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28 avril 2012 6 28 /04 /avril /2012 10:43

Pissenlits---baniere.jpg

 

Pissenlits-et-paquerettes.jpgPassant outre les sages conseils de mieux avisés que moi – ah, impétueuse jeunesse – cela fait désormais des années que je ne répands plus de pesticides sur ma famélique clairière. Aujourd’hui le sacrilège est  consommé et j’en paye le prix fort ! Ce ne fut pourtant pas faute d’injonctions réitérées à me plier à la coutume du ‘bon jardinier’ sous peine de me voir débordé par les mauvaises herbes et autres furoncles broussailleux…
Mais, par un effet naturel de ma tendance à faire exactement le contraire de ce qu’on attend de moi, ces perspectives de chaos me passèrent par dessus la tête…. Je me souviens même, plus d’une fois, m’être gaussé à gorge déployée, un brin de provocation tapis au fond des prunelles, à l’écoute de la prose terrible de ces bienveillants jardinistes m’exposant les périls prêts à envahir ma tranquillité dilettante. Que risquais-je donc de si affreux ? De la mousse peut-être ? Oui de la mousse précisément, et dont le propre, comme son nom l’indique, est de ne point être du gazon. Telle me fut la docte réponse de plus d’un de ces fins observateurs de la nature en pot ! Ce n’était pas tout… Bien d’autres maux vivaces menaçaient, tels ces épidémies de trèfles, de chardons, de pissenlits, que sais-je encore !

 

La lèpre s’est installée et il n’est désormais plus temps de cultiver le regret, c’est le jardin que j’aurai dû pulvériser.  A la coutume de l’offrande de la terre j’aurai dû me soumettre et le glyphosate acide couler à flots…
Lorsque j’y pense à présent, animé d’une haine coupable retournée contre mon esprit rebelle, quel émoi à l’évocation si douce de cet élixir dont la dénomination même, résonne tel un baume sur mon cœur : ‘désherbant total folliaire systémique’.
En outre, je le sais, souscrire au canon du jardin bien entretenu aurait eu d’autres effets bénéfiques. Celui de participer à la croissance du béni PIB n’en est pas des moindres - il n’y a pas de modestes contributions en la matière (il faudrait instaurer, j’en suis désormais convaincu, une taxe pour sanctionner les mauvais consommateurs de mon espèce !).

 Pissenlits-de-pres.jpg

A ma peine immense s’ajoute la honte d’avoir privé, par mon geste insensé, la firme pourvoyeuse du nectar du jardinier de substantiels bénéfices, si utiles pour alimenter ses recherches OGM afin d’éradiquer le fléau des famines dans le monde. Et c’est l’âme attendrie que je songe aujourd’hui au sacerdoce de ces travailleurs désintéressés qui ont jadis, sans compter, déversé le fruit de leur recherche, sur les populations récalcitrantes de l’Asie du Sud-Est.
Ô, molécules herbicides ; Gloire du génie humain ! Agent orange – mécanique… Décoction de dioxine, si stable, si parfaite qu’on en trouve de nos jours  encore à la pelle dans les sols et les sédiments : cécité, diabète, malformations, cancer…. Lait céleste répandu durant l'Opération Ranch Hand, et qui fit dire à la pauvre Perette : « adieu veau, vache, cochon, couvée ; »

 

Mais je m’égare !

 

Revenons à nos jardin, qui comme le clame avec sagesse Candide, il faut (soigneusement) cultiver.
Et ce soin à l’entretien de ce qui me tenais à cœur - m’a manqué…
Je peux bien alors avoir l’air d’un Paul de Tarse, et retourner avec rage destructrice contre ses anciens coreligionnaires du laisser-aller.
Mais comment réagir autrement à la vue de ces pustules jaunes crépitant sur la peau verte de mon gazon ? Pelouse d’ailleurs comme prédit mangée de mousse, de pâquerettes et de trèfles…

 

Mais il y a pire à confesser.
Au lieu d’éradiquer comme il se doit cette engeance envahissante, pris d’une incompréhensible sensiblerie, sous le joug même d’un délétère élan esthétique, m’a pris la folie, lors de ma tonte presque hebdomadaire, de contourner comme je l’ai pu ces horribles furoncles, et qui restent désormais posés là, comme une irréparable faute de goût, sur la moquette où, si le temps le permettait, j’aimerais me prélasser un bon livre à la main…

 

 Pissenlits.jpg

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23 avril 2012 1 23 /04 /avril /2012 10:55

Devant-La-jeune-martyr-de-Paul-Delaroche.jpgThomas Bernhardt dans Maître anciens met en scène un vieux monsieur, Reger, qui depuis plus de trente ans se rend au Kunsthistorisches Muséum de Vienne, et s'assied sur la même banquette, dans la salle dite Bordone, face à L'homme à la barbe blanche de Tintoret."Il a suffit d'un tout petit pot-de-vin pour m'assurer pour toujours la banquette dans la salle Bordone, voilà ce qu'a dit un jour Reger, il y a des années".

 

Je ne trouve rien d'étrange à cela. Tout au contraire, il est bon, me semble-t-il, de se sentir familier d’un lieu, particulièrement d'un musée ayant quelque patine… La force de l’habitude, les connivences secrètes et le plaisir de se sentir en quelque sorte chez soi dans une place publique n'y sont probablement pas pour rien… Le corolaire livresque d'un tel état d'esprit est sans doute cette manière lente, décrite par Nietzsche, de remastiquer les nourritures érudites ou poétiques. "Il est vrai que, pour pratiquer de la sorte la lecture comme un art, une chose est nécessaire que de nos jours on a parfaitement oubliée (...), une chose pour laquelle il faut être presque bovin et, en tout cas, rien moins qu’ « homme moderne » : la rumination ».(Nietzsche, 1887, Généalogie de la morale)

 

Ainsi, sans pousser le vice ou l'infortune dans ses plus extrêmes retranchements, me plait-il plusieurs fois l'an - profitant de la gratuité mensuelle des musées nationaux  (1) - de remettre mes pas dans une certaine tanière à la devanture de pierre blanches.
D'y découvrir des toiles que je n'avais fait qu'effleurer du regard, à défaut de les avoir tout à fait dédaignées, de me trouver fortuitement placé de telle sorte qu'apparaissent, sous l'effet des jeux de lumière saisonniers, de nouvelles couleurs, des tonalités conférant aux œuvres un caractères que je n'aurai soupçonné, de déambuler encore parmi les sculptures, finir par m'accoutumer et à aimer même cette forme artistique dont mes sens, entre méfiance et inquiétude, me tenaient jusqu'alors sur les franges, d'arpenter le dédale vouté des galeries inférieures, parmi les Christs désarticulés et les dorures médiévales, de me délecter pareillement du spectacle de ces vases canopes, dont les égyptiens du Nouvel Empire faisaient grand cas, les remplissant des viscères des trépassés... Tout cela me charme.
Et je goûte ces jeux dilettantes à leur juste mesure. Savourant l'inutilité précieuse de ces doctes flâneries avec cette paisible langueur des dimanches après-midi où les au revoir ne sont jamais d'irrémédiables adieux.

 

Le long des cimaises s'élaborent de la sorte peu à peu mes lieux de prédilection. Etapes privilégiées d'un pèlerinage délicieux, où l'impromptu se mêle à l'attendu, un peu à la manière de ces rencontres en forêt, lorsque soudain le pas d'un chevreuil, le tambourinement d'un pic ou le vol d'un épervier effleure l'enivrante torpeur des sous-bois.

 

Voici quelques uns de ces étonnements.

Esquisse-pour-paradis---Veronese.jpg Esquisse-detail-.jpg

Ce rouge de fond de ciel, ne m'avait jamais tant frappé que se soir là d'automne - il n'est pas même certain que je visse la toile lors de mon précédent passage.
Gradin d'une Babel céleste, amphithéâtre à-rebours, avec la scène placé à son sommet et étirée tout en largeur : telle m'apparut cette paradoxale Esquisse pour paradis, à la saveur d'enfer. Cette étrange composition fût réalisée par Véronèse à l'occasion d'un concours organisé pour remplacer la fresque de Guariento (1365), détruite par un incendie, et qui ornait l'arrière-plan de la tribune du doge dans la salle de grand palais ducal de Venise. Bien qu'il remportât la compétition, pour des motifs inconnus le coloriste italien ne peignit jamais ce ciel de chaudron dans le dos du doge. Et cela sera le fils du Tintoret, Domenico, qui, suivant le programme de son père, dirigera l'équipe qui se chargera au final de la réalisation de l'œuvre.   

 

 Esquisse-pour-paradis--2----Veronese.jpg

Esquisse pour Paradis - Véronèse

(selon l'éclairage, et le réglage de l'appareil photo, le rendu est sensiblement différent. Cette teinte me paraît plus proche de l'original... mais peut-être est-ce effet de mon imagination)

 

 "Cléopâtre, s'écria-t-il, je ne me plains pas d'être privé de toi, puisque je vais te rejoindre dans un instant ; ce qui m'afflige, c'est qu'un empereur aussi puissant que moi soit vaincu en courage et en magnanimité par une femme". Tels sont les mots d'Antoine, selon la version qu'en donne Plutarque dans les Vies parallèles, à l'annonce de la mort de Cléopâtre avant de se plonger lui-même l'épée dans la poitrine. Mais la fille du roi d'Egypte, Ptolémée XII, retranchée dans son mausolée, n'était pas morte. Pas plus d'ailleurs que la blessure d'Antoine n'était de nature à lui offrir une prompte mort.


Laissons à l'historien romain d'origine grecque conter la suite de cette tragédie :

 

Cleopatre--2-.jpg"Antoine, apprenant qu'elle vivait encore, demande instamment à ses esclaves de le transporter auprès d'elle ; et ils le portèrent sur leurs bras à l'entrée du tombeau. Cléopâtre n'ouvrit point la porte; mais elle parut à une fenêtre, d'où elle descendit des chaînes et des cordes avec lesquelles on l'attacha; et à l'aide de deux de ses femmes, les seules qu'elle eût menées avec elle dans le tombeau, elle le tirait à elle. Jamais, au rapport de ceux qui en furent témoins, on ne vit de spectacle plus digne de pitié. Antoine, souillé de sang et n'ayant plus qu'un reste de vie, était tiré vers cette fenêtre ; et, se soulevant lui-même autant qu'il le pouvait, il tendait vers Cléopâtre ses mains défaillantes. Ce n'était pas un ouvrage aisé pour des femmes que de le monter ainsi : Cléopâtre, les bras roidis et le visage tendu, tirait les cordes avec effort, tandis que ceux qui étaient en bas l'encourageaient de la voix, et l'aidaient autant qu'il leur était possible. Quand il fut introduit dans le tombeau et qu'elle l'eut fait coucher, elle déchira ses voiles sur lui, et, se frappant le sein, se meurtrissant elle-même de ses mains, elle lui essuyait le sang avec son visage qu'elle collait sur le sien, l'appelait son maître, son mari, son empereur : sa compassion pour les maux d'Antoine lui faisait presque oublier les siens. Antoine, après l'avoir calmée, demanda du vin, soit qu'il eût réellement soif, ou qu'il espérât que le vin le ferait mourir plus promptement . Quand il eut. bu il exhorta Cléopâtre à s'occuper des moyens de sûreté qui pouvaient se concilier avec, son honneur (...). Il la conjura de ne pas s'affliger pour ce dernier revers qu'il avait éprouvé ; mais au contraire de le féliciter des biens dont il avait joui dans sa vie, du bonheur qu'il avait eu d'être le plus illustre et le plus puissant des hommes, surtout de pouvoir se glorifier, à la fin de ses jours, qu'étant Romain, il n'avait été vaincu que par un Romain. En achevant ces mots, il expira (...)".

 

Peu après, lorsque l'on eût mis au tombeau l'Empereur d'Orient, Cléopâtre se donna elle-même la mort. Les gens d'Auguste, arrivés trop tard, " la trouvèrent sans vie, couchée sur un lit d'or, et vêtue de ses habits royaux".


On a beaucoup glosé sur le suicide de la maîtresse d'Antoine et les versions divergent. La postérité retiendra la morsure d'un aspic.
" On prétend qu'on avait apporté à Cléopâtre un aspic sous ces figues couvertes de feuilles; que cette reine l'avait ordonné ainsi, afin qu'en prenant des figues elle fût piquée par le serpent, sans qu'elle le vît : mais l'ayant aperçu en découvrant les figues : « Le voilà donc! s'écria-t-elle; et en même temps elle présenta son bras nu à la piqûre. D'autres disent qu'elle gardait cet aspic enfermé dans un vase, et que l'ayant provoqué avec un fuseau d'or, l'animal irrité s'élança sur elle, et la saisit au bras. Mais on ne sait pas avec certitude le genre de sa mort. Le bruit courut même qu'elle portait toujours du poison dans une aiguille à cheveux qui était creuse, et qu'elle avait dans sa coiffure. Cependant il ne parut sur son corps aucune marque de piqûre, ni aucune signe de poison; on ne vit pas même de serpent dans sa chambre : on disait seulement en avoir aperçu quelques traces près de la mer, du côté où donnaient les fenêtres du tombeau. Selon d'autres, on vit sur le bras de Cléopâtre deux légères marques de piqûre, à peine sensibles : et il paraît que c'est à ce signe que César ajouta le plus de foi; car, à son triomphe, il fit porter une statue de Cléopâtre dont le bras était entouré d'un aspic. Telles sont les diverses traditions des historiens. César, tout fâché qu'il était de la mort de cette princesse, admira sa magnanimité; il ordonna qu'on l'enterrât auprès d'Antoine, avec toute la magnificence convenable à son rang; il fit faire aussi à ses deux femmes des obsèques honorables. Cléopâtre mourut à l'âge de trente-neuf ans, après en avoir régné vingt-deux, dont plus de quatorze avec Antoine, qui avait à sa mort cinquante-trois ans, et, suivant d'autres, cinquante-six."

 Cleopatre.jpg

Nombreuses œuvres peintes, ou sculptées, relatent cet épisode célèbre du suicide de Cléopâtre, bien plus d'ailleurs que ceux représentant le coup d'épée d'Antoine. C'est que les artistes y ont trouvé, bien souvent, le prétexte à la mise en scène d'une composition teintée d'un érotisme où le macabre se pare d'atours équivoques. Et l'expiration de la princesse égyptienne, l'exhalaison de son dernier souffle prend les allures de cette petite mort dont le XIXe, notamment, engoncé dans sa pruderie bourgeoise en haut-de-forme n'osait directement montrer.
Le plâtre de Charles Gauthier (1831 - 1891), artiste dont on ne sait presque rien, n'échappe pas à la règle. Son œuvre s'intitule tout simplement Cléopâtre (1880).

 

 Marie-Madeleine-agenouillee--1897----Georges-Lacombe.jpg

Marie Madeleine agenouillée (1897) - Georges Lacombe

(en arrière-plan, une toile d'Odilon redon, et une autre d'Emile Bernard)

 

 Emile-Breton---La-nuit-de-noel--1892-.jpg

Emile Breton - La nuit de noël (1892)


(1) Passant, parler de culture pour tous me parait bien excessif. Le musée reste généralement un endroit onéreux (Pour une famille de 4 personnes, par exemple, avec deux adolescents, la visite d’un musée national revient en moyenne entre 20 et 30 €. Ceci sans compter le complément à ajouter pour les expositions temporaires, ce qui, grosso modo, double la mise). Mais c'est un bien autre sujet.

 

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18 avril 2012 3 18 /04 /avril /2012 20:50

cap-croc-3.jpg

 

De-cape-et-de-croc-10.gifIl fut, il y a de cela une poignée de jours, question de belle langue et d’orthographe dans un billet rédigé avec toute la délicatesse qui s’impose lorsqu’on effleure des sujets controversés.

 

Aussi, vagabondant par association d’une idée l’autre, saluerai-je la parution de l’acte X de la délicieuse série BD De cape et de crocs.
En voici une goûteuse BD à la langue suspendue haut perchée dans les nues.

 

Honneur, panache, amour courtois, songes, machineries extraordinaires et joute de vers…

 

Avec dans le rôle du maître d’arme un certain Cyrano, celui-là même secrètement épris d’une gent damoiselle, la douce Séléné.
Rêveuse à son balcon la belle, qui endossera bientôt le rôle de Roxane, s’émeut des vers déclamés par un amant inconnu. Par un renversement de la célèbre histoire, le versificateur amoureux n’est point Cyrano, mais monsieur de Maupertuis, le renard. Ce dernier, caché dans les aubépines, déclare sa flamme, mais la belle se méprend ; elle en aime un autre…
Au comble du désespoir, sous les étoiles, peu après monsieur de Maupertuis apostrophe sans détour son rival : « Son bonheur vous importe-il ? ». « S’il m’importe ? !, s’exclame Cyrano, ah, Monsieur, plus que ma vie ! ». « En ce cas courez la rejoindre ! », répond tout sourire le canidé gentilhomme contrefaisant sa peine immense…cap-croc-1.jpg
Mais ce n’est ici qu’un mince épisode de ces aventures trépidantes sur la lune.

 

Il est question de masques et de retour sur terre ; mais pour cela encore bien des épreuves attendent nos héros.

 

J’ai évoqué brièvement les figures du maître d’arme, de Séléné et de monsieur de Maupertuis. Mais comment ne pas admirer encore Don Lope, le loup, hidalgo haut en couleurs et indéfectible ami de monsieur de Maupertuis. Comment ne pas être fasciné, à rebours, par la noire ambition du capitan Mendoza, de se prendre de passion pour la trajectoire du navire pirate projeté dans les froids espaces par Bombastus, savant fou allemand…
Il y a tant d’autres personnages encore, qui confèrent à cette saga un cachet si particulier. L’avare, bien sûr, mais aussi Eusèbe, point si naïf qu’il en a l’air, le Raïs Kader, ancien janissaire d’un Sultan et veille jalousement sur sa fille Yasmina. Tant d’autre encore…

 

Des pages ne suffiraient point à dire tout le bien que je pense de Cape et de Crocs. Ce nouvel opus, on l’aura compris, pour moi c’est que du bonheur.


Et je laisse chacun méditer sur la manière dont on règle, sur la lune, les affaires d’honneur.

 

cap-croc-2.jpg

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15 mars 2012 4 15 /03 /mars /2012 18:48

Masque-par-Nicolas-Debroux-.jpg

 

 

Mon précédent billet, de la persona, n’ayant fait qu’effleurer du bout de la plume un sujet aux ramifications infinies, j’ai songé qu’il n’était pas tout à fait vain de poursuivre ces déambulations en terres chargées de mystères…

 

Lorsque la profondeur touche au futile.

 


Le masque selon Nietzsche

Ecoutons en premier Clément Rosset :

 
« Comme la surface figure la visibilité de la profondeur, le masque figure la visibilité de la ‘personne’. Toute l’œuvre de Nietzsche, on le sait, témoigne d’un intérêt constant à l’égard du masque et du déguisement. (…) Toutefois, le statut nietzschéen du masque est très singulier. Le masque n’apparaît jamais chez Nietzsche comme véritable déguisement, indice de fausseté et occasion de leurre. Tout au contraire : il se présente plutôt, et assez curieusement, comme un des meilleurs et des plus sûrs indices du réel. Du réel il a la profondeur, la richesse, l’aristocratie propre, comme le dit l’aphorisme 40 de Par-delà le bien et le mal : ‘Tout ce qui est profond aime le masque’
On peut distinguer chez Nietzsche deux principales fonctions du masque. Première fonction, de pudeur : destinée à ne pas exhiber à tout bout de champ, et devant tout un chacun, sa propre richesse. (…) Mais il y a une seconde fonction nietzschéenne du masque : destinée à dire l’éternelle insuffisance de toute parole et de toute vérité, fût-elle la plus profonde et la plus décisive, en tant qu’elle est nécessairement partielle et obérée par le point de vue d’où elle est énoncée ». (Clément Rosset, La force Majeure – édition de minuit p 64-65)

  tete

 

Le masque des Anonymous / V pour vendetta.

Dans le numéro de ce mois ci de Philosophie magazine, Raphaël Enthoven évoque la postéritéanonymous.jpg du masque arboré par les Anonymous. Voici l’introduction de son billet : « En se parant du visage goguenard de Guy Fawkes, conspirateur anglais du XVIIe siècle popularisé par la bande dessinée V pour Vendetta, certains ‘indignés’ se masquent pour lutter contre un ennemi réputé sans visage. Se cacher derrière un sourire pour exprimer son mécontentement ? Est-ce bien sérieux ? »

 

Je laisse à chacun le soin de méditer cette question.
Quant au fauteur de la conspiration des poudres, démasqué précisément, il ne tardera pas à connaître un sort funeste. Plus proche de nous, reste à imaginer ce qui adviendra des soi-disant têtes pensantes de l’hydre Anonymous arrêtés par le FBI.  

 

 


Les masques Nô

Je ne m’avancerai pas ici en ces territoires inconnus. Aussi laisserai-je parole à mieux informé que moi.

 

Souvenir de Pascal Klein :
« Je me souviens il y a une paire d'années avoir assisté à une représentation d'une pièce de Nô. Il se trouve qu'il est possible pour un acteur d'interpréter par le biais d'un masque plusieurs personnages, de sexe opposé. Et il n'y a guère plus de deux acteurs sur scène pour des représentations pouvant durer jusqu'à 8 heures. Mon amie japonaise m'a confié qu'il existait des versions authentiques, longues et fidèles, et des versions modernes et abrégées ».

 masque_no_2-Masque-de-n--de-type-maij-.jpg

 

Les masques du côté de Verlaine

 

Clair de lune

 

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.
Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.

 

Paul Verlaine, Fêtes galantes

 

Monsieur cent têtes et la femme 100 têtes

(Je remercie ici Constance et Ashby)

 

Monsieur cent têtes, est un livre de Ghislaine Herbéra, sorti dans la collection jeunesse des éditions MeMo. L’histoire ravira sans doute les jeunes, les moins jeunes et les Chênes parlants.
Il y est question d’un monsieur ayant rendez-vous avec son amoureuse et qui « …essaie successivement toutes les têtes de son placard sans pouvoir se décider ».

 orsay.jpg

 

Quant à la femme 100 têtes, roman-collage de 1929 réalisé par Max Ernst et tiré à 1003 exemplaires, il doit désormais valoir les yeux de la tête chez les collectionneurs.
« Le titre est déjà en soi un collage riche de significations : La femme cent têtes tout comme La femme sans tête - et il y a encore d'autres possibilités comme: '100 têtes', 'sans tête', 's'entête' ou 'sang tête'. »

 Max-Ernst--La-femme-100-tetes--1929.jpg

 

 

 

Le masque post-modern

La tragédie, ou chant du bouc par son étymologie, [τραγῳδία / tragôidía est composé de τράγος / trágos (« bouc ») et ᾠδή / ôidế (« chant »] voilà ce qui caractérise l’hédonisme joyeux du masque post moderne…
Deux rondelles de Cucumis sativus, et le large sourire du jeunisme forcené…  Un seul mot d’ordre : Jouissons ! 

 

masque-au-concombre-300x192.jpg

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11 mars 2012 7 11 /03 /mars /2012 10:58

Patrick-Wald-Lasowski.jpg

 

Voici la transcription, pratiquement exhaustive (session de questions / réponses exclue), de la passionnante conférence donnée dans le cadre de Citéphilo par Patrick Wald Lasowski le 16 novembre dernier autour de ses deux derniers livres en date, L’amour au temps des libertins et le Dictionnaire libertin.
Cette conférence étant l’une des rares de la saison 2011 n’ayant pas de support audio ou vidéo, j’ai pensé cette mise en partage utile (j’invite tout un chacun à consulter les archives sur le site de Citéphilo ; s’y trouvent les enregistrement de moult rencontres depuis 2007).

 

L’exercice de transcription est une tâche assez fastidieuse, mais non sans intérêt. Et je l’ai réalisée avec plaisir – malgré quelques petites fatigues sur la fin. J’espère cependant ne pas avoir laissé trop de coquilles ni d’énormes fautes d’orthographes.

 

Bonne lecture.

 

Ps :
j’ajoute avoir fini il y a peu L’amour au temps des libertins, plongée au cœur du XVIIIe siècle tout à fait indispensable pour qui se délecte des détours essentiels de l’Histoire. Un ouvrage érudit tout en légèreté.
Quant au Dictionnaire libertin, nous l’avons placé en un endroit propice, toujours à portée de main.

 

J’ai des beautés piquantes,
De vives, d’agaçantes ;
J’en ai de languissantes,
D’autres dont les yeux doux
Respirent la tendresse ;
Je puis de sa Hautesse
Contenter tous les goûts.

 

(Etienne Morel Chédeville, La caravane du Caire, 1783).

 


Que se cache derrière le mot libertin ?

 

amour-temps-libertins.jpgOn peut commencer par une réflexion sur le mot, sur l’histoire du mot, sur son étymologie par exemple, puisque le mot appartient à l’origine à la langue du droit, à la langue juridique du monde romain. Libertinus c’est le fils de l’esclave affranchi à Rome. Libertus c’est l’affranchi, libertinus c’est son fils ; il y a une petite nuance entre les deux qui va vite d’ailleurs disparaître : l’affranchi a encore des devoirs à l’égard de son maître. Le fils de l’affranchi n’en a théoriquement plus. Donc ce que l’on peut retenir de là c’est ce mouvement, cette notion d’affranchissement – il y a bien sûr quelque part de la liberté dans le mot libertin. Et ce mouvement d’affranchissement va caractériser à travers les siècles, sans doute, ce qui va ensuite être entendu sous le nom de libertinage.
Donc le mot apparaît pour la première fois en français dans des traductions de textes romains, textes d’historiens ou textes de rhéteurs, textes de romans dans lesquels apparaît un affranchi. Et puis le mot va avoir un rebondissement assez extraordinaire à cause d’une circonstance très particulière et religieuse. Il faut savoir qu’à Jérusalem il existait une synagogue dite des affranchis, dites des libertins. Cette synagogue a donné lieu d’ailleurs au premier martyre, puisque le diacre Etienne qui cherchait à persuader à la conversion vers le christianisme a été martyrisé par les affranchis libertin de cette synagogue en question. Et il faut attendre des siècles pour que Calvin retrouve l’usage religieux du mot, en désignant à la vindicte au fond de toutes les croyances, à la fois catholique et réformée – protestante, une secte dite des libertins qui sévissait alors aux Pays-bas et dans le nord de la France. Cette secte des libertins a donc été vouée aux gémonies et exécrée par Calvin qui intervient dans plusieurs pamphlets ou opuscules plutôt très violents pour réclamer la destruction de cette secte et l’exécution de ses membres. Et donc, par des circonstances historiques particulières, c’est le mot de libertin qui revient au XVIe siècle pour désigner l’hérésie religieuse. Au fond, le geste de Calvin est un geste commun à tous les fondateurs de grandes religions : il faut montrer l’ennemi ; se définir soi-même par rapport à un ennemi qu’on désigne à la vindicte du groupe, de la communauté sur lequel (on veut) exercer son autorité, son pouvoir en le rejetant.
Il est bien entendu que pour les catholiques les libertins se sont les réformés. Pour les réformés les libertins c’est la secte en question, qui a en effet des revendications d’existence communautaire, d’existence, on dirait aujourd’hui libertaire, et donc condamnable aux yeux de l’Eglise. Et c’est ainsi que le mot libertin entre dans la fureur théologique. Au XVIe siècle nombreux sont les catholiques, les jésuites par exemple, qui condamnent les libertins et qui traquent les libertins, l’un des plus célèbres alors sera le poète Théophile de Viau, qui sera poursuivi par un jésuite, le père Garras, qui réclamera son exécution ; qu’il soit brûlé par le feu, qu’il soit condamné, et Théophile va passer deux ans en prison à la suite desquelles il mourra d’épuisement et d’humiliation.
Pour replacer le cadre de cette histoire, le libertinage va se caractériser par la notion d’hérésie.Desade.jpg Sachant simplement que les hérétiques en question vont très vite être associés à l’idée de débauche. C’est-à-dire qu’un hérétique croise souvent, et c’est ce que va expliquer Bayle dans son dictionnaire historique et critique à la fin du XVIIe siècle ; il dit : grattez un peu toutes les hérésies et ce que vous y trouverez c’est le désir vénérien. C’est-à-dire qu’au fond la construction hérétique, la construction religieuse, cache quelque part un désir sexuel. Sans parler du fait que très vite des libertins vont associer explicitement à la fois la distance prise avec les pratiques, les rites et les croyances de la religion catholique, et en même temps la recherche du plaisir sexuel. Du coup, vous voyez, les deux sens se croisent. Dans les dictionnaires du XVIIe et du XVIIIe siècle le premier sens du mot libertin désigne l’hérésie. Et cependant, à la fin du XVIIIe siècle, dans la dernière édition du dictionnaire de l’Académie, le libertin est celui qui mène une vie déréglée. On oublie le sens religieux pour ne garder que la recherche du plaisir, le sens de débauché.
Pour bien caractériser la différence (l’évolution) du mot, ceux qui se souviennent des Pensées de Pascal (noterons que) ceux à qui Pascal s’adresse, se sont des libertins. Pour qui connaît un peu Pascal ces libertins là ne sont pas du tout préoccupés par la recherche du plaisir sexuel, mais en effet prennent leurs distances peu à peu avec la foi chrétienne. Dans ce cas là, bien entendu, il s’agit de l’hérésie. En revanche, Théophile que j’évoquais tout à l’heure, lui, au fond, témoigne de l’association des deux dimensions, à la foi de l’hérésie et de la sexualité effrénée qu’on lui reproche. L’un de ses amis, poète lui aussi, était par exemple appelé le prince de Sodome et évidemment il y a quelque chose d’intéressant dans cette notion de sodomie qui est ici explicite, c’est-à-dire d’homosexualité, puisque c’est une double hérésie : une hérésie parce qu’une distance prise avec les dogmes de la foi chrétienne, mais aussi avec la sexualité hétérosexuelle, comme une sorte d’hérésie à l’intérieur même de la pratique de la sexualité.
Pour conclure, il faudrait juste ajouter une dimension supplémentaire, celle qu’on retrouve dans tous les jugements portés sur les libertins au long du XVIIIe, c’est la notion de dérèglement. J’avais pris plaisir dans une édition de romanciers libertins pour la bibliothèque de la Pléiade, de recueillir tous les dictionnaires, depuis le premier jusqu’au dernier du XVIIIe siècle aux articles libertin, libertinage. Et neuf définitions sur dix insistent sur la notion de dérèglement. Je trouve cela extrêmement significatif : le libertin est l’homme déréglé par excellence, et qui par son dérèglement contribue à dérégler à son tour – influence et décompose l’ordre social au nom de ses pratiques.

 


On commence avec la mort de Louis XIV qui met un terme à un monde qui était sclérosé, empêtré dans une religiosité sordide et maladive et qui voit l’apparition de la régence qui marque l’éclatement du libertinage des mœurs…

 

Pour le XVIIIe siècle évidemment - souvenez-vous pour les cinéphiles du film de Bertrand tavernier, Que la fête commence, dans lequel Philippe Noiret incarne le régent Philippe d’Orléans – il y a là, avec Louis XIV qui n’en fini plus de mourir, ou dont on attend impatiemment qu’il meurt, tellement il impose à la cour des contraintes sous l’influence et avec l’assentiment de madame de Maintenon (des contraintes sur les apparences qu’il faut préserver  et respecter) un climat de bigoterie religieuse à la cour de France. Par ailleurs c’est un règne qui souffre beaucoup de la ruine de l’Etat, des guerres, (et) même aux yeux d’un certain nombre  des aristocrates les plus marqués comme Saint-Simon, (…) Louis XIV est un roi qui ne sait pas commander, qui ne sait pas régner ; paradoxalement par rapport à l’image qu’on en a, ce n’est pas un grand roi, c’est un petit roi.
Jean-Raoux.jpgAvec la personnalité de Philipe d’Orléans, avec la Régence, il y a à ce moment là une sorte d’accélération de la société et du mouvement social, opprimé finalement par Louis XIV, et qui retrouve une coïncidence entre l’attente des mœurs, la réalité de la mutation sociale et son expression au quotidien. Un exemple plus récent, encore que se soit peu être pour les plus anciens d’entre nous : pensez à l’Espagne, à la mort de Franco. Ce qu’on a appelé ensuite ce mouvement la movida. Et, au fond, la régence c’est l’équivalent de la movida dans le contexte de l’époque. C’est-à-dire un rattrapage historique. Il faut aller vite dans la recherche des plaisirs, il faut aller vite dans la coïncidence des aspirations d’une société avec sa réalité. Tout cela est favorisé par la personnalité de Philippe d’Orléans, qui est lui-même un grand libertin, qui a été du reste à bonne école, c’est-à-dire à l’école de l’abbé Dubois qui lui a enseigné, dit Saint-Simon lui-même, les principes (de l’exemple ?) libertins, avant de le tourner vers la débauche sexuelle proprement dite. Donc formé à la fois intellectuellement comme ce que l’on appelait les esprits forts, et intéressé très vite par l’abbé Dubois lui-même qui est disons à l’époque son maquereau favori, ou son précepteur maquereau, qui l’introduit auprès des filles du Palais Royal, puisque le Régent est installé dans sa propriété du Palais Royal, implantée au plein cœur de Paris. Donc il y a là un mouvement d’effervescence extraordinaire, de volonté de rattrapage d’une époque qui veut coïncider avec elle-même, qui s’ouvre à des vérités nouvelles, à des aspirations nouvelles. Pensez par exemple que le grand roman de la Régence se sont les Lettres persanes de Montesquieu, qui disent bien elles-mêmes cette critique à la fois d’un certain état social – sur tous les plans : philosophique, politique, religieux, sociologique au fond – et en même temps derrière l’aspiration à la quête du plaisir et à la reconnaissance du plaisir lui-même comme une valeur. Ce qu’il n’était pas jusque là, puisqu’il était condamné par l’Eglise, qui soit ne savait pas qu’en faire, soit le condamnait explicitement.
Le plaisir devient un motif littéraire, un motif philosophique, un motif social dans tous les sens. Au XVIIIe siècle par exemple, là je vais au-delà de la Régence, les chirurgiens vont commencer à s’interroger sur le fait qu’il faille ou non souffrir quand on est malade ou quand on doit être opéré. (…) L’amour au temps des libertins commence par un chapitre intitulé ivresse de la Régence qui explique ce que c’est que ce Régent, (…) ce qu’est le système de la Régence, avec d’une part l’abbé Dubois, le Premier ministre dont on vient de parler, mais aussi le système de Law, l’économiste grand joueur aventurier qui va créer un nouveau système économique et bouleversant ainsi les images nation. C’est-à-dire créant les conditions de cette effervescence qui est aussi politique, avec des changements d’alliances en Europe, avec le retour de la cour qui jusque là était à Versailles et qui s’installe à Paris, puisque Louis XV est trop jeune pour régner. Ce changement est capital, comme une sorte de retour vers la ville, qui peu à peu, au terme du XVIIIe siècle, prendre le pouvoir pour ainsi dire. Il y a trois espaces : Versailles, la ville, la campagne. Et il ne restera plus qu’à la fin du siècle que la ville et la campagne ; la ville ayant, à travers la Révolution française, à travers le pouvoir révolutionnaire occupé tout l’espace politique. Donc la Régence est un moment fondamental dans notre histoire.

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Vitesse ; l’adverbe vite : réflexion sur le mouvement, la voiture, le déplacement à travers le pays. Le transport comme terme polysémique, comme source d’un grand mouvement de liberté.

 

(….) Ce qui m’intéresse dans le Dictionnaire libertin c’est le langage lui-même ; la façon dont tel ou tel mot – et il y a plus de 450 / 500 entrées dans ce dictionnaire – est porteur de sens ; une espèce de fusion qui témoigne de la spécificité d’un imaginaire qui s’exprime - ou que nous pouvons essayer de repérer à travers cette constellation de mots solidaires les uns des autres - à travers le libertinage.
Prenez le mot transport par exemple. C’est un mot extraordinaire, auquel j’ai consacré un petit traité, le Traité du transport amoureux, tellement je trouve ce mot pour nous édifiant. De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’abord de l’intensité d’une émotion : nous sommes transportés par l’amour, la haine, le désir, la colère – pensez au théâtre de Racine dont les personnages sont essentiellement transportés. Il arrive même que, corrigeant dans des éditions ultérieures ses premières pièces, Racine supprime le mot transport à plusieurs reprises, tellement il en met partout dans la bouche de tous ses personnages. Pensez à Phèdre : toute la pièce c’est le transport de Phèdre.
Ce transport là c’est l’intensité d’une émotion qui vous enflamme tout à coup. En particulierdico-libertin.jpg lorsque vous pensez à Manon Lescaut : ‘je fus enflammé à la vue de Manon’, dit Des Grieux, ‘enflammé jusqu’au transport’ ; ‘moi qui n’avait pensé jusque là à regarder les filles, ni même songé une seconde à la différence des sexes, comme écrit Prévost, la formule est assez extraordinaire, je fus tout à coup enflammé jusqu’au transport’. Cette émotion transportante  elle va, par exemple, dans le roman de Manon Lescaut croiser l’autre sens du mot transport, c’est-à-dire un déplacement dans l’espace. Si vous vous souvenez du roman, ça ne cesse de bouger, ça ne cesse de transporter en permanence.
(…) Or ce mot transport a aussi un troisième sens, qui est un sens clinique, un sens médical. Pour la médecine on parle très fréquemment de transport : de façon absolue, lorsqu’on dit il est mort d’un transport, ou quand on caractérise plus précisément d’un transport au cerveau. C’est ce qu’on appellerait aujourd’hui un AVC, qui frappe tout à coup à la mort le personnage qui en est saisi.
Vous avez toute une somme de sens différents, mais qui s’expriment à travers le même mot et qui se réalise dans le libertinage à travers naturellement l’intensité du désir – le transport qui émeut les personnages tout à coup enflammé à la vue d’une jolie femme – et c’est aussi le déplacement, et là je pense à Casanova. Il raconte dans ses mémoires le plaisir qu’il prend à faire l’amour en voyage, et à faire l’amour au moment même ou se déplace un carrosse, un fiacre, un coche par exemple. Il va jusqu’à énumérer quatre ou cinq de ce genre d’aventures. Et ce qui est très beau dans ce moment là, c’est que les personnages qui ont pu passer la nuit ensembles, comme Casanova le dit lui-même, poursuivent le transport de leurs caresses en carrosse (…).
Inutile de vous dire que le fin du fin à la fin du siècle, dans les romans libertins, le bonheur absolu est de faire l’amour en ballon (il y a une entrée Montgolfière dans le dictionnaire libertin). (…) Un roman comme Le petit-fils d’Hercule, par exemple, montre un personnage qui, gouverneur du province en Russie, fait venir de la France un certain nombre de ballons, à la fois montgolfière et ballons hydrogène, pour emmener les demoiselles faire un tour en ballon. Vous voyez que l’idée de cette apothéose que représente à la fin du siècle la montgolfière, comme l’apothéose de ce transport que j’évoquais.
Evidemment il arrive des accidents. Il y a un revers au libertinage. J’ai cherché et trouvé, après beaucoup de temps – je vous assure que je savais que cela devait exister – quelqu’un qui est victime d’un transport au cerveau au moment où il fait l’amour à quelqu’un dans un déplacement en carrosse. (…)
Ce qui veut dire qu’en effet le mot transport appelle nécessairement une réflexion, appelle un arrêt. De la même manière que le mot faveur, le mot mouche, le mot vitesse qui prennent un sens tout à fait différent dans la mesure où ils représentent le XVIIIe siècle. Ils en sont la configuration, comme une espèce d’astre verbal dont on essaye de fixer les éléments qu’ils constituent.

 


La société change. Il y a des rapprochements étonnant et la courtisane qui est célèbre à la cour commence à se rapprocher aussi des plus basses couches de la prostitution.

 

Jeanne-Antoinette-Poisson--Marquise-de-Pompadour--painted-a.jpgCe mouvement social est assez extraordinaire. Restent les cadres à la fois de la pensée théologique, de la pensée chrétienne, les cadres de la monarchie absolue, mais on sent bien qu’a l’intérieur ils sont comme rongés, avec des paradoxes étonnants qui sont, par exemple, que Louis XV va réclamer, pour être présenté à la cour, des signes de noblesse – une ancienneté encore plus grande que celle qui existait sous Louis XIV, à un moment où il s’aveugle complément dans les années 1760 sur la généralité du mouvement social des Lumières, et en même temps le même Louis XV prend ses favorites – les favorites royales, officiellement présentées à la cour – dans des milieux que quelqu’un comme Saint-Simon (considère comme) l’horreur absolue. Déjà Saint-Simon considérait la rigidité du temps aristocratique : c’est le temps tel qu’en lui même fixé une fois pour toute sous Louis XIII, et rien ne doit changer. Chaque noble, chaque aristocrate est fixé dans une échelle sociale où chacun a sa place et où le moindre changement, ce qu’exprime Saint-Simon dans ses mémoires, est pour lui une cause de souffrances absolues. C’est le texte de quelqu’un qui souffre en permanence de ce qu’il voit autour de lui. Et à l’inverse, en effet Louis XV est intéressant par les favorites qu’il prend, qu’il présente à la cour dans une sorte de dégradation continue aux yeux des contemporains. D’une part avec Madame de Pompadour, celle qui sera la marquise puis la duchesse de Pompadour, qui appartient au milieu de la grande bourgeoisie des financiers, de la bourgeoisie qui par le pouvoir de la finance occupe de plus en plus de place au sein des ministères, au sein de la société proprement dite, à travers le système bancaire, à travers le prélèvement des impôts, des charges qu’ils achètent et qui aux yeux de Saint-Simon sont uneLes Soeurs de Nesle façon de trahir et de livrer le royaume à la roture. Et donc Madame de Pompadour après avoir pris ses maîtresses parmi la vieille aristocratie dans la famille de Nesle, c’est-à-dire Madame de Nesle, puis successivement les trois sœurs de celle-cilink, ce qui fait dire que Louis XV aime faire l’amour en famille. Et en effet, du reste, il partage son lit deux des sœurs de Nesle. Là il reste dans le milieu aristocratique. Personne ne lui en veut, au contraire, il est bon que le roi prenne des maîtresses officielles, qu’il témoigne d’une vigueur sexuelle, qu’il soit d’une certaine façon le géniteur du royaume, ce qu’il affirmera plus tard au parc aux cerfs. Donc, dans l’étape des amours de Louis XV, tout d’abord le milieu aristocratique, puis la grande bourgeoisie, et enfin le milieu de la prostitution.Madame du Barry est une prostituée dont le mari que lui donnera son maquereau, comme on dit à l’époque, c’est d’ailleurs l’un des plus connu Jean du Barry (et qui) va faire épouser son frère à l’une de ses maîtresses pour qu’elle puisse obtenir un titre de noblesse – une petite noblesse de province, mais noblesse quand même – pour pouvoir être présentée à la cour. Ce mariage aura lieu d’ailleurs à quatre heures du matin dans des conditions semi-clandestines où le mari repartira immédiatement en province après avoir épousé la du Barry, et le mariage est célébré par le père de celle-ci – c’est un ancien moine. Vous voyez le milieu dans lequel se déroule ce mariage pour pouvoir présenter Madame du Barry à la cour. Mais tout le monde sait qu’elle a eu une vie publique en tant que courtisane extrêmement célèbre – c’est une des plus belles femmes de Paris à l’époque -. Le duc de Richelieu, quelques-uns des aristocrates dont je fais le portrait la connaissent très bien pour l’avoir pratiqué à plusieurs reprise, et elle est présentée au roi qu’elle arrive à séduire. Pour les contemporains c’est un déchaînement contre Louis XV à travers cette dégradation de la figure royale dans ses amours. Dans la façon dont l’image du monarque se trouve avilie par la décadence de ses maîtresses successives. Et loin de flatter le peuple, encore faut-il savoir ce que veut dire le peuple, mais bref loin de flatter le peuple qui pourrait se trouver honoré de voir que le roi démocratise la fonction de favorite royale, c’est tout le contraire qui se produit, et bien évidemment des pamphlets orduriers vont se multiplier à partir des années 1760, 1770 et qui vont accabler le roi.
Il y a du mouvement, de l’agitation, sans parler du changement des fortunes, sans parler du rôle que vont jouer le théâtre, les actrices, dans cette contagion des désirs – le mot est en effet très juste – c’est une forme de contagion que condamnent les mémorialistes, que condamnent les aristocrates à la manière de Saint-Simon, en disant qu’un mauvais esprit se répand et que ce mauvais esprit, et l’agent de contamination qui dégrade, par le biais du libertinage, par l’accentuation du rôle pris par les actrices, par les grandes courtisanes très célèbres dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (…). Une espèce de diffusion d’un mauvais esprit, ce serait une nouvelle définition du libertin, après l’être du dérèglement ce serait le mauvais sujet, la mauvaise langue, le mauvais esprit. Cette contamination par le biais de la sexualité, le biais des mœurs sexuelles des aristocrates, qui gagne peu à peu (…) l’ensemble de la société.

 


Les grands seigneurs sont des roués - le terme apparaît sous la Régence – Qu’en est-il du monde des champs et de la campagne ?

 

giacomo-girolamo-casanova-lovers-3227.jpg(…) Ici et là il y a, à la fois, une nostalgie – en particulier dans les villes, les quartiers – d’un monde qui serait figé, d’un monde qui serait rassurant, fondé sur une communauté d’individus qui partagent les mêmes valeurs, qui se connaissent, qui ritualisent les éléments de la vie quotidienne et qui socialement témoignent d’une certaine solidarité. Or cela est remis en cause par l’industrialisation, par les déplacements de la ville et de la campagne, les mouvements de migrations, liés à la recherche d’un travail, et dans les campagnes elles-mêmes liés aux travaux et aux jours comme on disait dans l’antiquité, c’est-à-dire aux moissons, aux récoltes, aux embauches d’individus qui se louent à la Saint Jean par exemple, puis qui vont ensuite quitter la campagne (…)
Dans ce contexte, dans les quartiers ont dénonce au curé les formes de libertinage. Le libertinage à ce moment là n’a plus le sens aristocratique que nous avons tous en tête à travers Les liaisons dangereuses, à travers Valmont, à travers les grands aristocrates historiques. Mais ceux que l’on appelle libertins à ce moment là dans le monde de la police, dans le monde des quartiers, ce sont tous ceux qui mènent une vie déréglée. Par exemple vivre en concubinage c’est être libertin. Pour un enfant, rentrer tard le soir c’est avoir une conduite libertine. Une fille, un enfant qui se dispute avec ses parents, pour réclamer probablement plus d’indépendance, un peu plus de liberté, sont qualifiés de libertins. Quelqu’un qui dilapide l’argent, le salaire familial pour aller au café, pour aller boire – et fréquenter ensuite les prostituées – est qualifié de libertin. (…) On voit le curé de la paroisse écrire au commissaire de police - c’est-à-dire la famille se plaint au curé, qui lui même se plaint au commissaire de police - pour lui demander d’intervenir et éventuellement d’enfermer les fauteurs de troubles.
De la même manière à la campagne, j’évoquais ceux qui se louent, qui traversent au fond une campagne, les errants, les personnages vagabonds, les personnages sans feux ni lieux, sont aussi considérés comme une menace et, souvent, j’évoque un certain nombre de cas dans lesquels ils vont séduire une paysanne, vont devenir le père de l’enfant qu’elle porte et l’obliger, après l’avoir abandonnée à porter plainte, quand elle le peut, et obliger dans certaines circonstances, taxée d’infamie de rejoindre la guilde, de rejoindre le milieu un peu compliqué qui est entrain de se forger de ceux qui trouvent refuge dans l’anonymat des grandes villes pour y fuir l’infamie qui les marquent au village.(…)An+illustration+to+a+1932+French+edition+of+Casanova's+Hist
A la fois la campagne et les villes nourrissent ce terreau de la prostitution parisienne qui devient considérable à la fin du XVIIIe siècle : on compte jusqu’à 80.000 prostituées dans Paris dans les années 1780. C’est dans ce milieu que les grands seigneurs trouvent naturellement et facilement une réserve de filles pour leurs plaisirs, pour leurs soirées, ou pour même les établir en louant leurs services en en faisant des filles entretenues, à tant par mois, avec un logement, et selon les moyens de celui qu’appelle l’entreteneur et sa situation dans l’échelle sociale, soit un appartement loué pour elle, soit des domestiques, cela peut aller jusqu’à avoir un carrosse (c’est la consécration sociale) et de pouvoir quitter l’opéra en entendant le crieur appeler son carrosse devant tout le monde (…).
Au sein même de la prostitution (il y a) ce moment de gloire peut basculer du jour au lendemain dans une déchéance immédiate, pour peu que son entreteneur l’abandonne sans prévenir – le contrat entre eux n’a aucun sens juridique – soit, et c’est un cas de figure que l’on trouve dans toute la littérature libertine, la courtisane en question trompe son entreteneur avec son amant de cœur (…). Elle se retrouve du jour au lendemain dans les ‘caravanes de la galanterie’, le mot est assez joli, tantôt réduite au quignon de pain, tantôt vivant fastueusement lorsqu’elle appartient – ce n’est réservé qu’à quelques-unes – au sommet de la galanterie.

 


Putains, maquerelles et courtisanes. De la marcheuse, des maisons de force et la police

 

1311161-Giacomo Puccini Manon LescautQui dit dérèglement dit, évidemment, l’ordre que ce dérèglement menace. Le XVIIIe siècle a une police conséquente. Sous Louis XV la police, mais aussi les espions, les services d’espionnage du roi de France, aussi bien au département des affaires étrangères, comme l’on dirait aujourd’hui, qu’à l’intérieur de Paris et des grandes villes est extrêmement efficace et développé. (…) on crée un département spécialisé pour la prostitution, département pour le jeu, pour l’homosexualité, etc. Il y a une police vigilante, menaçante qui joue un rôle très important tout au long du siècle. Et cette police est aidée par des mouches – des espions – qui rédigent eux-mêmes des rapports qui sont transmis au commissaire de police, qui lui-même les transmets au lieutenant général de police, qui les transmet à son ministre. L’idée de la mouche est intéressante, le mot lui-même à une fortune au XVIIIe siècle et je renvoie à un autre petit traité : Le traité des mouches secrètes, dans lequel il est question, à la fois, des mouches galantes qu’on pose sur le visage comme un élément du maquillage, mais aussi des espions de police qui bourdonnent dans la ville et qui sont l’un des éléments essentiels de la surveillance de la capitale.
Entre parenthèses, nous évoquions Casanova, c’est un moment étrange de sa vie, le moment de retour à Venise, et là âgé, pendant sept à huit ans il va se faire mouche de police, confidente, c’est-à-dire informateurs des inquisiteurs de Venise. Moment assez curieux, assez triste dans la vie de ce séducteur par ailleurs assez magnifique ; grand amateur de liberté, grand amateur de plaisirs, développant dans chacun de ses plaisirs le goût du sentiment amoureux, et qui devient mouche de police. On connaît des romanciers, comme le chevalier de Mouy, par exemple, très prolixe XVIIIe siècle va, pour des raisons d’argent, se faire lui aussi mouche de police. (…).tartufe_6.jpg
Pour revenir à la prostitution, toutes les maquerelles sont identifiées, les bonnes mamans comme on dit à l’époque, ou la mère abbesse ; de l’abbaye libertine, du couvent qui est évidemment le bordel, toutes sont tenues obligatoirement de tenir un registre de leurs clients, et non seulement de leur identité, la prostituée à laquelle ils ont eu affaire, le tarif que la mère maquerelle a demandée pour ce service, mais aussi les pratiques sexuelles dont ils sont familiers. Par exemple on a des rapports très circonstanciés sur telle ou telle pratique ; l’évêque de Paris à une pratique amusante, assez compliquée dans le dispositif, puisqu’il faut que la maquerelle loue une chambre de l’autre côté de la rue où l’évêque à son appartement, de telle manière qu’au moyen d’un télescope il puisse regarder dans la chambre un couple hétérosexuel entrain de faire l’amour. Donc son plaisir, pour lequel il faut une scénographie assez complexe, c’est celui-ci. Et on a un rapport de police qui explique que ce jour là la mère maquerelle (…), faute d’un homme pour remplir le rôle de l’étalon demande à une fille de prendre sa place, et donc offre un spectacle lesbien à l’évêque. Et nous avons les circonstances dans lesquelles l’évêque à la fin du spectacle se plaint à la mère maquerelle en lui disant, vous avez cru me duper mais j’ai l’œil assez vif pour mesurer que vous avez cherché à me tromper en cette affaire. Et il discute du prix qu’il doit payer, en refusant de régler la somme qui est due parce qu’il y a eu tromperie sur la marchandise.
Encore, cette scénographie est relativement modeste ; ça peut aller à une scénographie beaucoup plus cruelle, beaucoup plus violente, que s’autorisent en particulier les grands seigneurs. (….) Les maîtres du plaisir : ce sont les aristocrates qui eux, par leur rang, par leur puissance financière, leur puissance sociale peuvent aller extrêmement loin et anticiper ce que sera l’imaginaire libertin dansSade---Aline-et-Valcour-copie-1.jpeg l’œuvre de Sade dans la réalité de leur temps. On a beaucoup de témoignages de violences exercées aussi bien à l’égard de la prostituée, qui ne peut guère se défendre, que même de courtisanes un peu plus célèbres, plus élevées dans le rang de la galanterie, qui doivent subir cependant la violence de ces grands seigneurs. On trouve par exemple, dans la Maison de Madame Gourdan qui est une célèbre mère maquerelle de l’époque, le lieu est extrêmement décrit : il y a des éléments de police qui permettent d’identifier le rôle de chacune des pièces ; on peut changer de vêtement, se travestir pour satisfaire le goût du client : ce qui est très recherché à l’époque c’est l’habit de none, l’habit de religieuse, mais aussi l’habit de campagnarde, mais aussi l’habit masculin, pour ce qui est des femmes. (Il y a ) le lieu où on peut feuilleter l’album des beautés du lieu, c’est-à-dire faire son choix à l’aide d’un livre qui présente toutes les caractéristiques des prostituées de la maison ; un lieu ou on peut se restaurer ; un lieu où l’on peut se laver, etc. Et dans une des pièces on trouve ce qu’on appelle le fauteuil de Mr de Fronsac, c’est un fauteuil dans lequel la personne qui s’y assied est immédiatement immobilisée, à la fois les pieds et les bras, pour permettre d’exercer les violences qu’on souhaite. On l’appelle ainsi car le duc de Fronsac, le fils du duc de Richelieu, des aristocrates des plus puissants de l’époque, a été accusé d’avoir utilisé un fauteuil de ce genre pour posséder une jeune fille qui se dérobait à son désir.
A Londres Casanova est moqué par une jeune femme qui le tourne en ridicule. C’est-à-dire qu’elle feint de céder à ses avances pour se retirer au dernier moment, elle s’appelle la Charpillon, et un autre aventurier plus ou moins ami de Casanova lui dit : j’ai un fauteuil dans lequel tu pourrais immobiliser la femme, on peut lui tendre un piège. Et Nue-devant-fauteuil-copie-1.jpgCasanova refuse de se servir de ce fauteuil. Chez Sade, ce fauteuil c’est la moindre des choses. Ce n’est même pas un préliminaire.
L’échelle des violences est grande ; la police est là pour le contrôler, sachant qu’elle-même sait quels personnages elle peut mettre en accusation, et ceux au contraire devant lesquels il vaut mieux se retirer et faire preuve de prudence, en transmettant le rapport au lieutenant de police qui discutera avec son ministre pour savoir s’il y a lieu ou non de procéder à une réprimande quelconque à l’égard du personnage.
Tout cela est assez complexe à cause du jeu des alliances ; à cause de la volonté soit de punir, soit au contraire de libérer pour des raisons au fond politiques. Sade lui-même, dans sa vie personnelle sera victime de poursuites permanentes, alors qu’à l’inverse d’autres personnages, dont nous savons qu’ils ont commis mille fois plus de sévices à l’égard des filles qu’ils ont séduites, vont être, eux, libérés ou ne connaître aucune poursuite. Il y a un système social qui appartient à la monarchie dans lequel les lettres de cachets jouent leur rôle, c’est-à-dire l’absolutisme du pouvoir, et cette espèce de despotisme des familles qu’ils peuvent exercer sur leurs enfants.

 


Des maladies… Du dernier couple royal et des violences d’en bas.

 

Jeanne-Becu-Madame-du-Barry-madame-du-barry-271195-copie-1.jpg(…) La succession des pouvoirs : la Régence, jusqu’en 1723. Ensuite le long règne de Louis XV de 1723 à 1774. Le mariage qui a lieu en 70 du futur Louis XVI, et, enfin, le règne de Louis XVI lui-même avec le rôle que va jouer Marie-Antoinette.
Pour la mort de Louis XV, il y a quelque chose de frappant dans ce corps qui se décompose, non pas de la grande vérole (…) mais de la petite vérole qui était un fléau social très important tout au long du XVIIIe siècle, auquel les grands n’échappaient pas. (…)
Dans le cadre du libertinage, c’est la grande vérole que je prends en charge. (…). Les prostituées sont régulièrement enfermées dans des conditions épouvantables à l’hôpital général à la Salpetrière pour être soignées de force. Déjà la maladie c’est quelque chose, mais les soins c’est encore pire. On perd toute sa santé, pour peu qu’il en restait un peu quand on était contaminé de la vérole, à être soigné au mercure dans des conditions épouvantables de promiscuité, de contagion de toutes sortes de maladies. Ce qui est assez frappant, d’un point de vue symbolique – les contemporains ont bien vu la chose – le corps de Louis XV se dégrade dans les derniers jours à une vitesse extraordinaire, jusqu’à être un corps décomposé, contagieux, puant que les chirurgiens qui ont pourtant le devoir de faire l’autopsie et de retirer en particulier le cœur du roi, ont refusé de faire l’opération. Il y a une scène où le grand maître de cérémonie demande au médecin de pratiquer l’opération (…) et ce dernier se tourne vers lui et lui dit : je vous rappelle Monseigneur que vous êtes chargé d’assister jusqu’au bout à l’opération. Le maître de cérémonie répondit que dans ces conditions on ne fait rien et on enferme le roi dans un double cercueil pour éviter toute contamination. Je rappelle que Louis XIV, son aïeul, quand on pense au roi soleil, avait fini par la gangrène qui rongeait son pied, sa jambe : fallait-il ou non l’amputer ? Le roi a refusé l’amputation. Sachant que Louis XIV dans sa jeunesse était très fier de sa jambe, qu’il avait, dit-il, la plus belle de tout son royaume et qu’il exhibait sur la scène du théâtre – privé évidemment – en dansant sur des musiques de Lully.
Cette corruption du corps royal est intéressante dans la perspective du changement politique qui va survenir et de cette violence des pamphlets qui s’installent, en gros, dans les années 1770. Il reste à Louis XV quelques années de règne encore, alors même qui a pour maîtresse Madame du Barry, alors que le déficit de la cour et du royaume est extraordinaire (…) se met en place une littérature d’une violence qu’on appellerait pornographique aujourd’hui, c’est-à-dire d’une obscénité dans la désignation de la corruption du royaume, avec le roi, les courtisanes, les favorites, les princes qui sont stigmatisés et dénoncés en permanence. Et, au moment ou cette machine, qui devient une machine politique se met en place, Louis XV décède et cède la place à Louis XVI.Marquis-de-Sade-La-Philosophie-dans-le-boudoir--ou-copie-1.jpg
Je pense qu’une des raisons pour laquelle Marie-Antoinette a été à ce point la cible des pamphlets de l’époque, c’est qu’il fallait bien quelqu’un pour occuper la place. Que la machine politico-pornographique libertine, mais dans le sens de la dénonciation du pouvoir corrupteur de la monarchie était mise en place, et cette machine il fallait bien la nourrir. Que ceux qui s’étaient eux-mêmes proclamés comme dénonciateurs publics, réfugiés souvent en Angleterre, à Londres ou aux Pays-bas, de temps en temps en Suisse pour dénoncer par leurs pamphlets la corruption du pouvoir royal, il fallait qu’ils continuent d’alimenter la machine. Il y a, bien sûr, d’autres raisons qui font de Marie-Antoinette la victime toute désignée de cette entreprise – on va épargner au début Louis XVI -, d’abord parce qu’elle est autrichienne (c’est plus que sa nationalité qui est en cause : quand on dit l’autrichienne, c’est qu’elle est, au fond, réellement une espionne au service de l’Autriche. Quand elle vient en France, toute jeune, auprès d’elle, comme compagnon pour l’aider à la découverte de la France, à ses obligations qui sont quand même considérables comme dauphine puis comme reine de France, elle a à ses côtés l’ambassadeur d’Autriche que sa mère a exprès installé à ses côtés. Nous avons la correspondance entre Marie-Thérèse et son ambassadeur, Marie-Thérèse ne cesse de dire à l’ambassadeur qu’il faut qu’il dise à Marie-Antoinette qu’elle fasse tout pour soutenir la politique de l’Empire d’Autriche et que la France soutienne en permanence cette politique). (…) Sans rentrer dans les détails des bons et mauvais côtés de Marie-Antoinette, il est vrai que les choses se précipitent et que cette machine politique en place ne va pas renoncer, sous prétexte que c’est un nouveau roi, que ce roi se réclame d’une certaine forme d’intégrité, veut rompre avec les pratiques de son grand-père : c’est lui qui va abolir la torture, qui va mettre fin au Parc aux cerfs, c’est lui qui va, comme romanciers.jpgun signe d’intégrité morale, renvoyer la du Barry dès le lendemain de la mort de Louis XV (…). Il n’empêche qu’il est débordé à la fois par la situation, et en particulier le déficit économique catastrophique au moment où il hérite du royaume et débordé par son épouse qui ne mesure pas du tout la conséquence de certains de ses gestes, et en particulier des dépenses qui ajoutent au déficit. (…) On va trouver comme surnom à Marie-Antoinette celui de madame déficit. Ce nom est lié à celui de la corruption. Comme s’il y avait un déficit des valeurs, comme s’il y avait un déficit social à cause de la monarchie et qu’il est temps de changer de régime.
Ce n’est pas finalement par hasard, ou par la nature des individus que la monarchie est corrompue, c’est-à-dire à cause de Louis XV, mais par essence. On va basculer petit à petit de la dénonciation du monarque à la dénonciation du régime lui-même. (…) A quoi va s’évertuer la révolution française et la guillotine qui marque le point d’arrêt à tous les transports que j’évoquaient il y a quelques minutes.

 


Du code Napoléon et du divorce.

 

Je dis du code Napoléon que c’est le tombeau du féminisme ; le tombeau des espoirs que pouvait avoir dans sa mutation la révolution menée au nom des femmes. En particulier, et c’est un exemple bien sûr, à l’égard du divorce qui est intéressant dans le rapport d’abord qu’il établi dans le changement de mentalité d’une société, puisqu’à l’origine le mariage est un sacrement, et l’une des grandes clés du XVIIIe siècle, c’est comment on passe d’une société fondée sur la religion vers une société fondée vers l’état civil, et où le mariage n’est plus un sacrement mais un contrat. Dans la différence entre le sacrement et le contrat, pour prendre un exemple, vous avez toute une société qui est entrain de se transformer. Il y a un certain nombre d’épisodes liés à l’histoire du divorce, et au code avec Napoléon, il renforce de façon extraordinaire les droits du mari à l’égard de l’épouse. (…)
En 1792 le divorce est autorisé par la révolution française et on efface complément la condamnation l’homosexualité du code pénal.(…et ) avec cette ouverture vers le XIXe siècle qui, s’appuyant sur la révolution française, n’en est pas moins répressif d’une autre manière. Là il faudrait écrire l’amour au temps du XIXe siècle, l’amour au temps de la bourgeoisie dominante, de bourgeoisie triomphante, et ce n’est pas toujours rose non plus.


Senat-02.jpg

 

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7 mars 2012 3 07 /03 /mars /2012 11:38

De funes 

 

Ce n’est pas tous les jours qu’une étude scientifique vienne explicitement à la rescousse d’une thèse, disons d’orientation philosophique - ou d’une intuition relevant d’un parti pris idéologique. Ce me semble pourtant être le cas avec une publication récente d’une équipe de chercheurs américano-canadiens sortie dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).



C’est à l’écoute de l’édifiante l’émission Du grain à moudre du 05 mars (Si les riches n'existaient plus, faudrait-il les réinventer ?) que je dois cette - pas si singulière que cela - information. Edifiante cette émission, disais-je, non pas par le choix du sujet, tout à fait digne d’intérêt, mais, outre la révélation des résultats de cette étude, par le côté surréaliste des propos tenus par certain un avocat fiscaliste dont je m’en voudrai de faire publicité en le nommant ici.
Passant, je remercie Hervé Gardette d’avoir mis en réponse à ma question le lien vers l’article du Monde signé par Stéphane Foucart relayant cette étude  - et qui m’a permis de remonter aux sources.


PNAS
Pour entrer dans le vif de sujet et pour faire court, cette étude menée par Paul Piff, du département de Psychologie de université de Berkeley, donne raison à Orwell et à sa ‘common decency (ou morale commune). 
Le titre de cette publication, « Higher social class predicts increased unethical behavior », est sans ambiguïté. Je ne reviendrais pas ici sur la manière dont fut conduite l’étude. Ceux qui souhaitent entrer dans le détail et qui ne sont pas rebutés par la langue de Shakespeare peuvent consulter le texte de ces chercheurs in extenso ici (à défaut l’article du Monde donne un bon résumé de la méthodologie employée par les chercheurs) :
http://redaccion.nexos.com.mx/wp-content/uploads/2012/02/1118373109.full_.pdf
Bien sûr, face à un tel constat, il convient de nuancer le propos : il se trouve naturellement des exceptions à cette fracassante vérité. Aussi, devançant l’objection Paul Piff de préciser dans un courriel adressé à un éditorialiste d’un quotidien californien : « There are important exceptions to our findings — for instance, the notable philanthropy of super rich individuals like Bill Gates and Warren Buffett — but in general, what we find in the lab resonates with patterns observed in timely political events, from scandalous acts of insider trading to the unethical acts committed by financiers in the times leading up to the recent financial meltdown”.



Mais que recouvre cette  ‘common decency’, telle que définie par Orwell ?  Pour en avoir meilleure idée laissons la parole à Jean-Claude Michéa. Voici ce qu’il rapporte dans un extrait de son livre La double pensée. Retour sur la question libérale :



« Le terme est habituellement traduit par celui d’ « honnêteté élémentaire », mais le terme de «le-riche-et-le-pauvre décence commune » me convient très bien. Quand on parle de revenus "indécents" ou, à l’inverse, de conditions de vie "décentes", chacun comprend bien, en général (sauf, peut-être, un dirigeant du Medef) qu’on ne se situe pas dans le cadre d’un discours puritain ou moralisateur. Or c’est bien en ce sens qu’Orwell parlait de « société décente ». Il entendait désigner ainsi une société dans laquelle chacun aurait la possibilité de vivre honnêtement d’une activité qui ait réellement un sens humain. Il est vrai que ce critère apparemment minimaliste implique déjà une réduction conséquente des inégalités matérielles. En reprenant les termes de Rousseau, on pourrait dire ainsi que dans une société décente « nul citoyen n’est assez opulent pour pouvoir en acheter un autre, et nul n’est assez pauvre pour être contraint de se vendre ». Une définition plus précise des écarts moralement acceptables supposerait, à coup sûr, une discussion assez poussée. Mais, d’un point de vue philosophique, il n’y a là aucune difficulté de principe.
J’ai récemment appris qu’il existait à Paris un palace réservé aux chiens et aux chats des riches. Ces charmantes petites bêtes — que vous aimez sans doute autant que moi — s’y voient servir dans des conditions parfaitement surréalistes (et probablement humiliantes pour les employés qui sont à leur disposition) une nourriture d’un luxe incroyable. Le coût de ces prestations est, comme on s’en doute, astronomique. Eh bien, je suis persuadé que dans un monde où des milliers d’êtres humains meurent chaque jour de faim — et où certains, dans nos sociétés occidentales, ne disposent pas d’un toit pour dormir, alors même qu’ils exercent un travail à temps complet —, la plupart des gens ordinaires s’accorderont à trouver une telle institution parfaitement indécente. Et il en irait probablement de même si j’avais pris comme exemple le salaire des vedettes du football professionnel ou des stars politiquement correctes du show-biz. Or pour fonder de tels jugements, il est certain que nous n’avons pas besoin de théorisations métaphysiques très compliquées. Une théorie minimale de la common decency suffirait amplement. Dans son Essai sur le don, Mauss en a d’ailleurs dégagé les conditions anthropologiques universelles : le principe de toute moralité (comme de toute coutume ou de tout sens de l’honneur) c’est toujours — observe-t-il — de se montrer capable, quand les circonstances l’exigent, de « donner, de recevoir et de rendre » ».



Pour en revenir à cette étude. Comment expliquer de tels résultats ?
S’y hasarder est sans doute délicat. Mais jouons un peu. L’une des hypothèses pour expliquer cette indélicatesse des riches (ceux dotés d’un capital social compris), pourrait résider dans le fait que ceux qui se trouvent en position dominante, le sont précisément parce qu’ils avaient ces caractéristiques - ou ces qualités - (capacité à mentir, tricher, etc.). Bref, il ne s’agirait qu’un constat rétrospectif : ceux qui sont parvenus là ou ils en sont (exception faite des héritiers / rentiers de naissance) le sont parce qu’ils considèrent que ne nous ne sommes pas chez les bizounours, et que dans ce monde de compétition à outrance la fin justifierait les moyens. Mieux, ces individus seraient des ‘engagés’, des ‘motivés’ et croiraient au système. Guillaume Paoli ne dit pas autre chose dans, je le redis, son excellent Eloge de la démotivation, qui me sert de bréviaire :



« Il est futile de dénigrer encore la cuistrerie politicienne, mais il n’en va pas autrementRiche libéral ailleurs, dans les médias par exemple : un journaliste soucieux d’enquêtes minutieuses, de longs reportages, d’indépendance d’idées et de style n’a aucune place dans le paysage médiatique actuel. Refusant d’avilir à ce qu’il croit, il s’abstiendra d’y entrer, laissant aux jocrisses de troisième ordre le soin de nous désinformer. (…) On pourrait sans peine multiplier les exemples où l’exercice d’une profession est contrariée par une vocation véritable. Il est de grands disparus tel Alexandre Grothendieck, le Rimbaud des mathématiques, qui avait radicalement rompu avec le milieu scientifique parce qu’il ne supportait pas la collusion de celui-ci avec l’Etat et l’industrie, et médite depuis trente ans à l’écart du siècle. Mais il en est une foule d’autres, anonymes et inaperçus ; Tel brillant chercheur en génétique, dont l’éthique personnelle s’accommodait mal avec les pratiques mercantiles de sa branche, écrit maintenant des romans. Tel rejeton des grandes écoles devant lequel toutes les portes étaient ouvertes a effectué un retrait tactique dans le « revenu minimum d’activité ». Tel élément d’élite d’un grand institut boursier s’est mis sur la touche, se contentant de publier ses analyse et commentaires pour les autres. Comme je l’interroge sur ses motifs, il me répond : « La bourse étant un domaine semi-criminel », c’était une mesure de sauvegarde personnelle de m’en tenir à distance »



D’où sa thèse :

« Ma thèse est qu’il existe un auto-écrémage spontané des intelligences laissant au petit-lait le soin d’accéder au sommet des organisations. Comme l’avait entrevu Yeats dès 1921 : « Les meilleurs manquent à toutes conviction tandis que les pires sont pleins d’intensité passionnée ». (…) Certes, ces objecteurs de conscience n’en sont pas devenus pour autant des drop out mendiant leur vie sur les routes. Ils se sont simplement trouvés une niche socioprofessionnelle, qui peut d’ailleurs être confortable, leur évitant de trop exposer leur talent ».



Dès lors il n’est pas étonnant à ne presque plus trouver que de voraces requins et de médiocres intrigants à certaines altitudes.



Une autre hypothèse (qui peut d’ailleurs être cumulative à la précédente) pourrait aussi résider dans l’ivresse éprouvée à respirer l’air des sommets ; se sentir au-dessus de la mêlée et de la plèbe, avec, pour corolaire, un sentiment d’impunité et de puissance difficile à réfréner. 
En guise d’illustration voici un exemple tiré d’un article récent de Mediapart. Gérard Dalongeville y explique aux journalistes « (sa) vérité ». (…) Il explique le fonctionnement de ce « système » et répète que, sans cet épisode judiciaire, il en serait encore l'un des maillons : « On se sent dans une impunité totale. S'il n'y avait pas eu cet enchaînement policier et judiciaire en 2009, on se verrait aujourd'hui dans mon bureau en mairie et je vous dirais que tout va bien dans le bassin minier. » ».
Les auteurs de cette étude vont dans la même direction lorsqu’ils disent : « A second line of reasoning, however, suggests the opposite prediction: namely, that the upper class may be more disposed to the unethical. Greater resources, freedom, and independence from others among the upper class give rise to self-focused social cognitive tendencies (3–7), which we predict will facilitate unethical behavior ».

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Pour finir, on ne peut manquer de songer pareillement à la fable des abeilles. Si les vices privés, selon Mandeville, contribuent tant au bien public – ils en sont même condition sine qua non -, alors se comporter vicieusement, loin d’être répréhensible, serait en réalité une vertu hautement recommandable ; un acte citoyen par excellence !
On voit ou cela peut mener…



Quoi qu’il en soit, nul doute que cette étude n’a pas fini de faire parler d’elle.
Et à parier que quelques magnats dotés en capital ont déjà soudoyés leurs meilleurs mercenaires pour contredire ce travail, tâchant a minima d’obtenir acquittement par vice de procédure. Il y a de bons avocats fiscalistes pour cela.
Une affaire à suivre….

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24 février 2012 5 24 /02 /février /2012 18:15

What doesnt kill me....A propos d’un  « aspect actuel et particulier du ‘señoritisme’ » qui suscita, il y a de cela quelques jours, bien des remous…

 

 

 


 

 


Passe d’arme aux accents parfois surréalistes… Et qui atteignit le couronnement de son intensité dramatique dans la terrifique formule : « Mais je dois militer et combattre. J'ai deux filles magnifiques qui ne veulent pas mourir » !
Moi qui ai également deux enfants, serais-je ainsi de ces pères indignes, coupable de défaut de militantisme ?
Et de mesurer avec effroi l’abîme  de mon inertie…  Déserts emplis du sable de ma mauvaise conscience…
Par les sangs !

 

Vite vite écrire un livre engagé pour me laver l’âme de mes délétères scories dilettantes !
- Ou au moins, ce qui est davantage à ma portée, rédiger un billet cinglant… et aller illico le poster sur Agora Vox (Bon ça c’est déjà fait, et je me souviens m’en être senti ensuite beaucoup mieux… Ce qui tend à prouver que je ne suis pas si mauvais garçon…).

Au passage signer quelques pétitions...

 

militant_protest.jpg

 

« Mais je dois militer et combattre. J'ai deux filles magnifiques qui ne veulent pas mourir » !
Diantre quelle phrase !
Et aussitôt me jeter en prière ; contrition nécessaire avant, tête basse, de me ranger repenti sous la bannière de Badiou… Ce gourou ci, au moins, n’est pas un mou du genou… Au trou tous les déviants… Le prolixe Zizek, inénarrable zézéyeur, n’a qu’à bien tenir sa langue. Orthodoxie quand tu nous berces entre tes dents…
Hardi mes frères, arborons fiers les couleurs sanglantes de la guilde des redresseurs de torts. Poing dressé !

 

« Mais je dois militer et combattre. J'ai deux filles magnifiques qui ne veulent pas mourir » !
Je ne me lasse décidément pas de me passer cette dantesque sentence en boucle…
Qui ne sait que les révolutions finissent toujours mal ?…  les naïfs, les droits, les purs, les sans tache et autres apôtres de Vérité sans doute.
Mais allons, comme chacun sait, « on ne nettoie pas les écuries d’Augias avec un plumeau » !

 

« Mais je dois militer et combattre. J'ai deux filles magnifiques qui ne veulent pas mourir » !
Dans son dernier billet, ‘Dansez maintenant !’ V, ayant très opportunément épinglé l’insoutenable saillie, d’une seule phrase me plaça d’un coup devant l’évidence: « Sorties de leur contexte, on imagine très bien ces deux phrases sur le bandeau rouge d’un thriller en promo… ». Mais c’est tout à fait ça , me dis-je !

 

Et il se trouve qu’au moment même ou je lisais ces lignes j’écoutais un morceau hargneux d’un groupe de  metaleux hongrois…  Un morceau tiré d’un album aux accents très nietzschéen : What doesn’t kill me
Et une idée en amenant une autre, je pensai alors naturellement que ce genre de film se doit fatalement d’avoir une musique ‘destroy’ ; des riffs rageurs rehaussés de couplets de « Warriors » !..

 


Ainsi les paroles éructées par le chanteur d’Ektomorf pourraient sans soucis être endossées par tout bon philosophe militant :

 

What I feel is pain
So much fucked up fear
And I know it's not real

I will stand on my ground
Nothing, no one brings me down
I fight for what I believe
I will love and live

I will stand on my ground
Nothing, no one brings me down
I fight for what I believe
I will love and live
There is so much
Motherfuckin' thoughts
They wanna make my
Make my head explode
But love will win this war

I will stand on my ground
Nothing, no one brings me down
I fight for what I believe
I will love and live

I will stand on my ground
Nothing, no one brings me down
I fight for what I believe
I will love and live

There is so much inside
I give you all
There is so much inside
I give you all

militant.png 

 

Poing dressé compagnons !

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7 février 2012 2 07 /02 /février /2012 19:16

2012 02 - Oiseaux dans le jardin001

 

Je ne sais plus dans quelle nouvelle j’ai lu, il y a de cela bien des années, que quelqu’un qui s’intéressait aux oiseaux ne pouvait être foncièrement mauvais… C’était là le jugement définitif d’un personnage à propos d’un quidam soupçonné de crime… Ma mémoire a effacé le reste et je serai bien incapable de dire aujourd’hui s’il était ou non coupable. Au-delà de l’anecdote il faut reconnaître que les références aux oiseaux, que se soit dans la littérature ou la philosophie, sont plutôt rarissimes.
Certes il y a, parmi les poètes, l’Albatros de Baudelaire dont s’amusent les hommes d’équipage, le bestiaire de La Fontaine, comprenant lui aussi quelques volatils (du corbeau à la cigogne passant par l’hirondelle), ou encore chez Rimbaud cette Tête de Faune où « l'on voit épeuré par un bouvreuil Le Baiser d'or du Bois, qui se recueille ». Mais le butin demeure famélique. Quant aux philosophes, hormis Kant et son Rouge-gorge le paysage a hélas des allures de toundra désertique. Reste, à mi-chemin entre philosophie et poésie, cette petite mention à propos de la gent avienne  que j’ai relevé hier soir chez Lucrèce ; lorsqu’il est question de la « Mère des Enéades ». Voici ce passage : « tout d’abord les oiseaux des airs te célèbrent, ô Déesse. (….) parmi les demeures feuillues des oiseaux et les plaines verdoyantes, enfonçant dans tous les cœurs les blandices de l’amour, tu inspires, à tous les êtres le désir de propager leur espèce ».

 
Pour l’heure l’essentiel soucis des merles, des grives et autres mésanges est de se nourrir pour ne point périr dans le froid
 2012 02 - Oiseaux dans le jardin003

2012 02 - Oiseaux dans le jardin004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ces quelques photographies (1)  ne prétendent à rien d’autre qu’à témoigner d’un instant ; un après-midi de farniente au chaud près de l’âtre, l’appareil dans une main le Gai savoir dans l’autre, à converser par intermittence avec une dame de qualité à propos d’un livre de qualité.

 

2012 02 - Oiseaux dans le jardin007  


Et ces pauvres oiseaux dans la froidure…

 

« Il est doux, quand la vaste mer est soulevée par les vents, d'assister du rivage à la détresse d'autrui ; non qu'on trouve si grand plaisir à regarder souffrir ; mais on se plaît à voir quels maux vous épargnent. » 

Lucrèce, De la naure (livre II)

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2012 02 - Oiseaux dans le jardin013 2012 02 - Oiseaux dans le jardin012

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


(1) D’un point de vue technique elles sont pitoyables : prises à la volée, sans trépied (ce qui explique que certaines soient plus ou moins floues), sans recherche artistique particulière. Mais j’aime ces photographies. Y sont représentés là des amis de longue date. 

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2 février 2012 4 02 /02 /février /2012 19:22

servitude3.jpg

 

A dire vrai je ne saurai affirmer d’où vient l’idée du titre de cette série BD fantastique si attachante, dont le troisième tome « L’adieu aux rois » est sorti en novembre dernier chez Soleil. J’aime cependant à y déceler un clin d’œil à l’œuvre maitresse d’Etienne de La Boétie.
Mais ici c’est essentiellement de la servitude des princes et des puissants dont il s’agit ; de l’hubris des ‘maîtres du monde’ – sous l’emprise qu’ils sont de leurs délires des grandeurs. Cette maladie de l’âme qui faisait dire à Sénèque : « Combien d’hommes que l’opulence accable ; (…) que de grands à qui le peuple des clients toujours autour d’eux empressé ne laisse aucune liberté ! » (1).

 

Ecrit par Fabrice David (Les voies du seigneur) le scénario solidement charpenté, développe une intrigue complexe et passionnante ; nombre de romanciers , d’ailleurs, feraient bien de s’en inspirer (mais il est vrai que de nos jour on donne plutôt dans l’autofiction narcissique que dans la saga).
Je ne reviendrai pas ici dans le détail de l’histoire, ni sur l’arrière-fond dans lequel évoluent lesServitude-1.jpg personnages, se trouvant sur la toile d’excellentes présentations vers lesquelles je renvoie volontiers les lecteurs intéressés. Je me contenterai juste d’évoquer la subtilité avec laquelle sont distillés, au fil de l’aventure, les éléments fantastiques du scénario. Ainsi Servitude prend ses racines dans un univers de type médiéval, avec un soupçon de magie et de créatures hybrides. Et à la lecture des trois premiers tomes de cette palpitante saga (qui devrait en compter au moins cinq), je n’ai pu m’empêcher de faire le rapprochement avec la superbe série télévisée intitulée Le Trône de fer (Game of thrones), dont la saison II est actuellement en préparation. Je ne savais d’ailleurs pas - j’aurai dû, à la richesse du scénario le soupçonner - que l’adaptation télévisuelle s’adossait aux écrits d’un certain George R. R. Martin, écrivain américain dont je dois reconnaître, à ma grande confusion, que jusqu’alors je n’avais jamais entendu parler. Le premier tome de sa saga (sur un cycle qui devrait en compter sept en sa version originale, les traductions françaises étant davantage saucissonnées, probablement pour des motifs mercantiles), précisément intitulé Game of thrones est sorti en 1996. Actuellement il en est au tome 5 (Dance with dragons, sorti en 2011).
Cette impression de connivence fortuite entre le Trône de fer et Servitude  a été confirmée par le dessinateur et coloriste de la série BD, Eric Bourgier en personne : « J’ai découvert tardivement les romans du Trône de fer et je dois dire qu’il a fait un truc très fort avec lequel nous n’avons pas la prétention de rivaliser, mais c’est vrai qu’il y a un esprit commun avec notre univers ».

 Servitude-carte.jpg

Servitude-2.jpgCe qui m’amène à dire quelques mots du travail d’Eric Bourgier, dont il n’est pas anodin d’indiquer qu’il a débuté sa carrière comme illustrateur de jeux de rôle.
Au niveau des tons, à mille lieues des planches flashy qu’affectionnent certains - dont je ne fais pas partie - la dominante marron rehaussé d’une palette de gris sert à merveille le propos. Le rendu n’est ni glauque ni terne. Tout au contraire. L’ambiance est plantée, avec juste ce qu’il faut de contrastes et, des déserts brulants de la province de Veriel aux froids sommets des terres d’Anoroer, on sent parfaitement la dureté de ces temps d’incertitudes où sourdent mille et une manigances. Quant au dessin, juste ciselé avec une dextérité qui force l’admiration, il ne concoure pas moins que la palette de couleurs à l’immersion dans cette œuvre passionnante dont c’est avec impatience que j’attends le prochain tome (il me faudra armer de patience, chaque sortant avec un intervalle moyen de trois ans).
Least but not last, j’ai particulièrement apprécié les éléments annexes aux planches dessinées proprement dites. La carte, cela va de soi, mais aussi les lettres, les documents décrivant le contexte et la société dans lesquels évoluent les personnages, ainsi que les textes relatant l’issue de la bataille de L’adieu aux rois (procédé ludique tant qu’original de finir l’histoire). Les amateurs de jeux de rôle, particulièrement les MD, y verront là un background particulièrement bien ficelé.

 ServitudeT01P19.jpeg

On l’aura compris, Servitude est définitivement une série qui se doit trouver dans les meilleures BD-thèques.

LePictographe-Servitude-Chantd-Anoer_Drekkars_AdieuAuxRois.jpg

 

 


(1) Sénèque, De la brièveté de la vie.

 

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14 janvier 2012 6 14 /01 /janvier /2012 18:02

Masque-venise.jpg

 

 

Tiré d’un verbe latin signifiant parler au travers, la persona désignait dans l’antiquité le masque que portaient les acteurs de théâtre… Du Volta vénitien à la tragédie grecque, passant par les dispositifs fabuleux portés en Afrique lors des cérémonies funéraires ou initiatiques, le masque a toujours été la parure du genre humain.

 

D’un habile rhéteur, d’un intriguant, d’une courtisane ou d’un diplomate qui sait son métier au bout des ongles, ne dit-on pas qu’ils avancent masqués ? 
Du factice au vraisemblable il n’y a qu’un pas ; et de l’artifice au naturel que l’épaisseur d’un cheveu.

 aztekegr

Lorsque les fasciés emplumés préludent au massacre sur les marches des temples méso-américains  - autels sanglants en plein air ;
Lorsque surgissent la nuit dans la savane les gueules peintes des hommes léopards, ces griffeurs des folles espérances ;
Et tant d’autres encore, mû par d’irracontables instincts.
Ils ne font qu’assassiner les apparences…

  

Qu’il soit instrument de séduction ou d’effroi, le masque n’en a pas fini de fasciner et de servir aux plus sourdes fantasmagories !

 

Chez Jung la persona fut interprétée comme le ‘masque social’, cache-misère à nos blessures, et dont, par obligation, nous nous affublons pour rendre la compagnie de nos congénères supportables.

Sans ces oripeaux hypocrites, pas de vie sociale possible.
A chaque situation son vêtement propre.
Philosophe-barbu.jpgUn vieux proverbe grec nous met en garde : « la barbe ne fait pas le philosophe » ; il n’empêche, une face ‘empoilée’ confère d’ordinaire au plus plat prosateur un petit air de respectabilité.
Et qui sait si, à force d’incarner notre rôle, nous ne finissons pas par nous y identifier.

 

A l’heure où fleurissent un peu partout, sur les friches d’un hédonisme forcené, les tests de personnalités ; introspection oblige !
Exhortation à ôter le masque pour mieux se mentir à soi-même, tel semble être l’impératif catégorique des sots.
Le connais-toi toi-même du vulgaire est en nos sociétés promis à un bel avenir…

 

On en oublierait presque le masque mortuaire.
Le seul promis à réel un avenir.
Notre unique certitude ;
Là, lorsque cesse le jeu.

 

masque-KWELE.jpg 


Ces quelques digressions sans prétentions ni buts, ont pris leur source dans la singulière résonance que j’ai cru déceler entre deux images. Aussi, mon intention initiale, sous l’effet d’une impulsion dilettante, n’était de ne commettre qu’un billet sans texte.
Seule une légende humoristique, en guise de clin d’œil, devait accompagner cette synchronicité des plus factices.
Par un mouvement d’humeur incompréhensible je me suis laissé à développer une vaine cogitation autour de la persona. Si bien que mettre à présent en illustration du billet ladite photographie a perdu son sens.

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