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22 février 2013 5 22 /02 /février /2013 15:12

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Tocqueville, me semble-t-il, est revenu depuis quelques années à la mode. Il n’est pas un débat où il est question de Démocratie sans une citation du maître es  δημοκρατία. On vante le visionnaire et le démocrate ; on salue le considérable arpenteur de l’Amérique des années Jackson, celui qui a mis en mot l’irrésistible ascension de la démocratie dans le Nouveau Monde, ce mouvement qui entraine les sociétés modernes vers le développement de l’égalité.

 

« Aux Etats-Unis, écrit Raymond Aron, Tocqueville n'a pas été seulement, en voya-geur, observer les mœurs et coutumes d'autres hommes, il a voulu, en sociologue, tout à la fois décrire une communauté unique et comprendre les particularités dans lesquelles s'exprime, outre-Atlantique, la tendance démocratique commune à l'Ancien et au Nouveau Monde. Dans son étude de l'Ancien Régime, il n'a pas seulement tenté, à la manière d'un disciple de Montesquieu, de rendre intelligibles des événements, il s'est efforcé de saisir et d'expliquer le cours de l'histoire de France considéré comme un mode singulier d'accession à l'âge démocratique. » (1)

 

De-la-democratie-en-Amerique---tome-1.jpgIl ne m’en a pas fallu davantage pour me convaincre de me coltiner avec le premier des deux gros volumes constituant cette œuvre monumentale (le premier tome a été publié en 1835 et le second en 1840), rédigé dans le style sec propre aux grand commis de l’Etats ou aux experts (ou prétendus tels).
S’il n’est pas question pour moi de contester la richesse de l’œuvre de Tocqueville - cela serait bien pédant de ma part -, force est de constater, à la lecture donc du pavé que constitue le premier tome de cette aventure américaine, que si j’y ai trouvé de bons et nobles morceaux, d’autres m’ont parus nettement plus difficiles à mastiquer, lorsqu’ils n’étaient pas simplement indigestes. Un plaisir en demi-teinte donc. A se demander, d’ailleurs, si absolument tous ceux qui disent vantent la fraicheur de l’entreprise Tocquevillienne l’ont vraiment lu.

 

On sait que Tocqueville, d’extraction noble, ne fut démocrate qu’à reculons. Mais ce n’est pas rien, si on en juge par ses parents ultra-royalistes. Mon but n’est pas ici d’y revenir ni de faire une exégèse d’une si monumentale œuvre, chose dont je n’ai ni le goût, ni le loisir, ni la capacité, mais de livrer à la réflexion de chacun quelques phrases picorées ici ou là au fil de ma lecture. Sans doute pourra-t-on trouver le procédé un peu vachard. Mais quoi ! Chacun tire Tocqueville du côté de ses propres préjugés et de l’idéologie du moment chère à son cœur ; et face à un écrit si épais et si dense la chose n’est pas supérieurement difficile. Ainsi d’aucuns affirmerons sans ambages que c’est « pour son libéralisme que Tocqueville est critiqué depuis un demi-siècle. Aron l’aurait tiré de l’oubli uniquement pour lutter contre le marxisme à une époque où il était en concurrence avec Jean-Paul Sartre ». D’autres iront chercher « dans les ouvrages de Tocqueville les arguments d'un plaidoyer pour le libéralisme économique ou ceux d'une critique du socialisme » et certains penseront, au contraire, que son travail sur la paupérisation «  permet d'introduire des nuances dans le libéralisme de Tocqueville ». Au final, au vu d’une telle diversité, mon procédé ne m’apparait pas si mauvais. Et puis, aux curieux d’aller lire l’ouvrage en son entier pour se faire leur propre idée.

 

Quoi qu’il en soit, et avant d’entrer dans le vif de ces quelques pauvres citations tirées de La démocratie en Amérique, qu’il me soit permis de clamer haut et fort ma préférence envers le simple voyageur qui rédigea Quinze jours au désert, à la statue intimidante du descendant de Saint Louis.

  Sarolta-Ban-01.jpg

« L’aristocratie est infiniment plus habile dans la science du législateur que ne saurait l’être la démocratie. Maîtresse d’elle-même, elle n’est point sujette à des entraînements passagers ; elle a de longs desseins qu’elle sait mûrir jusqu’à ce que l’occasion favorable se présente. L’aristocratie procède savamment ; elle connaît l’art de faire converger en même temps, vers un même point, la force collective de toutes ses lois ».

 

« en Amérique la législation est faite par le peuple et pour le peuple. Aux Etats-Unis, la loi se montre donc favorable à ceux qui, partout ailleurs, ont le plus d’intérêts à la violer. »

 ALEXIS DE TOCQUEVILLE

« … cette perception claire de l’avenir, fondée sur les lumières et l’expérience, qui doit souvent manquer à la démocratie. Le peuple sent bien plus qu’il ne raisonne ; »

 

« Cette faiblesse relative des républiques démocratiques, en temps de crise, est peut-être le plus grand obstacle qui s’oppose à ce qu’une pareille république se fonde en Europe ».

 

« Il se découvre, dans la corruption de ceux qui arrivent par hasard au pouvoir, quelque chose de grossier et de vulgaire qui la rend contagieuse pour la foule ; il règne, au contraire, jusque dans la dépravation des grands seigneurs, un certain raffinement aristocratique, un air de grandeur… »

 

« Le pauvre ne se fait pas une idée distincte des besoins que peuvent ressentir les classes supérieures de la société. Ce qui paraîtrait une somme modique à un riche, lui paraît une somme prodigieuse, à lui qui se contente du nécessaire ; et il estime que le gouverneur de l’Etat, pourvu de ses deux milles écus, doit encore se trouver heureux et exciter l’envie ».

 

« Le vote universel donne réellement le gouvernement des sociétés aux pauvres. L’influence fâcheuse que peut quelquefois exercer le pouvoir populaire sur les finances de l’Etat se fit bien voir dans certaines républiques démocratiques de l’antiquité, où le trésor public s’épuisait à secourir les citoyens indigents… »

 

captain-america2.jpg« Les grands talents et les grandes passions s’écartent en général du pouvoir, afin de poursuivre la richesse ; (…) C’est à ces causes autant qu’aux mauvais choix de la démocratie qu’il faut attribuer le grand nombre d’hommes vulgaires qui occupent les fonctions publiques. Aux Etats-Unis, je ne sais si le peuple choisirait les hommes supérieurs qui brigueraient ses suffrages, mais il est certains que ceux-ci ne les briguent pas ».

 

« Il se répand de plus en plus, aux Etats-Unis, une coutume qui finira par rendre vaines les garanties du gouvernement représentatif : il arrive très fréquemment que les électeurs en nommant un député, lui tracent un plan de conduite et lui imposent un certain nombre d’obligations positives dont il ne saurait nullement s’écarter ».

 

« Je ne connais pas de pays où il règne, en général, moins d’indépendance d’esprit et de véritable liberté de discussion qu’en Amérique ».

 

« Si l’Amérique n’a pas encore de grands écrivains, nous ne devons pas en chercher ailleurs les raisons (la tyrannie de la majorité) : il n’existe pas de génie littéraire dans liberté d’esprit, et il n’y a pas de liberté d’esprit en Amérique ».

Tocqueville-par-Daumier-Honore.jpg


(1) Raymond Aron, Idées politiques et vision historique de Tocqueville, Revue française de science politique, année   1960   - Volume   10

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7 mars 2012 3 07 /03 /mars /2012 11:38

De funes 

 

Ce n’est pas tous les jours qu’une étude scientifique vienne explicitement à la rescousse d’une thèse, disons d’orientation philosophique - ou d’une intuition relevant d’un parti pris idéologique. Ce me semble pourtant être le cas avec une publication récente d’une équipe de chercheurs américano-canadiens sortie dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).



C’est à l’écoute de l’édifiante l’émission Du grain à moudre du 05 mars (Si les riches n'existaient plus, faudrait-il les réinventer ?) que je dois cette - pas si singulière que cela - information. Edifiante cette émission, disais-je, non pas par le choix du sujet, tout à fait digne d’intérêt, mais, outre la révélation des résultats de cette étude, par le côté surréaliste des propos tenus par certain un avocat fiscaliste dont je m’en voudrai de faire publicité en le nommant ici.
Passant, je remercie Hervé Gardette d’avoir mis en réponse à ma question le lien vers l’article du Monde signé par Stéphane Foucart relayant cette étude  - et qui m’a permis de remonter aux sources.


PNAS
Pour entrer dans le vif de sujet et pour faire court, cette étude menée par Paul Piff, du département de Psychologie de université de Berkeley, donne raison à Orwell et à sa ‘common decency (ou morale commune). 
Le titre de cette publication, « Higher social class predicts increased unethical behavior », est sans ambiguïté. Je ne reviendrais pas ici sur la manière dont fut conduite l’étude. Ceux qui souhaitent entrer dans le détail et qui ne sont pas rebutés par la langue de Shakespeare peuvent consulter le texte de ces chercheurs in extenso ici (à défaut l’article du Monde donne un bon résumé de la méthodologie employée par les chercheurs) :
http://redaccion.nexos.com.mx/wp-content/uploads/2012/02/1118373109.full_.pdf
Bien sûr, face à un tel constat, il convient de nuancer le propos : il se trouve naturellement des exceptions à cette fracassante vérité. Aussi, devançant l’objection Paul Piff de préciser dans un courriel adressé à un éditorialiste d’un quotidien californien : « There are important exceptions to our findings — for instance, the notable philanthropy of super rich individuals like Bill Gates and Warren Buffett — but in general, what we find in the lab resonates with patterns observed in timely political events, from scandalous acts of insider trading to the unethical acts committed by financiers in the times leading up to the recent financial meltdown”.



Mais que recouvre cette  ‘common decency’, telle que définie par Orwell ?  Pour en avoir meilleure idée laissons la parole à Jean-Claude Michéa. Voici ce qu’il rapporte dans un extrait de son livre La double pensée. Retour sur la question libérale :



« Le terme est habituellement traduit par celui d’ « honnêteté élémentaire », mais le terme de «le-riche-et-le-pauvre décence commune » me convient très bien. Quand on parle de revenus "indécents" ou, à l’inverse, de conditions de vie "décentes", chacun comprend bien, en général (sauf, peut-être, un dirigeant du Medef) qu’on ne se situe pas dans le cadre d’un discours puritain ou moralisateur. Or c’est bien en ce sens qu’Orwell parlait de « société décente ». Il entendait désigner ainsi une société dans laquelle chacun aurait la possibilité de vivre honnêtement d’une activité qui ait réellement un sens humain. Il est vrai que ce critère apparemment minimaliste implique déjà une réduction conséquente des inégalités matérielles. En reprenant les termes de Rousseau, on pourrait dire ainsi que dans une société décente « nul citoyen n’est assez opulent pour pouvoir en acheter un autre, et nul n’est assez pauvre pour être contraint de se vendre ». Une définition plus précise des écarts moralement acceptables supposerait, à coup sûr, une discussion assez poussée. Mais, d’un point de vue philosophique, il n’y a là aucune difficulté de principe.
J’ai récemment appris qu’il existait à Paris un palace réservé aux chiens et aux chats des riches. Ces charmantes petites bêtes — que vous aimez sans doute autant que moi — s’y voient servir dans des conditions parfaitement surréalistes (et probablement humiliantes pour les employés qui sont à leur disposition) une nourriture d’un luxe incroyable. Le coût de ces prestations est, comme on s’en doute, astronomique. Eh bien, je suis persuadé que dans un monde où des milliers d’êtres humains meurent chaque jour de faim — et où certains, dans nos sociétés occidentales, ne disposent pas d’un toit pour dormir, alors même qu’ils exercent un travail à temps complet —, la plupart des gens ordinaires s’accorderont à trouver une telle institution parfaitement indécente. Et il en irait probablement de même si j’avais pris comme exemple le salaire des vedettes du football professionnel ou des stars politiquement correctes du show-biz. Or pour fonder de tels jugements, il est certain que nous n’avons pas besoin de théorisations métaphysiques très compliquées. Une théorie minimale de la common decency suffirait amplement. Dans son Essai sur le don, Mauss en a d’ailleurs dégagé les conditions anthropologiques universelles : le principe de toute moralité (comme de toute coutume ou de tout sens de l’honneur) c’est toujours — observe-t-il — de se montrer capable, quand les circonstances l’exigent, de « donner, de recevoir et de rendre » ».



Pour en revenir à cette étude. Comment expliquer de tels résultats ?
S’y hasarder est sans doute délicat. Mais jouons un peu. L’une des hypothèses pour expliquer cette indélicatesse des riches (ceux dotés d’un capital social compris), pourrait résider dans le fait que ceux qui se trouvent en position dominante, le sont précisément parce qu’ils avaient ces caractéristiques - ou ces qualités - (capacité à mentir, tricher, etc.). Bref, il ne s’agirait qu’un constat rétrospectif : ceux qui sont parvenus là ou ils en sont (exception faite des héritiers / rentiers de naissance) le sont parce qu’ils considèrent que ne nous ne sommes pas chez les bizounours, et que dans ce monde de compétition à outrance la fin justifierait les moyens. Mieux, ces individus seraient des ‘engagés’, des ‘motivés’ et croiraient au système. Guillaume Paoli ne dit pas autre chose dans, je le redis, son excellent Eloge de la démotivation, qui me sert de bréviaire :



« Il est futile de dénigrer encore la cuistrerie politicienne, mais il n’en va pas autrementRiche libéral ailleurs, dans les médias par exemple : un journaliste soucieux d’enquêtes minutieuses, de longs reportages, d’indépendance d’idées et de style n’a aucune place dans le paysage médiatique actuel. Refusant d’avilir à ce qu’il croit, il s’abstiendra d’y entrer, laissant aux jocrisses de troisième ordre le soin de nous désinformer. (…) On pourrait sans peine multiplier les exemples où l’exercice d’une profession est contrariée par une vocation véritable. Il est de grands disparus tel Alexandre Grothendieck, le Rimbaud des mathématiques, qui avait radicalement rompu avec le milieu scientifique parce qu’il ne supportait pas la collusion de celui-ci avec l’Etat et l’industrie, et médite depuis trente ans à l’écart du siècle. Mais il en est une foule d’autres, anonymes et inaperçus ; Tel brillant chercheur en génétique, dont l’éthique personnelle s’accommodait mal avec les pratiques mercantiles de sa branche, écrit maintenant des romans. Tel rejeton des grandes écoles devant lequel toutes les portes étaient ouvertes a effectué un retrait tactique dans le « revenu minimum d’activité ». Tel élément d’élite d’un grand institut boursier s’est mis sur la touche, se contentant de publier ses analyse et commentaires pour les autres. Comme je l’interroge sur ses motifs, il me répond : « La bourse étant un domaine semi-criminel », c’était une mesure de sauvegarde personnelle de m’en tenir à distance »



D’où sa thèse :

« Ma thèse est qu’il existe un auto-écrémage spontané des intelligences laissant au petit-lait le soin d’accéder au sommet des organisations. Comme l’avait entrevu Yeats dès 1921 : « Les meilleurs manquent à toutes conviction tandis que les pires sont pleins d’intensité passionnée ». (…) Certes, ces objecteurs de conscience n’en sont pas devenus pour autant des drop out mendiant leur vie sur les routes. Ils se sont simplement trouvés une niche socioprofessionnelle, qui peut d’ailleurs être confortable, leur évitant de trop exposer leur talent ».



Dès lors il n’est pas étonnant à ne presque plus trouver que de voraces requins et de médiocres intrigants à certaines altitudes.



Une autre hypothèse (qui peut d’ailleurs être cumulative à la précédente) pourrait aussi résider dans l’ivresse éprouvée à respirer l’air des sommets ; se sentir au-dessus de la mêlée et de la plèbe, avec, pour corolaire, un sentiment d’impunité et de puissance difficile à réfréner. 
En guise d’illustration voici un exemple tiré d’un article récent de Mediapart. Gérard Dalongeville y explique aux journalistes « (sa) vérité ». (…) Il explique le fonctionnement de ce « système » et répète que, sans cet épisode judiciaire, il en serait encore l'un des maillons : « On se sent dans une impunité totale. S'il n'y avait pas eu cet enchaînement policier et judiciaire en 2009, on se verrait aujourd'hui dans mon bureau en mairie et je vous dirais que tout va bien dans le bassin minier. » ».
Les auteurs de cette étude vont dans la même direction lorsqu’ils disent : « A second line of reasoning, however, suggests the opposite prediction: namely, that the upper class may be more disposed to the unethical. Greater resources, freedom, and independence from others among the upper class give rise to self-focused social cognitive tendencies (3–7), which we predict will facilitate unethical behavior ».

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Pour finir, on ne peut manquer de songer pareillement à la fable des abeilles. Si les vices privés, selon Mandeville, contribuent tant au bien public – ils en sont même condition sine qua non -, alors se comporter vicieusement, loin d’être répréhensible, serait en réalité une vertu hautement recommandable ; un acte citoyen par excellence !
On voit ou cela peut mener…



Quoi qu’il en soit, nul doute que cette étude n’a pas fini de faire parler d’elle.
Et à parier que quelques magnats dotés en capital ont déjà soudoyés leurs meilleurs mercenaires pour contredire ce travail, tâchant a minima d’obtenir acquittement par vice de procédure. Il y a de bons avocats fiscalistes pour cela.
Une affaire à suivre….

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9 octobre 2011 7 09 /10 /octobre /2011 10:07

Michea-orphee.jpeg

Le dernier opus du très Orwellien Jean-Claude Michéa, « Le complexe d’Orphée » vient de paraître aux éditions Flammarion. Son sous-titre, « La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès », donne le ton. Il s’inscrit, dit-on, dans la lignée de ses derniers - et stimulants - essais, « L'Empire du moindre mal : essai sur la civilisation libérale » (Climats, 2007), dont j’avais repris de larges extraits sur ce blog, et « La double pensée. Retour sur la question libérale », (Flammarion, 2008).

 

Je l’ajoute à la (longue) liste de mes prochaines lectures.

 

Mais en attendant, voici en hors d’œuvre l’auteur invité aux matins de France Culture. Il est interrogé, outre Marc Voinchet (le préposé aux réveils en douceur que je n’écoute habituellement pas), par le pugnace transfuge de l’émission désormais moribonde, Du grain à moudre, je veux citer Brice Couturier. En renfort (enfin façon de parler), le falot Jacques Julliard, traînant ici encore ses guêtres sans doute parce ce qu’il faut atteindre le quota de ‘seniors’ sur les ondes…

 

Au-delà de l’actualité politique immédiate et de sa savoureuse critique du ‘nomade Attalien’, les thèses proposées par Jean-Claude Michéa sonnent bien souvent justes, et, en tout état de cause, élargissent indubitablement le champ de la réflexion.
(Juste un petit bémol en ce qui me concerne pour cette profession de foi qui voudrait voir la ‘common decency’ plus développée dans les classes populaires qu’ailleurs ; même en l’expliquant par la strict nécessité…)

 

La thèse charnière de ce dernier livre, voit dans l’affaire Dreyfus un point de bascule historique : « ce qui m’a toujours frappé dans le principe des primaires, c’est que cela revient à diviser la société entre un peuple de gauche et un peuple de droite (…) et c’est notion de peuple de gauche opposé au peuple de droite, descendants des sans-culotte face aux descendants des chouans, qui s’est mise en place après l’affaire Dreyfus, et qui m’intrigue parce qu’elle veut dire d’une certaine manière : l’ouvrier qui vote à gauche sera toujours plus près d’un banquier de gauche, ou d’un dirigeant de gauche du FMI, que l’ouvrier, l’employé, le paysan, le petit entrepreneur qui vote à droite.  Or, avant cette mise en place de l’opposition gauche / droite telle qu’elle va prendre un sens nouveau après l’affaire Dreyfus, quand on regarde quelle était la classification politique tout au long du XIXe siècle, il s’agissait moins d’opposer la gauche à la droite que les classes populaires ou le prolétariat aux classes dominantes, bourgeoises ou débris de la féodalité.  Donc tout ce qui revient à dire que l’opposition n’est pas entre les classes populaires et les minorités privilégiées et qui contrôlent largement l’information, etc. mais, au fond, c’est une coupe transversale qui met une partie de la classe dominante et du peuple contre une partie de classe dominante et du peuple, ça c’est précisément ce contre quoi j’ai écrit

 
A écouter également (vers 43ieme mn) sa critique des techniciens du lien social et autres experts.

 

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17 septembre 2011 6 17 /09 /septembre /2011 19:08

Il y a quelques jours de cela un collègue de travail m’a rapporté qu’un individu en fort d’inspiration avait eu l’idée originale de mettre en musique le marché. Littéralement. Le procédé à ce que j’en ai compris consiste, à partir du mouvement brownien sur telle ou telle valeur boursière, de tirer en temps réel au travers d’un algorithme adapté une note de musique (hauteur et durée). Puis une autre. Et ainsi de suite. Le dispositif étant relié à un synthétiseur…
Nul doute que l’effet produit par la mise en symphonie d’une telle partition ne fasse sur les oreilles une impression tout à fait saisissante.


cours_bourse_htc_06-04-11.pngImaginons dans cette veine, par exemple, à quoi pourrait ressembler une pièce musicale avec les différents fûts, cymbales et autres percussions d’une batterie, reliés à l’évolution des salaires des ouvriers, employés, enseignants et autres préposés d’usines ou de supermarchés. Il est fort à parier que sur un tempo atone nous aurions là un rythme fort monocorde, voire hypnotique, tout à fait propice à l’endormissement des classes laborieuses. Ajoutons-y les salaires des patrons du CAC 40 ou encore les profits de multinationales portés par les dérégulations, les plans sociaux et autres vilenies que permettent l’exploitation de la misère mondialisée ; relions-les à un pipeau électronique de notre choix. Nous obtenons ici un crescendo bien vite insupportable. Mais l’effet désastreux ne sera que de courte durée, la note infâme se perdant tout aussitôt dans les ultrasons d’où elle ne sortira plus. Nous revoici à notre point de départ.

  

Il est possible de perfectionner le système, de lui conférer du relief même en associant à la mélodie autant de petits bruits, vivats, éructations et cris que l’on voudra. Pour ce faire, la technique du ‘sampling’ basée sur les ordres boursiers échangés sur quelques millisecondes, fera l’affaire. Calqué sur la méthode bien connue des musiciens, et qui consiste à prélever dans une partition existante un bref passage, de le triturer de toutes les manières possibles (coupes, boucles et effets de toute nature : de la distorsion à la réverbération…)
Nous voilà mieux servis. Mais il manque toujours à cette mécanique l’essentiel. La voix et le texte.

  

Sans doute y a t-il quelques grossièretés à associer les mots sublimes du poète à ce qu’il y a de plus vil, de plus sordide  en notre société. Mais n’est-ce pas le propre de nos époques ? Entre pornographie et pudibonderie sur fond de guerres éthiques / ethniques - massacres contre le concept de terrorisme… Un monde dégorgeant de cynisme – le mot est pris ici dans son acception la plus vulgaire.
N’empêche !

 

« A moi. L'histoire d'une de mes folies. Autoportrait-en-pied-de-Rimbaud-au-Harar----dans-un-jardin.jpg

Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne.

J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.

Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de mœurs, déplacements de races et de continents : je croyais à tous les enchantements.


J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.

Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges ».

(Rimbaud)

 

Avidité non démentie.
On le sait, Keynes fut poussé à l’eau lors d’une promenade du côté de Giverny par la main invisible du marché fantasmée de toutes pièces par le perruqué Adam Smith. Il s’y noya, la bouche pleine de nymphéas bleus. On invente les idoles que l’on peut…
Aujourd’hui je découvre que pour les traders et autres aficionados des cours de bourse c’est la journée des « quatre sorcières ». L’indice a fini, comme il se doit, dans le rouge… Carmin… Le sang des innocents, ceux-là même pour qui sonne le glas.
Religiosité, et partout cette même pensée magique !

 

Musique dodécaphonique, réseaux de neurones artificiels, avec pour seule logique la maximisation du profit sur fond de désespérance absolue (l’argent, s’il rachète soit disant les péchés, malgré toutes les greffes d’organes, pilules de jeunesse et autres anxiolytiques, n’empêche pas moins de mourir)….

 

Marché de la musique : marche funèbre.
Te deum des pauvres : à tous les croyants victimes de l’injustice céleste.
Je vous laisse imaginer le reste.

 

Quoi qu’il en soit, cela ouvre des perspectives aux artistes en mal d’inspiration.

 

 

 

Pour contribution à ce bal des fous, voici ci-dessus un petit montage, réalisé sur l’un de mes anciens morceaux, à la suite de l’article « le miracle indien », alors qu’en mes oreilles résonne « Passengers » de Deftones. Je ne peins pas l’être, disait Montaigne, mais le passage. 

 

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19 mars 2011 6 19 /03 /mars /2011 17:09

Fukushima - centrale nucléaire

  

A l’heure ou les liquidateurs japonais dans une course contre la montre, et au péril de leur vie, tentent de refroidir les réacteurs éventrés de la centrale nucléaire de Fukushima, le monde s’affole.  

 

 

Comment l’impossible a-t-il pu survenir ?  

Il aura fallut, pour en arriver là, un monstrueux séisme d'une magnitude de 8,9 suivi d'une forte réplique de 7,4. Le Japon n’avait jamais connu, ni anticipé, un tremblement de terre d’une telle ampleur. Et personne n’avait prévu qu’une telle secousse tellurique puisse produire un tsunami avec des vagues hautes de près de 10 mètres. Mais les mots sont abstraits ; il est très difficile, sauf à y être confronté, de se représenter véritablement la puissance de tels phénomènes, même au travers de vidéos telles celles circulant actuellement sur la toile. 

 

 

 

Nul n’avait non plus cru possible un tel enchaînement d’accidents graves sur une même centrale nucléaire. Pour rappel, il y a tout juste une semaine se produisait une explosion dans les bâtiments du réacteur N°1. Deux jours plus tard survenait une autre déflagration, cette fois dans les locaux abritant le réacteur N°3. Ensuite, il se produisit mardi dernier une nouvelle explosion dans le bâtiment du réacteur N°2, occasionnant deux brèches de huit mètres de large dans l'enceinte extérieure du bâtiment. Comme si cela ne suffisait point, une autre déflagration d’hydrogène déclencha un incendie dans le réacteur N°4, alors à l’arrêt pour maintenance.

 

Une telle conjonction d’événements, tous plus improbables les uns que les autres, font immanquablement songer aux Cygnes noirs décrits par Nassim Nicolas Taleb, concept qui existe au moins depuis l’antiquité romaine, et qu’il a repris et développé avec succès dans son essai éponyme. En bref, le Cygne noir consiste en une théorie selon laquelle un événement imprévisible a une faible probabilité de se dérouler. Mais s'il se réalise, les conséquences qu’il engendre ont une portée considérable et exceptionnelle. Pour reprendre la terminologie de N.N Taleb, le domaine du Cygne Noir se situe dans une zone située dans le quatrième cadran d’une matrice qui conjugue Extrêmistan et complexité de l’exposition. Jean-Pierre Dupuy ne dit pas autre chose, lorsqu’il écrit : " Le problème des coûts et des avantages à quoi se résume la leçon principale de la théorie en question (théorie économique enseignée dans les écoles d’ingénieurs) n’est d’aucun secours lorsqu’il s’agit de multiplier une probabilité infinitésimale par des conséquences infinies ". On encore : " Il existe des actions ou des faits qui ont une probabilité extrêmement faible de produire un effet considérable. Parce qu’elles sont insignifiantes, un calcul moral ou rationnel devrait-il tenir ces probabilités pour nulles ? ".

Quadrans

 

Mais au-delà des apparences, à propos du nucléaire et des risques qu’il fait courir au vivant, peut-on véritablement parler de Cygne noir lorsque survient de telles catastrophes (nous en sommes tout de même au troisième incident majeur) ? Force est de répondre par la négative.

 

En France, on voit depuis une semaine nos politiques (ceux aux commandes de nos destinées) s’agiter en tout sens ; et de promettre sur le vif, la main sur le cœur et la mine grave, des contrôles et des mesures de sécurités renforcées sur nos vieilles centrales. Et de nous assurer au passage qu’un tel événement est impossible en chez nous. Ils communiquent et rassurent. Bref désinforment tant qu’ils peuvent, particulièrement en France, le pays le plus nucléarisé au monde avec les Etats-Unis et le Japon précisément. La cohorte des experts autorisés - jamais indépendants - déferle sur les médias, tant ceux du domaine public, assujettis à l’oligarchie que ceux inféodés aux amis du pouvoir, pour s’adonner à l’art de la paraphrase, sophistique éprouvée les faisant faire du commentaire de texte autour des dépêches Reuters, rafistolant au passage leurs conjectures, hypothèses et autres élucubrations, à l’aune de l’évolution du réel.

 

Mais plus que ces gesticulations prévisibles, c’est le cynisme ambiant qui est révoltant ; cet espèce d’utilitarisme de bazar visant à la minimisation de l’importance morale de la catastrophe doublé d’une incapacité à tirer les leçons du passé.

Que n’ai-je donc point entendu ces jours derniers… Ces antiennes chantées sur tous les tons, par des gens qui pourtant, a priori, n’ont aucun intérêt personnel dans l’énergie nucléaire, ni n’ont rien de particulièrement " monstrueux ".

Tu veux t’éclairer à la bougie peu être ? " ; " Le risque zéro n’existe pas…".

 

Dupy JP - TchernobylC’est dans cet état d’esprit que j’ai exhumé de ma pile de livres en attente de lecture, et que j’ai lu, le témoignage de Jean-Pierre Dupuy, " Retour de Tchernobyl, journal d’un homme colère ", paru en 2006 à la suite d’une mission qu’il a effectué sur le site de Tchernobyl en août 2005. Toutes les questions essentielles sont posées et l’analyse est imparable… Et comment ne pas lui donner raison lorsqu’il écrit : C’est à tort que l’industrie nucléaire se félicite que Three Mile Island ne soit pas devenu un Tchernobyl, et que Tchernobyl n’ait pas fini en explosion atomique. Ces catastrophes majeures qui n’ont pas eu lieu à un near miss près sont la seule garantie que nous ayons que l’industrie trouve la sagesse et la volonté de les éviter. L’industrie est la première à reconnaître qu’elle prend le chemin opposé, malgré Three Mile Island, malgré Tchernobyl. Ce qui ne signifie qu’une chose : ce pire que le sort lui a évité, elle ne le tient pas pour réel, simplement parce qu’elle n’a pas eu lieu. C’est une faute gravissime ". Le plus effarant c’est que " dans son livre ‘Hiroshima est partout’, Anders nous fait voir la vision la plus accomplie du mal, un mal qui n’est le produit d’aucune intention de faire le mal (…) si ces catastrophes se présentent comme quelque chose qui nous dépasse et que nous refusons de voir, ce n’est pas qu’elles sont une fatalité ; c’est qu’une multitudes de décisions de tous ordres, caractérisées davantage par la myopie que la malice ou l’égoïsme, se composent en un tout qui les surplombe. " Pour dire court, et selon la leçon d’Ivan Illich qui fut l’un des maîtres de Jean-Pierre Dupuy : " les plus grandes menaces viennent aujourd’hui moins des méchants que des industriels du bien ".

 

Sur le cynisme pratique dont font preuve d’ordinaire moult de nos contemporains, animés par le soucis d’éviter à tout prix les questions dérangeantes susceptibles de remettre en cause leur routine confortable, Jean-Pierre Dupuy s’y est naturellement trouvé confronté à son retour de Tchernobyl. En voici un mince aperçu : (tel) " fait remarquer qu’on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. Cette stratégie a ses lettres de noblesse philosophiques : ce que nous appelons le mal relève du domaine de l’apparence car, pour celui qui sait voir, ce prétendu mal contribue à la maximisation du bien dans le meilleur des mondes possibles. La civilisation technologique ne peut pas se passer du nucléaire et les risques qui pèsent sur celui-ci sont le prix que nous devons payer pour nourrir la croissance ". (Tel autre) " relativise l’importance quantitative. Qu’est-ce donc, dit-il, que ces quelques dizaines de milliers de morts au passif de la seule catastrophe nucléaire de l’histoire si on les compare au nombre total des victimes des catastrophes minières ? " (Un autre) " va beaucoup plus loin. Acceptant pour les besoins du raisonnement que Tchernobyl est bien responsable de 40.000 morts, il n’hésite pas à les comparer aux 2 millions de cancers mortels que la nature aura provoqués dans la population des zones contaminées, pour conclure que les conséquences de l’accident sont négligeables. Sur sa lancée, il ose même mettre en rapport les victimes de Tchernobyl avec les 6 millions de paysans ukrainiens que Staline a délibérément condamnés à mourir de faim. Ne sachant quoi lui répondre, je l’abats d’une balle de revolver : quelle importance puisque après tout il faut bien mourir de quelque chose ". Il y a de quoi susciter la nausée. Mais, constate Jean-Pierre Dupuy, aucune de ces personnes n’arrive néanmoins à la cheville des technocrates onusiens. Et voici ce qu’un comité d’expert scientifiques, parlant au nom du Commissariat à l’énergie atomique a rédigé, " sans que personne, semble-t-il, s’en émeuve : ‘l’accident de Tchernobyl n’a eu aucune conséquence statistiquement observable sur la santé dans notre pays’. Pour bien saisir l’imposture que représente cette assertion, il suffit de transposer dans le domaine du vote. On obtient : ‘Lors du référendum français sur le projet de Constitution européenne, 29 millions de votants n’ont par leur vote produit aucune conséquence statistiquement observable sur le résultat final’. Vraie de chacun des votes pris individuellement, cette proposition devient absurdement fausse lorsqu’on l’applique au niveau collectif. On s’esclafferait si le tour de passe-passe n’était pas aussi révoltant " .

 

Sur la science, Jean-Pierre Dupuy, fait remarquer que loin d’être neutre, elle est au contraire porteuse d’un projet. Mais, s’interroge-t-il avec justesse, " la science doit-elle être une arme dans la concurrence féroce que se livrent les peuples à l’échelle de la planète ? ". Et de se souvenir " des cris d’admiration obscène des officiels et des journalistes devant le premier champignon atomique réussit par la France. Il n’était question que de valeurs républicaines, de patriotisme et de respect pour le pouvoir de la science ". Il note d’ailleurs que la spécialisation à outrance dans le domaine scientifique conduit à une profonde inculture scientifique de la plupart des scientifiques ", les rendant souvent incapables d’un retour réflexif sur ce qui dépasse leur spécialité, voire ce qui constitue même leur cœur de métier. " La science hyper-concurrentielle, donc hyper-spécialisée, est tout sauf une activité culturelle ".

 

Nous savons, mais ne croyons pas ce que nous savons ", pourrait être l’amère conclusion de ce livre tant visionnaire que d’une brûlante actualité. Ce témoignage est à méditer en profondeur. Et s’il se dégage à la lecture de l’ouvrage un légitime sentiment colère, loin de se résoudre cependant à un pessimisme désespéré, l’auteur escompte bien nous dessiller les yeux avec le concept de catastrophisme éclairé " qu’il a développé avec bonheur dans l’essai éponyme paru en 2002 ; et il faut entendre ici le catastrophisme éclairé  comme posture métaphysique à faire sauter ce verrou que constitue le caractère non crédible de la catastrophe ".

Nous n’en prenons, hélas, pas pour l’heure le chemin. Et si, quelque soit l’issue de Fukushima il est à craindre que l’apprenti sorcier prométhéen qui sommeille en la plupart d’entre-nous prenne le dessus, lorsque l’impensable devient possible il n’est plus temps de renoncer à tenter de renverser ce qui semble prendre l’allure d’un destin collectif.

 

L’ennemi c’est nous.

Reste à voir, pour reprendre les termes d’un article d’Ernest Partridge de 2008, si l’être humain est réellement capable d’utiliser son savoir ainsi que sa capacité à se projeter dans l’avenir pour choisir, parmi les options se présentant à lui, celles assurant sa pérennité. Jarred Diamond, dans " Effondrement " a montré qu’il n’en était parfois rien, en témoigne les exemples bien connus des habitants de l’île de Pâques, ou celui des vikings du Groenland.

Désormais nous sommes tous embarqués sur le même navire et les vents radioactifs ne s’arrentent pas aux frontières, sauf évidemment dans les songes des thuriféraires du Progrès à tout prix ou dans les discours de la propagande politique.

L’avenir dira si nous valons finalement mieux que la levure ou les mouches à fruits. 

 

   

 Centrales Nucleaires dans le monde

  


VIDEO

Courons nous à la catastrophe ?

Jean-Pierre Dupuy, Isabelle Stenger, Yves Citton sur le plateau de Frédéric Taddeï

(cliquer sur l'image)Jp dupuy

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16 octobre 2010 6 16 /10 /octobre /2010 09:28

Diffusé cet été sur les ondes de France Culture, dans le cadre des " Rencontres de Pétrarque ", voici la transcription de l’essentiels de la passionnante contribution de Jean François Bayart en réponse à la question : En qui peut-on avoir confiance? (Experts de crise, crise des experts).


Grand débats contemporains

(Août 2010)

 

Rencontres de Pétrarque:

 

Troisième débat des XXVe rencontres de Pétrarque sur le thème En qui peut-on avoir confiance?

  

Jean François Bayart

Son blog : http://www.mediapart.fr/club/blog/jean-francois-bayart


  

L’expertise scientifique : Experts de crise, crise des experts

 

  Jean-francois-bayart

[…] Il faut faire une petite clarification sémantique, et il faut distinguer entre le professeur qui transmet un savoir, le chercheur qui produit du savoir et l’expert qui utilise un savoir – commissionné par une entreprise, une administration, éventuellement une organisation non gouvernementale, pour utiliser son savoir afin de répondre à un certain nombre de question qui lui sont posées. Naturellement de ce point de vue, l’expert convertit sa compétence en autorité, ou en pouvoir. Cet expert également contribue à la dépolitisation de la question qui lui est posée, puisque de politique cette question va devenir technique ou cognitive. Il y a donc trois fonctions différentes, étant entendu que le même individu peut alternativement dans sa carrière, ou dans sa semaine, exercer les trois fonctions. […] Les publics sont différents. Lorsqu’on a sa casquette de professeur nous nous adressons à des étudiants, éventuellement lorsqu’on fait de la formation continue ou de l’université populaire, à un public plus large. Le chercheur quant à lui s’adresse d’abord à sa communauté scientifique, avec son jargon, ses références, ses problématiques, et éventuellement, lorsqu’il estime avoir suffisamment avancé dans sa spécialité, il peut en dispenser les principales conclusions sur les ondes et dans les médias. Cela fait partie de ce qu’il doit faire dans son métier. L’expert lui travaille pour la personne qui l’a commissionnée, pour le commanditaire à qui il remet son rapport et le commanditaire est propriétaire de ce produit. Ce dernier, qu’il soit décideur politique, entreprise ou ONG, décide soit de diffuser selon son propre agenda ce rapport, soit de le mettre dans un placard. […]

 

Il y a aujourd’hui une espèce de basculement, depuis une vingtaine d’années, qui consiste en un évidemment de la recherche (publique et fondamentale) au profit de l’expertise. Ce basculement s’effectue de deux manières : tout d’abord il y a un tarissement des chercheurs, qui sont des fonctionnaires, donc évidemment c’est l’épouvante de l’épouvante, et il convient de réduire leur nombre par deux, et il se trouve que la pyramide des âges au CNRS est particulièrement propice à ce dégraissage. Il convient de remplacer les chercheurs statutaires par des précaires, voire des intermittents de la recherche au service de, par exemple des présidents d’universités, qui de plus en plus se pensent comme des managers ou comme des patrons, et qui s’affranchissent de toutes ces règles très contraignantes de collégialité, mais qui précisément assurent l’existence et l’indépendance de l’institution scientifique. La deuxième facette de ce basculement, c’est la contractualisation des financements. C’est-à-dire que là où jadis on finançait des laboratoires, des institutions sociales de recherche publique, on va financer des projets qui sont des projets finalisés. Les dangers de ce glissement de la recherche à l’expertise sont au minimum au nombre de cinq.

 

Premier danger, le risque du tarissement ou du rabougrissement des questions scientifiques. Ce qui fait avancer la science, c’est la théorie. Et la théorie est complètement invendable, parce qu’elle est incompréhensible à la quasi totalité du public, et même parfois des chercheurs eux-mêmes.[…]

Deuxième danger, c’est l’orientation des recherches par les commanditaires de l’expertise, qui naturellement ne sont pas redevables à la neutralité axiologique, et qui vont faire avancer leurs propres intérêts catégoriels (intérêts d’administrations, d’entreprise privée, etc.)

Troisième danger, le tarissement du débat public, parce que le chercheur est payé par le contribuable, et son rôle est naturellement de faire une recherche qui soit au service de l’ensemble de la société, et de faire connaître cette recherche. On le voit très bien sur une question d’actualité : aujourd’hui vous ne pouvez plus avoir de débat public en France sur la question très délicate de la prolifération nucléaire en Iran car ce débat est entièrement capté par experts, et que toute parole en contradiction avec ce que la toute petite communauté d’experts délivre, tout propos dissident est immédiatement stigmatisé (Munichois, défaitiste, à la solde de l’ennemi).

Quatrième danger, la remise en cause de l’indépendance. Si la recherche médicale est financée par des laboratoires privés, bien naturellement elle risque la marchandisation, et on l’ a bien vu au moment du débat sur la grippe A, mais c’est vrai aussi de la recherche en sciences sociales, par exemple, de la recherche sur les relations internationales. Tout d’abord vous avez des sujets qui sont vendables et d’autres qui ne le sont pas. De même que l’on parle de maladies orphelines, délaissées par la recherche parce que elle ne présentent pas d’intérêt pharmaceutique considérable, et bien vous risquez d’avoir des sujets orphelins. Il y a tout l’effet pervers de la mise en concurrence. Théoriquement l’idéal était quand même une mutualisation des connaissances, une certaine forme de générosité intellectuelle, et les coups de pieds dans les tibias on se les donnaient sous la table, pas de manière avérée, alors qu’aujourd’hui la concurrence, y compris celle entre universités, est érigée en règle et il faut penser Coporate, comme on nous le dit en franglais, il faut penser nos université comme des entreprises : Paris I contre Science Po. Science Po contre Paris I, par exemple. Dans le risque de la marchandisation il y a aussi le risque de la cavalerie : à partir du moment ou vous tirez des sous de votre expertise, et bien naturellement vous avez tendance à faire marcher les compteurs, et il y a une très belle définition de l’expert que nous donnait Michel De Serto dans " l’invention du quotidien " en 1980 : L’expert est comme Félix le chat, ça fait déjà pas mal de temps qu’il marche dans le vide quand il s’en aperçoit. […] Au pire il y a le risque de la prostitution politique, et le chercheur se mettant au service d’intérêts soit privés, soit politiques.

 

Nous nous acheminons vers un gouvernement des experts, qui peut être un gouvernement par les chiffres, et là il ne faut pas se leurrer sur la pertinence des chiffres. Les chiffres sont toujours construits idéologiquement et politiquement. Ils sont parfois même négociés, et l’union Européenne en est un exemple parfait. Nous avons naturellement jeté la première pierre sur la Grèce, mais nous savons très bien que tous les pays de l’union européenne, à commencer par la France, ont tripotés les critères de Maastricht. […] Gouvernement, où plutôt gouvernance, car bien évidemment on ne veux pas prononcer de gros mot s, notamment ceux de politique et de pouvoir ; gouvernance par des communautés transnationales d’experts qui échappent complément à l’ordre des valeurs, de la responsabilité ou de la représentation politique, et je crois que le principal effet du gouvernement des experts c’est la dépolitisation. Des questions éminemment politiques qui renvoient à des problèmes de valeurs, de choix politique, d’éthique, sont technicisées, restituées en chiffres sous forme d’équations, et sous des aspects d’objectivité et de non contestabilité (il est illégitime de les discuter, et si on les discute c’est qu’on est un arriéré). Nous nous dirigeons vers un ordre unidimensionnel, et c’est à dessein que je cite un très beau livre de philosophie politique, " l’homme unidimensionnel " de Marcuse, qui est bel est bien cet homme d’un monde très largement castré, déconnecté du débat politique et du débat de valeur, et je crois que c’est un des enjeux fondamental que pose la question de ce débat de ce soir. 

 

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6 septembre 2010 1 06 /09 /septembre /2010 09:56

Foire aux moulesDimanche ensoleillé ; paisible tandis que la frénésie accapare bien des esprits. Incessant va-et-vient de la foule innombrable, au loin sur l’autoroute. Tant la braderie de Lille attire de désœuvrés… On se rue sus à l’événement sans trop savoir pourquoi ; par habitude, par nécessité de s’affairer. Il m’est arrivé, plus jeune, de céder aussi, plus qu’à mon compte, à l’injonction impérieuse de ce bougisme pathologique ; encore que je trouvais là quelques motifs bien déterminés qui pouvaient faire illusion. Mais ces intérêts évaporés, après une ou deux tentatives où je n’éprouvais plus que lassitude un peu triste, un sentiment d’absurde tenace, je suspendis le rituel adoré jadis. Cependant, je doute fort que la plupart de ces millions de gens, rassemblés en grappes immenses et poussés sans discontinuer dans les rues par de nouveaux contingents de badauds frénétiques déversés par les bouches du métro, aient encore de bonnes raisons de souscrire toujours à cette messe gargantuesque ; sauf à justifier de la sorte un sentiment d’intense vacuité.

 

Ce que je ne savais pas, c’est que l’origine de cette braderie de Lille était à chercher au moyen âge. Et si, par manque de documents on ne peut pas véritablement en dire beaucoup plus, sauf à broder, il est au moins attesté que cette manifestation se transforme peu à peu " en vide-grenier au début du XVIe siècle, lorsque les domestiques obtinrent le droit de vendre les objets usagés de leurs patrons entre le coucher et le lever du soleil "(1). Depuis lors, les temps ont bien changés, et entre les camelots itinérants professionnels, les enseignes de grande distribution qui trouvent là prétexte à ouverture dominicale et autres patentés vendeurs de babioles produites industriellement, bien hardi ceux parviennent encore aujourd’hui à dégotter l’objet rare sorti tout droit du grenier de grand-mère. Après, on peut bien déplorer, comme ce chroniqueur en 1873, " que l'esprit braderie est en train de disparaître ". Mais encore eut-il fallut qu’on définisse et fixe cet esprit ; entreprise vaine s’il en est.   

 

Ce qu’arbitrairement je retiens quant à moi, c’est ce tableau de Watteau, achevé en 1800, avec Lille représenté beau comme Venise. Méfions-nous ainsi des représentations idéales. Et pour les amateurs d’histoire et de chiffres, je renvoie à la source cité en note de bas de page.

Watteau---Braderie-de-Lille.jpg

 

Enfin, face à ceux, et ils sont légion, qui la larme à l’œil invoqueront toujours la mémoire d’un événement populaire, une belle tradition à préserver, où la convivialité embrasse la bonne humeur sur la bouche – à croire qu’ils n’ont jamais croisé ces viandes avinées roulant dans les caniveaux sur les débris des bouteilles qu’ils ont fracassés, il se trouvera toujours quelques grincheux dans mon genre pour casser l’ambiance ; d’invétérés fâcheux, donneur de leçon et soupçonnés de misanthropie. Que les thuriféraires de la foire aux moules se rassurent, la " tradition ", surtout si elle fait de l’argent, gagne toujours. Et à l’instar de ces défenseurs à courte vue du Paris – Dakar, se presseront ici cohorte de doctes analystes pour démontrer que l’affluence et le regain d’intérêt pour ce qui n’est plus qu’un un monstrueux supermarché à ciel ouvert, transformant chaque année le cœur de Lille en grosse poubelle, est la conséquence directe de la dénonciation radicale de la société de consommation.

 

Permettez-moi juste d’en rire avant de m’en retourner à mon jardin, où, dans l’alentour du soleil, haut dans le ciel, une buse cherche – et trouve – des courants ascendants tandis que des bandes d’hirondelles de cheminées tournoient en piaillant, fébriles au dessus de mon toit. Ca sent le départ pour la grande migration…. Et oui, aujourd’hui je ne sacrifie pas au salariat, puisque la seule retombée directe pour moi de cette orgie lilloise, c’est que le lundi suivant la braderie m’est un jour férié. Un avantage acquis comme on dit… Ah ces vertu de la tradition !

  RueFaidherbe - Braderie de Lille 2005 (cliquer sur l'image pour la source)


 

(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Braderie_de_Lille

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  • : Blog généraliste ou sont évoqués tout aussi bien des sujets sociétaux qu’environnementaux ; s’y mêlent des pérégrinations intempestives, des fiches de lectures, des vidéos glanées ici et là sur la toile : Levi-Strauss, Emanuel Todd, Frédéric Lordon, etc. De la musique et de l’humour aussi. D’hier à aujourd’hui inextricablement lié. Sans oublier quelques albums photos, Images de châteaux, de cités décimées, et autres lieux ou s’est posé mon objectif…
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