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5 juillet 2012 4 05 /07 /juillet /2012 20:08

.Ci-dessus : John Ellis

Dans le glossaire de son Discours sur l’origine de l’univers à l’entrée Boson de Higgs’ Etienne Klein indique : « Particule, non encore découverte, dont l’existence permettrait d’expliquer comment les particules ont acquis leur masse. Le boson de Higgs pourrait être détecté grâce au LHC, le puissant collisionneur de protons qui a été mis en service au CERN au début de l’année 2010. »

 

CERN.JPGOr voilà que les scientifiques du CERN viennent précisément d’annoncer la découverte cette particule, et cela avec une marge d’erreur infinitésimale. Déjà certains n’hésitent pas à claironner avoir mis la main sur le chaînon manquant expliquant les tout premiers instants de l’univers.

 

Mais quels sont les enjeux d’une telle découverte ?

 

Voici les explications d’Etienne Klein :

« La masse des objets matériels qui nous entourent semble leur être consubstantiellement liée : nous éprouvons la même peine à nous figurer ce que pourrait bien être un corps matériel sans masse qu’à imaginer une masse pure qui ne s’incarnerait pas dans un corps. Comme si en notre esprit les notions de matière et de masse allaient toujours de pair, participaient l’une comme l’autre de la même idée de ‘substance’ (…)

Mais il faut se méfier de ce type de raisonnement, rapide, abrupt, car depuis Galilée, la physique n’a cessé de plaider pour que les idées les plus incontestables en apparence soient systématiquement interrogées, critiquées, testées. (…) Des renversements conceptuels sont toujours possibles, d’autant que certains argonautes de l’esprit ont envisagés que la masse, au lieu d’être une propriété des particules élémentaires, une caractéristiques qu’elles porteraient en elles-mêmes, pourrait n’être qu’une propriété secondaire et indirecte des particules, résultant de leur interaction avec… le vide quantique ! (…)

D’où leur est venue pareille idée ? Pour traiter les interactions, le modèle standard de la physique des particules s’appuie sur un certain nombre de principes de symétrie, fort efficaces et forts élégants, mais qui posent un problème irritant : ils impliquent que toutes les particules élémentaires doivent avoir… une masse nulle ! (…)

Du fait de cette contradiction flagrante entre la théorie et l’expérience, le modèle standard mériterait-il qu’on le jette immédiatement aux oubliettes ? Non, ont expliqués trois physiciens dans les années 1960, qui ont fini par convaincre leurs collègues : François Englert, Robert Brout et Peter Higgs. Leur idée est que les particules élémentaires de l’univers sont en réalité sans masse, mais heurtent sans cesse des ‘boson de Higgs’, présents dans tout l’espace, ce qui ralentit leurs mouvements de la même façon que s’ils avaient une masse ».

Bson-higgs.JPG  Higgs-B.png

Et Etienne Klein d’expliquer ensuite que grâce au fameux LHC, capable de mobiliser des niveaux d’énergie jamais atteint, si boson de Higgs il y a, la machine du CERN le détectera immanquablement. Ce qui semble venir de se produire !

 

Il ajoute : « Si elle est confirmée par l’expérience, cette compréhension de l’origine de la masse modifiera complètement notre façon de penser ladite masse : ce ne sera plus une propriété primitive des particules, mais une propriété secondaire, dont l’explication s’appuiera sur l’invocation d’une entité physique, certes d’apparences très abstraite mais en réalité parfaitement immanente : le champ de Higgs ».

 

Ces passages sont empruntés au passionnant Discours sur l’origine de l’univers d’Etienne Klein (p 137 à 139), Flammarion 2010.

 

A noter que ce passionné d’anagrammes sera demain l’invité des Matins de France Culture. (Ses étudiants lui ont trouvé un anagramme qui, selon ses propres dires, lui convient plutôt bien : Nein Kein télé… )


 

Autres billets de ce blog où il est question d’Etienne Klein :

 

Des neutrinos supraluminiques aux berlusconettes

Les tactiques de Chronos

 

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30 juin 2012 6 30 /06 /juin /2012 13:35

Dans Continent Sciences du 14 mai dernier, une causerie passionnante autour du dernier livre de Michel Raymond, directeur de recherche en biologie évolutive,  « Pourquoi je n’ai pas inventé la roue ».

 

Michel-rayond---Roue.jpgDes échanges qui donnent belle matière à penser et éclairent, sans l’ombre d’un doute, certains mécanismes sous jacents à l’œuvres dans nos sociétés.
Ainsi, en vrac, la manière dont se ‘reproduisent’ nos élites ; des compétences sociales valorisées à l’école, au travail, etc. ; des méthodes de sélection des individus dans les entreprises, du choix des valeurs auxquels ils adhérent : soumission à l’autorité, motivation, esprit de compétition, flexibilité, etc.
La liste est loin d’être exhaustive….

 

Sur cette façon dont le culturel favorise certains type de comportements, Jean-Léon Beauvois indique : « Les gens ont tendance à mettre sur le compte de leur nature, des comportements, des pensées, des émotions, des performances, alors qu’on l’explique parfaitement par le rôle qu’ils doivent jouer et les situations dans lesquelles ils se trouvent pour joueur ce rôle. C’est le cas par exemple de ces élèves qui se jugent comme des battants, des leaders, des guerriers, tout simplement parce qu’ils sont dans une condition pédagogique ou on attend ça d’eux ».

 

De même Guillaume Paoli, qui a sans doute mis le doigt sur le pourquoi tant de médiocrité dans la conduite des affaires publiques, ou au sommet des firmes : « Ma thèse est qu’il existe un auto-écrémage spontané des intelligences laissant au petit-lait le soin d’accéder au sommet des organisations. Comme l’avait entrevu Yeats dès 1921 : « Les meilleurs manquent à toutes conviction tandis que les pires sont pleins d’intensité passionnée »».
Elevage social, dressage à la docilité… Selon.


 

Mais revenons en à cet entretien. En voici quelques fragments, sous la forme d’une collection d’exemples :

 

Moustiques et DDT
Quand on a trouvé les propriétés insecticides du DDT – la personne responsable a même eu le prix Nobel – on croyait vraiment à l’époque qu’on allait éradiquer les moustiques et tous les insectes nuisibles. C’était l’euphorie de l’après guerre mais on a vite déchanté parce que lorsqu’on traite des populations avec un nombre d’individus énormes la variation qu’il y a est telle que l’on sélectionne immédiatement des individus qui sont résistants. Et donc en traitant avec un insecticide, on sélectionne pour la résistance à cet insecticide, on avantage les individus qui ont une petite résistance, et l’histoire peut être même plus complexe, puisque plusieurs gènes de résistance peuvent intervenir (….). On se retrouve ensuite avec une complète résistance et l’insecticide ne sert pratiquement plus.

 

La sélection domestique ou sélection naturelle ?
A) Le renard argenté7982_renard_enfant_14.jpg
C’est une expérience qui a été faite en Russie au milieu du XXe siècle. Ils ont décidé de faire une expérience de domestication contrôlée. C’est-à-dire qu’ils ont pris des renards argentés sauvages, ils les ont mis dans des cages et il y avait une espèce de protocole : un homme s’approchait de la cage, et tous les renards qui ne fuyaient pas en deçà d’une certaine ligne étaient retenus. Donc c’était une sélection. Et petit à petit ils ont sélectionnés comme ça un comportement qui était de moins en moins fuyant vis à vis de l’homme. Il y avait une variation, c’est-à-dire que les renards s’éloignaient plus ou moins de l’homme dans ces moments là ; ces comportements avaient une base génétique, et donc ils étaient transmis, et l’homme, qui contrôlait la reproduction, ne faisait se reproduire que les renards qui avaient le comportement le plus proche de ce qu’ils souhaitaient. En quelques générations – quelques dizaines – cela a donné des renards extrêmement doux, qui se sont mis à aboyer et à remuer de la queue.

 
B) Rats
evil_rat_by_vilebedeva-d49svnm.jpgSur le rat on a fait l’expérience sur deux lignées. Il y avait le test de la main dans la cage. Ceux qui se laissaient caresser étaient retenus pour la lignée domestique, et ceux qui étaient le plus agressifs pour la lignée la plus agressive. Et effectivement, à la fin il fallait un gant en cotte de maille, parce que cela donnait des rats extrêmement agressifs.

Dans ces exemples c’est une sélection faite par l’homme mais c’est une sélection naturelle ; sauf que c’est l’homme qui contrôle la reproduction et qui décide quel animal va se reproduire. La différence entre la domestication et la sélection naturelle, fondamentalement il n’y en a pas. C’est le même processus, sauf que pour la domestication, l’homme contrôle la reproduction.

  

Nature vs culture
Il n’y a pas une opposition frontale entre l’évolution culturelle et l’évolution génétique, mais on voit qu’il y a plutôt coévolution.


Du cru et du cuit    (voir notamment les écrits de Lévi-strauss) Feu-prehistoire.jpg
L’origine du feu c’est entre 400 et 800.000 ans. Avoir la trace d’un foyer domestique c’est difficile, mais l’utilisation du feu comme cuisson des aliments c’est plus récent ; c’est aux alentours de 200.000 ans.  Là l’homme commence à utiliser le feu pour cuire les aliments. En cuisant un aliment on le débarrasse de parasites, etc. Mais surtout, un aliment cuit est beaucoup plus énergétique. C’est-à-dire qu’on peut plus facilement le digérer et on en retire plus d’énergie. On a besoin de moins de quantité, en moins de temps, etc. C’est un avantage considérable. Les conséquences de cela, alors évidemment cela a eu des conséquences culturelles, mais cela a eu aussi des conséquences génétiques. Les conséquences culturelles : il a fallut entretenir le feu, développer les techniques pour le fabriquer. Toutes les techniques culinaires, variables d’une région à l’autre sont des éléments culturels qui dérivent aussi de cette invention. Mais aussi, notre appareil digestif qui était adapté à une alimentation crue était du coup bien trop grand par rapport à cette nouvelle alimentation plus énergétique. Conséquence de quoi, tout ce qui n’était pas nécessaire a été petit à petit éliminé, parce que ceux qui avaient un instinct un peu plus petit  ont pu réallouer cette énergie pour d’autres fonctions, par exemple le cerveau et se reproduisaient plus : c’est toujours un avantage en reproduction qui permet à une adaptation de se répandre. Le résultat de cela est que notre instinct est 40 % plus court qu’un animal de même poids et ayant une alimentation crue.
Même chose pour les dents : la mâchoire est plus courte car on a moins à mastiquer, les dents sont plus petites…
Si maintenant, d’un coup, on revient à une alimentation exclusivement crue, nous ne sommes plus adaptés biologiquement à cette alimentation et on va commencer par maigrir puis par tomber malade très rapidement.

 

Grand cerveau
La grande question est : quel avantage donne un grand cerveau ? Quelle force élective permet à ceux qui ont une capacité cognitive supérieure d’avoir un avantage reproductif ?
C’est sûrement un avantage social, mais dire exactement quel type d’avantage ce n’est pas aussi évident que cela.

 

Des animaux à roulette et des poissons à hélice
A) La roue
Prenons l’exemple d’Oportunity, le second robot envoyé sur mars. Il a six roues motrices et il a la taille et le poids (l’analogie) d’un petite zèbre. Ce robot a été bloqué 5 semaines par une dune de 30 cm. Aucun animal, de la souris à la girafe ne pourrait être bloqué par une telle dune. On voit bien que la roue, dans les environnements naturels, c’est-à-dire sans route, ce n’est probablement pas une solution adaptée. Toute autre alternative, des pattes, ou même ramper, est bien meilleure. (…) Par sélection naturelle on ne peut pas sélectionner de roue tant qu’il n’y a pas de routes. D’ailleurs on a des exemples dans l’espèce humaine, quand les routes disparaissent, par exemple à la fin de l’Empire romain en Afrique du Nord les routes n’étaient plus entretenues, et bien on a repris le dromadaire et l’âne.

 

B) l’hélice
60 % de l’énergie dans une hélice est convertie en mouvement. Mais si on prend la formidable queue d’un requin on change de registre : d’une énergie donnée c’est 96% qui va être converti en mouvement. (…) Un petit poisson avec une hélice aurait été désavantagé par rapport à son congénère avec un autre moyen, puisqu’il aurait dépensé plus d’énergie pour un même déplacement.

Poissons-a-helice.jpg

Du suicide

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Quand on regarde les quelques cas que l’on connaît dans la nature, on voit que se sont des parents qui se suicident pour avantager leur descendance. Ils se laissent manger par leurs petits, comme chez certaines araignées. Il y a des tas d’exemple. Dans le cas de la mante, la chance de copuler une seconde fois étant extrêmement faible, il vaut mieux qu’il se sacrifie, qu’il donne à manger à la femelle qu’il va féconder… ces suicides sont avantageux pour l’individu qui le fait : avantageux car il a pu se reproduire en se suicidant. Mais on connaît des cas, comme certaines souris, qui sont attirés par un chat et par l’urine de chat. C’est une attirance spécifique. Ces souris vont augmenter la probabilité de se faire manger, donc des souris suicidaires. Pour trouver l’avantage, il faut disséquer le cerveau de ces souris. On voit qu’il y a un parasite. C’est un organisme unicellulaire qui manipule la souris pour sa propre reproduction (il se reproduit dans l’instinct du chat). Là on a un cas d’espèces en interactions et la sélection naturelle ne peut pas optimiser les adaptations pour les deux espèces, et souvent il y’en a une qui l’emporte.

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 (Dans phénomènes, les humains sont massivement pris d'une irrépréssible envie de suicide...)

 

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Enjeu de la reproduction
harem3.jpgLa reproduction a toujours été un enjeu, même dans l’espèce humaine (1). Dans nos manuels d’histoire on ne le voit pas. On ne décrit pas tout l’enjeu de la reproduction. Mais à chaque fois que les hommes ont accumulés des ressources – et ils ont pu le faire à partir du néolithique -, ils ont accumulé aussi des ressources reproductives. Et donc des harems sont apparus à partir du néolithique, des sociétés extrêmement hiérarchisées avec ceux qui étaient en haut qui pouvaient se reproduire énormément et ceux qui étaient en bas qui se reproduisaient beaucoup moins. Et donc, on peut voir l’histoire comme un enjeu pour la reproduction. Dans ce cadre là, les modes d’héritage, par exemple la primogéniture (on transmet tout au premier fils) sont apparus indépendamment dans toutes les sociétés hiérarchisées (Sumer, Chine, Amérique, etc.) : ça permet de conserver toutes les ressources à un seul homme qui va pouvoir énormément se reproduire, puisque la taille de la reproduction dépend de la taille des ressources. Et donc tous les frères, qui sont potentiellement des prétendants au partage sont écartés par des règles sociales (armée, clergé, etc.) ou tués.

 

L’exemple des Inuits
Des différences génétiques entre les hommes, adaptés à leurs environnements : modification des glandes sudoripares (mélange de nature et culture)
C’est un exemple de l’interaction forte entre les éléments biologiques et les éléments culturels ; le changement chez l’un entraînant une modification chez l’autre, et vis et versa. Les Inuits ont développé un type d’habits extrêmement complexes pour vivre dans ces habitats froids, ce qui a entraîné un avantage pour ceux qui avaient des glandes sudoripares étaient concentrées sur le visage, pour les échanges de chaleur, et le résultat c’est un changement biologique très fort sur la répartition des glandes sudoripares qui a évolué avec cet habillement sophistiqué. Ce n’est pas la seule adaptation qu’il y eut. On sait que l’adaptation au froid du bout des doigts des Inuits est extrêmement développée, leur face est beaucoup plus plate et c’est aussi une adaptation au froid, etc. Il y a tout un ensemble d’adaptations biologiques et culturelles qui ont interagit pour aboutir au résultat actuel. 

Ilulisat 15


(1) Voir Jean-Paul Demoule : Naissance de la figure

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9 octobre 2010 6 09 /10 /octobre /2010 13:15

Extrait d’une conférence donnée cet été par Hubert Reeves, dans le cadre du cycle « Aventure de la raison », organisée par Philosophie magasine.

 

(Désolé pour la médiocrité du son ; m’étant retrouvé placé pas très loin d’une ventilation).

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"Nous sommes des poussières d'étoiles"
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29 août 2010 7 29 /08 /août /2010 09:52

Petit extrait de la troisième conférence d’Hubert Reeves donnée fin juillet 2010, dans le cadre du cycle « L’aventure de la raison ».

Il répond ici à la question d’un auditeur : « Quel âge à l’univers, et comment fait-on pour le dater ? ».

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(Désolé pour la médiocre qualité sonore – Je me suis trouvé malencontreusement proche d’une ventilation. Mais je pense l’extrait fort intéressant, et les explications d’Hubert Reeves, comme toujours, d’une formidable clarté).

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Sur le site d’Hubert Reeves vous trouverez par ailleurs, parmi tant d’autres choses, la transcription des textes de ses chroniques sur France Culture qui ont été diffusées de septembre 2003 à juillet 2006.

Cette très belle série de causeries s’est intitulées : « Dialogues du ciel et de la vie ».

Elles ont données lieu à deux volumes, que je ne saurai que trop conseiller, publiés au seuil. Le premier volume s’intitule « Chroniques du ciel et de la vie ». Quant au second, édité en 2007, son titre est « Chroniques des atomes et des galaxies.

Si, dans ces causeries, une belle part est faite aux questions d’astrophysique, Hubert Reeves, avec  toujours une grande humanité, y aborde aussi des questions écologiques et sociétales.

www.hubertreeves.info

 


 

La ligue dont Hubert Reeves est le président est une association nationale (régie par la loi de 1901) reconnue d'utilité publique et agréée par le Ministère de l’Ecologie au titre de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature.

  Ligue ROCSes objectifs prioritaires sont :

§       * préserver la faune sauvage
         * faire reconnaître le statut d' "être sensible" à tout animal, et en premier lieu aux mammifères et aux oiseaux,
         *  défendre les droits et intérêts des non-chasseurs.

 

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  Vidéo glanée sur la toile, fort intéressante :

 

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16 juin 2010 3 16 /06 /juin /2010 21:35

Université tous les savoirs - LienJ’ai repris ici, en guise de notes de lectures, quelques extraits de la conférence de François Jacob donnée le 1er janvier 2000 dans le cadre de " l’université de tous les savoirs ".

 

A propos de " l’université de tous les savoirs " :

Un cycle de 366 conférences, commencé le 1er Janvier 2000 (…) Ces conférences, données chaque jour au Conservatoire national des arts et métiers, y compris les samedis, dimanches et jour fériés, portent sur les sciences, les techniques, les sociétés, les productions de l’esprit et les cultures, et leurs enjeux contemporains ". (Yves Michaud)

Le texte de la conférence de François Jacob ouvre le premier volume regroupant les 40 premières leçons de " l’université de tous les savoirs " .


 

Qu’est-ce que la vie

Collectif – Université de tous les savoirs

 

2000


  François Jacob - Qu’est-ce que la vie ?

 

Cellule humaineCette question me paraît d’autant plus appropriée qu’elle n’a pas de réponse. Si chacun parle de la vie en relation avec la mort, rares sont ceux qui en parlent en relation avec les choses inanimées. La division entre vivant et non vivant est relativement récente. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, on étudiait les animaux et les plantes. On le classait. On faisait de l’histoire naturelle.

C’est seulement au début du XIXe siècle que plusieurs auteurs, dont Lamarck, s’intéressent aux propriétés des être vivants, par opposition aux objets inanimés et utilisent le mot biologie. Longtemps on pensait que la " matière vivante ", comme on disait alors, différait de la matière ordinaire par une substance ou une force qui lui donnait des propriétés particulières. En réalité la vie est un processus, une organisation de la matière. On peut chercher à établir la ligne de démarcation entre vivant et non vivant. Mais il n’y a pas de " matière vivante ". Il y a de la matière qui compose les êtres vivants et cette matière n’a pas de propriétés que n’auraient pas ce qui compose les corps inertes.

Le premier coup a été porté au vitalisme par les chimistes. La fin du XIXe siècle a été pour la biologie une période d’exceptionnelle fécondité. C’est l’époque des grandes théories :

  •   * La théorie des germes de Pasteur. (Mise en évidence du rôle de ces petits êtres vivants dans la maladie de l’homme et des animaux ainsi que dans certaines industries, comme celles du vin et de la bière).

  •  

      * La théorie cellulaire avec Schleiden chez les végétaux et Schwann chez les animaux. Tous organismes sont faits de cellules. La cellule est l’unité du vivant. C’est le plus petit élément ayant toutes les propriété du vivant.

  •  

      * La théorie de l’évolution de Darwin. Le monde vivant tel que nous le voyons autour de nous, y compris nous-même les humains, est le résultat de l’histoire de la Terre. Les espèce dérivent les unes des autres par le mécanisme de la sélection naturelle. En fin de compte, tous les êtres vivants descendent de un – où d’un très petit nombre – d’organismes initiaux.

  •  

 Au début du Xxe siècle se sont développées deux disciplines nouvelles : la biochimie et la génétique. La biochimie cherche à analyser les constituants et les réactions de la cellule. On constate que celle-ci est formée de molécules de deux types : des petites et des grosses molécules. Dans les petites, chaque réaction est catalysée de manière spécifique par un enzyme particulier. Dans les grosses molécules, ce sont des polymères formés par la répétition d’une même réaction. Il existe deux sortes de polymères qui jouent chacun un rôle primordial dans la cellule :

  •   * les acides nucléiques qui sont de deux type. L’ADN qui assure la conservation et la reproduction de l’information cellulaire. L’ARN qui sert surtout aux transferts d’information.

  •  

      *Les protéines qui sont des polymères d’acides aminés dont il existe vingt sortes. Les protéines servent à déterminer les structures de la cellule et à former les enzymes, les catalyseurs des réactions chimiques.

  •  

L’autre domaine nouveau est la génétique. Les travaux de Mendel publiés dans les années 1860 ADNsont " redécouverts " au début du Xxe siècle par plusieurs biologistes simultanément. Ils conduisent à l’idée que le " caractère ", ce qu’on voit, est sous-tendu par une " particule " qu’on ne voit pas, qui est cachée au cœur de la cellule. Cette particule a été appelée " gène ". Et plus nous en avons appris, plus il est apparu clairement que les gènes se situent au cœur de toute cellule, de tout organisme, que la génétique sous-tend toute la biologie.

L’arrangement linéaire des gènes sur un chromosome et la première carte génétique furent publiés en 1913. A la fin des années 1930 l’analyse génétique a été étendue aux microorganismes. Elle a permis de déceler des gènes déterminant les réactions biochimiques. Pendant toute cette période, les gènes apparaissent comme " des êtres de raison ", des structures imaginaires requises pour rendre compte des faits connus. Avec les travaux montrant que c’est l’ADN qui est porteur des traits héréditaires chez les bactéries et les virus, le gène jusque là pure construction mentale, commençait à prendre consistance.

 

On s’est longtemps demandé si les virus étaient vivants. Aujourd’hui la réponse est clairement non. Ce ne sont pas des organismes vivants. Placés en suspension dans un milieu de culture, ils ne peuvent ni métaboliser, ni produire ou utiliser de l’énergie, ni croître, ni se multiplier, toutes fonctions communes aux être vivants. Ils ne peuvent se multiplier qu’au sein d’une cellule où ils ont pénétrés par infection, en utilisant à leur profit l’équipement enzymatique de la cellule.

 

La biologie moléculaire est longtemps restée confinée à l’étude des bactéries et des virus. Puis peu à peu on a trouvé les moyens d’en couper les longs filaments en des points choisis, d’en raccorder les fragments, d’en insérer des segments dans un chromosome. Toutes ces manipulations connues sous le nom de génie génétique.

Aujourd’Hui, un étudiant apprend en quelques semaines à découper en morceau le génome de n’importe quel organisme. Bref, il apprend à bricoler en laboratoire comme un vulgaire moteur de 2 CV, la molécule même de l’hérédité. La stupéfaction a été de constater que les chromosomes, ces structures naguère encore considérées comme pratiquement intangibles, sont en réalité l’objet de remaniements permanents… Notre présence sur terre est le résultat d’un immense bricolage cosmique. Progressivement il est ainsi apparu que tous les animaux, tous les êtres vivants sont apparentés à un point naguère encore insoupçonnable.

Génome - AdnLe bricolage moléculaire ne se fait pas à partir de rien. Il fait du neuf avec du vieux : c’est par duplication successives que se sont formées les nombreuses familles de gènes. Le second mode de production des gènes découle du réassortiment de fragments préexistants pour former des gènes mosaïques. C’est donc une combinatoire d’éléments en nombre limité qui produit une énorme variété de structures pour former les principaux constituants cellulaires. Ce qui distingue un papillon d’un lion ou d’une poule, c’est moins une différence dans les constituants chimiques que dans l’organisation et la distribution de ces constituants. Dans la nature, la complexité naît souvent d’une combinatoire : combinatoire de particules pour former les atomes, combinatoire d’atomes pour former les molécules, combinatoires de cellules pour former les organismes. C’est aussi le processus qui sous-tend la formation des gènes et des protéines : combinatoire de fragments (un petit nombre de fragments d’ADN suffit ainsi à former un nombre considérable de gènes. Qui eût dit que les gènes qui mettent en place le plan d’un être humain sont les mêmes que ceux fonctionnant chez une mouche ou chez un ver ? Il faut admettre que tous les animaux existant aujourd’hui sur cette terre descendent d’un même organisme ayant vécu il y a 600 millions d’années et possédant déjà cette batterie de gènes.

 

Comment s’est produit le premier organisme vivant ? On estime aujourd’hui que la Terre s’est formée il y a 4,5 milliards d’années. Le vivant semble être apparu assez vite, probablement moins d’un milliard d’années après la formation de la Terre, sous forme de ce qu’on pourrait appeler une " protobactérie ". Quand on considère l’origine de la vie, il faut admettre que, en quelque 8 ou 900 millions d’années, des milliers d’événements se sont succédés pour permettre le passage d’une Terre sans vie à la vie d’un monde à ARN puis un monde à ADN.

La science a depuis un ou deux siècles considérablement réduit ses ambitions par les questions qu’elle pose et les réponses qu’elle cherche. Au lieu de se demander : " comment l’univers a-t-il été crée ? De quoi est faite la matière ? Qu’est-ce que la vie ? ", on a commencé à se demander : " Comment une pierre tombe ? Comment l’eau coule-t-elle dans un tube ? Quel est le cours du sang dans le corps ? ". Ce changement a eu un résultat surprenant. Alors que les questions générales ne recevaient que des réponses limitées, les questions limitées se trouvèrent conduire à des réponses de plus en plus générales. C’est pourquoi on n’interroge plus la vie aujourd’hui dans les laboratoires. On ne cherche plus à en cerner les contours. On s’efforce seulement d’analyser des systèmes vivants, leurs structures, leurs fonctions, leur histoire ".


  

 

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8 juin 2010 2 08 /06 /juin /2010 21:06

Entretiens - A voix nue.

 

Je suis tombé par hasard sur une très belle série d’émission en compagnie du botaniste Francis Hallé. C’était un soir, la troisième semaine de Mai…Ecoutant tout d’abord d’une oreille distraite, vaquant à des occupations de préparation culinaires ; puis tendant l’oreille… Et très vite sous le charme. Subjugué enfin…

Si j’avais entendu parlé de ces fameux " radeaux des cimes ", et que mes souvenirs anciens j’aurai bien été incapable de mettre un nom sur l’auteur d’une telle fantaisie… Mais au-delà du botaniste, Francis Hallé à l’œil et le cœur d’un poètes. Une sensibilité et une acuité à même de transmettre sa passion… Un esprit singulier et personnage atypique… Un franc parler ; des mots simples pour dire des choses d’une profondeur magnifique.

 


EMISSION 1      

Le radeau des cimesNaissance d’une vocation

 

Durant ses études à la Sorbonne, sur le balcon de sa chambre il y avait un pot de fleur dont il ne s’était jamais occupé. Elle a grandi à donnée des fleurs, puis des fruits. Personne ne s’en était occupé. Elle se débrouillait parfaitement seule. Cela lui apparut magique… Et c’est ainsi qu’il devint botaniste… Mais au lieu de me perdre en de sèches paraphrases, immisçons nous en cet entretien, et écoutons plutôt ce poète des arbres et des plantes nous transmettre sa passion toujours intacte… Ce ne sont ici que des moments glanés au fil de la conversion.  

 

Arbres souterrains

J’ai vu les plus belles plantes du monde et c’est une source ininterrompue de surprise et d’admiration. Je suis allé récemment en Argentine et j’ai des choses que je ne pouvais pas imaginer. Des arbres souterrains. Ca se présente comme une grande tache des feuilles ; des feuilles et des fleurs qui sortent du sol, c’est tout. Lorsque le feu passe, parce que ça brûle chaque année, il n’y a plus rien. C’est l’hiver. Dès que les pluies arrivent les feuilles ressortent. L’arbre il a grandi un peu. Quand on mesure à quelle allure la tâche s’élargit, on peu calculer l’âge de cet arbre. C’est des milliers d’années ! Des très gros arbres souterrains. Alors moi qui m’étais donné beaucoup de mal pour faire une définition de l’arbre, je peux vous dire que tout s’écroule. "  

 

Qu’est-ce qui vous a fait pencher pour la botanique tropicale ?

Tout simplement parce que c’est dans les tropiques humides, autour de l’équateur, qu’il y a l’énorme majorité des plantes du monde. On a démontré après que tous les grands groupes de plantes, que ce soit les fougère, les graminées ou les orchidées, c’est né sous les latitudes équatoriales. Et puis, il y a celles qui ont dues restées et qui y sont toujours, et puis quelques plantes, qu’on pourrait dire aventureuses, qui se sont avancées en Europe, et même jusqu’au cercle polaire. Mais c’est une petite minorité. (…) Je vais me permettre un métaphore musicale : imaginez un énorme orchestre qui joue sous l’équateur. Quand vous êtes sous l’équateur vous êtes aux premières loges, vous en profitez pleinement. C’est la faune et la flore. Et puis ici, en prêtant l’oreille, vous entendez du coté du sud un écho très très assourdit. C’est ça qu’on a comme faune et comme flore ici, c’est trois fois rien. Alors c’est sympathique, j’aime bien les plantes d’ici, mais il faut les comprendre comme des émanations très lointaines d’un énorme origine équatoriale ".    

 

Le métier et les études de botaniste

Dans les années 1990, les études de botanistes ont été supprimées en France. A l’université il n’y a plus de botanique. Il y a encore des travaux sur les plantes, mais c’est très spécialisé ; il faut avoir acquis ailleurs la formation de botaniste. Je trouve ça scandaleux. La botanique n’a pas déméritée, nous avons en France, et notamment à Montpellier, une tradition botanique très ancienne et très vénérable. Je pense que le ministre a été mal conseillé. (…) C’est très grave erreur, et c’est d’autant plus ridicule que a peu près vers la même époque le grand public a commencé à se passionner pour la botanique."  

 

Le sous bois dans les forêts équatoriales (différence forêt primaire et forêt secondaire).

Ce qui frappe c’est que c’est extrêmement sombre. 0,1% de l’éclairement total. C’est à dire Radeauque c’est comme dans une cave. L’œil s’habitue, mais c’est vraiment très sombre. Une autre chose qui frappe, c’est que c’est totalement calme. Vous levez les yeux, vous voyez la cime qui se balance, donc il y a un alizé très fort la haut, à 50 mètres au dessus de vous, mais là ou vous êtes, vous allumez une cigarette, vous voyez la fumée qui monte tout droit : pas un souffle. C’est compréhensible, il y a une rugosité la dedans qui fait que le vent décent pas au niveau du sol. Qu’est-ce qui frappe aussi ? Les sons. D’ailleurs votre propre voix vous ne la reconnaissez pas. Parce que vous êtes entouré de pleins d’obstacles physiques, sous forme de feuilles ou de branches, et quand vous parlez vous vous dites : mais tiens, qui est-ce qui parle ? C’est pas votre voix. C’est très curieux. Si on est perdu, bon ça c’est pas drôle, mais quand on veux se faire entendre de loin il faut pas crier, parce que ça passe absolument pas. Trois mètres plus loin on ne vous entend plus. Il faut prendre un madrier et taper sur un contrefort. Il faut faire un bruit très sourd, ça s’entend à des kilomètres. Parmi les choses qui frappent aussi, on ne voit pas en faisant un d’animaux. On sait qu’il y’en a. D’ailleurs de temps en temps on sent une bête qui s’enfuit à toute allure en faisant un bruit de feuilles mortes, mais on les voit pas. Alors en regardant de près un tronc d’arbre on s’aperçoit qu’il y’en a plein. Mais ils sont verts ou brun et ils ne bougent pas. Et nous on est sensibles aux mouvements. Si l’animal ne bouge pas, on ne le voit pas. C’est pas du tout dangereux, on y est très bien…. (…) Parmi les idées fausses : dans les belles forêts primaires que j’ai visitées, vous pouvez courir, vous pouvez faire du vélo. Les seuls obstacles sont des bases de troncs énormes, mais sinon le sol est nu. Ca c’est les forêts primaires, attention que ça se fait très rare. C’est une forêt qui n’a pas été abîmée par l’homme, ou alors si elle l’a été, il s’est passé un nombre de siècles suffisants pour qu’elle redevienne primaire : c’est de l’ordre de 7 ou 8 siècles. De temps en temps un arbre tombe, c’est important de le savoir. Il n’y a besoin qu’il y ait du vent. L’arbre tombe : qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? il est investi par une liane qui grandit à toute allure, et puis d’un coup, crac, le poids est excessif et l’arbre tombe. C’est ça les dangers. Mais les animaux pas du tout. Les animaux on est très content de les voir. Il n’y a pas d’insectes dangereux. Dans les forêts primaires y a pas vraiment de danger. (…) Vous pouvez toujours regarder ce qui se passe en haut, là c’est très très curieux. Parce qu’en haut on voit les arbres qui bougent, on voit la faune, très mobile, très brillante. On voit les fleurs, on s’aperçoit que c’est couvert de fleurs, elle sont tout simplement pas en bas, elle sont en haut. Elles sont en haut. Et donc il faut aller en haut. Moi je suis mon idée. Je tiens à voir l’endroit ou il y a le plus de vie sur terre, et maintenant on je sais : c’est les canopées de ces forêts là (…) Le sous bois : pour en profiter pleinement il faudrait faire un mètre par heure. Ceux qui commencent à faire du jogging là de dedans ils voient rien, ils sortent en disant : y a que de la salade verte, ça n’a aucun intérêt. J’en ai vu beaucoup beaucoup. Plus vous allez lentement, plus vous allez voir de choses. Il faut retourner les feuilles, il faut écarter les feuilles mortes, il faut regarder partout. Il faut faire le tour des tiges et des petits troncs. C’est passionnant mais il faut aller très très lentement. Il y a des gens qui exècrent ces forêts. Une chose me frappe, c’est que dans les films grand public, (…) la forêt qu’on vous montre, c’est pas la forêt primaire. C’est la forêt secondaire. Canopée déstructurée, beaucoup de lumière au sol. Evidement des plantes qui poussent, car il fait chaud et humide. Et là vous êtes obligé de tailler votre route à la machette et puis vous avez des insectes en permanence. C’est pas du tout agréable. En plus ça n’a aucun intérêt économique, et sur le plan biologique y a beaucoup moins d’espèces, c’est beaucoup moins intéressant. C’est ça qu’on nous montre au cinéma. J’insiste sur le fait qu’il y’en a deux. La primaire qui est la vraie, hélas il y’en a plus beaucoup, et puis la secondaire, qui est celle que laisse l’homme une fois qu’il a tout… je suis pas tendre pour le travail des êtres humains dans les forêts tropicales, c’est franchement moche !

 

Le sous bois la nuit

Ca vaut le coup de voir le sous bois la nuit. Il faut se jeter à l’eau, si je puis dire. J’aime bien. Sortir à 3 heures du matin sans lampe. C’est un spectacle étonnant ! D’abord vous avez un concert de tous les animaux. Le concert démarre quand le soleil tombe. Pendant la nuit c’est extraordinaire. Cependant ce concert il est la haut, il est pas au niveau du sous bois, il est dans la canopée, mais enfin on l’entend très très bien. Et puis il y a des lucioles ; des paquets de lucioles qui clignotent partout en volant. Et puis sur le sol vous voyez, en belle forêt primaire, là où le sol est bien dégagé, vous avez des champignons phosphorescents sous formes de grandes lueurs mauves ou orangées, et ça se déplace, c’est pas stable. Ca s’éteint là, ça s’allume là, ça pulse. C’est très très curieux. "  

 

L’aube

Il y a ce que les anglais appellent ‘dawn corress’. Le concert s’arrête et c’est uniquement les oiseaux…Toute la faune d’oiseau se met à chanter ".

 

Sur la littérature scientifique contemporaine (botanique)

Vous envoyez à une revue un travail scientifique. S’il y a la moindre allusion à ce que vous disent vos sens le papier sera refusé. Ce que nous disent nos sens, c’est considéré comme totalement subjectif, donc entaché de risque d’erreur, et puis à la limite c’est pas de la science. C’est de la poésie, c’est de la philosophie, c’est tout ce qu’on veux. Alors je me bats contre ça. Parce que quand je suis dans une forêt équatoriale, il y a que ce que me disent les sens. Y a rien d’autre. Dans un premier temps, c’est ce que je vois, ce que je sens, ce que j’entend, c’est ça qui compte. Le résultat c’est que les beaux livres consacrés aux forêts équatoriales, je les trouve assez nuls, parce qu’il y a rien de sensuel là dedans. Attendez, pour identifier les arbres, on voit pas les feuilles, elles sont trop haut. Donc on fait une petit blessure avec un couteau, on met l’oreille dessus, la plupart ne font pas de bruit, faut reconnaître, mais de temps en temps il y’en a un qui fait comme un soda, vous entendez les bulles… Ca ça nous permet d’identifier les arbres. On sent l’odeur de la coupe. Alors ça, c’est un excellent critère, mais seulement les odeurs c’est curieux, vous pouvez pas les décrire, vous pouvez juste procéder par comparaison (…) On est obligés de procéder comme ça. Et ça marche. Et c’est très stable, vous retrouvez le même arbre le lendemain, il sent la même chose. Alors quand les revues scientifiques nous censurent parce qu’on fait état du témoignage de nos sens, je me dit qu’ils sont complément à coté de la plaque. Dans un labo, oui. Mais pas en forêt. (…) Il y a un coté faux cul là dedans… Il ont qu’à y aller ils verront bien

 


EMISSION 2

 

Biodiversité

Dans notre connaissance collective de ce qu’on appelle la biodiversité, il y a une date critique : c’est 1982. Avant 1982 vous demandiez à un naturaliste combien d’espèces il y avait sur la terre et il aurait dit, 3 millions. En 1982 un collègue que je connais bien, Terry Erwin, a fait les premiers travaux de dénombrement des insectes dans une canopée tropicale. Il mettait au niveau du sol un espèce de canon envoyant du gaz toxique, qui montait jusque dans le haut des arbres, et donc les insectes étaient tués et tombaient sur le sol. C’est pas une méthode très élégante, mais quoi qu’il en soit, en faisant ce travail là en un point A puis en allant le faire à un point B à 100 mètres de là, il s’est aperçu que les espèces n’étaient pas les même. Donc ça a fait la base d’un calcul, et en 1982 notre biodiversité terrestre est passée de 3 millions à 30 millions. Un facteur 10. Juste pour quelques heures de travail dans une canopée de forêt équatoriale. Et puis il y a tous les insectes qui meurent et qui s’accrochent, donc c’était par défaut. Il n’empêche que c’est à ce moment là que je me suis dit, c’est la haut qu’il faut travailler ".  

 

Le radeau des cimes

 

F-halle.jpgL’affaire a commencée en 1983 (…) Le gros avantage d’un ballon à air chaud, c’est que la sustentation dans l’air ne dépend pas de la propulsion. Même si vous avez une panne de moteur ça va pas tomber (…) C’est silencieux. La faune ne sait pas que vous êtes là. (…) J’ai commencé par faire des vols en montgolfière seule, avec un panier en osier. Je peux regarder les choses mais ça va trop vite. Le pilote me dit : je ne peux pas ralentir, c’est le vent qui me pousse (…) Si tu veux que m’arrête il faut qu’on dégonfle. Bien je luis dit : dégonfle. Ah non, il me dit, ça je peux pas dégonfler l’enveloppe de mon ballon sur des arbres parce que sinon ça va s’accrocher et on ne pourra plus regonfler. Et là il m’a dit qu’il faudrait une espèce de plate-forme qui entourerait notre nacelle, et sur laquelle je pourrais dégonfler. Et la radeau des cimes au départ c’était ça. (…) Au bout d’un certain temps on s’est dits, mais c’est idiot, pourquoi il fat que notre appareil porte 100 kilos de ballons, il ferait mieux de porter 100 kilos de chercheurs. Il vaut mieux que le ballon s’en aille par en haut. Voilà comment c’est né. On a fait un radeau, et quand il est en place le ballon s’envole et nous on monte travailler là. Ca suppose tout de même un moteur, on ne peux pas faire ça avec une montgolfière classique. (…) En 1989 (….) dirigeable à air chaud, il fait plus de 53 mètres de long. (…) Je vous raconte comment ça se passe : On met ça en place au lever du jour. Simplement, au lever du jour à cette latitude là on est dans la brume. On a une bâche plastique qui nous sert de terrain de décollage. On met le radeau sous le dirigeable (…) Il faut avoir volé la veille et repéré les bons endroits avec un GPS très précis. Parce qu’on peux pas se poser n’importe où. Le dirigeable amène le radeau, l’enfonce un peu dans le sommet des arbres et puis il large ses amarres et il retourne au camp. A ce moment là le radeau est à la disposition des scientifiques, il recouvre une dizaine d’arbres, une quinzaine d’arbres, sans compter les lianes et les plantes épiphytes. Sa surface est de 600 m2 pour 600 kg. Un kilo du m2. C’est vraiment rien du tout pour une forêt. Ca nous permet de tenir sur un milieu qui est assez mou, assez souple.

 

Quelle impression dans la canopée ?

" D’abord vous ne voyez pas le sol. Vous êtes dans une lumière énorme. (…) Il y a une métaphore marine qui s’impose. Ca bouge, comme un catamaran en haute mer. On est amarrés en permanence, comme sur un bateau en haute mer, car on n’est jamais sûrs que les branches qui nous portent ne vont pas casser. On ne peux pas vérifier la solidité de tout çà. D’ailleurs y’en a plusieurs qui sont passés par dessus bord. Fort heureusement ils étaient attachés, donc ça s’est terminé en rigolade. On n’a jamais eu d’accident (…) On est très sensibles au vent, et quand il y a un grain qui arrive on dit : ça c’est pour nous. Et puis quand le vent arrive, le truc se met à bouger, ça fait comme une espèce de gros bateau. On se réfugie dans une tente…(…) Vous avez l’impression d’être dans un vieux jardin pas très bien entretenu. Il y a des cimes d’arbres et puis il y a des plantes, des lianes qui poussent comme ça (…) C’est le vrai visage de la forêt, c’est pas du tout le sous-bois.  

 

Le premier choc

C’est drôle de voir les collègues après… Je regardais leur comportement. Ils sortent du trou d’homme et ils sont complètement sonnés. Le gars il s’assoie sur le bord et il essaie de comprendre ce qui lui arrive. Et d’abord il y a cette énorme lumière et puis le vent qui est agréable aussi. Et puis la faune aussi, la faune immédiatement comme des bijoux ; des fleurs partout – c’est ça qui nous manquait en bas. Des odeurs de fleurs indescriptibles. Des roses de juin, de la glycine, des narcisses, et tout ça mélangé. (…) Il faudrait filmer tout ça pendant qu’il est encore temps, pendant qu’il y’en a encore ; parce que la forêt est détruite et que dans les forêts secondaires vous n’aurez pas ça. (…) [Dans la canopée] il y a très grande énergie. (…) La canopée n’est ni hostile ni accueillante. C’est ce qui m’intéresse, elle n’est pas faite pour nous ; elle se moque totalement de la présence de l’être humain. C’est l’altérité. (…) On se fait petit, on essaye de comprendre. C’est d’une complexité monstrueuse. C’est l’endroit au monde où il y a le plus de biodiversité. De très très loin. Même le milieu marin avec les récifs de coraux, ça n’est qu’une toute petite fraction de la biodiversité que nous avons dans la canopée. C’est de l’ordre de 15%. Pas plus ".

 

Ce qu’on fait – entre autre – dans la canopée

On récolte des morceaux pour l’analyse de l’ADN. C’est comme ça qu’on a trouvé qu’il y a plusieurs génomes dans le même arbre. (…) La biochimie nous a beaucoup intéressée. On compare les feuilles du bas de la plante et les feuilles du haut, et il y a, à peu près, cinq fois plus de molécules actives en haut qu’en bas. Il y a plusieurs réponses (à cela) : les animaux sont en haut. 75% de la faune est en haut, et dans ce nombre il y a énormément d’herbivores. Donc au niveau de la canopée les plantes doivent se défendre. C’est des molécules dissuasives. Qui peuvent nous servir de molécules à fonction médicinale. Il y a une toxicité qui à faible dose intéresse les médecins.  

 

Une nuit la haut

Si on a décidé de passer une nuit la haut c’est qu’il fait beau. Donc vous avez le ciel au dessus de vous, sans aucune pollution lumineuse. Vous voyez toutes les étoiles et la voie lactée qui traverse tout ça, c’est absolument génial. Vous regardez au travers du filet et vous avez les lucioles qui clignotent. C’est un spectacle difficile tellement c’est étrange, et tellement c’est beau. N’oubliez pas le concert, qui au début de nuit est à son maximum. Et c’est un concert très étonnant la aussi. Car s’arête d’un coté et ça reprend de l’autre. On a l’impression qu’il y a un chef d’orchestre. Tout d’un coup le vallon devient silencieux et puis c’est la crête qui se met à crier. (…) Et les odeurs aussi… Parce qu’on est entourés de fleurs. C’est pas du tout les odeurs un peu tristouilles du sous-bois, c’est des odeurs magnifiques et la nuit elles sont exacerbées... (…) "

 

Quel pourcentage reste-il de la forêt primaire ?

" Oh, dans dix ans c’est fini ! "


 

 

 

 

 

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