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23 mars 2014 7 23 /03 /mars /2014 09:43

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C’était hier soir au théâtre de l’Idéal à Tourcoing, dans une mise en scène d’Eric Castex.

 

Un soliloque d’Azeddine Benamara... Une heure et demie, où, pourtant, l’on ne s’ennui pas une seconde. De maux en mots, tout le tragique de l’existence résumé à fil prêt à se rompre... Juste une chambre pour la nuit, pas même toute la nuit. Camarade ! Ecoutes-moi, s’il te plait... 

Les yeux dans les yeux... Une magnifique performance d’acteur !

 

« Mon projet de mise en scène est proche d’une atmosphère du Bronx. Un film de Jarmusch 

en noir et Blanc » Eric Castex

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Dans un décors minimaliste, entre poussière et bardage de fer, avec pour toile de fond un mur en béton, l’acteur nous entraine ainsi dans un monde glauque et désespéré ; un monde de pluie et de nuit, sur le pavé. 

Des ruelles à putes, lorsqu’elles deviennent cinglées et s’en vont manger la terre des cimetière jusqu’à en crever, aux piles de ponts mal éclairés et au-dessus de l’eau pour s’aimer rien qu’une fois. Un univers de paillettes, avec les cons d’en haut et leur gueule de tueur, avec la fête obligatoire du vendredi soir, avec cette fille blonde, belle à tomber par terre, fragile et qui passe avec ses petites boucles, juste comme il faut. Ses yeux sont des abimes mais il ne faut pas la suivre ! Elle est passé de l’autre côté... Et si avais chanté, bien sûr on aurait tout accepté. Comment faire autrement ? Et si elle avait posé sa main sur votre genoux que faire, sauf se la couper ? Seulement elle parle. Elle parle au milieu des minets, et  lorsque s’ouvre sa bouche c’est un dégueulis de l’enfer...  

Alors on s’en retourne là où la solitude de l’étranger sans travail se confronte à l’impossibilité à dire les choses... Il y a ceux qui s’amusent, avec rien derrière la tête, ces sales cons... Et puis il y a les autres, ceux que l’on pousse dans le dos d’ici aux forêts du Nicargua, là où des généraux assis mitraillent tout ce qui en sort. Tout ce qui ne ressemble pas à un arbre, tout ce qui ne bouge pas comme une plante est abattu ! Alors ceux du Nicaragua viennent ici tandis qu’on nous pousse là-bas. Mais partout c’est pareil. Du travail il n’y en a pas plus ici qu’ailleurs. Et là-bas, si vous n’êtes pas d’accord, on vous tire dessus... Alors on reste ici et se fait casser la gueule dans le métro par des loubards bien habillés qui vous ont volé votre portefeuille. Sale PD, qu’ils disent ! Et personne ne bouge...  Tout va bien camarade ! On ne bouge pas... 

Rompu, sans un sou on ne bouge pas. C’est ok . Tout va bien camarade... Il y a ce bruit, cette odeur... Personne ne vous regarde. Passe une fille en pleur dans sa chemise de nuit. Derrière, en haut de l’escalier une grosse femme souffle, accrochée à la rambarde. Assis juste à côté, un arabe marmonne bas, il chante  juste pour lui un truc en arabe... Sur le quai d’en face une folle en jaune, extatique fait de grands gestes dans le vide et se met soudain à chanter une connerie d’opéra... Mais quelle voix ! Elle répond à l’instrument d’un type qui doit jouer un peu plus loin pour faire la manche... 

Chacun pour soi, chacun dans son monde... Chacun avec ses problèmes, rien que pour soi.

 

Alors vous prend l’envie de taper ! De taper, et taper encore !.... 

« ... un monde nocturne, peuplé de prostituées de loubards racistes, de violence. ET puis l’amour aussi, trop vite perdu et que l’on cherche à travers la nuit. Tout Koltès se trouve déjà résumé dans cette première œuvre, qui est un grand texte qui raconte la solitude de l’homme moderne dans l’enfer urbain... »  (Texte tiré de l’extrait vidéo)

 

De Koltès je ne savais rien et avions pris les place sans trop savoir où nous mettions les pieds, sous l’incitation de notre fille, ayant cette année un texte de cet auteur à étudier (« Dans la solitude des champs de coton »).

Nous ne regrettons pas cette plongée en terres inconnues.

 

« Un homme, assis à une table de café, tente de retenir par tous les mots qu’il peut trouver, un inconnu qu’il a abordé au coin d’une rue, un soir où il est seul. Il lui parle de son univers : une banlieue où il pleut, où l’on est étranger, où l’on ne travaille plus ; un monde nocturne qu’il traverse, pour fuir, sans se retourner ; il lui parle de tout et de l’amour comme on ne peut jamais en parler, sauf à un inconnu comme celui-là, silencieux, immobile » 

Bernard Marie Koltès

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Dossier sur la pièce

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9 octobre 2012 2 09 /10 /octobre /2012 22:17

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« L’œuvre peuplée d’une multitude de figurines en fibre de verre, ‘théâtralise’ la cruauté des camps d’extermination nazis…

A l’image (du) Triomphe de la mort de Brueghel, l’enfer est ici un paysage envahi par des personnages cruels, belliqueux, démoniaques et par des individus hagards, terrifiés, sacrifiés sur l’autel de la haine. Les soldats nazis sont à la fois maîtres et esclaves de leur propre système de déshumanisation… 

L’expression babelienne de No woman No cry expose la part maudite de l’humanité dans la tradition des sept péchés capitaux qui hantent l’Occident chrétien depuis les temps moyenâgeux.»

.
Extrait du catalogue de l’exposition Babel
(invenit editions)
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En surplomb du carnage, impassible sur son promontoire rocheux et protégé de ses gardes, squelettes en armes penchés un peu curieux au-dessus de son épaule, Hitler peint son portrait de manière cubique, art qu’il considérait comme dégénéré…
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27 juillet 2012 5 27 /07 /juillet /2012 18:18

« Le caractère dynastique du pouvoir et la primauté des mâles ne font guère de doute (…). Mais les circonstances peuvent entraîner des changements : un roi peu mourir au combat sans héritiers mâles ou en âge de régner. Des femmes peuvent de la sorte se trouve en position de responsabilité, selon une sorte de régence »

 

(Les Mayas, texte d’Eric Taladoire, Ed Chêne)

 

Masque-maya.jpg

« Découvert dans le temple XIII, ce masque funéraire en mosaïque serait celui d’une femme, l’une de ces reines qui, de façon exceptionnelle, ont su s’imposer au pouvoir. Palenque »

(Photo JP Courau).

 

Je fais mes valises : prochain billet en septembre.
Have fun.

 


Saison des masques 1

Saison des masques 2

 


Sans lien aucun, un peu d’Electro-indus from Mexico, histoire de se récurer les oreilles.
Juste une affaire de contraste…

 

Hocico en Live : Untold blasphemies

 

 



Lorsque Punto Omega Recontre la belle Spectra Paris
Cela donne une tragédie.
 
Falsos sueños desgarrados
sombras del amanecer
avasallan mi conciencia
y no me permiten ser.
Creando mil espejismos
me los han hecho creer
vendedores de ilusiones
transforman tu amor en hiel.
Opacan las percepciones
deforman la realidad
desconectando tu esencia
mutilan tu libertad.
Promesas hechas al viento
hace mucho tiempo ya
regresan hoy a mi Alma
destilando eternidad.
¿Cómo volver del destierro
recobrando lo perdido?
¿Cómo volver a confiar
y despertar del olvido?
¿Cómo volver a empezar
desandando los caminos?
¿Cómo vencer la matriz
y liberar mi destino?
.
Clip qui n'est pas sans faire songer au fulgurant 2666 de Roberto Bolano.
Mais c'est une autre histoire.
Roberto-Bolano-2666.gif
.
Affaire de finir sur une note moins sombre, l'interprétation live de Spectra Paris du morceau Falsos Suenos
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15 mars 2012 4 15 /03 /mars /2012 18:48

Masque-par-Nicolas-Debroux-.jpg

 

 

Mon précédent billet, de la persona, n’ayant fait qu’effleurer du bout de la plume un sujet aux ramifications infinies, j’ai songé qu’il n’était pas tout à fait vain de poursuivre ces déambulations en terres chargées de mystères…

 

Lorsque la profondeur touche au futile.

 


Le masque selon Nietzsche

Ecoutons en premier Clément Rosset :

 
« Comme la surface figure la visibilité de la profondeur, le masque figure la visibilité de la ‘personne’. Toute l’œuvre de Nietzsche, on le sait, témoigne d’un intérêt constant à l’égard du masque et du déguisement. (…) Toutefois, le statut nietzschéen du masque est très singulier. Le masque n’apparaît jamais chez Nietzsche comme véritable déguisement, indice de fausseté et occasion de leurre. Tout au contraire : il se présente plutôt, et assez curieusement, comme un des meilleurs et des plus sûrs indices du réel. Du réel il a la profondeur, la richesse, l’aristocratie propre, comme le dit l’aphorisme 40 de Par-delà le bien et le mal : ‘Tout ce qui est profond aime le masque’
On peut distinguer chez Nietzsche deux principales fonctions du masque. Première fonction, de pudeur : destinée à ne pas exhiber à tout bout de champ, et devant tout un chacun, sa propre richesse. (…) Mais il y a une seconde fonction nietzschéenne du masque : destinée à dire l’éternelle insuffisance de toute parole et de toute vérité, fût-elle la plus profonde et la plus décisive, en tant qu’elle est nécessairement partielle et obérée par le point de vue d’où elle est énoncée ». (Clément Rosset, La force Majeure – édition de minuit p 64-65)

  tete

 

Le masque des Anonymous / V pour vendetta.

Dans le numéro de ce mois ci de Philosophie magazine, Raphaël Enthoven évoque la postéritéanonymous.jpg du masque arboré par les Anonymous. Voici l’introduction de son billet : « En se parant du visage goguenard de Guy Fawkes, conspirateur anglais du XVIIe siècle popularisé par la bande dessinée V pour Vendetta, certains ‘indignés’ se masquent pour lutter contre un ennemi réputé sans visage. Se cacher derrière un sourire pour exprimer son mécontentement ? Est-ce bien sérieux ? »

 

Je laisse à chacun le soin de méditer cette question.
Quant au fauteur de la conspiration des poudres, démasqué précisément, il ne tardera pas à connaître un sort funeste. Plus proche de nous, reste à imaginer ce qui adviendra des soi-disant têtes pensantes de l’hydre Anonymous arrêtés par le FBI.  

 

 


Les masques Nô

Je ne m’avancerai pas ici en ces territoires inconnus. Aussi laisserai-je parole à mieux informé que moi.

 

Souvenir de Pascal Klein :
« Je me souviens il y a une paire d'années avoir assisté à une représentation d'une pièce de Nô. Il se trouve qu'il est possible pour un acteur d'interpréter par le biais d'un masque plusieurs personnages, de sexe opposé. Et il n'y a guère plus de deux acteurs sur scène pour des représentations pouvant durer jusqu'à 8 heures. Mon amie japonaise m'a confié qu'il existait des versions authentiques, longues et fidèles, et des versions modernes et abrégées ».

 masque_no_2-Masque-de-n--de-type-maij-.jpg

 

Les masques du côté de Verlaine

 

Clair de lune

 

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.
Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.

 

Paul Verlaine, Fêtes galantes

 

Monsieur cent têtes et la femme 100 têtes

(Je remercie ici Constance et Ashby)

 

Monsieur cent têtes, est un livre de Ghislaine Herbéra, sorti dans la collection jeunesse des éditions MeMo. L’histoire ravira sans doute les jeunes, les moins jeunes et les Chênes parlants.
Il y est question d’un monsieur ayant rendez-vous avec son amoureuse et qui « …essaie successivement toutes les têtes de son placard sans pouvoir se décider ».

 orsay.jpg

 

Quant à la femme 100 têtes, roman-collage de 1929 réalisé par Max Ernst et tiré à 1003 exemplaires, il doit désormais valoir les yeux de la tête chez les collectionneurs.
« Le titre est déjà en soi un collage riche de significations : La femme cent têtes tout comme La femme sans tête - et il y a encore d'autres possibilités comme: '100 têtes', 'sans tête', 's'entête' ou 'sang tête'. »

 Max-Ernst--La-femme-100-tetes--1929.jpg

 

 

 

Le masque post-modern

La tragédie, ou chant du bouc par son étymologie, [τραγῳδία / tragôidía est composé de τράγος / trágos (« bouc ») et ᾠδή / ôidế (« chant »] voilà ce qui caractérise l’hédonisme joyeux du masque post moderne…
Deux rondelles de Cucumis sativus, et le large sourire du jeunisme forcené…  Un seul mot d’ordre : Jouissons ! 

 

masque-au-concombre-300x192.jpg

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14 janvier 2012 6 14 /01 /janvier /2012 18:02

Masque-venise.jpg

 

 

Tiré d’un verbe latin signifiant parler au travers, la persona désignait dans l’antiquité le masque que portaient les acteurs de théâtre… Du Volta vénitien à la tragédie grecque, passant par les dispositifs fabuleux portés en Afrique lors des cérémonies funéraires ou initiatiques, le masque a toujours été la parure du genre humain.

 

D’un habile rhéteur, d’un intriguant, d’une courtisane ou d’un diplomate qui sait son métier au bout des ongles, ne dit-on pas qu’ils avancent masqués ? 
Du factice au vraisemblable il n’y a qu’un pas ; et de l’artifice au naturel que l’épaisseur d’un cheveu.

 aztekegr

Lorsque les fasciés emplumés préludent au massacre sur les marches des temples méso-américains  - autels sanglants en plein air ;
Lorsque surgissent la nuit dans la savane les gueules peintes des hommes léopards, ces griffeurs des folles espérances ;
Et tant d’autres encore, mû par d’irracontables instincts.
Ils ne font qu’assassiner les apparences…

  

Qu’il soit instrument de séduction ou d’effroi, le masque n’en a pas fini de fasciner et de servir aux plus sourdes fantasmagories !

 

Chez Jung la persona fut interprétée comme le ‘masque social’, cache-misère à nos blessures, et dont, par obligation, nous nous affublons pour rendre la compagnie de nos congénères supportables.

Sans ces oripeaux hypocrites, pas de vie sociale possible.
A chaque situation son vêtement propre.
Philosophe-barbu.jpgUn vieux proverbe grec nous met en garde : « la barbe ne fait pas le philosophe » ; il n’empêche, une face ‘empoilée’ confère d’ordinaire au plus plat prosateur un petit air de respectabilité.
Et qui sait si, à force d’incarner notre rôle, nous ne finissons pas par nous y identifier.

 

A l’heure où fleurissent un peu partout, sur les friches d’un hédonisme forcené, les tests de personnalités ; introspection oblige !
Exhortation à ôter le masque pour mieux se mentir à soi-même, tel semble être l’impératif catégorique des sots.
Le connais-toi toi-même du vulgaire est en nos sociétés promis à un bel avenir…

 

On en oublierait presque le masque mortuaire.
Le seul promis à réel un avenir.
Notre unique certitude ;
Là, lorsque cesse le jeu.

 

masque-KWELE.jpg 


Ces quelques digressions sans prétentions ni buts, ont pris leur source dans la singulière résonance que j’ai cru déceler entre deux images. Aussi, mon intention initiale, sous l’effet d’une impulsion dilettante, n’était de ne commettre qu’un billet sans texte.
Seule une légende humoristique, en guise de clin d’œil, devait accompagner cette synchronicité des plus factices.
Par un mouvement d’humeur incompréhensible je me suis laissé à développer une vaine cogitation autour de la persona. Si bien que mettre à présent en illustration du billet ladite photographie a perdu son sens.

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22 septembre 2011 4 22 /09 /septembre /2011 20:50

Lucien Jerphagnon s’est éteint ce vendredi 16 septembre.

 

Les mots sont cours…
La parole pourtant essentielle.

 

Voici l’hommage que lui a rendu Raphaël Enthoven :
Hommage à Lucien Jerphagnon

  Lucien-Jerphagnon.jpg

« Et ce que manifeste cette angoisse (existentielle), c’est, semble-t-il, toujours le même fait de conscience, à savoir l’imminence de la mort, et par réaction, la volonté de l’intégrer à un  ordre transcendant qui lui donnerait  un sens en même temps que la vie (…). En effet, prendre conscience de la mortalité, c’est avoir l’intuition de l’éphémère… »
Lucien Jerphagnon, « Au bonheur des sages ».

 

Une vidéo tirée de l’émission « Bibliothèque Médicis » du 24 avril 2007 avec en invité, outre Lucien Jerphagnon, son ami l’historien Paul Veyne, Monique Canto-Sperber et Marie-françoise Baslez.

 

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17 juin 2011 5 17 /06 /juin /2011 18:42

« Je viens de lire Gelassenheit de Heidegger. Dès qu’il emploie le langage courant on voit le peu qu’il a à dire. J’ai toujours pensé que le jargon est une immense imposture. Le style triste, genre Maurice Blanchot : pensée insaisissable prose parfaite et incolore. Sartre réussit à faire du bon Heidegger mais non pas du bon Céline. La contrefaçon est plus aisée en philosophie qu’en littérature ».

Cioran 

 

Illustrons le propos du philosophe Roumain :

« L’ouvertude est le genre fondamental du Dasein selon lequel il est son la. L’ouvertude est constitué par la disposibilité, l’entendre et la parole. Et elle intéresse co-originalement le monde, l’être au monde et le soi-même. La structure du soucis, comme être en avant de soi, tout en étant déjà en a-monde, comme être étant après l’intérieur au monde recèle en elle l’ouvertude du Dasein ».

 

yes-we-kant.jpgIl est vrai, qu’à lire des salmigondis verbeux du genre de celui-ci, tiré du soi-disant maître livre « Etre et temps », il y a de quoi demeurer, pour le moins, perplexe…
Et ce n’est certes pas en ergotant sur une maladresse - ou un mauvais rendu de traduction, qu’on occultera tout le fumeux dérisoire de cette prose sans la moindre once intérêt.

 

Je reconnais volontiers n’être qu’un cuistre, incapable de saisir toute la portée du sublime esprit germanique soutenue par si vigoureuse prose… Mais, franchement, la vie est bien trop brève pour me la gâter avec de telles fatuités dont le sens se perd dans les limbes irracontables du Concept !

 


…ni d’ailleurs ne suis assez méchant pour souhaiter infliger telle lecture à mon pire ennemi… Quoi qu’hélas certains n’ont pas forcément le choix (désarroi attesté par cette illustration de lycéenne assistant à son x+1 ieme cours sur Kant et à qui l’on a dit Epicure sans interêt et pas même philosophe…) : tels ces élèves en classe de Terminale L qui cette année, outre l’indigeste brique des mémoires du général De Gaule, propulsée par quelques intrigants de couloirs ministériels au rang des œuvres littéraires, se sont trouvés contraints, pour les plus malchanceux, de manger du Kant, Hegel et du Heidegger à longueur de jours ; ce dernier étant, selon un certain point de vue professoral, ne l’oublions pas, rien moins que « le Platon du Xxe siècle… ».

 

Tout aux antipodes, voici un texte fulgurant de Cioran, qui me fit, il y a des années de cela, si grand effet que me prit alors l’envie d’en utiliser une bonne part pour une anodine divagation musicale…  

 


GÉNÉALOGIE DU FANATISMEcioran.gif

 

« En elle-même, toute idée est neutre, ou devrait l’être ; mais l’homme l’anime, y projette ses flammes et ses démences ; impure, transformée en croyance, elle s’insère dans le temps, prend figure d’événement : le passage de la logique à l’épilepsie est consommé… Ainsi naissent les idéologies, les doctrines, et les farces sanglantes.

Idolâtres par instinct, nous convertissons en inconditionné les objets de nos songes et de nos intérêts. L’histoire n’est qu’un défilé de faux Absolus, une succession de temples élevés à des prétextes, un avilissement de l’esprit devant l’Improbable. Lors même qu’il s’éloigne de la religion, l’homme y demeure assujetti ; s’épuisant à forger des simulacres de dieux, il les adopte ensuite fiévreusement : son besoin de fiction, de mythologie triomphe de l’évidence et du ridicule. Sa puissance d'adorer est responsable de tous ses crimes : celui qui aime indûment un dieu, contraint les autres à l'aimer, en attendant de les exterminer s'ils s'y refusent. Point d’intolérance, d’intransigeance idéologique ou de prosélytisme qui ne révèlent le fond bestial de l’enthousiasme. Que l’homme perde sa faculté d’indifférence : il devient un assassin virtuel ; qu’il transforme son idée en dieu : les conséquences en sont incalculables.

L'envie de devenir source d'événements agit sur chacun comme un désordre mental ou comme une malédiction voulue. La société, - un enfer de sauveurs ! Ce qu'y cherchait Diogène avec sa lanterne, c'était un indifférent...

[...] Toute foi exerce une forme de terreur, d'autant plus effroyable que les « purs » en sont les agents. On se méfie des finauds, des fripons, des farceurs ; pourtant on ne saurait leur imputer aucune des grandes convulsions de l'histoire ; ne croyant en rien, ils ne fouillent pas vos cœurs, ni vos arrières-pensées, ils vous abandonnent à votre nonchalance, à votre désespoir ou à votre inutilité ; l'humanité leur doit le peu de moments de prospérité qu'elle connut : ce sont eux qui sauvent les peuples que les fanatiques torturent et que les « idéalistes » ruinent.

Dans tout homme sommeille un prophète, et quand il s'éveille il y a un peu plus de mal dans le monde... »

 

(Précis de décomposition, 1949- Emil Cioran)

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 19:15

Contre les forcenés du travail et autres adeptes de la servitude volontaire

Rails

Si au lieu de fabriquer des traverses, et de forger des rails, et de consacrer jours et nuits au travail, nous employons notre temps à battre sur l’enclume nos existences pour les rendre meilleures, qui donc construira des chemins de fer ? Et si l’on ne construit pas de chemin de fer, comment atteindrons-nous le ciel à temps ? Mais si nous restons chez nous à nous occuper de ce qui nous regarde, qui donc aura besoin de chemin de fer ? "

  

Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois

P 108 -109

 

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23 octobre 2010 6 23 /10 /octobre /2010 11:26

 

Pensée du matin à méditer. Elle me vient de l’indispensable et éclairant ouvrage de Daniel Dubuisson : « Mythologies du XXe siècle. Dumézil, Lévi-Strauss, Eliade ». L’extrait repris ci-dessous est tiré de la partie consacrée à Mircea Eliade, dans un chapitre intitulé : « Métaphysique et politique : Eliade et Heidegger » .


      Platon 

HeideggerMircea-Eliade

 

 

 

 

   

 

 

 

  « Avec bel ensemble, de Platon à Heidegger et Eliade, les penseurs de l’Etre se sont toujours rangés aux cotés des régimes totalitaires (de l’oligarchie spartiate au Reich nazi). Au contraire, la plupart des penseurs rationalistes et matérialistes, de Démocrite à Russel, ont été des partisans de la démocratie, simplement peut-être parce que le rationalisme et le matérialisme supposent que l’on accepte le double principe du progrès et de la relativité » (P 264).

  

Un peu plus bas dans la même page :

 

Plotin

Sans doute Eliade préférait-il à la générosité du philosophe d’Abdère (« La pauvreté en régime démocratique est aussi préférable au prétendu bonheur en régime tyrannique que la liberté l’est à la servitude »[1]), la morgue d’un néoplatonicien, celle de l’auteur des Ennéades par exemple :

« [Le sage] comprend qu’il y a deux genres de vies, celle des sages et celle du vulgaire ; celle du sage est dirigée vers les sommets ; celle du vulgaire, celle des hommes de la terre, est elle-même de deux espèces ; l’une a encore un souvenir de la vertu, et elle a quelque part au bien ; mais la foule méprisable n’est qu’une masse de travailleurs manuels destinés à produire les objets nécessaires à la vie des gens vertueux ». (Plotin)

   



[1]  Stobée, Florilège IV,1, cité et traduit par Jean-paul Dumont, Les présocratiques, Gallimard, 1988, p 905.

 
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11 août 2010 3 11 /08 /août /2010 20:15

Sacrifice d'IphigéniePérégrination d’Août en mon jardin ; relisant " Le miel et l’Absinthe ", fort joli titre pour un très beau livre d’André Comte-Sponville, à propos du passage de la critique de la religion et du sacrifice d’Iphigénie, j’ai mis en vis-à-vis sa traduction à celle de Kany-Turpin de l’édition GF Flammarion. Les deux me plaisent et se complètent – Je ne suis pas apte à juger du bien-fondé de celle-ci plutôt que de celle là, et ne m’attache ici simplement qu’à la musique des mots. Dans les deux cas j’ai remplacé le dernier vers, Tantrum religio suadere malorum ! par la version proposée par Jean Salem : " Tant la religion put conseiller de crimes ! ". André Comte-Sponville avait rendu ce vers par : " Tant la religion fut féconde en horreur ". Quant à la traduction de Kany-Turpin elle se déclinait ainsi : " Combien la religion suscita de malheurs ! ". Au moins tous s’accordent ici sur le mot religion ; ce qui ne fut pas toujours le cas, comme l’explicite Jean Salem dans son irremplaçable et délicieux " Cinq Variations sur le plaisir, la sagesse et la mort ". Nous y replongeons-nous donc : " Il faut faire attention à traduire comme il convient cette religio (…) On trouve en vérité 14 occurrences du mot religio dans le De rerum Natura, et celles-ci, pour être précis, donnent lieu à 12 problèmes de traduction… " Certains choisirent, explique jean Salem, de rendre, dans le vers qui nous occupe ce terme de religio, non pas par religion mais par superstition – ce n’est pas anodin ni sans arrière pensée. Ainsi Patin (1876) et Clouard (1931). On y " parle des actes criminels et impie qu’engendre la superstition (…) Lucrèce vécut, tout de même, en un temps où Varron, et Cicéron après lui, avaient déjà distingués superstitio et religio. ". Dont acte. Pour plus ample causerie et érudition à ce propos je renvoie au livre suscité de Jean Salem.

Mais trêve de caquetage, voici les textes jetés à la mer :

 


 

 Traduction Kany-Turpin

 

 

"  Mais ici j’éprouve une crainte : tu crois peu être

apprendre les éléments d’une doctrine impie,

entrer dans la voie du crime quand au contraire

la religion souvent enfanta crimes et sacrilèges.

Ainsi en Aulide, l’autel de la vierge Trivia

du sang d’Iphigénie fut horriblement souillé

par l’élite des Grecs, la fleur des guerriers.

Dès que sa coiffure virginale fut ceinte du bandeau

dont les larges tresses encadrèrent ses joues,

elle aperçut devant l’autel son père affligé,

les prêtres auprès de lui dissimulant leur couteau,

et le peuple qui répandait des larmes à sa vue.

Muette de terreur, ses genoux ploient, elle tombe.

Malheureuse, que lui servait, en tel moment,

d’avoir la première donné au roi le nom de père ?

Saisie à mains d’hommes, elle fut portée tremblante

à l’autel, non pour accomplir les rites solennels

et s’en retourner au chant clair de l’hyménée,

mais vierge sacrée, ô sacrilège, à l’heure des noces

tomber, triste victime immolée par son père,

pour un départ heureux et béni de la flotte. 

Tant la religion put conseiller de crimes ! "

 

 


 

 

  Traduction André Comte-Sponville

 

" Une crainte me vient : peut-être vas-tu croire

Que je veux t’initier à quelque dogme impie,

T’ouvrir la voie du crime ? Au contraire : souvent

C’est la superstition qui devient criminelle.

C’est ainsi qu’à Aulis, sur l’autel d’Artémis,

Le sang d’Iphigénie atrocement coula

Par la faute des chefs Grecs, la fleur des guerriers.

Dès que sa tête pure eut coiffé le bandeau

Dont les larges rubans lui caressaient les joues,

Elle aperçut son père accablé de douleur,

Le prêtre à son coté cachant son long couteau,

Et le peuple à sa vue qui se met à pleurer.

Muette de terreur, elle ploie, elle tombe.

Malheureuse ! Que lui servait alors d’avoir

La première donné au roi le nom de père ?

Des mains d’hommes sur elle effrayantes se posent

La portent à l’autel, non pour s’y marier,

Hélas, non pour le rite et les chants de la noce,

Mais pour y mourir vierge, assassinée à l’âge

Même du mariage, immolée par son père

Au départ des vaisseaux, à la faveur des dieux !

Tant la religion put conseiller de crimes ! "

 

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  • : Le blog d'Axel Evigiran
  • : Blog généraliste ou sont évoqués tout aussi bien des sujets sociétaux qu’environnementaux ; s’y mêlent des pérégrinations intempestives, des fiches de lectures, des vidéos glanées ici et là sur la toile : Levi-Strauss, Emanuel Todd, Frédéric Lordon, etc. De la musique et de l’humour aussi. D’hier à aujourd’hui inextricablement lié. Sans oublier quelques albums photos, Images de châteaux, de cités décimées, et autres lieux ou s’est posé mon objectif…
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