C’est quelques jours après avoir assistés à une conférence, plutôt moyenne, avec Pascal Quignard, organisée autour de l’exposition temporaire « Portraits de la pensée » au palais des beaux arts de Lille, que nous avons déambulés dans les soubassements du musée pour y admirer la cinquantaine d’œuvres exposées, datées pour l’essentiel du XVIIe siècle : De Velasquez à Johannes Moreelse, passant par Salvator Rosa, José de Ribera ou encore Hendrick Ter Brugghen.
Sur la conférence, non pas tant que Pascal Quignard fut intéressant, mais le sujet s’est trouvé être vite enlisé dans des considérations vaporeuses et le verbiage savant des conférenciers. Contre le philologue Bernard Vouilloux d’ailleurs, je souscris avec l’auteur des « Ombres errantes », à l’idée d’évidence que l’image est première et que la parole ne vient qu’ensuite nimber l’expérience directe de son pinceau - et non l’inverse… Hormis cela, rien de saillant sauf quelques anecdotes étymologiques ; mais il me plait beaucoup à connaître ce genre de choses aussi futiles qu’essentielles. Primordiales même, en tant que soubassement de la langue et ossature de biens des idées ou de concepts. Ainsi le terme ‘contempler’, viendrait de cette façon qu’avaient les aruspices de compter dans un cadre formé de leurs mains, et qu’on appela le temple, le nombre d’oiseaux qui y passaient sur une période donnée. Selon qu’ils venaient de gauche, à Sinistra, ou de droite, dextre, l’augure était considérée bonne ou mauvaise…
Le texte inséré dans le catalogue de l’exposition écrit par Pascal Quignard reprend bonne part de sa présentation ; causerie articulée autour de deux œuvres qui ne sont pas présentées dans l’exposition : la fresque de Pompéi ‘Médée préméditant le meurtre de ses enfants’ et le ‘Tombeau des taureaux : l’assaut d’Achille’. A cette lecture un constat : l’oralité est moins bien passée que l’écrit. Sans doute eût-il mieux valu qu’il se trouvât seul sur l’estrade ce soir là. Des autres contributions du catalogue je retiendrais surtout celle de Tzvetan Todorov, utile et claire. Du premier texte de J.J Melloul je retiendrai ce versant interprétatif qui a tout pour me séduire : «Un autre modèle, matérialiste, est concevable, qui fait de la pensée l’une des manifestations de surface d’une fonction du corps parmi d’autre : le corps ‘pense’ et non pas ‘exprime la pensée’ »...
Sur ces « Portraits de la pensée » en eux-mêmes, et pour ne point y développer d’absconses tant subjectives considérations jaillies tout droit de la cuisse de Jupiter, je puis qu’inciter chacun à se faire une idée par soi-même in situ (jusqu’au 13 juin). D’autre part, cette exposition fait écho à celle qui fut organisée à Rouen début 2006, et qui était intitulée : ‘Les curieux Philosophes’. En avait été tiré un catalogue avec une passionnante contribution d’Elisabeth de Fontenay intitulée ‘Rire et larmes Présocratiques’ dont voici, pour mise en bouche deux minces extraits choisis : « Les érudits ont de bonnes raisons de penser que c’est à l’époque romaine impériale que la Lettre 17 (Hippocrate) a été écrite. Le rire de Démocrite et les pleurs d’Héraclite sont ensuite devenus à la Renaissance un lieu commun, un topos rhétorique, faisant partie de ce qu’on appelait les exempla, anecdotes significatives dont étaient friands les humanistes ». (…) « On ne sait que penser de l’incompréhensible hiatus entre le Démocrite, dont on connaissait, déjà au XVIe siècle, le matérialisme et le relativisme radical par l’édition de l’œuvre de Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres (…) et le portrait peint par Velázquez. Hiatus, de même, entre l’Héraclite peint par Ribera ou Rubens et ce que les gens cultivés de la Renaissance pouvaient déjà pressentir de cette aurorale et profonde philosophie – que critiquait si fort Platon – du devenir absolu, du temps, du fleuve dans lequel on ne se baigne jamais deux fois, car il n’est jamais le même. Comment consentir à la bouffonnerie involontaire que suggère ce couple molièresque du docteur Tant Pis et du docteur Tant Mieux, à cette paire de jean qui pleure et Jean qui rit, digne de la Comtesse de Ségur…». Voici enfin quelqu’un qui n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat ; et qui incite aussi à se rendre aux sources et lire - ou relire - de ce qu’il reste à lire de ces philosophes, ainsi que les savoureuses ‘Vies’ De Diogène Laërce.
A noter enfin, sur le plan technique, un support audio très bien fait, téléchargeable et podcastable depuis chez soi. C’est plaisir et toujours enrichissant à réécouter ensuite avec le livre de l’exposition sous le nez.