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2 novembre 2012 5 02 /11 /novembre /2012 17:33

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« Fabuleux passé de salles à manger et de café de province. C’est là que l’Histoire est allée les prendre, les gens d’ici, Ure et Pimbard, Tronc et les autres. Des gens tout à fait ordinaires. Elle avait besoin de ces gens-là. C’est avec des gens ordinaires, avec des inspecteurs et des sous-inspecteurs, que l’Histoire compose ses aventures. Ils n’en demandaient pas tant, eux. Ils se trouvaient très bien dans leur destin exigu. (…) Ils étaient assurés contre le vol, l’incendie, les enfants, les accidents d’auto. Mais ils n’étaient pas assurés contre l’Histoire. L’Histoire les a délogés de leurs bonheurs, jetés dans la nuit, la faim et la merde. C’est cela notre part d’Histoire. Comme ceux qui ont fait les Croisades, ou qui ont fait la Révolution. On ne pense pas vraiment à ces types-là. C’est vrai pourtant qu’ils ont été des pauvres bougres, eux aussi, qui traînaient la patte, qui en avaient marre, qui rêvaient de paille où s’étendre, où se vautrer – et dormir, bon dieu, dormir. (…)

Qu’est-ce que ça pouvait être, pour eux, les Croisades ? Qu’est-ce que c’était la Révolution ? Pour eux, pas pour les historiens.(…) L’Histoire des historiens est comme un magasin d’habillement. Tout y est classé, ordonné, étiqueté. Les données politiques, militaires, économiques, juridiques ; les causes, les conséquences, les conséquences des conséquences ; et les liaisons, les rapports, les ressorts. Tout cela est bien étalé devant l’esprit, clair, nécessaire, parfaitement intelligible. Ce qui n’est pas clair du tout, ce qui est obscur et difficile, c’est l’homme dans l'Histoire ; ou l’Histoire dans l’homme, si on préfère ; la prise de possession de l’homme par l’Histoire. L’homme complique tout. Dès que l’acteur, celui qui y était, s’en mêle, on ne s’y reconnaît plus, on ne peut plus s’en sortir. Il dérange les belles perspectives historiques avec sa façon à lui de mettre les détails en place, et jamais à la bonne place. Pour lui, c’est toujours ce qui n’a pas d’importance qui compte le plus. Des questions de soupe, de corvées, de vaguemestre et de feuillées. Il faut voir alors ce que deviennent les événements dans la tête de l’homme qui y était. Et pas dans sa tête seulement, mais dans ses jambes, dans ses reins, dans ses boyaux, dans tout son corps qui saigne, qui sue, qui sent le vin, l’ail et pire que ça. L’Histoire des historiens n’a pas d’odeur ». 

 

Georges Hyvernaud, La peau et les os
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26 octobre 2012 5 26 /10 /octobre /2012 16:03

« ... nous avons appris à reconnaître ce gigantisme qui n’est que la contrefaçon malsaine d’une croissance, ce gaspillage qui fait croire à l’existence de richesses qu’on n’a déjà plus, cette pléthore si vite remplacée par la disette à la moindre crise, ces divertissements ménagés d’en haut, cette atmosphère d’inertie et de panique, d’autoritarisme et d’anarchie, ces réaffirmations pompeuses d’un grand passé au milieu de l’actuelle médiocrité et du présent désordre, ces réformes qui ne sont que des palliatifs... »

 

Marguerite Yourcenar. L’Histoire Auguste, 1958 

(Repris dans le recueil Sous bénéfice d’inventaire)

 

couture---Romans-of-the-Decadence.-1847.-Louvre-Museum--Par.jpg

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  • : Le blog d'Axel Evigiran
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