amical.

Après l’épisode Britannicus, Agrippine aurait dû entendre sonner le glas de ses espérances. Mais elle continua son chemin dans l’ombre, au point que Néron commença à s’en inquiéter sérieusement. Il avait éventé les manigances de sa mère, et agacé de la sentir toujours entre deux complots, il donna de plus en plus consistance à l’idée qui se formait en son esprit. Il ne serait tranquille qu’une fois sa mère incapable de nuire. Des spécialistes concoctèrent un artifice de leur cru. On avait en effet saboté la vedette qui devait reconduire l’Augusta de la baie de Naples jusqu’à sa résidence d’Antium après une fête donnée en son honneur par Néron. Le bateau gagna la haute mer ; là, la cabine préalablement bricolée s’effondra, tuant plusieurs suivantes, et ratant l’Augusta qui put regagner la cote à la nage. Néron attendait tranquillement la nouvelle du naufrage lorsqu’il reçut un petit mot r assurant de sa mère. Grâce aux dieux elle était sauve… C’était le désastre : elle aller rameuter ses partisans, soulever les soldats, quoi encore ? Néron fit alors réveiller d’urgence Burrhus et Sénèque. Le lendemain, le Sénat perplexe apprenait le suicide d’Agrippine, suite à un attentat manqué… contre la personne du prince. C’est à partir de ce drame que Néron échappa à Burrhus et à Sénèque, et s’abandonna de plus en plus aux extravagances inspirées de ses phantasmes orientaux, particulièrement égyptiens.

Les choses s’étaient gâtées entre Néron et le Sénat. En 62, Burrhus mourut de sa belle mort et Néron décida d’autoriser Néron à prendre la retraite qu’il sollicitait. Néron choisit pour conseiller un certain Tigellin, le nouveau préfet du prétoire, homme de moralité douteuse, et avec cela très hostile au Sénat qui le lui rendait bien. Désormais entre l’aristocratie et le prince, la rupture était consommée. Il répudia dans des conditions scandaleuses l’irréprochable Octavie. Puis il épousa Poppée. Le règne allait évoluer rapidement vers la monarchie orientale, rééditant, en somme, le triste pré décent de Caligula.

Neron devant le cadavre d'Agrippine - APPERT Eugene

Le 18 juillet 64, alors que Néron rentrait d’une tournée triomphale dans le sud de l’Italie, le feu se déclara à Rome. La ville était calcinée à 20%, et de nombreuses victimes avaient disparues dans les flammes. L’empereur, revenu en toute hâte, avait aussitôt organisé les secours, mettant ses immenses jardins à la disposition des familles éprouvées. Toutefois des mauvais bruits coururent : c’était l’empereur qui avait programmé l’incendie à des fins d’urbanisme – ce à quoi plus personne ne croit aujourd’hui, ne serait-ce que parce que Néron avait perdu dans le sinistre des collections auxquelles il tenait beaucoup. Mais l’opinion voulait des coupables. Des malins s’avisèrent que le quartier juif, situé sur la rive droite du Tibre, n’avait pas été touché. Tout ce que l’on sait, c’est que quelques centaines de chrétiens furent appréhendés et voués à des supplices écœurants. Ce n’était d’ailleurs pas en tant que chrétien – Néron ne s’en souciait guère – mais en tant qu’incendiaires présumés. Par suite Néron fit reconstruire Rome selon des plans remarquables.

Tout cela joint aux dépenses somptuaires du règne finissait par coûter cher. Il fallut donner aux provinces un tour de vis fiscal peu apprécié. On rêvait d’abattre le tyran. Des complots se formèrent, vites éventés, vites réprimés. En 65, une conjuration hétéroclite se forma en vue de déposer Néron et de le remplacer par un certain Pison. Le projet n’avait aucune chance d’aboutir : il était aussi mal préparé que possible, et le candidat était tout à fait quelconque. Naturellement, le secret transpira et la répression s’abattit, sauvage, car Néron s’enfermait dans la hantise d’un assassinat. Le poète Lucain, neveu de Sénèque, s’y trouva impliqué et dut mourir. Sénèque lui-même fut invité à s’ouvrir les veines.

Luca Giordano - La mort de Seneque - vers 1684

En 68, à Rome, une nouvelle conspiration s’organisa. C’était la fin. Néron, perfidement conseillé, fut pris de panique : on venait d’apprendre que le Sénat l’avait déclaré ennemi public, avec les sinistre conséquences que la sanction impliquait. Là-dessus, il fut trahi par un préfet du prétoire, nommé Sabinus. Se voyant perdu, c’est vers l’Egypte bien-aimée que Néron songea à fuir. Mais c’est dans une villa de banlieue, dans un coin sordide, envahi par les ronces, que l’attendait son destin. C’était le 9 juin 68. Quel artiste meurt avec moi ! (Qualis artifex pereo !). il venait juste de se poignarder, avec l’aide d’Epaphrodite, son secrétaire, lorsque ses poursuivants arrivèrent.

 

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19 février 2011 6 19 /02 /février /2011 10:18

Titre philo          Eloge de la démotivation 

 

                           Guillaume PAOLI
                                              Lignes, 2008
  

                                                                    Partie 3

                                                           La drogue du travail

                                                           Annulation de projet   

 

Notes de lecture

De petites fiches de lectures sans prétention ; mais utiles pour se remémorer les grandes lignes d’un ouvrage. Recopie de passages et synthèse tout à fait subjective.  


 

Voici la troisième et dernière partie consacrée à cet " Eloge de la démotivation " de Guillaume Paoli.

Au risque de radoter un peu, il s’agit là d’un livre à véritablement mettre entre toutes les mains ; particulièrement celles de ceux dont les symptômes de l’addiction au travail commencent à se manifester – pour les malades situés à un stade beaucoup plus avancés, je crains qu’il ne soit trop tard pour leur administrer la présente pharmacopée (d’ailleurs, tout à leur labeur, ils n’ont point de temps à perdre à lire de telles fadaises).

Pour ceux qui auraient ratés les épisodes précédents :

 

Eloge de la démotivation, partie 1

Eloge de la démotivation, partie 2 

 


 

La drogue du travail

DémotivationLe drame de l’addiction commence de façon anodine. Le salarié veut se prouver qu’il est à la hauteur de sa tâche, qu’il ressemble au portrait qu’il avait dressé de lui-même dans sa lettre de motivation : performant, endurant… On le gratifie pour cela, ce qui le pousse à en faire plus. Les tâches à accomplir s’amoncellent, tandis que ses forces le lâchent. Pour échapper à l’idée qu’il se fait presser comme un citron, c’est lui qui va presser les autres, les harceler. Du côté de sa vie privée, c’est le désastre total. Il ne reste plus que la boite à laquelle il puisse s’accrocher, avec une agressivité redoublée. Voilà pourquoi beaucoup de gens qui, selon les critères dominants, " réussissent dans la vie ", sont cependant en permanence frustrés, aigris, vidés. Et qu’ils témoignent même d’une agressivité envieuse envers ceux qui tout en bas de l’échelle, ces chômeurs qui ne foutent rien de la journée.

La normalité de l’entreprise est pathogène. Quelle en est la raison ? " Non seulement le système capitaliste favorise l’addiction, mais il vit de cette addiction ; il est intrinsèquement un système d’addiction. Le capital produit et reproduit le besoin, et ce de façon exponentielle, car l’absence de limites constitue son essence ".

La révolution industrielle : organisation du travail dans des lieux clos soumis à une logique autonome et une discipline de fer. Cette mise au travail forcé des gens s’était déroulée dans des conditions d’une violence inouïe. Sans elle, jamais les hommes (ni les femmes) ne se seraient pliés au régime infamant de l’usine. Jamais ils n’auraient abandonnés spontanément un mode de vie qui, malgré la pauvreté, leur garantissait une marge notable de liberté communautaire. Quant à l’exploitation impitoyable des enfants, qui soulève toujours l’indignation, elle avait précisément pour fonction d’élever une nouvelle génération radicalement coupée de ces traditions qui rendaient les adultes " inutilisables ", pour employer les termes d’un industriel de l’époque.

Hyper Travail et hyper consommation sont deux formes complémentaires de l’addiction. L’addiction est un style de vie et elle concerne l’intégralité de l’individu. C’est pourquoi il est si difficile de s’en déprendre.

 

Annulation de projet

Le sarkozisme est un pétainisme, mais – il faut s’adapter à la conjecture – un pétainisme en string, strass et plume de paon au cul.

On peut bien qualifier d’historique la fameuse exhortation que tint à "  la France qui pense " la ministresse Lagarde du haut de son perchoir : " assez pensé maintenant, retroussons nos manches ! ". Jamais un niveau aussi bas n’avait été atteint dans un hémicycle qui en a pourtant entendu bien d’autres. C’est bien à Vichy qu’il faut aller chercher un équivalent à cet éloge de la " valeur travail ", puisqu’il a été visiblement pompé sur un discours tenu par Pétain le 1er mai 1941. Démotivation

Mme Lagarde prétend avoir lu, et même compris, De la démocratie en Amérique, " livre indémodable ". Tocqueville y juge ce système libéral-démocratique qu’elle entend nous faire aimer : " Il ne brise pas des volontés, mais il les amollit, les plie, les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il hébète, et réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger ".

L’époque est révolue depuis longtemps où la masse ouvrière était culturellement coupée de l’activité bourgeoise. Aujourd’hui, mille liens l’y rattachent. Le citoyen lambda peut bien pester contre la spéculation boursière, c’est en elle que sont placées sa santé, son éducation et ses vieux jours. Il râle contre la mondialisation, mais se rue sur la camelote à prix cassés fabriquée par des esclaves asiatiques. Il s’inquiète un peu de l’avenir de la planète et beaucoup de l’augmentation de l’essence. Et si d’aventure il manifeste, ce n’est pas pour défendre la dignité ou la solidarité, mais son pouvoir d’achat.

Sur le Discours de la servitude volontaire, un libéral récusera l’existence de la servitude en régime démocratique, et un gauchiste niera que celle-ci soit volontaire. 1) C’est accorder foi à la vieille fable du contrat social et de la poignée de la main invisible qui a toute occasion viendrait le reconduire. Mais qui peut encore y croire ? On s’en doute bien, personne ne choisirait de plein gré les conditions qui lui sont faites si celles-ci lui étaient proposées comme une simple option parmi d’autres. D’ailleurs, on nous le répète assez, le marché à ses servitudes. 2) A la seconde objection on peut d’abord répondre que des évolutions longues y ont conduit, des mutations en ont permis l’essor, qui étaient en gestation au XVIe siècle. Dans leur généralité, les observations de La Boetie restent aussi actuelles que les maximes politiques de Machiavel (qui en sont en quelque sorte le contrepoint). Mais les anticapitalistes ont toujours eu un problème avec la servitude volontaire, soupçonnant ceux qui l’évoquent de vouloir noyer les responsabilités concrètes des exploiteurs dans la généralité psychologisante du " tous coupables ". (…) On le sait bien, lors même qu’un tyranneau est évincé par la rue, son clone a déjà pris sa place. Un de guillotiné, dix de retrouvés. Surtout, en évacuant cette question gênante, les mouvements contestataires se retrouvent prisonniers d’un double paradoxe. D’abord envisager la servitude sous le seul angle de la coercition, c’est prêter à cette dernière des pouvoirs fantastiques qu’elle n’a pas. L’autre versant du paradoxe est le suivant : quand des individus plus ou moins malintentionnés viennent nous expliquer qu’en réalité jamais nous n’agissons, mais sommes toujours agis, mus par la contrainte économique, l’origine sociale, la manipulation de masse, l’habitus, l’inconscient ou le programme génétique (rayer la mention inutile), qu’induisent-ils en fait ? Qu’étant tous de pures victimes, la question de notre libre arbitre ne se pose même pas.

La déprise  : (méthode appropriée à une lutte asymétrique) La méthode chinoise repose avant tout sur deux principes éminemment discrets : se rendre soi-même insondable, et laisser la formidable machinerie s’enliser inexorablement dans les sables de la motivation. Les arts martiaux chinois et japonais sont fondés sur ce même principe. Toutes ces techniques d’autodéfense sont des applications d’un concept clé de la philosophie chinoise, en particulier taoïste : wei wu wei, le non-agir agissant. Bornons-nous à n’en donner qu’une formulation banale, voire simpliste : l’abstention, la suspension d’activité, le non-engagement sont aussi des moyens d’agir. Au lieu de faire quelque chose à tout prix, de s’activer, de s’agiter en tous sens, il est grandement préférable de se poser la question : pourquoi fait-on quelque chose plutôt que rien ? Il ne s’agit pas seulement de faire de nécessité vertu dans un rapport de forces défavorable, mais bien de renverser la situation asymétrique en se plaçant sur un plan fondamentalement autre. Tel serait le sens philosophique concevable de la dé-motivation.

Ces propos répondent à une nécessité bien concrète, celle de s’inscrire en faux contre le nouveau modèle dominant de l’activité, je veux parler du projet. Aussi est-on tenté de crier à la multitude des activistes de toutes sortes : sortez du réseau, annulez le projet, faites-vous passivistes !

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 19:15

Contre les forcenés du travail et autres adeptes de la servitude volontaire

Rails

Si au lieu de fabriquer des traverses, et de forger des rails, et de consacrer jours et nuits au travail, nous employons notre temps à battre sur l’enclume nos existences pour les rendre meilleures, qui donc construira des chemins de fer ? Et si l’on ne construit pas de chemin de fer, comment atteindrons-nous le ciel à temps ? Mais si nous restons chez nous à nous occuper de ce qui nous regarde, qui donc aura besoin de chemin de fer ? "

  

Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois

P 108 -109

 

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22 janvier 2011 6 22 /01 /janvier /2011 15:41

Savoir vivreRobert Misrahi est l’un de ces philosophes peu médiatiques, dont je n’avais pas entendu parler jusqu’alors, ou plutôt dont la prégnance en mon esprit fut si évanescente que je n’en avais point consciemment conservé de véritable souvenir. Il aura donc fallu qu’il s’en vienne présenter, en décembre dernier, dans le journal des « Nouveaux chemins de la connaissance » son dernier livre intitulé « Savoir vivre » pour attirer mon oreille et susciter l’envie irrépressible d’en apprendre davantage sur l’œuvre de cet homme discret.

 

Spécialiste reconnu de Spinoza Robert Misrahi est aussi l’artisan d’une œuvre consacrée à la question du bonheur. Ainsi est-il un penseur de la Joie et du Haut désir. En ce sens, à sa manière il est aussi un bâtisseur de système à l’ancienne, un fabricateur de concepts ; bref un philosophe au sens entier, selon la terminologie de Gilles Deleuze, définition à laquelle je ne souscris aucunement. Mais Robert Misrahi est plus que cela. D’une part, sa philosophie se veut praticable ; et l’est-elle, du moins pour lui et peu être ceux d’une complexion en accord à la sienne. D’autre part, l’auteur se trouve aussi du nombre de ceux pour qui la philosophie est destinée à changer la vie. Ainsi, lorsqu’il écrit  que « le Savoir n’est pas son propre but » se détourne-t-il clairement de ceux pour qui la philosophie consiste en une quête de la vérité ultime, tel Marcel Conche, pour se placer aux côtés de ceux qui y voient plutôt un art de vivre. Enfin, on l’aura compris, Robert Misrahi se situe aux antipodes des penseurs pessimistes, tels Schopenhauer, pour qui le bonheur n’est que l’arrêt des souffrances.

 

Ce qui amène à ce petit ouvrage, sorti chez encre marine à l’automne dernier, et sous titré opportunément, pour des motifs que je laisse découvrir au lecteur, « manuel à l’usage des désespérés ». Dans les faits c’est un livre d’entretiens avec Hélène Fresnel, journaliste à « psychologies magazine ». Didactiquement fort bien construit, avec les points de doctrine autour desquels la causerie va s’articuler explicités en préambule de chaque paragraphe, avec aussi les questions de la journaliste grisées en marge, l’ouvrage est l’idéal pour ceux qui souhaitent se familiariser avec les contours de la pensée de Robert Misrahi. Quant à ses réponses, mêlant point théoriques et pratique étayée par des éléments biographiques, le tout dans une langue fort claire, sans gros abus de néologismes, se révèle une invite à aller plus loin.

 

Robert Misrahi se définit comme « philosophe phénoménologue existentiel contemporain ». En pratique c’est un peu le mariage de la carpe et du lapin avec, d’un côté, Spinoza, retenu essentiellement pour sa qualité de « philosophe de l’immanence sans Dieu créateur, sans religion, soucieux de la Joie et du Désir », et de l’autre, Sartre et la liberté radicale ; le tout mâtiné d’une dose subtile d’un hédonisme accommodé à sa sauce. Ainsi, l’auteur d’une trilogie sur le bonheur se révèle-t-il être un habile cuisinier philosophique. Et pourquoi non, après tout ? Exit donc l’encombrante sentence qui voudrait que « Nous nous croyons libres que parce que nous ignorons les causes qui nous font agir ». Certes, les choses ne sont pas monolithiques chez le philosophe Néerlandais, pour qui l’on recouvre quelques degrés de liberté précisément par la connaissance de ce qui nous détermine. Il n’empêche, moins nuancé, et faisant fi de toute possibilité du moindre conditionnement, Robert Misrahi plaide pour la responsabilité totale et entière de chaque individu. Et cette thèse revient au fil de l’entretien tel un leitmotiv : «… nous sommes tous responsables du fait que les financiers spéculent », « Je récuse toute affirmation du genre : « C’est plus fort que moi. Je vois le mal mais je ne peux pas y résister ». C’est une illusion (…) C’est mon désir d’aller vers cela. Le reste relève de la mauvaise foi ». « Nous sommes tous responsables du laxisme de nos dirigeants », « Il y a un premier niveau de liberté : la liberté absolue de nos gestes quotidiens, dans l’immédiat (…) : prendre de la drogue, boire… ». Ainsi le drogué manifeste-t-il, en se droguant, sa liberté. Il est pleinement responsable de ses actes : c’est bien simple, il ne fallait pas qu’il commence à se droguer... D’ailleurs, méconnaissant ici les données des neurosciences, Robert Misrahi décrète qu’il « ne croit pas en l’existence d’un inconscient ». Postulat, ou profession de foi, bien commode pour faire tenir l’architecture de son système. La dépendance chez lui n’existe pas. Ni le moindre déterminisme, qu’il soit d’ordre génétique, social, physiologique, environnemental, etc. ou plus probable, un mélange de tout cela. Le hasard n’a pas davantage d’effets aux yeux de Robert Misrahi, en cela logique avec sa théorie, et ce sont exclusivement « nos multiples choix concrets qui vont construire peu à peu notre personnalité ».

 

Autre affirmation qui interpelle : « Un être normal (…)  est responsable ». Qu’est-ce donc que cette « normalité » ?  Nous ne le saurons pas.

 

Sur le Misrahi faiseur de système, en voici deux petites illustrations : « Il y a deux niveaux de désir : le désir premier et le désir second qui est le désir réfléchi. Par ailleurs j’appelle Haut Désir, le mouvement synthétique (…) visant une sorte de plénitude concrète et « absolue » ». Pur postulat, avec le Désir érigé en concept. « Ma définition du sujet qui est constitué de trois dimensions : il est réflexivité, Désir et enfin spécularité, c’est-à-dire structure en miroir et relation à autrui ». Outre le « gros mot », à mon sens gratuit, pourquoi ne pas adjoindre une quatrième dimension à cette définition du Sujet ? Pourquoi aussi ne pas substituer, par exemple, au Désir la volonté de Puissance, ou que sais-je encore ? Cela demeure un profond mystère…

 

Pour poursuivre avec les remarques qui fâchent, et sans vouloir être cruel, j’ai prélevé, au fil de la lecture, entre autre, une affirmation qui démontre que certaines philosophies auraient à y gagner à plus sérieusement se frotter aux sciences, ici l’anthropologie, l’éthologie ou encore la paléontologie, pour nourrir leurs réflexions ; cela présenterait avantage d’éviter de commettre quelques lieux communs, telle cette idée de « la rencontre - forcément - violente de deux tribus dans la préhistoire ». Enfin à noter qu’il « faut généraliser le courage des individus », vertu cardinale s’il en est. Bien évidemment, on ne peut qu’être d’accord avec une saillie de si bon sens, même si elle relève d’un vœu pieu !

 Spinoza

Mais assez de mauvais esprit, et intéressons nous de plus près à cette philosophie de la Joie. Et tout d’abord à cette notion de « conversion » n’ayant « aucune vocation religieuse » mais « une signification philosophique », à savoir : « un retournement sur soi à 180 degrés ». Dans la pratique cette conversion n’est pas un retour un l’Inconscient - qui n’existe pas pour Robert Misrahi - mais réside dans un « acte du Sujet ». « Elle comporte trois mouvements simultanés qui doivent être menés en parallèle : 1) la conversion réflexive (… qui est) la redécouverte de mon propre pouvoir créateur. Le pouvoir de créer du sens (... et)  des valeurs. (…) 2) le second mouvement consiste à convertir le désir, (…) à renverser les conceptions négatives pessimistes du Désir selon lesquelles il ne peut pas être satisfait. (… Enfin), cet accomplissement nécessite un troisième temps : la conversion à autrui (… qui) n’est pas un instrument, un outil de ma Joie. Il s’agit de le percevoir désormais comme un centre, comme Sujet ». Cela peut apparaître obscur, ou théorique, mais dans les faits cela se traduit, pour prendre l’exemple de la relation amoureuse, par la belle idée et la mise en pratique du refus de « la loi du talion : elle me trahit, je l’accuse. Elle revient. Je la rejette (…) C’est la méconnaissance de l’autre et le fait de se cabrer sur l’honneur, donc la fierté, l’amour de soi, le narcissisme et de faire capoter toute chance de renaissance. Elle est revenue et j’étais disponible… ». D’aucuns feraient bien de s’en inspirer ; et pas seulement dans la conduite de leur vie intime. Passons… Pour en revenir sur cette nécessaire conversion, et là on ne peut que donner raison à Robert Misrahi sur le constat, « l’explication de (nos) échecs est à chercher du côté du désir de se conformer à son environnement social, dans la crainte d’une rupture fracassante (…) Quand nous échouons, c’est souvent parce que nous réfléchissons mal à notre propre pouvoir, parce que nous tenons plus à l’affliction, à l’affection et à l’intégration immédiate ». Quant à la manière de s’y prendre pour se délivrer ces chaînes, l’auteur incite à « se révolter contre la passivité. Savoir vivre, c’est d’abord savoir se révolter réellement, pas se révolter contre la société mais contre sa somnolence intellectuelle ». Certes, mais tel état d’esprit ne se décrète pas, il ne surgit pas ex nihilo. C’est pourquoi Robert Misrahi propose un travail sur le désir qui, selon lui, « n’est pas une « pulsion » (mais) mêle l’intelligence et la liberté » et en cela il est « notre plus grande richesse ». Le but à atteindre étant le « Haut Désir », ce « Désir raffiné, civilisé, (cette) « pulsion », (ce) « besoin » rendu intelligent, socialisé ». Il y aurait là matière à discuter, mais cela sort du cadre modeste du présent article.

 

Autre point important du système philosophique de Robert Misrahi, à savoir les trois contenus de la Joie. La première Joie est celle de la rencontre. Et cette « rencontre est la reconnaissance et l’adhésion réciproques à un projet existentiel (…) « J’aime ce que vous faites de la vie ». Sur cette base arrive une deuxième joie, celle de la reconnaissance réciproque qui est à la fois un acte de l’esprit et un engagement ». Quant au troisième contenu de la joie, « il s’agit de la jouissance des beautés de la nature et de l’art, mais aussi de la jouissance réfléchie des plaisirs ». « Pour synthétiser : autonomie, réciprocité, jouissance ». Voici un credo auquel je ne puis que souscrire pleinement.

 

En guise de conclusion, me relisant je m’aperçois avoir été au final plutôt critique - parfois acerbe - avec ce manuel construit un peu à la manière de ces moult guide de « développement personnel » qui inondent les pléthoriques rayons « psychologie » des librairies. Et si par soucis de sincérité je ne retranche rien de mes mots, je tiens à préciser que cette dernière remarque n’est pas ici à prendre dans un sens péjoratif. Certaines des méthodes ou techniques exposées dans ce genre de livres valent toujours mieux que la scolastique philosophique. Et cette philosophie de la Joie, proposée par Robert Misrahi, quoi que l’on puisse en penser au fond, donne assurément matière à réfléchir. Et si, en outre, l’on y trouve son compte alors pourquoi pas ? On l’aura compris, j’en conseille la lecture.

 

Et pour finir je renvoie à un bel éloge que lui a fait Michel Onfray dans sa chronique d’août dernier : « La visite au grand écrivain ».


Robert Misrahi sur « Pylosophie TV », à propos de « L’accès à l’autre » :

http://philosophies.tv/spip.php?article222=


 

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5 janvier 2011 3 05 /01 /janvier /2011 21:00

Le film, édifiant qu’il puisse être, ne surprend hélas pas.

 

Pour ceux qui désirent avoir davantage d’informations sur l’action des lanceurs d’alertes, particulièrement celle de Pierre Meneton, qui s’est frotté au lobby de sel, et que l’on voit s’exprimer dans le film, je renvoie à ce lien du site de la fondation " Sciences Citoyennes " :

 

http://sciencescitoyennes.org/spip.php?article1793 

 

Au long de l’enquête le terme d’épidémie est à plusieurs reprise employé, celui d’empoisonnement conviendrait mieux.

 

A visionner et partager.


 

 

  .  

 

 


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18 décembre 2010 6 18 /12 /décembre /2010 16:51

 Un délice de lecture, où l’érudition ne cède en rien à la fluidité du récit. Lucien Jerphagon, pour Rome Antique - Jerphagonqui il n’y a " aucune raison d’emmerder un lecteur qui vous a rien fait ", au fil des rééditions de ce magistral ouvrage, nous en sommes à la quatrième, nous livre, pour notre plus grand bonheur, les clés de compréhension de douze siècles d’Histoire.

 

La nécessité de repères chronologiques est essentielle a qui ne veut pas " brasser que des idées générales ". C’est pourtant ce que l’on fait usuellement avec Rome, réduit à quelques poncifs. Et comme le dit fort justement, avec humour, l’auteur : " Imaginez ce qu’on racontera " des français " dans 20 siècles… On mêlera les troubadours, les chauffeurs-livreurs, les seigneurs féodaux, les poilus de 14-18, et tout ce monde évoluera dans un temps fait de toutes les époques superposées : celles de Jeanne d’Arc, de Charles de Gaulle, du bon roi Dagobert. "

Conjurons donc ce mauvais sort avec la première partie de ces notes de lectures (il y’en aura trois). Elles n’ont d’autre objectif que d’inciter à se plonger dans la lecture – ou relecture – de cette inaltérable " Histoire de la Rome antique ".    


Fiches de lecture

De petites fiches de lectures sans prétention ; mais utiles pour se remémorer les grandes lignes d’un ouvrage. Recopie de passages et synthèse tout à fait subjective.


Histoire logo-copie-1Lucien JERPHAGNON


Histoire de la Rome antique
 

(Tallendier, réédition 2002)



 


 PARTIE II - De Auguste à Néron

PARTIE III  - De Galba à la fin de l'Empire 


 

 

Les origines

Romulus / Remus

Reprise en les idéalisant dans un esprit hellénistique, de vielles légendes mais aussi de mythes indo-européens se perdant dans la nuit des temps : Marcus Varron, fixa la fondation de Rome arbitrairement en -753 par Romulus et Remus.

 Romulus et RemusRomulus et son frère Remus : demi-dieux (nés des amours de Rhéa Sylvia, fille du roi Numitor (régnait sur cité mythique dont le fondateur était Iule le fils d'Enée) et Mars en personne). Abandonnés dans un panier au Tibre par le frère de Numitor (usurpateur du trône). Le panier échoue au pied du Palatin (l'une des sept collines de Rome) et les frères sont recueillis et élevés par une louve.

Nb : Lupa = louve – Signifie aussi prostituée, d'où Lupanar.

Les jumeaux se disputent l'honneur de fonder leur ville. Romulus trace à la charrue le sillon sacré (rituel étrusque) qui délimitait l'enceinte. Remus, jaloux, saute par-dessus et se fait massacrer par son frère qui se débarrasse ainsi d'un concurrent gênant (le pouvoir ne se partage pas) et fonde Rome. Ensuite, afin de fournir à ses sujets les épouses qu'il leur fallait, il fait enlever les femmes de ses voisins Sabins. (enlèvement des Sabines).

 

Les rois légendaires

4 rois. Le premier successeur de Romulus, Numa Pompilius est Sabin d'origine ; le second fut un Latin belliqueux ; le quatrième roi, Ancus Martius se vit créditer de la fondation du port de Rome.

En réalité, ce n'est que vers 600 - 500 Av JC que dut sortir de terre la Rome archaïque (non sur le Palatin lui-même, mais sur l'emplacement de ce qui deviendrait le Forum romain).

 

Les rois Étrusques

En 616 s'ouvre la période des roi Étrusques, en fait les vrais fondateurs de Rome : les bourgades disséminées sur sept collines se fédèrent pour se garantir une certaine sécurité.

Le septième roi de Rome, sera le dernier : Tarquin dit le superbe. Tyran Étrusques chassés de la ville -509. Fin de la monarchie et début de la Res Publica -> Grandes familles (Gens) : oligarchie - Patriciat (système de clientèle). Les citoyens de second choix forment la plèbe. Les familles qui composent la gens relèvent de l'autorité du pater familias.

 

Aurore de la république

494 : Tribun de la plèbe.

Exécutif : 2 Consuls (possibilité de 1 tyran mais pour durée maxi de 6 mois).

447 : 2 questeurs (secrétaires adjoints aux consuls : administrateurs des finances).

Préteurs

2 Censeurs : élus parmi les anciens consuls ; recruteurs du sénat.

Ps : Urbi et Orbi (dans la ville et au delà de la ville).

Le Sénat : " dépositaire sacré et source permanente de toute autorité ". " Rien ne se fait sans l'aval du sénat, qui fonctionne comme conseil d'état […] Non que le sénat dispose à proprement parler d'un pouvoir de décision. Il ne gouverne pas ; il ne légifère pas, mais entérine les lois. " (P37) Il délivre des Senatus Consultes.

Les Comices : assemblées du peuple. 3 niveaux ( Comices centuriates = peuple romain en arme rassemble les membre du corps social en 5 classes – Un corps intermédiaire (moindre notoriété économique) – Comices tributes = plébéiens).

 

Loi des XII tables : publiées vers 451 – 449 av JC ==) peuple romain jugé selon les même loi (pas égalitaire au sens ou on l'entend aujourd'hui).

- 390 : Rome dévastée par les gaulois. (Rome se souviendrait toujours de l'humiliation, et n'en mettrait que plus de soin à reculer ses frontières).

Fourches Caudines : Revers de l'armée Romaine (-304) face à un ancien allié (Samnite). Bloquée dans le lieu-dit, dont les gorges constituaient un piège, l'armée romaine dut capituler, et pire, défiler, consul en tête en se baissant sous une sorte de portique, figurant le joug du vainqueur.

pyrrhusPyrrhus (roi d'Epire - Macédonien): victoire à la Pyrrhus (succès trop cher payé). " Encore une victoire comme ça et je suis fichu ! ". Il devait connaître une triste fin pour un militaire en – 275, se prenant une tuile sur la tête, jetée par une vieille, dans un combat de rue.

Tarente : Ville grecque (située dans le sud de l'Italie) qui fait appel à Pyrrhus en -281 pour combattre les romains (Carthage s'empresse d'aider Rome pour diminuer l'influence grecque). Elle tombe en -272 et en -265 Rome détient toute l'Italie.

(Pas d'art pas de philosophie – Socrate est mort depuis deux siècles alors que les romains sont encore aux cabanes).

Reste deux blocs : Carthage / Rome (Carthage fort sur mer, Rome fort sur terre).

 

Guerres puniques :

Première guerre punique

- 265 à - 241 (23 ans) : première guerre punique.

(Carthage a été fondée par des navigateurs Tyriens peu avant Rome).

Origine de la guerre : Le détroit de Messine, lieu stratégique. Carthage le ferme en 264 pour s'assurer le monopole sur la Sicile toute entière (production céréalière importante) alors qu'ils n'étaient implantés que sur une partie de l'île (le reste étant détenu par les grecs et romains, nouvellement implantés).

- 260 Première victoire de Rome sur mer.

- 256 le consul Regulus tente l'aventure d'un débarquement en Afrique. Il est aidé par le retournement opportun des populations libyennes (les Numides), pas fâchés de se défaire de l'emprise punique. Mais l'expédition tourne au fiasco et Regulus est battu et fait prisonnier. Les Carthaginois l'envoyèrent à Rome – sous la promesse qu'il reviendrait en cas d'échec – pour négocier avec le sénat une paix qui n'avait rien d'avantageux. Mais en Romain responsable, dissuada ses collègues de traiter et trouva le sublime courage de s'en retourner à Carthage ou l'attendait une mort éprouvante (P 58).

On s'enlise de part et d'autre dans une guerre interminable. En – 249 Rome n'avait pratiquement plus de marine, et se trouvait à la merci de l'adversaire. Mais contre toute attente, les Carthaginois ne surent pas exploiter l'infériorité des Romains. De -247 à -241, les Romains harcelèrent le général punique Hamilcar Barca qui résistait efficacement. Finalement, grâce à l'appui des Syracusains, les Romains remportent une victoire décisive et les Carthaginois doivent céder la Sicile. (Rome en profitera pour annexer abusivement la Sardaigne et la Corse)

 

23 ans de paix (où chacun reconstitue ses forces : Rome n'est pas prêt d'oublier l'épisode Regulus, et Carthage ne digère pas davantage le Diktat imposé par Rome). Pour Carthage, la situation se révèle catastrophique. Ses finances lourdement obérées, ne lui permettent même plus de payer les arriérés de solde de ses mercenaires. Ils ne tardent pas à se révolter avec l'appui de la population. Bloquée par les insurgés, affamée, Carthage connut un moment de véritable angoisse. La situation contraignit Hamilcar à entreprendre contre ses mercenaires qui tourna bientôt à la guerre inexpiable. Profitant de la révolte des garnisons Sardes, les Romains occupèrent vivement la Sardaigne, puis la Corse, violant ainsi sans l'ombre d'un scrupule les termes du traité de paix de -241.

 

Hamilcar Barca :

Général Carthaginois (punique) ; père de Hannibal.

 

Seconde guerre punique Guerre punique - Carte Luc Rehmet

Affaire de Sagonte, ville Espagnole alliée de Rome qui en – 219 est prise par Hannibal (violant ainsi les accord de – 226, trop content de rendre la pareille aux Romains).

- 218 l'armée d'Hannibal au printemps s'ébranle vers l'Italie. (80 000 hommes – et les fameux éléphants). Passant de l'Espagne au travers des Pyrénées, le Languedoc, la Provence et les Alpes. Il accumule les victoires).

- 217 le consul Flaminius se laisse surprendre en plein brouillard et les Romains perdent 15 000 hommes et leur chef.

- 216 perte par Rome de 40 000 hommes + 20 000 capturés sur 80 000 hommes engagés. Mais Hannibal ne pousse pas son avantage et s'installe dans le sud de la péninsule et Syracuse ainsi que Tarente passent entre ses mains. Le malheur voulut que Hannibal s'éternisa à Capoue (d'où l'expression " s'endormir dans les délices de Capoue ") permettant aux Romains de se refaire une santé.

- 212 Rome reprend peu a peu le dessus.

- 211 Reprise de Syracuse par Rome (Mort d'Archimède).

- 202 Carthage capitule sous le menace de Scipion (proconsul d'Espagne qui débarque en Afrique en -204 (il prendra le surnom de Scipion l'africain) et devient vassal de Rome. Carthage est saignée démographiquement et financièrement.

- 192/191 les armées de Rome forcent les Thermopyles (lieu du défilé de la célèbre bataille éponyme en - 480, ou seuls 300 Spartiates conduits par Léonidas et appuyés de 700 soldats de Thèbes tentèrent de retenir l'armée du roi perse Xerxès 1er (130 000 fantassins – 20 000 cavaliers et 1200 Trirèmes)

 

Hannibal :

Fils d'Hamilcar. En exil après la victoire finale de Scipion l'africain et poursuivant sa lutte contre Rome en orient. Il finit par se suicider en -183 après la défaite d'Antiochos (son dernier allié, roi Eolien qui l'avait accueilli à sa cour) en -188.

 

Troisième guerre punique

Rome est désormais en position d'arbitre en Orient et en Occident.

Le roi Numide, fort de l'appui des Romains, construit son état au détriment des Carthaginois, déjà présurés par les exigences de Rome. Arriva ce qui devait arriver : exaspérés Carthage déclare la guerre aux Numides. Pour Rome, le prétexte de l'intervention était trouvé. Il fallait cette fois détruire Carthage.

-149 les Romains débarquent à Utique et menacent directement la métropole africaine. Réduits à merci, les habitants de Carthage eurent beau livrer leurs armes et 300 otages, cela ne suffit point. Les consuls n'exigeaient rien moins que l'évacuation complète de la ville, qui devait être rasée et reconstruite ailleurs. Rome contraignit ainsi Carthage à une résistance héroïque, qui ne dura pas moins de 3 ans. Au terme d'une semaine entière de combats dans les rues, de jour comme de nuit, la ville tomba en -146. Il ne devait pas rester pierre sur pierre. Une fois les habitants évacués afin d'être vendus comme esclaves, l'ensemble urbain fut entièrement détruit et – détail significatif -, l'emplacement même fut voué par les prêtres aux dieux infernaux : maudit serait celui qui oserait y revenir.

Rome n'aurait plus qu'à reconstruire, 25 ans plus tard, ce qu'elle avait si rituellement – et stupidement – ravagé.

 

Les lendemains de la conquête : la nouvelle société

Entre la base de la pyramide, la basse plèbe et son sommet, l’aristocratie sénatoriale, la distance était infiniment infinie, pour dire cela comme Pascal. La perception quasi viscérale des inégalités ne créait pas l’appel révolutionnaire au nivellement par le haut que connaissent les démocraties modernes. Le Romain du bas de l’échelle savait parfaitement que si les riches commandent, c’est parce qu’ils sont seuls en mesure de fournir et d’entretenir de leurs deniers l’équipement militaire indispensable au combattant d’élite dont la patrie toutes classes confondues a besoin. La perception des différences, pour humiliante qu’elle soit, n’engendrait pour ainsi dire pas, dans la société moderne, de tentation subversive. N’oublions jamais que l’ordre social est en ces temps tenu pour divin en son essence. C’est donc individuellement que chacun voit midi à sa porte. Chacun peut sans doute chercher à s’élever, mais c’est toujours avec l’aide plus ou moins intéressée de plus puissant que soi.

 

L’évergétisme

De quoi s’agit-il ? " Imaginons qu’en France, écrit Paul Veyne, la plupart des mairies, des écoles, voire des barrages hydro-electriques, soient dus à la munificence du capitalisme régional qui, en outre, offrirait aux travailleurs l’apéritif ou le cinéma ".

Le premier exemple qu’on cite est celui de Scipion l’Africain en 213. S’il se présente à quelque magistrature, notre notable se verra dans l’obligation d’arroser ses électeurs d’un banquet public. Les magnats organisent volontiers des fêtes, qui captivent utilement l’intérêt des foules (jeux de toutes sortes, combats de gladiateurs, etc.) A coté de ces prodigalités forcément exceptionnelles, il y a une institution moins spectaculaire, mais fort appréciable : la clientèle. Les gens qui vraiment comptent se font une obligation d’accueillir chaque matin de bonne heure la file des gens qui attendent devant leur porte le moment de présenter leurs salutations, en échange de quoi il leur est remis le sportule , autrement dit un panier repas pour la journée, que remplacera progressivement, par commodité, un pourboire équivalent. Ces assistés perpétuels y trouvent évidemment leur compte, mais le patron aussi. Ces braves gens auront tout intérêt à ce que dure la situation du patron. On le soutiendra donc de bien des manières : en votant pour lui, bien sûr, mais aussi en mettant à sa disposition les astuces d’un chacun en matière de propagande, voire sa force musculaire s’il en était besoin.

 

L’éveil à la pensée : la philosophia

Les romains n’avaient pas encore la moindre idée de la philosophie que Socrate était mort depuis deux siècles et demi ou presque. (…) Disons sommairement que de la réflexion de Socrate, mort en 399, deux grandes synthèses étaient nées : la pensée de Platon pour qui le monde visible procède d’une réalité idéale à laquelle l’âme humaine à accès parce qu’elle est de même nature – le système d’Aristote, pour qui le monde est en son fond esprit incarné dans la matière. (…) Aussi longtemps que durera la civilisation grecque des Cités autonomes, la philosophia sera essentiellement politique. (…) Avec les conquêtes d’Alexandre, un changement radical bouleverse la civilisation antique. Les Cités, passant sous contrôle macédonien, perdent leur autonomie. Les citoyens voient changer tout à la fois les conditions d’exercice de leur citoyenneté et leur univers mental. Les grandes décisions se prennent ailleurs, sur place on ne gère plus que le quotidien. (…) Un vide s’est creusé. Ce qu’on investissait dans la vie politique on va le mettre ailleurs, là ou de nouvelles angoisses ont surgi. Il faut conjurer l’isolement, faire de l’homme éclaté une individualité capable de s’assumer comme telle. Mais à temps nouveaux, philosophies nouvelles. Tandis qu’un certain platonisme, passablement dénaturé, évolue vers le scepticisme, deux courants nouveaux naissent : l’épicurisme et le stoïcisme. La philosophie d’Epicure, mort en 270, se fonde sur une vue matérialiste du monde. Plus d’esprit, incarné ou pas, indépendant de la matière. Il n’y a que des particules matérielles, les atomes, qui tombent indéfiniment dans le vide, (…et) le bonheur c’est l’ataraxie, l’absence de troubles. Le stoïcisme repose sur un tout autre type d’analyse. Le monde est un grand Tout animé, une sorte d’immense animal auquel la divinité est coextensive, ce qui en garantit la bonne marche. La Providence y veille : une place pour chaque chose ; chaque chose à sa place. Le bien, dans ce système, consiste à vivre conformément à cette nature divinisée : cela s’appelle la vertu. Telle est l’apatheia du stoïcien, une indifférence durement conquise à l’égard de tout ce qui passionne les autres et les tourmente mal à propos. Les épicuriens qui avaient essaimés en Italie furent expulsés de Rome en 173, ce qui nous permet de comprendre que cet hédonisme passif, pour austère qu’il soit en fait, cet abstentionnisme politique surtout, ne pouvaient s’attendre à être vus d’un bon œil. Le stoïcisme, en revanche, jouissait dès le départ d’un préjugé favorable. Ce système exposant l’ordre excellent du monde et ses prolongements concrets jusque dans le détail de la hiérarchie sociale, voilà qui séduisait d’emblée le Romain. D’autre part, le stoïcisme fournissait des arguments aux conservateurs, peu enclins aux réformes que souhaitent les couches plébéiennes. Quand un ordre est perçu comme divin, il faut se garder de laisser remettre en question.

 

La guerre civile de 100 ans

Le problème agraire et les Gracques

GracquesL’aspiration proprement vitale des populares à une distribution raisonnable des terres usurpées ne trouvait aucun écho favorable chez les optimates, les citoyens privilégiés. (…) Tiberius Gracchus, élu tribun de la plèbe en 133, résolut de déposer une proposition de loi visant à réactiver les dispositions anciennes qui limitaient à 125 hectares la portion du domaine public attribuable à un particulier. Les sénateurs, ulcérés, voyaient là non seulement une spoliation, mais encore une atteinte morale à leurs droits héréditaire. Une émeute éclata, à l’initiative des plus conservateurs d’entre eux, où Tibérius Gracchus périt massacré. Son frère cadet, Caius, reprit le flambeau avec un courage qu’on ne peut qu’admirer, car il se vouait évidemment à un avenir écourté. Sa loi agraire remit en vigueur celle de son frère. Contre le gré d’une oligarchie passablement fossilisée, cramponnée à ses privilèges, des perspectives plus larges s’ouvraient, dont la République pouvait sortir rajeunie et comme revigorée. Mais la nobilitas veillait. Les adversaires de Caius trouvèrent un procédé tout à fait astucieux pour empêcher les réformes d’aboutir : tourner Caius sur sa gauche, pratiquer une surenchère démagogique qui les rendaient inapplicables. Ne pouvant se résigner à voir disparaître son œuvre, Caius réunit ses partisans au Capitole pour une manifestation. Une provocation leur fit malheureusement tirer l’épée et à l’instar de Tibérius, son frère, il tomba en 121 au milieu de ses partisans. La tentative des Gracques s’achevait dans le sang.

 

Marius

Jugurtha, roi numide était un dangereux personnage qui non content d’avoir dépêché dans l’au-delà ses deux cousins, héritiers légitimes au trône, venait de s’emparer de Cirta (Constantine) en 112, et y avait massacré tout ce qui s’y trouvait de Romains ; Rome déclara la guerre au numide, mais ce fut plutôt pour le principe, car à la demande de Jugurtha lui-même, les négociations débutèrent en vue d’un arrangement. On le convoqua poliment à Rome pour recueillir son témoignage. Mais il sut acheter sur place assez de complicités pour que l’enquête s’arrêtât avant d’avoir sérieusement commencée. Jugurtha profita d’ailleurs de ce petit tour à Rome sous couverture diplomatique pour faire assassiner un de ses opposants qui s’y trouvait en résidence. On se contenta de l’expulser. On raconte que le roi numide, sur le point de rentrer dans ses foyers, lança cette apostrophe célèbre : " Rome, ville à vendre, et qui périra bientôt si elle trouve acquéreur ! ". Furieux de la mollesse du sénat dans cette affaire, les chevaliers rompirent l’entente avec lui, se rapprochant ainsi du parti populaire. Marius, d’origine modeste, mais ambitieux, pas plus intelligent qu’il ne fallait, s’était hissé jusque l’ordre équestre, qui le soutiendra toujours. C’était le type même du parvenu , à qui l’appétit vient en mangeant. Le consulat l’attirait. Il fut élu avec l’appui des chevaliers et du parti populaire.

L’enrôlement se faisait lors de chaque campagne selon un système censitaire, où les plus pauvres des citoyens se trouvaient écartés des armées. Les conditions de vie ayant changées, la mobilisation de citoyens devenait toujours plus difficile. Marius résolut de le supprimer carrément et d’admettre les prolétaires dans les légions. Les volontaires affluèrent, d’autant plus que la solde avait été revalorisée. Loin de souhaiter rentrer chez eux le plus tôt possible, où aucun moyen d’existence ne les attendaient, ces nouveaux légionnaires ne demandaient pas mieux que de voir leur service aux armées se prolonger indéfiniment. Ils avaient tout intérêt à ce que des campagnes nombreuses viennent les enrichir par le butin qu’ils en retirerait. L’armement, autrefois diversifié, fut uniformisé. Les effectifs, pour chaque légion, passèrent de 4000 à 6000 homme. Et chacune fut dotée d’une enseigne, objet de culte religieux. Le soldat romain devient un professionnel de la guerre et l’armée romaine une armée de métier.

Marius, grâce à l’appui de son armée, mais aussi du parti des populares, bafoua tranquillement la tradition républicaine en se faisant réélire au consulat 5 années de suite. On vota des lois agraires en faveur des vétérans qu’il fallait bien récompenser. Bref on restaura la politique des Gracques. Pourtant, les populares en faisaient un peu trop. Promulguer une lex maiestate (de la majesté du peuple romain) une tait dangereuse bévue. Bonne en soi, puisqu’elle visait à interdire toute opposition à la volonté populaire, elle eut pour effet d’inquiéter les chevaliers qui redoutaient la subversion égalitaire de l’ordre social. Ils se rapprochèrent donc du parti sénatorial.

 

Sylla

Les Romains étaient les seuls à se prévaloir du titre de civis romanus, de citoyens romains, auquel étaient attachés droits et privilèges. Non seulement les Italiens se trouvaient exclus du fruit de tant de combats aux cotés de Rome, mais encore il arrivait que la distribution des terres aux citoyens se fit sur leur dos. Les incidents se multiplièrent où Italiens et Romains perdaient tour à tour la vie dans des conditions souvent odieuses. Puis ce fut la guerre civile, qui dura 3 ans, de 91 à 88, ou Romains et Italiens se surpassèrent en atrocités. Si les Romains finirent par l’emporter sur les fédérés, ce ne fut ni sans peines ni sans pertes. Ils estimèrent toutefois plus raisonnable de céder sur la fameuse question du droit de cité. C’était donc un état italien qui voyait le jour. Toujours est-il que dans cette guerre fratricide, Marius n’avait pas fait de miracles. Sylla, en revanche s’y était distingué. En 88, promu consul, il devenait le grand homme de la république. En 87, Sylla embarquait, laissant pour 4 ans Rome à ses dissensions entre populares et oligarchie. En orient, Sylla devait affronter un ennemi farouche, le Mithridate de Racine, qui régnait sur l’orient presque entier. Au prix d’efforts considérables les Romains investirent Athènes et prirent la ville qu’ils furent autorisés à piller. Après bien des combats, les Romains remportèrent deux victoires d’importance sur Mithridate en 86. Les deux adversaires se découvrirent l’un comme l’autre intéressés à la paix : Mithridate parce qu’il craignait de voir la situation se dégrader encore ; Sylla parce que ce qui se passait à Rome l’intéressait de plus en plus.

Au printemps 83 Sylla débarqua à la tête de ses 5 légions disciplinées, bien armées et largement pourvues de butin. Au cours de sa marche, il reçut l’allégeance d’un certain nombre d’alliés fort précieux, entre autres de Licinius Crassus et d’un tout jeune homme qui allait se faire un nom : Pompée.

Dans sa lettre au président du Sénat, Sylla suggérait qu’eu égard à la situation exceptionnelle, on désignât un dictateur ayant tout pouvoir pour réformer ce qui, dans la République, avait été source de troubles et de séditions. A l’unanimité, le peuple désigna Sylla pour occuper cette magistrature exorbitante du droit.

Avant fin 81, date d’entrée en charge des nouveaux consuls, Sylla qui eût pu rester, se retira. Il partagera désormais son temps entre Rome et ses villas de Campanie.

 

Pompée

Spartacus

En 73, un ancien berger Thrace, déserteur d’une unité romaine d’auxiliaires, exerçait les fonctions peu enviables de gladiateur. Il s’appelait Spartacus. Fatigué de ce métier qu’il n’avait pas choisi, il décida de se révolter. Entrainant une soixantaine de ses camarades hors du centre d’entrainement , il réussit à mettre sur pied une dangeureuse petite troupe qui allait prendre les dimensions d’une véritable armée. Munis d’armes pillés, les insurgés se retranchèrent sur les pentes du Vésuve, d’où il fut bientôt impossible de les déloger. En 72 deux consuls furent battus et l’armée romaine subit une cuisante humiliation : 400 priosnniers rimains furent invités à tâter eux-même de la gladiature au cours d’un gigantesque combat monté par un Spartacus qui ne manquait pas d’humour. Affolé le Sénat confia la repression à Licinius Crassus. Au terme d’une gerilla sans merci qui dura de l’automne 72 jusqu’au printemps 71, Spartacus mourut au combat. Le mouvement fut impitoyablement écrasé. Pompée, qui rentrait d’Espagne y preta la main, massacrant 5000 insurgés en déroute. Fort de ces succès, Crassus et Pompée visaient le consultat. Il leur fut accordé en 70, bien qu’aucun des deux n’en remplît les conditions légales. A la suite d’une brillante action de propagande menée par un chevalier du nom de Cicéron, on rendit aussi à l’ordre équestre sa compétence juridique en matière de prévarication dans les provinces.

 

César, Pompée, Crassus

En 78, après l’abdication de Sylla, César avait refait surface et comme tout le monde s’était Pompéeengagé dans la carrière des honneurs. En 60 il est de retour à Rome en vue des élections. Connaissant admirablement le milieu politique, il vit aussitôt le profit d’une alliance avec Crassus, immensément riche, et avec Pompée, imensément prestigieux. En 59 voilà César consul avec l’aide de ses deux compères. Il eût souhaité, par pur opportunisme, élargir le club des trois Grands à un quatrième, Cicéron, mais le viel intellectuel, tout à ses honorables scrupules, ne voulut pas renier ses convictions et passer au parti adverse.

César devait entreprendre une campagne dans les Gaules, qui devait durer de 58 à 51. Les choses allèrent d’abord bon train. Dès l’hiver 54-53 César connut de sérieuses difficultés. Au pruntemps 52, les Carnutes, habitants de la région de Chartres, ouvrirent les hostilités en massacrant les Romains établis à Orléans. Les Arvernes, l’ayant appris, se groupèrent à l’appel du jeune chef Vercingétorix, entraînant dans la résistance une bonne dizaine de peuples voisins. César avec 6 légions, se porta sous les murs de Gergovie, la capitales des Arvernes, et là, connut un échec cuisant, le plu grave, à vrai dire, de toute sa carrière. Il se disposait à s’en retournait vers la Provence romaine, lorsque, contre toute vraisemblance, la chance tourna. Il semble que Vercingétorix ait voulu trop bien faire. Estimant incomplète la victoire qu’il tenait, il voulut procéder à une charge de cavalerie, mais la manœuvre échoua, oubligeant les Gaulois à s’enfermer dans la ville d’Alésia pour attendre du secours. Par son imprudence il avait gâché la victoire qu’il avait à portée de main. César fit établir autour du plateau d’Alésia un siège à la Romaine qui emprisonnait les 80.000 hommes de Vercingétorix, et la population civile, dans ce piège mortel. Les Gaulois durent livrer leurs chefs, et Vercingétorix, prisonnier, restera 6 ans à Rome avant d’être finalement mis à mort en 46. Seuls résistèrent quelques foyers sporadiques d’irréductibles, que César traita avec une dureté inhabituelle.

 

Les derniers jours de la République

De Pompée à César

Le temps travaillait pour Pompée. A Rome le désordre ne faisait que croître. Qui d’autre que Pompée disposait dans l’immédiat de ce qu’il fallait ? Quant à son collègue Crassus, lors de son expédition chez les Parthes, au printemps 53, il fut battu à Carrhes, perdant 7 légions et trouvant lui même la mort. Quant à Clodius, l’homme à tout faire de César, il venait de lui arriver un accident. En fait Pompée ne risquait pas d’être entravé dans ses projets par les consuls : il n’en avait pas désigné pour 52 ! Quant au vénérable Sénat, il avait peur de tout et de tout le monde. Finalement Pompée fut revêtu seul du consulat, puis il bricola très astucieusement les textes législatifs et réglementaires afin de retarder autant qu’il le pouvait le retour de César aux affaires. Quant à lui, il se faisait octroyer 5 années suplémentaires de proconsulat en Espagne avant même que de s’y rendre… Le Sénat fit voter, en octobre 50, le remplacement de César à la tête de l’expédition des Gaules. César, s’il obéit et rentre à Rome en simple civil, il a tout perdu. Il sent bien que le rapport de force ne peut que lui être favorable. Ses hommes lui sont tout dévoués, alors que les armées de la République, sous le commandement d’un chef vieillissant, sont sur la défensive. C’est l’un ou l’autre. Finalement, au cours d’une nuit mémorable du 11 au 12 janvier 49, César décide de transgresser les ordres. Il entrera en Italie à la tête de ses troupes.C’est un petit fleuve, le Rubicon, qui marque la frontière entre la Cisalpine et le territoire métropolitain. "Jusqu’à ce moment, dit-il à ses hommes, nous pouvons encore revenir en arrière. Mais une fois passé ce pont, tout devra être réglé par les armes… Le sort en est jeté. Alea jacta est…". Et César franchit le Rubicon.

Pompée prit le parti de renoncer à défendre Rome et l’Italie. Il descendit sur Brindes avec les césariens sur les talons, et réussit à embarquer non seulement ses troupes, mais encore la majorité des sénateurs qui l’avaient suivis. César, entré dans Rome, rassembla ce qui restait de Sénat décida de liquider au plus tôt les légions pompéiennes d’Espagne. Dès la fin de 49, César revenait à Rome en conquérant. Il n’hésita pas à renflouer les caisses en pillant les trésors des temples. Il ne rentrait d’ailleurs pas en irrégulier, car tandis qu’il guerroyait en Espagne, Lépide et quelques sénateurs bien disposés lui avaient conféré la dictature. En janvier 48 il était élu consul. Pompée n’était désormais plus qu’un usurpateur, et le Sénat, installé à Thésslopnique, une assemblée sans représentativité.

En juillet 48, on crut bien, au Sénat de Théssalonique, que s’en était fini de César. Déjà on jubilait : on imaginait l’hallali. Or, en entraînant son adversaire en Thessalie, César avait forcé le destin, obligeant Pompée à se battre à découvert dans la plaine de Pharsale, pour une lutte en soi absurde. Rome se retrouvait face à Rome pour un combat d’où allaient dépendre l’avenir de ses institutions. A midi tout était décidé. Voyant la partie perdue, les chefs de la nobilitas s’enfuyaient vers l’Afrique, afin de s’y regrouper. César, qui avait horreur des demi-victoires, portait le combat jusqu’au camp de Pompée. Le vieux chef, accablé, estimant que le destin avait joué contre lui, quand il comprit que tout était perdu, il s’enfuit vers l’Asie Mineure, puis vers l’Egypte. Un sort navrant l’attendait là-bas. Débarquant, il fut assassiné par les agents du roi Ptolémée XIV, époux et frère de Cléopatre. On garda précieusement la tête de Pompée pour la présenter à César, qui allait débarquer à Alexandrie 4 jours après ce vulgaire assassinat, mais le vainqueur s’indigna sincèrement de cette fin.

La Tête de Pompée présentée à César - Tiepolo (1744 - 46)

Il fallait désormais de s’assurer de l’Orient, à commencer par l’Egypte. Or la cour était un véritable panier de crabes. Pas moins de 4 prétendants se disputaient le pouvoir. César fit revenir secrètement Cléopatre, qui était en exil, et la réconcilia, en apparence du moins, avec son frère. On tenta d’assassiner César lors du repas de réconciliation et des conjurés organisèrent un soulevement. Tout l’hiver 48-47, César dut subir un siège dans le quartier du palais, jusqu’à ce que Mithridate de Pergame, prince ami, vînt le sortir de sa fâcheuse position. Rocambolesques aventures, au cours desquelles César s’éprit de la jeune souveraine. Il s’empressa d’ailleurs de concrétiser ses sentiments en lui faisant un enfant, le petit Césarion, promis à un court et triste destin. Il n’était pourtant pas question pour César de s’alanguir indéfiniment sur les canapés de Cléopatre. Dès juin 47 on l’avertit qu’en Asie Mineure, un certain Pharnace avait battu le lieutenant de César à Nicopolis. Le sang de César ne fit qu’un tour. Quittant Cléopatre, il vint, il vit et il vainquit le roitelet en question à Zéla. En fait César ne prononça jamais ces mots fameux, Vini, vidi, vici : il les écrivit à un ami.

Dès la fin de décembre 47, César débarquait en Afrique, où s’était retranché le dernier carré des pompéiens, l’ancien Sénat et 10 légions. Les deux têtes du mouvement étaient Metellus Scipion et Marcus Porcius Caton, l’arrière-petit-fils de l’Ancien. César battit d’abord l’armée de Scipion. Ce dernier se passa une épée au travers du corps. Caton, parvenu jusqu’à Utique, sur la côte au nord de Carthage, puis se retira en sa tente, après avoir fait mettre en sureté ses partisans, pour lire le Phédon, où Platon traite de l’immortalité. Le moment venu il se fit remettre son épée.

Rentrant à Rome à la fin d’août 45, s’était fait un plaisir d’inviter Cléopatre accompagnée du petit Césarion. Il était à la tête de la Grande Armée : 39 légions, soit 200 000 hommes, sans même compter les troupes auxiliaires. Nous savons l’importance de l’évergétisme dans les sociétés antiques, et César avait à cœur de se conformer à l’usage. l’appui du peuple, donc, allait de soi et complétait la richesse et la force des armes. Consul, il cumule avec cette haute charge la dictature : on lui a conféré pour une durée de 10 ans, avant de le lui accorder à perpétuité. Le mois de sa naissance s’appelle désormais Julius, ce qui donnera notre juillet.

L’état de la société romaine et de son empire, dans la pensée de César, appelait uen démarche radicale. Il restructura la société, au prix d’une mise au pas de l’oligarchie : 1% peu-être du corps social, mais qui pesait sur le peuple de tout le poids de son argent et de son influence. Elle eût crié à la tyranie si seulement elle avait osé. Néanmoins, l’idée d’éliminer César faisait tout doucement son chemin. Parmi eux, le jeune Brutus. Il était à la fois républicain, disciple de l’Académie et psychologiquement fragile. On a dit qu’il était sans doute le fils de César. En fait, cela paraît peu vraisemblable. Il y avait aussi un pompéien mal rallié, Cassius et quelques autres. Cicéron, prudent, se contentait des les approuver du fond du cœur. César ne cherchait même pas à sauver les apparences. Il ne se gênait pas pour dire, selon Suétone, que la "res pulica" n’était qu’un vain mot sans consistance ni réalité.

César tomba frappé de 23 coups de poignard le 15 mars 44. Les conjurés y mirent tant de conviction qu’ils réussirent même à s’entre-piquer.

 

La dernière des guerres civiles

AntoineAntoine, le consul, le plus chaud partisan de César, demeurait introuvable. Il serait bien capable de prendre la tête d’un soulèvement et de venger le défunt ! Voyant la tournure que prenaient les choses, les assassins prirent en otage le fils d’Antoine et se retranchèrent dans le Capitole. Alors seulement Cicéron vint les rejoindre, et l’on palabra. Rassuré, Antoine refit surface et convoqua le Sénat pour le 17. Antoine donnait l’impression de pactiser avec les conjurés : il leur promettait l’amnistie à la condition que les actes seraient validés. Ce soir-là, tout baigna dans l’huile : Cassius, la tête du complot, dîna chez Antoine et Brutus chez Lépide ! Antoine exigea seulement qu’on rendît à César ce qui revenait à César : les honneurs – et qu’on lût en public le testament du défunt. Seulement, le 20 mars, au cours des funérailles, les choses changèrent. Dans un discours bien senti, Antoine retourna la situation de telle façon que dans le cœur du peuple, le regret et la colère explosèrent. Les conjurés durent s’éloigner au plus vite, et Cicéron, jugeant malsain l’air de la capitale, s’en fut en Campagnie où il avait justement une maison de campagne.

A signaler l’entrée en scène d’un bon jeune homme, assez insignifiance en apparence, malingre, dépourvu de tout prestige militaire comme de toute vraie notoriété, et qui s’appelait Caius Octavius. Il se trouvait petit-neveu de césar, et le testament du défunt, qu’on venait de rendre public, le donnait comme fils adoptif posthume du dictateur. Octave, ce gamin de 18 ans, ne faisait évidemment pas le poids en face du puissant, du colossal Antoine. Octave lui faisait de l’ombre, d’autant qu’il réclamait avec insistance l’énorme héritage de César, qu’Antoine eût été bien aise de s’approprier. Entre-temps Antoine était parti pour la Cisalpine, d’où il entendait déloger l’un des conjurés qui y était gouverneur. Le moment paraissait venu pour le Sénat de lancer Octave. Ce dernier avait pris la mesure d’Antoine, et il savait que de ce côté, ce n’était pas la République qu’on allait restaurer, mais le césarisme pur et simple, autrement dit, pour l’heureux gagnant, le maximum de pouvoir pour le maximum de temps. C’était quand même autrement tentant (que l’alliance avec le Sénat contre Antoine), même si la forte personnalité d’Antoine ne pouvait lui laisser espérer qu’un partage de la puissance suprême…. En attendant mieux. Et à partir de ce moment on voit Octave se rapprocher doucettement d’Antoine. Tant pis pour ceux qui s’étaient compromis, Cicéron par exemple, qui n’avait rien imaginé de tel et qui continuait de parler de " l’enfant de César " avec une condescendante tendresse. Cicéron était perdu, et il n’en savait encore rien.

En juillet 43, Octave posa au Sénat un ultimatum sous la forme d’un détachement armé. Il n’en Octavesortit évidemment rien. Octave marchant lui aussi sur Rome, franchit l’inévitable Rubicon et le 19 août, il était fait consul avec un obscur comparse, et fin octobre, une réunion se tint à Bologne, d’où sortit ce que l’histoire connaît sous le nom de deuxième Triumvirat. Elle accordait pour 5 ans tous les pouvoir à Antoine, Octave et Lépide. Dès la fin de 43, des édits de proscription furent affichés, avec des têtes mises à prix, confiscation de biens, etc… Octave fit tout pour épargner Cicéron, mais dut céder aux insistances d’Antoine et de Lépide attachés à sa perte. Rejoint le 7 décembre par les soldats dans sa propriété de Gaète, il fut promptement égorgé. Les exécuteurs revinrent à Rome avec la tête et les mains de l’avocat. Antoine fit exposer ces navrantes reliques à la tribune de Rostres. Cicéron était le premier d’une longue liste, puisque, selon Appiens, 300 sénateurs et 2000 chevaliers auraient été ainsi éliminés.

Les armées républicaines s’étaient regroupées en Orient sous le commandement de Brutus et de Cassius. Antoine et Octave décidèrent de passer l’Adriatique afin de les rejoindre et de les écraser. Vaincus, les 2 conjurés se donnèrent la mort. Brutus se jeta sur son épée en s’écriant, paraît-il : " Vertu, tu n’es qu’un mot ".

Les triumvirats s’étaient répartis le gouvernement des provinces d’Occident : Antoine aurait la charge la Gaule Narbonnaise, Lépide l’Afrique et Octave l’Italie. C’était à Antoine que revenait la préparation de la guerre projetée par César contre les Parthes. Antoine s’en fût donc là-bas et prit contact avec Cléopâtre. Las ! Il ne tarda pas à se prendre pour la jeune femme d’une passion autrement fervente que celle de César.

Durant ce temps, Octave réprima quelques troubles en Cisalpine et en profita pour faire main basse sur la Narbonnaise, fief d’Antoine qui rentra précipitamment à la fin de l’été 40. Grâce à la médiation d’un chevalier appelé Mécène, lié à Antoine, les choses finirent par s’arranger. Ce fut une sorte de partage du monde. L’Orient hellénique reviendrait à Antoine et l’Occident à Octave. Lépide, de plus en plus effacé, garderait l’Afrique. Là-dessus, Antoine épousa Octavie, la sœur de son collègue.

Octave s’arrangea pour provoquer la défection des légions de Lépide et le destitua de ses fonctions du triumvir. Ne restait plus en piste q’Antoine et Octave, chacun rêvant en secret d’éliminer l’autre. En occident la paix était revenue. Le 13 novembre de 36, Octave recevait les honneurs du triomphe. Il se faisait désormais appeler César commandant en chef, fils du divin Jules. En Orient aussi la paix revenait et Antoine, aux côtés de Cléopâtre réorganisait l’Orient à son idée. Octave dénonça au sénat, dans son discours du 1er janvier 33, les prétentions d’Antoine à devenir un potentat oriental traître à sa patrie romaine. Il est vrai que ce dernier venait de répudier l’infortunée Octavie. S’estimant assez soutenu par l’opinion, Octave décida de la guerre. Cléopâtre apparaissait comme une ennemie de l’Etat, menaçant l’Italie. C’est donc à elle qu’on la déclara. Dès lors Antoine commît la faute de la soutenir par les armes, il devenait par le fait même, à son tour l’ennemi de Rome. Imparable juridiquement.

Lorsque le 2 septembre 31, la flotte d’Antoine tenta de sortir du golfe d’Ambracie, elle se trouva défaite – de façon d’ailleurs indécise – au cap d’Actium, la débandade se prit de façon inexplicable dans le camp d’Antoine. Cléopâtre abandonna la bataille avec sa flotte, et Antoine la suivit. Peu après, Octave recevait la soumission de la Grèce et de l’Asie. l’Egypte tomba l’été suivant. Assiégé dans Alexandrie, Antoine mit fin à ses jours, Cléopâtre en fit autant, et Octave fit supprimer Césarion.

La mort de Cléopâtre

En août 29 Octave célébrait dans l’allégresse de la paix retrouvée un nouveau triomphe.

 

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4 décembre 2010 6 04 /12 /décembre /2010 10:16

Titre philoPlaisirs cyrénaïques 

André Laks

Tiré du recueil :

"Hédonismes. Penser et dire le plaisir dans l'antiquité et à la Renaissance".

 Laurence Boulègue - Carlos Lévy.

 Ed. Septentrion

 

 

Tiré du recueil " Hédonismes. Penser et dire le plaisir dans l’Antiquité et à la Renaissance " par Carlos Lévy & Laurence Boulègue.


  

 

http://www.andre-laks.placita.org/

 

En introduction, quelques repères biographiques.

 

Fondateurs de l'école dite du Cyrénaïsme :

Aristippe l’ancien (né vers 430 av JC et mort en 356) ; ou Aristippe de Cyrène, fondateur en 399 av. J.-C. de l'école. Il fut le disciple de Socrate.

Aristippe le jeune (ou le Matrodidacte ) son petit fils fut un autre dirigeant de l’école. Il est né vers 380 et mort aux alentours 300 Av JC.

 

Cyrenaiques.JPG

 


 

Notes de lecture

De petites fiches de lectures sans prétention ; mais utiles pour se remémorer les grandes lignes d’un ouvrage. Recopie de passages et synthèse tout à fait subjective.  


 

Le problème      

" Les témoignages anciens ne laissent aucun doute sur le fait que la théorie du plaisir d’Epicure rencontra sur son chemin celle des Cyrénaïques, avec laquelle elle partagea l’idée que le plaisir est la fin de nos actions .  

On ne manque pas de témoignages anciens situant la doctrine des Cyrénaïques à l’origine de la théorie morale d’Épicure, qui en aurait adopté le principe (le plaisir est la fin de nos actions), tout en récusant la conception du plaisir qui en était le corrélat : du plaisir en mouvement (cinétique), cyrénaïque, Epicure distingue un plaisir en repos (catastématique), qui lui est propre. Cette différence éloigne considérablement l’hédonisme d’Epicure de celui des cyrénaïques. 

 

AristippeOrthodoxes et dissidents    

Il est raisonnable d’admettre que la doctrine cyrénaïque proprement dite est le fait d’Aristippe le Jeune. […] Eusèbe prête à Aristippe l’Ancien de n’avoir dit qu’ " en puissance " ce que son petit-fils devait effectivement dire.

Diogène Laërce (D.L) : Ils posaient au fondement deux affections, souffrance et plaisir, dont l’une est un mouvement lisse, à savoir le plaisir, et l’autre, la souffrance, un mouvement rugueux. […] Ce plaisir est celui du corps, qui est aussi la fin […] Ils nient que le plaisir catastématique (…) soit la fin. Ils sont outre d’avis que la fin diffère du bonheur. […] La suppression de la douleur, dont parle Epicure, à leur avis n’est pas un plaisir, ni l’absence de plaisir une douleur […] Et ils disent que même le plaisir, certains peuvent ne pas le choisir, par dépravation.[…] Ils nient aussi que le plaisir se produise par la remémoration des biens ou par leur attente. […] Et ils appelaient l’absence de plaisir et l’absence de souffrance des états intermédiaires. Cependant, les plaisirs du corps sont bien meilleurs que ceux de l’âme et les maux du corps bien pires. "

 

Bonheur et plaisir : la possibilité d’Hégésias 

 Les cyrénaïques opéraient une distinction tranchée entre le plaisir et le bonheur. Définissant le bonheur comme " l’ensemble constitué des plaisirs particuliers ". […] Seul le plaisir particulier, étant recherché pour lui-même, peut être à proprement parler qualifié de fin.

L'identification du bonheur au plaisir, tel qu'il est défini par les cyrénaïques, se heurterait à deux difficultés :

  1. 1) Comment un processus comme le plaisir, condamné qu’il est à s’interrompre, pourrait-il être identifié au bonheur, s’il est vrai que le bonheur s’inscrive dans la durée (et qui plus est, d’une vie entière) ?  
  2.  

  3. 2) Faire du bonheur une fin ultime ne revient-il pas à confondre une fin de second ordre avec des fins de premier ordre que sont les buts immédiats qui conduisent nos actions ?
  4. 

 La dissociation entre bonheur (eudaimonia) et fin (telos) semble de nature à prévenir ces objections.

La confrontation avec Epicure est intéressante, puisque Epicure ne maintient l’identité du plaisir et du bonheur (lettre à Ménécée) qu’au prix d’une restructuration radicale du concept de " plaisir " comme plaisir catastématique, qui lui permet de perdurer à travers le temps.

 

La position cyrénaïque implique une déclassement de l’eudaimonia strictoCyrénaique sensus, les Cyrénaïques ne sont pas des eudémonistes.

Comme le laisse entrevoir la distinction entre la fin (limitée dans le temps) et le bonheur (coextensif à l’ensemble de la vie), la question du temps et de son contrôle a dû jouer un rôle central dans la philosophie cyrénaïque.

Les Cyrénaïques avaient développé l’idée d’une " gestion " ou d’une " administration " des plaisirs (oikonomia).

La doctrine originelle, partant de la définition du bonheur comme " accumulation de plaisirs particuliers ", avait insisté sur l’incertitude de l’issue, allant jusqu’à affirmer que " l’accumulation des plaisirs (est) la chose la plus pénible, quand elle ne produit pas le bonheur ". Or les Hégésiaques étaient de toute évidence allés plus loin, en niant la possibilité effective de parvenir au bonheur, en raison de la quantité de misères qui emplissent le corps et l’âme, et des obstacles que la fortune oppose à la réalisation de nos plans. Cette radicalisation était chez eux liée à un égoïsme fondamental et au refus de reconnaître le statut de plaisirs aux mouvements qui nous portent apparemment sans profit vers autrui – reconnaissance, amitié, bienfaisance. […] Hégésias avait tiré argument de l’accablement auquel la vie humaine est exposée pour soutenir que le sage cherche moins à accumuler les biens qu’à éviter les maux. Par rapport à la position des " fidèles " et au telos positif d’Aristippe, le " plaisir " que l’on associe volontiers à la philosophie cyrénaïque, la divergence est nette.

La doctrine annicérienne, a défendu, contre les Hégésiaques, la possibilité du bonheur. […] Le refus du pessimisme hégésiaque s’appuie chez Annicéris sur une critique de leur utilitarisme, qui, déniant l’existence de sentiments altruistes, se privait en même temps des seuls moyens dont dispose l’homme pour s’assurer du bonheur….

Annicéris : il y a des plaisirs psychiques en nombre suffisant pour compenser ce que la vie comporte de malheurs inévitables. Il devait sur ce terrain rencontrer la doctrine épicurienne, qui accorde aussi une grande place aux plaisirs psychiques.    

   

La doctrine des plaisirs psychiques    

" Corporel " et " psychique ", dans les formules " plaisirs corporels " et " plaisirs psychiques ", se ne rapportent pas à l’organe ou au centre de perception, mais à ce qui, dans le sujet percevant, en est la source. Autrement dit, l’âme est tous les cas une instance de la perception ; " corporel " et " psychique " qualifient quant à eux un certain type de plaisir. Il faut donc distinguer entre deux fonctions de l’âme, selon qu’elle ressent le plaisir, en tant que faculté sensorielle, ou qu’elle en est la source.

 

Le renouvellement annicérien     

Clément, Stromates : " Quant à ceux de la succession cyrénaïque qu’on appelle les Annicériens, ils n’assignaient aucun but à l’ensemble de la vie, mais ils disaient qu’il existe un but propre à chaque action, le plaisir qui résulte de l’action. Ces Cyrénaïques récusent la limite du plaisir d’Epicure, à savoir la suppression de la douleur, en l’appelant l’état d’un cadavre ".

Nous savons par Diogène Laërce qu’Annicéris s’était intéressé aux " activités " humaines capables de contrebalancer les souffrances, telles que l’amitié, la reconnaissance, la piété familiale et l’engagement pour la patrie. […] On pourrait aussi se demander si soutenir que la vie n’a pas de fin déterminée n’a pas une portée plus radicale, à savoir explicitement anti-téléologique, que la simple négation du statut de " fin " du bonheur.

Les cyrénaïques opposaient, au plaisir catastématique d’Epicure, le " vrai " plaisir du corps, à savoir son mouvement.

Ce contre quoi les Annicériens semblent avoir essentiellement réagi, c’est contre l’interprétation d’Hégésias, en particulier la définition négative de la fin, le déclassement corrélatif du plaisir, et la négation possible du bonheur. […]Cette double opposition, sur la question d’autrui et sur celle de notre bonheur, est suffisamment tranchée pour qu’Hégésias et Annicéris apparaissent comme deux pôles d’une antithèse fondamentale.

Annicéris doit avoir été, pour des raisons strictement chronologiques, à l’origine de la confrontation avec Epicure. Mais il n’a pas nécessairement introduit les plaisirs psychiques dans une doctrine dont ils étaient primitivement absents ; il a tout au plus réorganisé le fond doctrinal ancien en fonction de la position épicurienne, qui s’était construite contre lui. […] La mise en parallèle de deux doctrines cyrénaïque et épicurienne, paraît être l’effet d’une construction doxographique reprenant systématiquement les thèses existantes pour les opposer dans leurs résultats (rien n’interdit de supposer qu’Annicéris soit lui-même à l’origine de la confrontation).    

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11 novembre 2010 4 11 /11 /novembre /2010 19:02

axis mundiDans son étude Daniel Dubuisson indique à propos de l’historien des religions roumain Mircea Eliade que son œuvre « admet et revendique l’existence d’une instance transcendante, le Sacré : « … plan surhumain, « transcendant », celui des réalités absolues. » Evidemment indémontrable, cette thèse est acceptée par tous ceux qui croient y trouver une sorte de plaidoyer savant en faveur de leurs convictions métaphysiques… », et c’est sans doute, comme tant d’autres, ce qui m’a alors séduit. Le terrain était à vrai dire propice, avec des lectures du sortir de l’adolescence fleuretant allégrement avec l’ésotérisme le plus conventionnel : Papus, par exemple, et son traité de « Magie pratique ». René Guénon ou encore Etienne Perrot avec « L’aurore occidentale », « Des étoiles et des Pierres », sans oublier, entre autre, « La voie de la transformation ». Ajoutons une tante ayant fait du YiKing son livre d’oracles, plus quelques contacts du coté de la « maçonnerie spéculative », et l’on aura tous les ingrédients propres fabriquer, dans l’athanor d’une raison autodidacte tournée vers les cimes, une sapience à même de produire la quintessence, et de réaliser la « conjunctio oppositorum »… Divagations anodines qui devaient me conduire à fréquenter naturellement les œuvres de Jung et de Mircea Eliade précisément. On ne dira d’ailleurs jamais assez combien les travaux et biographies de ces deux auteurs se répondent et se complètent.

Ainsi, pour en revenir à Eliade, en 1989 j’avalais coup sur coup « Aspects du mythe » et « Le sacré et le profane ». Puis sur ma lancée je lus en 1990 « Mythes, rêves et mystères ». Et enfin en 1992 « Initiation, rites sociétés secrètes ». Pour clôturer ce périple aux « sources du savoir », un peu plus tard je refermais « Méphistophélès et l’androgyne » remplis de ces usuelles tournures Eliadiennes, telles « l’axis mundi », la « régénération périodique du monde », et sa « vrai réalité », ou s’ébroue l’« homo symbolicus ». A noter l’importance du latin pour faire plus savant. Ce fut le dernier livre d’Eliade que j’ouvris. Et ces lectures, si je n’en ai plus aujourd’hui une empreinte profonde, furent à l’époque, je m’en souviens, source d’envolées mystiques, avec un état d’esprit proche de la dévotion : en lisant Eliade et Jung j’avais alors, littéralement, le sentiment de côtoyer des vérités essentielles ; je puisais à la source d’archétypes occultés aux profanes se contentant de suivre la terne voie « exotérique » du commun. Bref j’étais au côté des « initiés » et éprouvais une fascination pour ce qui m’apparaissait comme une science primordiale, où le merveilleux et l’occulte irriguaient un besoin viscéral de spiritualité. Comblé, je m’en suis rendu compte a posteriori, je le fus à peu de frais. Mais avec les ouvrages d’« autorité reconnues » comme références et bréviaires, alors que j’étais pur autodidacte, je sentais la légitimité à mes côtés. MirceaEliade et Jung - Ascona 1952

Rétrospectivement, l’idée que des universitaires se soient laissés abusés tout autant que moi est à la fois rassurante et inquiétante. Autant dire que cette prose pseudo-scientifique, aux relents douteux, dont à l’époque je n’étais nullement conscient, répond à merveille à un besoin enraciné en la plupart d’entre nous. Cela conduit à interroger les processus amenant si aisément à la crédulité ; au renoncement à tout exercice du sens critique au profit d’une croyance aveugle en des « vérités supérieures », dès lors qu’on flatte notre goût de la distinction, ou encore notre sens inné à l’auto-mystification. Au passage, je ne peux ici m’empêcher de songer aux récent et houleux débats sur la psychanalyse…

Au final, le cas de Mircea Eliade se révèle tout a fait symptomatique. Et j’espère que ce mince détour par mes propres égarements de jeunesses illustrera mieux qu’une thèse savante la dangerosité qu’il y a à faire nôtres les élucubrations de ces faiseurs de « vérités » et autres vendeurs « d’absolus » passés, présents et à venir. Et en accord ici avec le dicton qui affirme que « tous les chemins mènent à Rome », je ne doute pas que bien d’autres sentiers biographiques que le mien, conduisent immanquablement aux mêmes ornières.

L’œuvre de Mircea Eliade est un cas d’école à méditer et dont il convient de ruiner la légende. En ce sens le travail de Daniel Dubuisson est exemplaire et à largement diffuser.


Mythologies du Xxe siècle

Dumézil, Lévi-Strauss, Eliade

 

Daniel Dubuisson

Notes de lecture

De petites fiches de lectures sans prétention ; mais utiles pour se remémorer les grandes lignes d’un ouvrage. Recopie de passages et synthèse tout à fait subjective. 


Mircea Eliade (1907 – 1986)

 

Eléments biographiques

 

La période la plus troublante de la vie d’Eliade se situa entre 1932 et 1945. A la fin 1931, Eliade regagna la Roumanie à l’issue d’un long séjour indien. Il enseigna la philosophie et l’histoire des religions à Bucarest. Mais ce sont ses activités de journaliste et de militant fasciste au cours de la même période au sein ou à proximité de la garde de fer, qui ont suscité le plus de controverses. Ces engagements, aussi enthousiastes que radicaux, n’ont commencés à être connus qu’à la fin des années 80, tant avait été grands jusque là le silence, les mensonges ou les falsifications d’Eliade. […] Ces années furent particulièrement noires en Roumanie. Là, une solide tradition culturelle antisémite, l’instabilité politique, une certaine fascination pour l’Allemagne nazie, des sentiments nationalistes exacerbés, la tentation de la dictature, un obscurantisme religieux, favorisèrent, dès 1927, l’apparition d’un mouvement extrémiste, appelé ultérieurement la Garde de fer, qui se distingua aussitôt par son mysticisme macabre et son patriotisme violemment antisémite. Il s’illustra par des meurtres, en 1933 , en 39, puis en 1940-1941, par des pogroms et des massacres. Dans ses Mémoires, alors qu’il s’est agi d’une milice paramilitaire qui a terrorisé, torturé et massacré d’innombrables victimes juives, Eliade déplore simplement, en bas de page, les pogroms de septembre - décembre 1940, mais en les imputant à un destin historique fatal. […]

Pourquoi serait-il de mauvaise méthode d’interroger la mémoire du militant fasciste des années 30 et se demander, parmi d’autres hypothèses possibles, si ses opinions antisémites et exaltées d’alors n’ont pas contribué, et en quelle mesure, à nourrir la pensée de l’historien des religions ? […] Tout approche, qui prétend que la pensée d’Eliade serait le résultat d’une sorte de méditation intemporelle et désincarnée, n’est qu’une mystification et une escroquerie intellectuelles.

L’œuvre d’Eliade admet et revendique l’existence d’une instance transcendante, le Sacré : « … plan surhumain, « transcendant », celui des réalités absolues. » Evidemment indémontrable, cette thèse est acceptée par tous ceux qui croient y trouver une sorte de plaidoyer savant en faveur de leurs convictions métaphysiques… […] Parce qu’elle adopte cette attitude mystique, l’Histoire des religions selon Eliade attire à elle et entraîne avec elle plusieurs graves défauts de méthode. Parmi eux, on citera :

            Choix arbitraires et simplificateurs.

            Indifférence complète aux contextes historiques et ethnographiques.

            Nombreuses généralisations abusives.

            Interprétations Contestables. Symbolique ésotérique

A l’intérieur de l’univers mystique d’Eliade les choses et les êtres ordinaires, concrets, s’effacent (ou se spiritualisent) et cèdent la place à des pseudo-essences. Seuls subsistent alors : la vie, l’âme, la création, la sainteté, l’homme, la connaissance, le temps, l’univers, la sacralité, la réalité, le monde, la présence, l’être, l’au-delà, l’esprit…[…] Chacun d’eux, suivant le cas, c’est-à-dire suivant la seule fantaisie d’Eliade, sera : sacré, divin, intégral, cosmique, surhumain, profond, total, intégral, spirituel, atemporel, absolu, primordial, mystique, religieux…[…] Est laissé au lecteur, avec ce lexique de base, le plaisir d’imaginer lui-même d’amusants pastiches « à la manière de …». Mais qu’il se rassure, ceux-ci sont faciles à composer, n’importe quel substantif pouvant s’associer à n’importe quel épithète. (Ce n’est) au fond qu’un procédé rhétorique assez sommaire : apposer des prédicats mystiques très vagues sur les notions les plus floues afin de produire un effet surprenant, une atmosphère mystérieuse, intemporelle, irréelle.

 

L’ontologie primitive de Mircea Eliade

 

(Chez Eliade) la thèse métaphysique précède toujours la démonstration, réduite pour cela à sa forme la plus expéditive, c’est-à-dire à l’accumulation de témoignages partiels et de rapprochements arbitraires. […] L’intérêt que présente la pensée éliadienne tient à son caractère exemplaire, puisqu’on y trouve un condensé de tous les défauts et de tous les abus propres aux démarches mystiques qui prétendent posséder une valeur scientifique. […] Eliade « ontologise » tout ce qu’il aime (la paysan, la pierre, la mort, le mythe, la sexualité, etc.) ou plagie (l’inconscient, les cérémonies d’initiations, les rites agraires, la mentalité archaïque, etc.) Infidèle et irrespectueux à l’égard de ses débiteurs, ce syncrétisme abuse en même temps de la crédulité ou l’ignorance du lecteur en lui dissimulant l’origine, la nouveauté ou la complexité de leurs thèses. C’est ainsi, par exemple, qu’Eliade associe les noms de Teilhard de Chardin, de Lévi-Strauss et de la revue Planète au nom d’une commune et énigmatique « mythologie de la matière ».

Influence de Rudolph Otto : a publié en 1917, Le sacré. Pour Otto le sacré (ou le numineux) est le nom donné à une puissance, inquiétante et fascinante à la fois […]. Comme Otto Eliade admet que le monde est « saint », que son existence répond à un dessein providentiel dont l’intelligence dépasse les aptitudes ordinaires de la raison humaine. (Cependant) Eliade a infléchi dans un sens très particulier la définition que le théologien Allemand proposait du Sacré. Il y a introduit en effet une dimension naturaliste et vitaliste, inattendue dans un tel contexte. […] Par Eliade, le primitif, l’homme des cultures archaïques est élevé à une dignité extraordinaire. Il est considéré comme le témoin privilégié d’une série d’expériences essentielles, car originelles et fondatrices, qui ont eut le Sacré ou l’Etre pour acteur principal et le monde pour décor. […] Par conséquent (pour Eliade) il est urgent de réhabiliter toutes les religions primitives afin de retrouver le contact avec le Sacré, avec la Réalité ultime. […] Il est tout à fait révélateur qu’Eliade, qui prétend parler « du fait religieux en tant que fait religieux », n’aborde jamais aucune question morale ni éthique. […] Conformément au principe le plus général de tout modèle platonicien, Eliade croit en l’existence d’une césure, définitive et imprescriptible, qui rejette de part et d’autre le sacré et le profane. […] Il va de soi que la thèse eliadienne relative à l’existence d’un inconscient « religieux » permettant à l’homme de remonter, par anamnèse, vers les structures originelles de l’Etre n’est guère plus qu’une proposition poétique. En tout cas, elle n’est guère originale et résulte simplement d’une relecture platonicienne de Freud et de Frazer !

 

Cette notion de « religion cosmique » comme celle de « christianisme cosmique » ne sont ni pertinentes ni fondées sur les faits. Ce sont de pures constructions idéologiques. Il suffit, par exemple, de considérer les cultures préchrétiennes de l’Europe (grecque, romaine, celtique, germanique, etc.) pour constater aussitôt qu’elles ne se réduisent pas à des cultes de fertilité, à des mythes ou à des liturgies naturalistes. (…) En plaçant ces formes de religiosité cosmique sous le double patronage de la Nature et des communautés agraires traditionnelles, Eliade se forgeait une arme tournée à la fois contre les principes moraux et spirituels du judéo-christianisme et contre la plupart des créations intellectuelles de l’Europe moderne (la science, la démocratie, les droits de l’homme, la raison critique) [Placé ici par commodité : tiré de l’addenda I de 2008, intitulé « L’ésotérisme fascisant de Mircea Eliade »]

 

Comment dans ce fatras, dans ce bric-à-brac de superstitions et de croyances irrationnelles (…) a-t-on pu reconnaître une œuvre scientifique digne de notre temps ? Comment son auteur a-t-il pu être reçu et écouté partout ? Comment une telle imposture intellectuelle n’a-t-elle pas été immédiatement dénoncée ? Il serait sans doute injuste de conclure que tous ceux-là, simples lecteurs ou savants universitaires, partageaient l’ensemble de ses convictions et de ses préjugés, et plus équitable de penser que beaucoup, parmi eux, ont été abusés. (…) Montrer au grand jour, par exemple, la « structure platonicienne » de son propre dispositif, laquelle, partout, a toujours ébloui et séduit les esprits mystiques qui, par conviction, besoin ou ressentiment, sont toujours prêts à reconnaître l’existence d’un autre monde, idéalisé, et d’une autre réalité, immatérielle.

 

Métaphysique et politique : Eliade et Heidegger

  Mircea Eliade

Eliade a lu Heidegger.

L’un et l’autre ont traversé les années 30 en se tenant aux cotés d’organisations (nazisme pour l’un, mouvement légionnaire roumain pour l’autre) et courants de pensée qui, quelles que fussent leurs différences et leurs singularités, s’accordaient pour condamner la démocratie, le monde et la science moderne, le progrès (social technique) et le libre travail de la pensée au nom d’une obscure métaphysique de l’Etre, d’un anachronique élitisme aristocratique, d’un mysticisme agraire et archaïsant….

Examen de quelques-unes de leurs conceptions de l’homme qui sont hostiles aux idéaux issus du siècle des lumières : […] Ce schème associe constamment ces trois caractères :

            Césure ontologique et priorité de l’Etre (ou de l’Idée ou de l’Esprit).

            Supériorité spirituelle de l’élite sur la masse populaire.

            Conception pessimiste de l’histoire conçue comme un déclin entraînant une décadence généralisée.

            (D’où la nécessité d’une renovatio, conduite par les meilleurs et visant un retour à l’Origine).

 

(Un philosophe contemporain, évoquant le passage de Heidegger dans les rangs du parti nazi, le qualifiant d’erreur (« tragique », « immense », « monstrueuse »). Et il ajoutait résigné : « Il s’est trompé comme le vieux Platon qui croit encore en Denys, le tyran de Syracuse, pour réaliser sa république, comme Hegel qui identifia l’Esprit du Monde,… à Napoléon ». Mais peut-on sérieusement invoquer l’erreur individuelle, dès lors que l’on a remarqué que tous ces penseurs, auxquels il eût été possible d’associer Eliade, appartiennent à la même tradition intellectuelle, idéaliste et antidémocratique.

 

Avec bel ensemble, de Platon à Heidegger et Eliade, les penseurs de l’Etre se sont toujours rangés aux cotés des régimes totalitaires (de l’oligarchie spartiate au Reich nazi). Au contraire, la plupart des penseurs rationalistes et matérialistes, de Démocrite à Russel, ont été des partisans de la démocratie, simplement peut-être parce que le rationalisme et le matérialisme supposent que l’on accepte le double principe du progrès et de la relativité. (…) Sans doute Eliade préférait-il à la générosité du philosophe d’Abdère, la morgue d’un néoplatonicien, celle de l’auteur des Ennéades par exemple : « [Le sage] comprend qu’il y a deux genres de vies, celle des sages et celle du vulgaire ; celle du sage est dirigée vers les sommets ; celle du vulgaire, celle des hommes de la terre, est elle-même de deux espèces ; l’une a encore un souvenir de la vertu, et elle a quelque part au bien ; mais la foule méprisable n’est qu’une masse de travailleurs manuels destinés à produire les objets nécessaires à la vie des gens vertueux ». (Plotin)

 

Deux astuces rhétoriques sont indispensables aux prétendus connaisseurs des Origines.

La première consiste à affirmer que tout ce qui se rapporte à cette phase fondatrice, à l’Etre ou au Sacré, est quelque chose de mystérieux, d’indicible, voilé au regard et à l’entendement du plus grand nombre. Eliade aurait pu reprendre à Heidegger toutes ces épithètes typiques (geheim (occulte), verdeckt (masqué), verborgen (caché)….), lui qui était convaincu que « … les rythmes cosmiques et les événements historiques camouflent des significations profondes, d’ordre spirituel ».

Seconde astuce : Ces mêmes spécialistes nous apprennent triomphalement qu’ils ne vont pas nous abandonner, pauvres imbéciles que nous sommes, devant la porte du mystère, puisqu’ils possèdent heureusement le pouvoir de dévoiler (cette fameuse alètheia hedeggerienne) cette vérité cachée depuis l’Origine.

 

La reconstruction des religions préhistoriques selon Mircea Eliade

 

Il est préférable de considérer (désormais) l’œuvre d’Eliade comme une très habile fiction pseudo-scientifique.

a)       (il convient de) : Refuser la parti pris métaphysique dont s’inspire Eliade ; parti pris très banal qui consiste à postuler l’existence d’un instinct religieux conçu comme « un élément dans la structure de la conscience » et le Sacré lui-même comme une réalité absolue.

b)       L’attitude d’Eliade ne peut impressionner que des esprits incultes et naïfs qui refusent de voir que cette prétention ne peut guère dépasser le stade de sa propre énonciation. (…) Avec une certaine ironie, on serait tenté de faire remarquer que cette œuvre, comme toutes ses semblables qui prétendent révéler des vérités supérieures et intemporelles, reste tributaire des idées de son époque ! (…) Ainsi les conceptions d’Eliade du Sacré, de l’homo religiosus, des ontologies archaïques, des mythes de réintégration, des sacrifices sanglants et des rituels orgiaques, composent en réalité un tableau fantastique et barbare qui n’est que la traduction « religieuse » de ses obsessions politiques antérieures. (…) On retrouve une célébration de l’autochtonie paysanne, une même hantise de l’histoire (considérée, à l’instar de la science moderne), un rejet catégorique du progrès social, une fascination morbide pour le sexe et la mort, une sacralisation des mondes archaïques ou primitifs, une exaltation de toutes les formes d’élitisme, une affinité étroite avec les traditions ésotériques et un mépris souverain pour l’égalité des droits.

 

L’hypothèse d’Eliade concernant un homme préhistorique « religieux », se heurte à de nombreuses objections que l’on appréciera beaucoup mieux si l’on accepte d’abandonner certains de nos préjugés. (…) Nous répugnons à les imaginer insouciants, athées, matérialistes incrédules, agnostiques ou préoccupés par leur seule existence immédiate. Nous préférons nous les représenter terrorisés par l’effroi, impatients de découvrir, réfugiés au fond de leurs cavernes, les réconforts, encore rudimentaires, de la religion. C’est d’ailleurs au nom de ces mêmes préjugés que nous traduisons en signification « religieuse » (ou magique) les gestes, les objets et les attitudes symboliques des Autres (…) Mais a-t-on suffisamment médité le fait que nous trouverions sans aucun doute ridicule que ces même Autres considèrent comme animées d’une intention religieuse bon nombre de nos activités culturelles (repas collectifs, danses, musique, productions artistiques, soins du corps, pratiques sexuelles, etc.) ? En un mot, l’assimilation : signification symbolique = signification religieuse, est arbitraire, tendancieuse.

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23 octobre 2010 6 23 /10 /octobre /2010 11:26

 

Pensée du matin à méditer. Elle me vient de l’indispensable et éclairant ouvrage de Daniel Dubuisson : « Mythologies du XXe siècle. Dumézil, Lévi-Strauss, Eliade ». L’extrait repris ci-dessous est tiré de la partie consacrée à Mircea Eliade, dans un chapitre intitulé : « Métaphysique et politique : Eliade et Heidegger » .


      Platon 

HeideggerMircea-Eliade

 

 

 

 

   

 

 

 

  « Avec bel ensemble, de Platon à Heidegger et Eliade, les penseurs de l’Etre se sont toujours rangés aux cotés des régimes totalitaires (de l’oligarchie spartiate au Reich nazi). Au contraire, la plupart des penseurs rationalistes et matérialistes, de Démocrite à Russel, ont été des partisans de la démocratie, simplement peut-être parce que le rationalisme et le matérialisme supposent que l’on accepte le double principe du progrès et de la relativité » (P 264).

  

Un peu plus bas dans la même page :

 

Plotin

Sans doute Eliade préférait-il à la générosité du philosophe d’Abdère (« La pauvreté en régime démocratique est aussi préférable au prétendu bonheur en régime tyrannique que la liberté l’est à la servitude »[1]), la morgue d’un néoplatonicien, celle de l’auteur des Ennéades par exemple :

« [Le sage] comprend qu’il y a deux genres de vies, celle des sages et celle du vulgaire ; celle du sage est dirigée vers les sommets ; celle du vulgaire, celle des hommes de la terre, est elle-même de deux espèces ; l’une a encore un souvenir de la vertu, et elle a quelque part au bien ; mais la foule méprisable n’est qu’une masse de travailleurs manuels destinés à produire les objets nécessaires à la vie des gens vertueux ». (Plotin)

   



[1]  Stobée, Florilège IV,1, cité et traduit par Jean-paul Dumont, Les présocratiques, Gallimard, 1988, p 905.

 
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